Afin de nous protéger des crues, coopérons avec la nature
Alors que les crues s’intensifient un peu partout en France et que les infrastructures artificielles échouent à les endiguer, les « solutions vertes » proposent un autre mode de gestion de l’eau, naturel, durable, et plus efficace.
En pleine crue hivernale, Sébastien Lecornu et Brune Poirson, tous deux secrétaires d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, visitent les locaux de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE). Après avoir rencontré quelques agents du service Vigicrues, ils réitèrent quelques conseils de « bon sens » à adopter en cas d’inondation : ne pas descendre dans un sous-sol inondé, ne pas chercher à en sortir la voiture, se tenir au courant de la situation… Bref, autant de mesures d’urgence qui, loin d’endiguer la crue, trahissent une déficience chronique dans la gestion de l’élément aquatique.
Les récentes inondations, s’ajoutant à celles du printemps 2016, prouvent encore une fois les limites du tout-béton. Les digues, les bassins artificiels de rétention, les berges bétonnées – tout ce qu’on appelle « solutions grises » – ont certes leur utilité, mais elles coûtent cher, pour des résultats souvent mitigés. Et si le bon sens consistait à retrouver des « solutions vertes » pour vivre avec l’eau ?
« Utilisons la nature comme un élément structurant dans l’aménagement du territoire », dit Marc Barra, écologue à Natureparif, l’Agence régionale pour la nature et la biodiversité en Île-de-France. Après les inondations de 2016, Natureparif a rédigé une brochure vantant les solutions vertes dans la prévention et la limitation des crues. Le texte s’appuie notamment sur l’exemple de la vallée de la Bièvre. Située au sud de Paris, cette communauté de communes avait depuis longtemps misé sur les infrastructures vertes, en transformant ses trois bassins artificiels en points d’eau permanents, à la capacité de rétention d’eau plus importante. Le système a fait ses preuves en mai 2016 : contrairement aux autres cours d’eau régionaux, la Bièvre demeura contenue par ces bassins naturels.
Chargée de mission au sein du réseau Milieux aquatiques de France nature environnement (FNE), Lorraine Levieuge ne tarit pas d’éloges sur le rôle des zones humides. « Ce sont de véritables éponges naturelles, qui jouent un rôle primordial face aux inondations : elles permettent d’une part à l’eau de s’épandre en limitant les dommages pour la population, et d’autre part, elles stockent l’eau, ce qui réduit le ruissellement à l’origine des inondations. » D’où la nécessité de les préserver face à l’imperméabilisation des sols et l’artificialisation des rivières, qui « empêchent leur régulation naturelle et augmentent le niveau des inondations et leurs conséquences ».
À défaut de préserver, on peut également restaurer. Dans les Hauts-de-France, l’Union syndicale d’aménagement hydraulique du Nord a ainsi libéré fin 2015 une zone d’expansion des crues de la Borre Becque, un affluent de la Lys depuis 1966. Cette vaste tourbière laisse libre cours au débordement de la rivière, qui dès lors n’affecte plus autant les communes situées en aval. Dans le même temps, la zone humide offre un refuge à la faune locale, grâce à six frayères où viennent se reproduire les brochets et de nombreuses autres espèces aquatiques.
Mais qu’en est-il des villes, où d’aussi grandes zones humides paraissent irréalisables ? Comme le relève Lorraine Levieuge, « l’imperméabilisation des sols urbains par les constructions fait qu’en cas de pluie, l’eau ne peut pas s’infiltrer comme elle le ferait de façon naturelle, et va ruisseler, ce qui aggrave les phénomènes d’inondation ». Cependant, Marc Barra ne désespère pas : « En espace urbain dense, il faut démultiplier les petits gestes de reconquête du sol : rouvrir un pied d’arbre, creuser une mare, végétaliser une toiture… Pris individuellement, ils ont peu de valeur, mais mis bout à bout, ils permettent d’atteindre une masse critique en ce qui concerne l’absorption et le ralentissement des eaux. À terme, il faut faire des villes-éponges ! »
Rennes dispose d’ores et déjà d’une telle masse critique. Innocemment lancé pour verdir la ville, le projet « Végétalisons nos murs et nos trottoirs » a conquis près de quatre kilomètres linéaires de murs, et absorbe le surplus d’eau lors des intempéries. L’image vivante d’une « ville-éponge ».
Toutefois, pas de prévention en ville sans coordination avec la campagne. La destruction des zones agricoles accentuant les inondations en imperméabilisant les sols, la politique de lutte contre l’étalement urbain devient primordiale. « La prévention de l’eau en ville se joue à la campagne », résume l’écologue parisien.
En dépit de leurs atouts, les solutions vertes viennent tout juste d’apparaître dans la gestion de l’eau. En cause : une réticence d’ordre culturel envers la nature, à laquelle s’ajoute une méconnaissance de ces techniques. « Le génie civil et le génie des ponts n’ont pas appris à gérer la nature. Pour eux, elle apporte plus de problèmes que de solutions. Ils ne voient dans une mare que la présence de moustiques, et non sa capacité de rétention d’eau », explique Marc Barra.
Si l’écologue espère un changement de règlementation en vue d’interdire l’imperméabilisation des sols, il attend beaucoup de l’argument économique. En comparaison des « solutions grises », les solutions vertes coûteraient près de trois fois moins chers, pour une meilleure efficacité. Autant que l’écologie, c’est l’économie qui devrait pousser dans ce sens.
Alors que le phénomène de crues pourrait dépasser le seuil atteint en 2016, les solutions vertes nous amènent à envisager un autre mode de gestion de l’eau. Lorraine Levieuge propose d’aménager le territoire pour « vivre avec les inondations plutôt que de lutter contre ».
Source : Maxime Lerolle pour Reporterre