Interview du GBA Christophe MICHEL, Directeur du BEA-É, le Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État

Tout d’abord, le Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État est né le 1er janvier 2003. C’est un service à compétence nationale qui exerce son activité sur tous les aéronefs employés au service du ministère de la Défense, du ministère de l’Intérieur, et du ministère de l’Economie et des Finances et de l’Industrie pour ce qui concerne les Douanes. 

Ensuite, le BEA-É est un service indépendant. Cette indépendance se caractérise par notre entière responsabilité à décider ou pas du déclenchement d’une enquête et par le fait que nous assumions ce que nous publions ensuite sur internet, c’est à dire nos rapports d’enquête.

Enfin, le BEA-É est placé auprès de l’inspecteur général de l’armée de l’Air et de l’Espace, ce qui nous permet d’avoir un soutien et un appui de l’inspecteur sur différentes thématiques. 

Le BEA-E cultive des valeurs qui guident nos travaux : elles sont au nombre de trois. L‘intégrité parce que elle nous permet d’être crédibles. L’engagement de nos directeurs d’enquête qui doit être exhaustif et dans la durée. L‘excellence parce que j’estime que l’on ne doit absolument pas se tromper dans nos analyses. Nous avons le devoir de poser des hypothèses lorsque nous ne sommes 100% certains, mais nous n’avons pas le droit de nous tromper. Cela dans un seul but : améliorer la sécurité aérienne au bénéfice de tous.

Vous remarquerez que nous portons sur nos revers, l’insigne du BEA-E sur lequel figure un aéronef mythique : il s’agit du Blériot XIX qui a traversé l’Atlantique pour la première fois d’Est en Ouest, reliant ainsi Paris à New York (1930). Il est de couleur rouge. Alors, est ce que la boîte noire est noire ? Non, mais elle n’est pas loin d’être rouge. Elle est orange. Le nom de cet avion est le Point d’interrogation. Le ? est peint sur son fuselage et symbolise toutes les questions que l’on se pose lorsqu’il y a un accident aérien. 

Regardez notre lithographie : ce Point d’interrogation quitte une zone de fortes et ténébreuses turbulences. Un ciel noir pour aller rejoindre un ciel clair. Au fur et à mesure que l’enquête avance, l’avion tout comme l’enquêteur du BEA-E quitte les ténèbres pour rejoindre un ciel de certitudes. L’identification des causes de l’accident puis leur analyse permettent de comprendre ce qui a conduit à l’accident et d’en déduire les moyens pour que cela ne se reproduise pas. 

Ce Point d’interrogation, c’est aussi notre travail en équipage et c’est bien la raison d’être de ce Bureau qui est constitué de 25 personnes. 

Et enfin, c’est l’exploit d’un équipage. Il est vrai qu’à partir d’une épave ou de témoignages complètement différents, parfois même dissonants, les enquêteurs du BEA-É arrivent avec toute leur technicité à reconstituer ce qui s’est passé.

Je dirige le Bureau depuis le 1er août 2023 et mon rôle est de m’assurer de l’acceptabilité des rapports d’enquête : nos analyses doivent être acceptées et nos recommandations doivent être réalisables. C’est ainsi que nous faisons avancer collectivement la sécurité de l’aéronautique d’Etat.

La communication est également essentielle : elle concourt à cette acceptabilité. Elle s’inscrit dans une démarche de rayonnement du Bureau sur le plan national et à l’international. Je rentre ce matin de quatre jours de séminaire sur la sécurité aérienne organisé par l’ISASI, regroupant une grande partie des bureaux d’enquêtes accidents aériens du monde entier, ce qui représentait 300 participants. Ce fut l’occasion pour le BEA-E de dispenser une présentation sur l’accidentologie d’origine spatiale.

Concernant notre feuille de route du Bureau, plusieurs points guident nos travaux pour le futur du BEA-É.

En premier lieu, il faut que l’on continue à travailler pour une meilleure analyse de ce que l’on nomme les signaux faibles, de façon à pouvoir – au mieux – faire prendre des mesures préventives avant l’accident. Et comment fait-on cela ? En optimisant le traitement des données de sécurité aérienne que nous avons à notre disposition au BEA-É et qui se trouvent également au sein des organismes d’État et auprès des industriels. Si on a accès à ces données, si on les analyse à travers des algorithmes dédiés, on pourra alors objectiver ces signaux faibles pour proposer des mesures préventives. 

Le deuxième point est la poursuite de la promotion de la sécurité aérienne à travers notre participation aux différentes manifestations portant sur la sécurité aérienne et par la tenue de notre séminaire annuel. 

La formation est également un enjeu. Il est nécessaire de former nos enquêteurs aux différents modes de propulsion que l’on nomme verts ou nouveaux. Nous sommes désormais prêts pour que nos enquêteurs puissent intervenir sur les avions à propulsion électrique. Mais il y a encore des choses à faire sur les piles à hydrogène quand elles vont commencer à se généraliser et sur d’autres potentiels modes de propulsion qui pourraient émerger. Il est également nécessaire d’anticiper notre besoin d’expertise dans le domaine de l’intelligence artificielle. Cette IA est déjà présente et va immanquablement se renforcer dans le domaine aéronautique, que ce soit dans les cockpits, dans les processus de contrôle aérien et dans les systèmes de maintenance. Lorsqu’il y aura une défaillance qui conduira à l’accident, il sera nécessaire que nous soyons en mesure de pouvoir expertiser ces systèmes constitués pour tout ou partie d’IA.

Et le dernier point concerne l’organisation de l’État français en cas d’accident d’origine spatiale. Qui réalisera une enquête qui fait suite à un tel accident et comment sera-t-elle réalisée ? Ce point a été évoqué lors du séminaire de l’ISASI au Portugal et d’autres pays d’Europe s’y intéressent fortement. L’opportunité de constituer un groupe de travail adhoc pourrait être prochainement saisie.

Le 18 octobre 2024, le BEA-É a publié le rapport d’enquête sur l’incident aérien qu’a connu un Rafale de la Marine nationale lors d’un entraînement de nuit. Un des deux moteurs s’est subitement arrêté après que le pilote a entendu une détonation et ressenti de fortes vibrations. Le pilote a réalisé les actions de sauvegarde de son aéronef et a ensuite procédé à un retour en monomoteur vers la base navale de Landivisiau où il s’est posé en toute sécurité. Le second moteur n’était plus du tout en état de fonctionner. L’analyse a permis d’identifier des pistes intéressantes sur le plan technique et sur le plan de la formation des techniciens aéronautiques. 

Pour élargir le sujet, la majeure partie de nos rapports est publique et on peut les trouver sur notre site internet. Ceci permet de partager avec toute la communauté aéronautique, le fruit de nos analyses et les recommandations associées.

L’actualité a été malheureusement marquée par un fort volume d’accidents et d’enquêtes déclenchées cet été. 

Sur un mois, nous avons conduit 7 enquêtes, ce qui est un chiffre qui sort de l’ordinaire au regard d’une moyenne générale de 20 à 25 enquêtes par an. Les équipes d’enquête du BEA-E se sont déplacées en France et à l’étranger pour des accidents ou incidents d’hélicoptères, d’aéronefs de transport et de chasse, et de drone.

Aujourd’hui, nous sommes sur la phase d’analyse de ce volume d’enquêtes important qui ont été déclenchées cet été, ce qui prendra un temps relativement long. En effet, nos rapports sont publiés entre 10 et 12 mois à l’issue de l’accident.

Pourquoi ce temps long ? Parce que nous faisons des analyses dans trois domaines : le champ technique, le facteur humain et la dimension organisationnelle. Ces analyses sont basées sur les expertises que nous produisent des centres étatiques (tels que la DGA, l’ONERA, l’IRBA…) ainsi que sur celles des industriels au besoin.

Absolument ! Nouvellement arrivée chez nous depuis maintenant deux mois et que vous avez rencontrée.

Jennifer vient de faire ses classes, c’est à dire sa formation militaire initiale à Orange. C’est une nouvelle aviatrice issue des rangs de l’armée de l’Air et de l’Espace. Nous sommes enchantés de l’accueillir chez nous. C’est un premier emploi pour elle et je suis certain qu’elle va réussir dans la voie qu’elle a choisie. Jennifer donne déjà entière satisfaction, ne serait-ce que par le dynamisme qu’elle distille autour d’elle.

Cet été, sur un total de dix directeurs d’enquête, il y en a cinq qui ont été renouvelés, ce qui est assez conséquent pour nous. De même, les experts techniques que sont nos sous-officiers et qui vont également sur le terrain au moment du déclenchement d’une enquête, ont été renouvelés aux deux tiers, ce qui est beaucoup également. Je le redis : la formation est notre enjeu à court terme.

L’objectif est nous donnions le bon niveau de connaissance théorique et une bonne pratique à nos nouveaux directeurs d’enquêtes et à nos nouveaux experts techniques afin qu’ils soient en mesure de partir seuls en enquête sur le terrain.

On recrute généralement en période estivale. Nos viviers se trouvent au sein des trois ministères pour lesquels nous sommes compétents. Ce qui est intéressant à savoir, c’est qu’il y a beaucoup de volontaires. Je reçois de nombreuses candidatures spontanées de personnels de l’État qui souhaitent venir chez nous pour travailler. Je trouve cela fort intéressant pour le BEA-É, voire gratifiant.

Nous avons aussi des postes ouverts à des recrutements civils. Un de nos directeurs d’enquête est civil sous contrat : il travaillait auparavant dans l’industrie en qualité d’ingénieur motoriste. Il apporte ainsi une vision différente et complémentaire.

Absolument, nous avons du personnel de la réserve opérationnelle sur lequel nous nous appuyons pour soutenir nos travaux et nous aider dans des domaines particuliers. Je pense notamment aux analyses de type facteur humain.

Je m’appuie tout naturellement sur la révision du protocole que l’on a passé avec la direction des affaires criminelles et des grâces, la DACG, révision qui date de ce printemps et qui remet en lumière s’il le fallait, le niveau de coordination que l’on doit avoir entre nos deux enquêtes, l’une et l’autre étant par nature indépendantes, mais qui néanmoins nécessitent un niveau de coordination qui nous permet d’avancer chacun dans son domaine respectif.

Je pense que ce protocole est très important et sa mise en application au regard de ce que l’on peut en voir tout au long de l’année est très satisfaisante, tant sur le terrain qu’au niveau de la Direction.

Sans surprise, je suis passionné par l’aéronautique. J’ai eu la chance de pouvoir baigner dans l’aéronautique dès l’âge de 17 ans et je n’en suis toujours pas sorti. Mon parcours – probablement atypique – m’a permis de réaliser une première partie de carrière en tant que sous-officier contrôleur aérien, puis une seconde partie d’officier pilote de chasse. L’armée de l’Air et de l’Espace m’a offert ensuite des opportunités de commandement et de direction de haut niveau, que j’ai su saisir pour étoffer mon parcours opérationnel avec de larges compétences managériales.

J’aime l’aéronautique, mais néanmoins j’ai d’autres centres d’intérêt. Le rugby me passionne car il porte en lui de très belles valeurs telles que le respect, le gout de l’effort et l’esprit d’équipe. J’aime aussi la gastronomie du Sud-Ouest qui sait enchanter les papilles dans l’assiette et dans le verre. J’ai eu la chance de découvrir tout ceci lorsque je commandais la base aérienne 106 de Bordeaux Mérignac durant deux années exaltantes. L’armée de l’Air et de l’Espace m’a notamment fait confiance pour que nous organisions le meeting national de l’Air de l’année 2017 sur la plateforme mixte de Mérignac. Ce fut un grand succès : 40 000 visiteurs sont venus ce jour-là sur la BA106.

J’ai ainsi particulièrement apprécié la qualité de vie et le bien vivre girondin. C’est par ailleurs ce que je retrouve avec joie chaque année lors de ma participation au marathon des châteaux du Médoc. 

Séminaire de rentrée du BEA-É avec le GBA Christophe MICHEL, directeur du BEA-É, et son équipe à la Cité de l’espace © BEA-É

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