Récemment, je m’entretenais avec le colonel Laurent SAVIO à la DGA. Aujourd’hui, je suis de nouveau à Balard à l’été 2025 et je rencontre Guillaume CHILLET qui est Responsable du domaine scientifique Sciences Humaines et Sociales de l’Agence de l’innovation de défense du ministère des Armées.
Guillaume est souriant, pédagogue et c’est avec enthousiasme que je vous partage notre entretien sur ce qu’est l’Agence de l’innovation de défense, et qui il est.
Son actualité ? Le lancement cet été de l’appel à projet Résistance sur le thème de la lutte contre la désinformation.
Une interview qui illustre l’approche innovation du ministère des Armées sur l’enjeu de désinformation et son impact sur les forces morales.
Bonjour Guillaume,
Quel est l’objet de l’Agence de l’innovation de défense ?
L’Agence de l’innovation de défense ou AID a été créée en 2018, sous l’impulsion de Florence PARLY, ministre des Armées (2017-2022) avec l’objectif de mettre en œuvre la politique ministérielle en matière d’innovation, de recherche scientifique et technique et de faire toutes propositions utiles à son élaboration. L’agence de l’innovation de défense est un service à compétence nationale rattaché au délégué général pour l’armement. Son rôle de chef d’orchestre s’opère sur trois missions avec des tempos différents.
D’abord l’innovation planifiée qui s’inscrit dans le temps long et dans laquelle l’Agence va orienter et conduire l’innovation en menant des études et des recherches destinées à satisfaire un besoin prévisible. Par exemple, un programme de porte-avions dont la conception va durer des années et l’exploitation des dizaines d’années, il faut être capable d’anticiper dès maintenant les innovations qui vont s’y intégrer, de les faire évoluer pendant la phase de conception, puis de provisionner l’intégration de l’évolution de ces innovations dans les 40 ans ou 50 ans d’exploitation du porte-avions. Et je ne parle là que des aspects technologiques, il faut bien entendu aussi y adjoindre les évolutions des métiers, de la formation, de l’impact sur l’attractivité de la Marine…
Ensuite il y à l’innovation ouverte, qui s’inscrit dans le temps court, par laquelle l’Agence va chercher une réponse immédiate à des besoins, des irritants ou va saisir des opportunités, en identifiant dans le monde civil les innovations technologiques qui pourraient être expérimentées et adaptées au monde défense.
Enfin, l’Agence a un rôle d’accélérateur de l’innovation et de transfert vers l’opérationnel en soutenant l’innovation participative au sein des armées et en permettant aux innovations de passer à l’échelle pour les déployer au profit des utilisateurs et des opérationnels.
L’Agence joue un rôle essentiel de valorisation des projets et des innovations qui sont présentées lors de différents salons comme Eurosatory, le salon du Bourget, Vivatech ou encore le Forum Innovation Défense (FID) que l’AID co-organise chaque année. Lors du 14 juillet, ce sont près de 80 projets innovants qui ont été présentés sur le pôle “Innovation” de l’Opération de Relations Publiques (ORP) dans la prestigieuse cour d’honneur des Invalides. Un rendez-vous piloté par l’Agence de l’innovation de défense, en étroite collaboration avec les armées, les directions et les services du Ministère, depuis déjà deux ans.
Quelles sont vos fonctions et vos missions aujourd’hui ?
Au sein de l’Agence de l’innovation de défense, je suis responsable du domaine scientifique des sciences humaines et sociales (SHS), ma mission est d’imaginer des futurs aux organisations, des futurs en lien avec les changements qui vont les impacter, changements technologiques, sociétaux, ou environnementaux par exemple, et de créer les conditions de l’adaptation de ces organisations à ces changements pour conserver leur efficacité.
Je me nourris d’orientations très concrètes comme la revue nationale stratégique, les stratégies de milieu des Armées ou les orientations technologiques de mes collègues au sein de l’Agence mais aussi de travaux de prospective et d’anticipation stratégique, émaillés parfois de science-fiction afin de financer la recherche et produire des solutions innovantes au profit des Armées, Directions et Services.
Vous avez une actualité cet été à partager : de quoi s’agit-il ?
Oui ! L’Agence va sortir très prochainement un appel à projets au nom évocateur : « Résistance »
« Résistance » est un appel à projet sur lequel je travaille depuis près d’un an. Ma réflexion initiale portait sur ce qui pourrait concourir à renforcer l’engagement des militaires au combat. Mes axes de recherche se sont portées sur la désinformation car, il n’aura échappé à personne que nous vivons dans un monde ou l’information est omniprésente et où les individus ont développé une relation intime avec elle en l’invitant, à chaque instant sur leurs écrans de téléphone.
Or cette omniprésence de l’information vient avec son corollaire, l’omniprésence de la désinformation. Notre société baigne dans un flot constant de désinformation généré par nos adversaires dont l’objectif est d’agir sur les individus que nous sommes pour modifier notre perception du monde, nos pensées et nos actions. On le voit tous les jours, la désinformation déstructure la société, la morcèle et polarise le débat, on « like » ou on « clash » mais on ne discute plus, il n’y a plus de nuance.
Dès lors que la société est déstructurée, morcelée, polarisée, elle perd ses valeurs et on peut se poser la question : quel est l’idéal pour lequel le militaire va vouloir se battre, celui qu’il va vouloir défendre en allant jusqu’au sacrifice ultime ?
Cette réflexion, qui touchent à la notion de forces morales, est entrée en résonance avec le Rapport 739 de la commission d’enquête du Sénat sur la lutte contre la manipulation de l’information. Dans ce rapport, il y a un certain nombre de constats qui sont posés. Dominique de LEGGE étant le président du rapport et Rachid TEMAL le rapporteur.
Le premier constat que je retiens de ce rapport est que la riposte en France contre la manipulation de l’information est peu coordonnée, de nombreux acteurs interviennent, dans des champs différents et avec encore trop peu de concertation.
Ensuite, la réponse à la désinformation est réactionnelle, c’est-à-dire qu’il se passe un événement qui va engendrer des mesures pour y répondre de manière souvent un peu précipitée en raison de l’émotion générée dans la population.
Ce rapport du Sénat propose un certain nombre de recommandations et deux m’ont particulièrement intéressé.
La première est de donner le temps à la recherche académique pour réaliser les recherches qui permettraient de se renforcer dans la lutte contre la désinformation.
A ce jour, de nombreux projets européens ou français comme l’appel à projets ASTRID sur la guerre cognitive lancé en 2023 par l’AID sont en cours et plusieurs initiatives qui en sont issues ont été mises en place en France.
On peut citer l’éducation aux médias ou l’éveil à l’esprit critique par exemple, pour lesquelles on se dit intuitivement que cela doit fonctionner. Pour autant, ces initiatives soulèvent de nombreuses questions : à quel moment de la vie d’un individu faut-il le faire ? À quelle fréquence faut-il faire des rappels ? Comment mesure-t-on l’acquisition d’une compétence et sa persistance ? Surtout, et cela me paraît crucial : Comment peut-on définir des indicateurs qui vont mesurer les effets à court, moyen et long terme ? A l’heure actuelle ces questions restent à creuser.
La seconde recommandation du rapport invitait à une approche de type politique publique : identifier un problème, identifier les marges de manœuvre, mettre en place les dispositifs et les indicateurs pour en mesurer les effets.
Même si, depuis ce rapport les lignes ont bougé, notamment par la présentation de l’opérationnalisation de la nouvelle fonction stratégique d’influence par l’Assemblée Nationale, il reste beaucoup à construire.
Ainsi, l’idée de « Résistance » est née avec 3 questions clefs : quels sont, dans la sphère de l’individu au sein de la société, les leviers sur lesquels agir contre la désinformation ? Quels sont les outils que l’’on peut mobiliser pour agir sur ces leviers ? et enfin, quels sont les indicateurs que l’on peut mettre en place pour pouvoir mesurer l’effet de ces outils ?
Pour le concevoir je suis allé à la rencontre d’une communauté passionnante et engagée et j’ai rencontré de nombreux cabinets ministériels auprès desquels j’ai reçu un accueil enthousiaste. L’ensemble des ministères sont d’ailleurs invités à suivre les projets lauréats pour s’approprier les résultats car, outre de répondre au souhait de coordination évoqué dans le rapport du Sénat, j’ai à cœur que l’argent publique soit dépensé de manière efficace et qu’il puisse profiter au plus grand nombre.
Excellente initiative que votre appel à projet. Qui peut répondre à votre appel ?
L’appel à projet est ouvert aux laboratoires de recherche. Les entreprises peuvent aussi y participer mais il faut s’adosser à un laboratoire car il doit y avoir un organisme national de recherche (ONR) dans le consortium.
Est-ce que vous avez encore des choses à dire sur l’appel à projet ?
Je peux évoquer l’orientation que l’on souhaite y apporter au sein de l’Agence de l’innovation de défense. Il y a déjà un certain nombre de projets qui ont été lancés, qui sont déjà financés. Au sein de l’Agence nous ne souhaitons donc pas financer une énième version de ces projets ou une évolution qui serait à la « marge » de ces projets.
Notre rôle est d’oser innover. Notre ADN est marqué par l’audace, l’agilité et l’ouverture, les valeurs socles de l’Agence. Nous recherchons des approches novatrices potentiellement disruptives, qui n’auront pas été testées avant. C’est cela que nous voulons privilégier.
Ce qui est différenciant dans notre approche c’est qu’elle n’est pas techno centrée mais reste avant tout centrée sur l’Homme : nous nous intéressons à l’individu pour tirer parti de ses forces. Nous pourrons éventuellement les augmenter grâce à la technologie, cependant celle-ci n’est pas centrale. Nous attendons donc des projets pluri et transdisciplinaires qui placent l’Homme au cœur du projet.
Très bien. Quels sont les délais de l’appel à projet ?
Selon le calendrier actuel la clôture se fera fin octobre, le comité de sélection se tiendra en novembre. L’annonce des projets seront retenus en décembre pour un démarrage en janvier 2026.
Un point important aussi : le montant de la subvention par consortium est de 400 000 €.
Où pourrons-nous nous inscrire pour plus de précisions et inscription à l’appel à projet ?
L’appel à projet sera publié sur le site de l’Agence Nationale pour la Recherche qui est notre opérateur et sera annoncé sur les sites de l’Agence de l’Innovation de Défense ainsi que sur son compte LinkedIn.
Et je serai bien entendu ravi d’échanger avec les personnes intéressées d’en savoir plus sur cet appel à projets.
Je vous remercie de partager cet appel à projet qui je vous le souhaite sera une belle réussite. Je ne doute pas de la qualité innovatrice des projets qui vous seront soumis.
Maintenant, je vous donne une place plus personnelle. Il est intéressant de savoir un peu qui vous êtes, quel est votre profil, comment vous en êtes arrivé à cette mission, puis quels sont vos moteurs ?
Je suis diplômé en psychologie et en ergonomie cognitive. J’ai travaillé dans la conception de systèmes d’information, d’abord dans des cabinets de conseil, ce qui m’a permis d’être confronté à une variété de clients différents, privés ou institutionnels, et de sujets variés. J’ai travaillé ensuite à la RATP, où j’ai pris la direction opérationnelle de la structure Ergonomie, j’y ai découvert un environnement humain et technique riche. J’ai ensuite créé et dirigé pendant huit ans l’entité Ergonomie Facteur Humain d’AIRBUS DS, une expérience humaine fantastique, avant d’intégrer la DGA en 2015.
Mes premières années m’ont amené à travailler sur des projets de systèmes d’information, plus particulièrement de systèmes d’information de renseignement avant d’évoluer vers d’autres fonctions.
Le ministère des Armées et la DGA ont cette grande qualité de permettre aux personnes de se développer en occupant des postes très différents et c’est quelque chose que j’apprécie.
Après trois ans dans ce poste, j’ai évolué sur le poste de chef de projet du système d’information de sûreté du programme EMPIRE qui visait à renouveler la protection de l’ensemble des sites de la DGA.
J’ai ensuite passé trois ans en tant qu’adjoint au chef de bureau de la coopération internationale à la direction technique de la DGA. J’avais la volonté de voir la réalité de l’activité en administration centrale et ça a été une expérience passionnante qui m’a permis des rencontres avec des cultures différentes et m’a offert d’importantes responsabilités comme celle de négocier un accord cadre de 25 ans entre la DGA et son homologue Allemand pour le partage de nos capacités d’essais par exemple.
Je suis enfin arrivé à mon poste actuel au sein de l’Agence de l’innovation de défense. Un poste dans lequel je prends beaucoup de plaisir car il s’inscrit dans le temps long, une idée que l’on voit germer au travers d’une thèse va croître ensuite au travers d’un projet de recherche, éclore avec un projet de maturation puis fleurir au travers d’une application très concrète pour le Ministère.
Félicitations pour votre parcours. En dehors de vos missions et de votre engagement à la défense, est-ce qu’il y a des loisirs-passions qui vous animent ?
Mes enfants et mes beaux-enfants me rendent très fiers et je dirai que pour moi le socle familial est important car c’est lui qui permet la liberté d’esprit.
A côté de mon poste j’ai d’autres activités, je suis par exemple lieutenant-colonel de réserve à l’inspection de l’armée de Terre, dont je salue mes camarades du BTFS, et aussi psychologue libéral, je travaille en cabinet où je pratique l’hypnose et l’EMDR et en téléconsultation notamment pour un public d’expatriés.
J’ai la bougeotte, l’esprit curieux et un besoin fort de créer alors j’ai bien d’autres activités ! Je lis, j’écris, je fais de la musique, je cours aussi beaucoup, j’adore le trail et le plaisir de courir dans la nature.
Enfin, certaines rumeurs disent qu’il m’arrive parfois de dormir.
Un grand remerciement Guillaume pour notre échange en cette journée ensoleillée et chaude de l’été ! Rentrons-nous rafraîchir.
Pour les lecteurs curieux, le lien vers l’Agence de l’innovation de défense (AID) et de la Direction générale de l’armement (DGA).
+
Et complément, je vous invite à consulter l’interview de Guillaume CHILLET du ministère des Armées publié ce jour également :
– le lien LinkedIn
– et le lien YouTube du ministère des Armées :
Note importante : il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’article sur un autre support.