Regards croisés de Marie-Christine et Éric DANON au Cercle de l’Union Interalliée
Le 4 octobre 2024 – Une belle rencontre avec Marie-Christine et Éric DANON à Autun et la joie de les retrouver au Cercle de l’Union Interralliée à Paris pour une interview spéciale. Autour d’un café, ils se livrent avec authenticité et liberté sur leur parcours de couple et de vie professionnelle auprès de Miss Konfidentielle.
Je demande à chacun Quelle est sa place dans la chose publique et le Regard posé sur l’autre.
Bonjour Marie-Christine,
Quelle est votre place dans la chose publique ?
Ma vie a toujours été guidée par une constante : une curiosité intellectuelle insatiable. Cette soif de comprendre m’a poussée à explorer le monde, à aller à la rencontre de l’autre, et à décrypter les mécanismes qui façonnent notre environnement. Observer, poser des hypothèses, les valider ou non, puis approfondir la compréhension de la complexité – voilà ce qui m’anime.
L’école de la République m’a offert l’opportunité de me construire. C’est là que ma passion pour la connaissance s’est révélée. C’est à HEC, avec une majeure en finance et une mineure en géopolitique, que j’ai compris que la finance pouvait être un outil d’influence géopolitique. Cette dimension m’a tout de suite fascinée.
En début de carrière, j’ai travaillé dans une banque d’affaires, où j’ai conseillé des gouvernements sur la restructuration de leurs dettes souveraines. J’ai notamment participé à de nombreuses négociations avec le Club de Paris et le Club de Londres, et accompagné des programmes de privatisation. En parallèle, j’ai exploré le monde des flux financiers illicites liés au trafic de drogue et de la criminalité organisée, ce qui m’a valu une première mise en lumière médiatique et a débouché sur la rédaction de deux livres sur l’économie des stupéfiants et la finance criminelle. Cette expertise m’a permis de comprendre en profondeur la structure des circuits financiers internationaux et leur utilisation à des fins criminelles.
En 2000, j’ai accepté de prendre la direction du Programme mondial des Nations Unies contre le blanchiment d’argent. Puis, en 2001, le 11 septembre est arrivé.
À cette époque, j’étais en première ligne, apportant mon soutien aux États pour intégrer la lutte contre le financement du terrorisme dans leurs dispositifs anti-blanchiment. Cela impliquait non seulement des aspects techniques, mais également une immersion dans la dimension politique des rapports de force juridiques et financiers qui s’exerçaient entre les nations. Cette période intense m’a permis d’observer de près les enjeux de pouvoir et de souveraineté qui sous-tendent les échanges internationaux. Elle a été cruciale pour comprendre l’ampleur et la complexité des défis liés à la gouvernance internationale en matière de finance, un domaine où les intérêts nationaux et la nécessité de coopérer s’entrechoquent constamment.
Après avoir quitté les Nations Unies, j’ai fondé ma propre structure de conseil, continuant à accompagner des gouvernements que je connaissais bien. Il y avait de vraies relations de confiance. Je les ai aidés à se conformer aux nouvelles exigences juridiques et réglementaires, dans un contexte international marqué par une forte pression américaine.
Mais au-delà de la conformité, il était clair que l’enjeu fondamental était ailleurs : la gouvernance. Comment incarner une vision cohérente, gérer les multiples pressions – souvent contradictoires, au sein d’un environnement de plus en plus imprévisible ? C’est ce qui m’a conduit à développer un travail d’accompagnement auprès des gouvernements, les aidant à appréhender les complexités de la gouvernance internationale, à mieux anticiper les menaces et à instaurer des politiques robustes, transparentes et durables.
Parallèlement, j’ai élargi cette approche aux dirigeants d’entreprise, en les soutenant dans leurs réflexions stratégiques, les aidant à naviguer dans un contexte de plus en plus imprévisible, à rester fidèles à leurs valeurs et à définir des orientations claires, en s’appuyant sur un regard extérieur neutre, fondé sur un sens aigu de l’intégrité et de l’intérêt général.
Aujourd’hui, je continue d’œuvrer dans ces domaines à l’intersection de la finance, de la stratégie et de la politique. En plus de mes activités de conseil, j’enseigne, je publie, je participe à la réflexion collective menée par de nombreux think-tanks. Je m’efforce d’éclairer les enjeux toujours bien actuels de la puissance financière des organisations criminelles, du financement du terrorisme, tout comme ceux qui émergent : finance décentralisée et crypto-actifs, dévoiement des marchés financier pour porter atteinte à la souveraineté de nos entreprises. Ce sont des défis passionnants.
Bonjour Éric,
Quelle est votre place dans la chose publique ?
Mon histoire commence bien avant ma carrière professionnelle. Je viens d’une famille d’immigrés qui a traversé la Méditerranée avec deux valises, cherchant en France une nouvelle vie pour ses enfants, à travers l’intégration et l’éducation. C’était la vision de mes parents, et cela a profondément façonné mon parcours. Avec ma sœur, nous avons suivi un parcours d’intégration classique : Louis-le-Grand, puis les grandes écoles comme Sciences-Po, Normale Sup, l’ENA.
Dès ma sortie de l’ENA, j’ai intégré les affaires étrangères et très rapidement, je me suis plongé dans les affaires stratégiques et de désarmement. Ce premier poste a déterminé le reste de ma carrière, puisque je n’ai jamais quitté le domaine politico-militaire.
Ce qui m’a toujours guidé, c’est la volonté de comprendre et d’anticiper. Un conseil de mon père m’a particulièrement marqué : « Tu dois monter le plus haut possible pour voir et prévoir, car nous, nous n’avons rien vu venir. » C’est cette idée qui m’a accompagné dans toutes mes fonctions, ajoutant une dimension prospective à chaque mission.
J’ai eu une carrière un peu atypique au Quai d’Orsay : j’ai effectué quatre allers-retours entre le privé et le public. Mais à chaque fois, je revenais, car mon père m’avait dit à ma sortie de l’ENA : « Ce pays nous a accueillis. Tu commences par rendre à la France ce qu’elle nous a donné. » Cette dette envers la République a guidé mon engagement, que ce soit dans le public ou le privé, toujours avec le sentiment de servir la France.
Je suis fier de certains moments de ma carrière, où je me dis que j’ai pu apporter une valeur ajoutée. Par exemple, j’ai eu la chance de suivre de près les négociations sur la réunification allemande après la chute du mur de Berlin en 1989. À l’époque, peu s’intéressaient aux pays de l’Est, mais j’ai eu l’opportunité de participer à ce moment historique, et c’est là que j’ai réellement appris la diplomatie.
Autre moment marquant : en tant que Sous-Directeur de la Sécurité au Quai d’Orsay, j’ai dirigé l’équipe qui a rédigé la Convention des Nations Unies contre le financement du terrorisme. Adoptée en un temps record, elle a pris une importance capitale après les attentats du 11 septembre 2001. Là aussi, je suis fier d’avoir contribué à cette avancée.
Mon dernier poste a été celui d’ambassadeur de France en Israël. Avant les tragiques événements du 7 octobre, nous avions réussi à augmenter le commerce bilatéral de 50 % et à devenir le deuxième partenaire en coopération militaire d’Israël après les États-Unis. J’en garde une grande satisfaction.
Aujourd’hui, à la retraite, j’ai choisi de me consacrer à la transmission. J’enseigne dans de nombreuses institutions en France et à l’international et je siège dans plusieurs fondations. Les événements récents au Moyen-Orient m’ont aussi amené à partager mon expertise dans les médias.
En regardant en arrière, je peux dire que je n’ai jamais failli dans mon engagement envers la France. J’ai toujours cherché à comprendre, à analyser et à transformer ces analyses en actions positives pour notre pays, sans jamais trahir mes valeurs ni mon cœur.
Marie-Christine, quel est votre regard posé sur Éric ?
Avant tout, j’éprouve une immense admiration pour Éric, pour son intégrité, sa générosité, sa créativité intellectuelle, et surtout pour le courage dont il fait preuve en les assumant. Chaque choix, chaque mot a ses conséquences, et le fait qu’il s’expose tel qu’il est, avec tant d’élégance, m’inspire un profond respect.
Par ailleurs, notre complicité intellectuelle est une source de jubilation inépuisable. Je parlais de ma curiosité d’esprit, et Éric partage cette même soif de savoir. Cela nous conduit à des échanges passionnants, des débats qui se prolongent sur des heures, des jours, voire des années. C’est une stimulation constante, un vrai plaisir, d’autant que nous le faisons avec humour et en posant un regard bienveillant sur le monde. Au quotidien, nous traitons de sujets graves, parfois tragiques, mais nous rions beaucoup.
L’idée de le suivre dans ses affectations comme Ambassadeur s’est imposée naturellement. J’ai même ressenti une grande fierté à l’accompagner dans ses missions officielles. Pour moi, il était évident que je devais être présente à ses côtés, accueillir, représenter et amener un peu de ma personnalité dans la dimension sociale de ces postes à forte exposition. La Résidence de France n’était pas seulement notre domicile, c’était un lieu de rayonnement pour la France, et j’ai rempli ce rôle avec cœur et engagement, toujours avec la conviction que c’était, là aussi, une manière de servir mon pays.
Éric, quel est votre regard posé sur Marie-Christine ?
Il est difficile d’être objectif quand on parle de son conjoint, de sa femme. L’amour introduit un biais, c’est certain. Mais ce qui nourrit notre relation, ce qui me pousse à m’appuyer sur Marie, c’est l’admiration que j’ai pour elle, pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle accomplit.
Je ressens une confiance absolue en ses réactions face aux innombrables petits chocs de la vie… Nous partageons des échanges intellectuels riches et stimulants, et nos valeurs communes ne sont jamais mises en question. Que ce soit dans notre travail ou dans notre vie personnelle, nous avons en commun un amour profond de la France, un sens de l’intégrité, et une quête d’honnêteté intellectuelle. Personne ne détient la vérité, mais ensemble, nous essayons d’analyser et de comprendre le monde qui nous entoure, notre quotidien, notre rôle de parents, nos relations avec nos amis.
Tout cela crée un espace formidable pour moi : le monde peut être rude, je peux encaisser des coups dans ma vie professionnelle, mais quand je rentre chez moi et que Marie est là, je trouve une paix profonde, un abri face à l’agitation extérieure.
Il y a un autre aspect très important. J’ai parfois tendance à vouloir dire ou faire certaines choses, et Marie est là comme garde-fou. Elle est mon point de repère. Je lui lis tout ce que j’écris, tout ce que je prépare pour mes conférences, jusqu’à ce qu’elle soit à saturation ! Elle est la seule à qui je fais pleinement confiance pour évaluer si ce que je vais dire est approprié et pour me suggérer des pistes de réflexion supplémentaires. Elle est donc indispensable à mon travail d’aujourd’hui. Peut-être que le contraire n’est pas aussi vrai car elle fonctionne dans un mode de confidentialité absolue avec ses interlocuteurs, mais c’est comme cela que nous avons trouvé notre équilibre. Nos histoires personnelles, notre enfance, nous ont forgé une vision du monde, de la France, des gens, qui est profondément similaire, même si, bien sûr, chacun de nous conserve sa propre personnalité, ses idées, ses envies.
Un joli moment partagé. Je vous remercie tous deux et vous à bientôt !
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