Interview de Jérôme de Lespinois, référent Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace
Bonjour Jérôme, nous sommes à l’École militaire dans le bureau du directeur du Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) du ministère des Armées.
Première question : pourquoi votre intérêt pour les armées, et en particulier l’armée de l’Air et de l’Espace ?
J’ai réuni, si l’on peut dire, trois passions.
Tout d’abord je suis issu d’une famille de militaires, depuis plusieurs générations ; des militaires à la fois de l’armée de l’Air, de la Marine et de l’armée de Terre.
J’ai fait mon service militaire dans un régiment de l’armée de Terre qui était un régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Nous décollions de la base aérienne de Mont-de-Marsan, puisque le régiment était stationné à Mont-de-Marsan dans les Landes.
A la suite de mes études d’histoire à la Sorbonne, j’ai commencé une carrière universitaire, puis j’ai été recruté par le service historique de l’armée de l’Air et donc j’ai pu allier à la fois une compétence en histoire, une passion pour l’aéronautique et un intérêt familial pour les choses militaires.
Quel est votre métier aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je suis référent histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace.
C’est un métier qui m’amène à utiliser la méthodologie de recherche en histoire pour approfondir nos connaissances sur l’armée de l’Air en contribuant à des publications scientifiques, des colloques ou des séminaires universitaires.
Cela me permet aussi de participer à la réflexion doctrinale de l’armée de l’Air et de l’Espace, en étudiant l’histoire des doctrines stratégiques et, plus particulièrement, l’évolution des stratégies aérienne, spatiale et nucléaire.
Je suis en parallèle conseiller historique du chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace et peux, à ce titre, collaborer aux travaux de son cabinet ou participer aux grands événements comme les 90 ans de l’armée de l’Air et de l’Espace, en y apportant mes compétences.
Vous êtes référent Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace. Quelles sont les étapes majeures du développement de l’armée de l’Air et de l’Espace ?
L’armée de l’Air et de l’Espace a fêté ses 90 ans en 2024.
Officiellement, l’armée de l’Air démarre son histoire en 1934. Nous commémorons cette année l’anniversaire de la loi du 2 juillet 1934 qui porte organisation de l’armée de l’Air mais il faut bien voir que, historiquement, cette loi de 1934 est le résultat d’une longue évolution.
Le processus commence avec le premier ballon militaire en 1794, sous la Convention, lors des guerres révolutionnaires. Ce sont les racines les plus profondes de l’histoire de l’armée de l’Air. Les racines les plus solides remontent ensuite à la première guerre mondiale qui a été le creuset de l’aviation militaire française. S’ensuit alors tout un processus d’institutionnalisation de l’armée de l’Air comme une armée indépendante de l’armée de Terre et de la Marine, qui débute après la première guerre mondiale et dure jusqu’en 1934. Les différentes étapes sont la création du ministère de l’Air en 1928, la mise en place d’un chef d’état-major des forces aériennes la même année, la rédaction des premiers projets de création de l’armée de l’Air en 1929, la constitution du conseil supérieur de l’Air en 1931, la création des bases aériennes en 1932 et la publication, le 1eravril 1933, du décret relatif aux principes généraux d’emploi et d’organisation de l’armée de l’Air.
Ce long processus d’institutionnalisation dure donc, dans sa phase active, de 1928 à 1934. La décision politique de créer l’armée de l’Air est prise en 1928, elle est retardée jusqu’en 1934. Pourquoi ? C’est du fait du conservatisme que l’on retrouve dans tous les grands États, et pas seulement dans les institutions militaires. Cela signifie que l’on voit à cette époque s’opposer à la fois les forces de conservation et les forces de progrès. Les forces gestionnaires sont les forces conservatrices, tandis que les forces de mouvement et de transformation sont les forces de progrès. C’est le pouvoir politique, en particulier Raymond POINCARÉ, qui impose aux forces conservatrices que sont les états-majors de l’armée de Terre et de la Marine, la création de l’armée de l’Air.
Donc, cette année, nous fêtons les 90 ans de l’armée de l’Air et de l’Espace avec des cérémonies, des conférences… Je pense à l’événement qui s’est tenu cet été à la Petite Écurie, place d’Armes à Versailles. Pourquoi ce choix de la Petite Écurie pour l’armée de l’Air et l’Espace ?
Il est vrai qu’il peut y avoir un contraste entre Versailles qui est la ville du Roi-Soleil et la ville du Grand Siècle, et puis l’armée de l’Air et de l’Espace qui est une armée jeune de 90 ans, articulée autour du progrès technique, de la vitesse et de la modernité.
Mais il faut bien comprendre que Versailles est le berceau de l’aéronautique militaire. Dès la fin de la Grande Guerre, la première structure dédiée à l’instruction des aviateurs – hormis les écoles de pilotage – s’installe à Versailles, précisément à la Petite Écurie en 1922, avec la création du Centre d’études aéronautiques.
Puis, de 1922 jusqu’à la fin des années 1960, un certain nombre d’entités de l’armée de l’Air se succèdent à la Petite Écurie. Le Centre d’études d’aéronautiques en 1922 est remplacé par l’École militaire et d’application de l’aéronautique en 1925. L’École de l’air est créée en 1933 mais, en attendant son installation définitive en 1937 à Salon-de-Provence, les deux premières promotions sont réunies à Versailles en 1935 et en 1936.
La Petite Écurie sera même une base aérienne. Elle est le siège d’un commandement de la défense aérienne dans les années 1950, jusqu’au début des années 1960.
Versailles, et en particulier la Petite Écurie sont donc le berceau de l’aéronautique militaire et de l’armée de l’air.
Merci Jérôme, encore une question. Je crois savoir que vous aimez écrire, coordonner des ouvrages de l’armée de l’Air de l’Espace, et en particulier ceux du Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) : quelles sont vos dernières actualités en la matière, qui sont peut-être certaines réservées aux armées et d’autres destinées aux civils ?
Effectivement, parmi mes missions, il y a des missions de recherche et des missions de vulgarisation de l’histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace à destination du grand public. C’est dans ce cadre-là que nous avons diffusé dernièrement un certain nombre d’ouvrages.
Tout d’abord en 2022 une Nouvelle histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace a été publiée à la demande du chef d’état-major de l’armée de l’Air et, sur proposition du directeur du CESA, qui était à l’époque le général Julien SABÉNÉ. Cet ouvrage qui répondait à un besoin institutionnel a rencontré un beau succès auprès du grand public, puisqu’il a été vendu en librairie et sur internet à plus de 10 000 exemplaires. Il a également remporté deux prix : un prix de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, et un prix de l’Aéro-Club de France. Nous finalisons la troisième édition de ce livre qui sortira au mois de novembre. C’est une œuvre collective, produite par la communauté des historiens de l’armée de l’Air et de l’Espace, que j’ai coordonnée au profit du CESA.
Le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (CEMAAE) a demandé ensuite que l’on publie un nouvel ouvrage historique pour marquer le 90e anniversaire. La commande visait un produit différent de la Nouvelle histoire de l’armée de l’Air, ce qui n’était pas chose simple. Nous avons alors travaillé de nouveau sur un ouvrage collectif, cette fois basé sur des témoignages d’aviateurs. Sachant que le CEMAAE souhaitait des récits antérieurs à 1934, nous sommes partis du premier aviateur, le capitaine Jean-Marie-Joseph COUTELLE, qui a commandé la première Compagnie d’aérostiers militaires – c’est-à-dire la première unité aérienne militaire au monde – et sommes remontés jusqu’à des témoignages très actuels d’aviateurs engagés au Mali, en Afghanistan, en passant, bien sûr, par les figures connues de Joséphine BAKER, Romain GARY ou Pierre CLOSTERMANN…
En parallèle, je suis engagé sur d’autres livres. Je pense à La bataille d’Angleterre juin-octobre 1940, qui vient d’être publié au format poche, et qui constitue l’histoire militaire de la bataille d’Angleterre. Il y a eu beaucoup d’écrits sur cette bataille : les récits des combats aériens, des essais sur l’aspect politique de l’affrontement… et finalement c’est un peu monotone. Alors j’ai essayé de retracer quelque chose d’assez nouveau : l’histoire opérationnelle de la bataille d’Angleterre, et le livre marche bien depuis le mois de juin.
Je travaille aussi sur la nouvelle édition du Traité de stratégie de l’École de guerre qui vient d’être publiée chez Tallandier et s’intitule La mesure de la force : Traité de stratégie de l’École de guerre. J’ai remanié cette nouvelle édition avec mes camarades qui enseignent également dans le cadre du cours de stratégie à l’École de guerre.
Il s’agit d’une édition qui a été actualisée après l’invasion de l’Ukraine en 2022, et qui intègre les développements récents de la science militaire
Des lectures passionnantes ! Comment occupez-vous vos loisirs ?
Je vais probablement vous surprendre en vous apprenant que, le weekend, je suis bûcheron à la campagne.
Je me chauffe au bois à l’aide d’une chaudière à bûches. Il faut donc que j’extraie de mon jardin 25 stères de bois afin de me chauffer toute une année, ce qui équivaut à 25 m3 de bois.
Donc tous les weekends, je m’active à couper du bois avec ma tronçonneuse… Cela permet de me libérer l’esprit au contact de la nature.
A l’issue de l’entretien, nous avons enregistré une interview à la Cour Morland-Cour d’honneur de l’École militaire. Un remerciement à Marie DELAVAUD, pour l’organisation parfaite de la rencontre.
Note importante : il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’article sur un autre support.
La légende de la photo en Une : La Coupole le 13 novembre 2023, Jérôme de Lespinois se voit remettre le Prix 2023 de l’Académie des Sciences Morales et Politiques en présence de M. Bruno COTTE, M. Jean-Claude TRICHET, M. Bernard STIRN.