Entretien exclusif avec Frédéric LAUZE (SCPN) sur le Guide des principes fondamentaux de l’exercice du commandement et du management dans la Police nationale

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Le 4 mars – Je suis avec Frédéric LAUZE dans les bureaux du Syndicat des commissaires de la Police nationale (SCPN) à Nanterre (92) pour parler du Guide des principes fondamentaux de l’exercice du commandement et du management dans la Police nationale.

J’ai pris le soin de lire ce Guide que je pense révolutionnaire dans la conception de l’exercice du commandement et du management dans la Police nationale à l’attention des personnels de la Police nationale et des hautes autorités au ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, et au-delà du ministère à la fonction publique. Révolutionnairement humain et en cela je pense pertinent de vous alerter.

Pour rappel, Frédéric LAUZE succède à David Le BARS au poste de Secrétaire général du SCPN. Nous apprenions sa nomination le 29 novembre 2023 lors du 41ème congrès du SCPN à Nanterre (92).

Frédéric LAUZE et David LE BARS au 41e Congrès SCPN le 29 novembre 2023 © Valérie Desforges

Bonjour Frédéric, quelles propositions concrètes sont dans le Guide ?

Tout d’abord, ce guide a été diffusé, publié largement dès septembre 2023. Il a été préfacé par le directeur général de la police nationale, Frédéric VEAUX.

Je pense que ce guide est un outil qui était attendu parce qu’il permet de dire pour la première fois clairement ce que l’administration attend de ses managers.

Ce qu’elle attend de ses managers est de réfléchir à l’exercice du commandement et du management et que cet exercice du commandement et du management s’appuie sur des valeurs et des compétences, et dans ses valeurs et ses compétences, on a mentionné :

Premièrement les valeurs : donner du sens aux missions, au travail de la police en permanence, veiller à la cohésion de son équipe, s’appliquer à créer un environnement de travail empreint de bienveillance et de confiance; savoir-faire évoluer et adapter son management selon les circonstances, prêter une grande attention à la communication interne, descendante, remontante et horizontale.

En plus du rappel du corpus de valeurs, il est inscrit que le management est central et qu’il doit être adossé à des valeurs et à une éthique.

Deuxièmement les compétences : Les compétences attendues en résumé sont : savoir piloter, décider, fédérer et soutenir les personnels. Le guide s’inscrit dans la prolongation du référentiel des compétences managériales paru en 2020 qui présente la cartographie des savoir-faire professionnels et les formations qui en découlent.

Ce qui est « gagnant-gagnant » pour le policier et pour la hiérarchie c’est de savoir motiver des hommes et des femmes qui ne se choisissent pas et qui travaillent ensemble, c’est de donner du sens aux missions, de veiller sans cesse à la cohésion, de mettre l’accent sur le service public, et au final de tirer le meilleur parti de cette intelligence collective qui est trop souvent laissée en jachère parce que le système hiérarchique fait qu’on ne s’intéresse pas assez à ce que pensent nos subordonnés, qui ont pourtant une expérience considérable, et qu’on n’organise pas cette intelligence collective en organisant la remontée d’information par des consultations. Longtemps le ministère de l’Intérieur (la police) ne s’est pas intéressé à ce sujet « parce qu’on n’avait pas le temps ». On travaille toujours dans l’urgence, on court, on est dans la gestion de crise et c’est une énorme erreur de ne pas organiser ces pauses pour la réflexion collective. Deuxièmement, « on n’a pas pensé que c’était indispensable ». C’est aussi une énorme erreur car le management est un levier fondamental pour rendre plus efficace le service public donc l’action de la police tout en améliorant la qualité relationnelle au travail et l’épanouissement des policiers. Et si on les motive, d’abord on enrichit l’institution de plusieurs visions croisées, celles de leurs expériences, on motive les personnes qui sont heureux de participer, d’être écoutés. On récolte les bonnes pratiques, les bonnes idées et on met de la fluidité dans le système, on démine, on empêche les conflits, on explique le contexte des décisions qui seront bien mieux appliquées car mieux compris. Au final ?  En réalité on gagne du temps ! Moins de conflit, de recours, d’arrêt maladie… En plus, je pense aussi que l’erreur que l’on a longtemps fait dans la police, et d’ailleurs pas que dans la police, est de considérer que le management très directif qui est adossé de façon paresseuse sur le système hiérarchique, suffisait. Aujourd’hui, les générations qu’on appelle X, Y, Z ont besoin d’avoir du sens dans leur travail, besoin d’être écoutées, besoin de participer. Elles ne sont plus captives d’un système hiérarchique où elles se mettent au garde-à-vous et elles exécutent sans réflexion. Donc le management doit être certes adossé sur une légitimité qui est la compétence, mais aussi une forme de participation adaptée et intelligente.

Pendant longtemps également, on a eu peur que la participation se confronte au système hiérarchique et gêne le système hiérarchique. C’est une conception binaire du XIXème siècle, c’est mon avis. En réalité, le système hiérarchique s’enrichit de la créativité des personnes qui font partie d’une équipe, quel que soit leur rang dans la hiérarchie, et le fait de mettre en place un management plus participatif permet d’associer tout le monde et de renforcer le pilotage. Seule une minorité ne jouera pas le jeu. Et cette participation accrue ne ralentit pas les choses parce qu’au final, il y a moins de conflits, il y a plus d’appropriation sur les objectifs, sur le sens. Et puis, on disposera d’une équipe plus soudée parce qu’elle se sent écoutée, ce qui n’empêche pas, si nécessité d’être un peu plus directif : conflit de loyauté, manque d’engagement ou de compétences de la hiérarchie intermédiaire…

C’est pour cela qu’il est prôné dans le guide, donc par la DGPN, un management plus participatif, mais qui peut devenir directif, parce qu’on est en situation de crise ou parce qu’on a une équipe qui n’est pas fiable à un moment donné. Tout le monde le comprend. Mais dès que la crise s’évapore et que l’on revient dans une situation normale, il faut se poser et exercer, dans le respect d’un cadre hiérarchique, un management plus souple, à l’écoute.

Les managers doivent apprendre à savoir déléguer. Déléguer c’est donner de l’autonomie et plus de responsabilité aux collaborateurs qui seront plus motivés, c’est enrichir la réflexion et s’assurer d’une action efficace… et le chef retrouve ainsi un espace pour la stratégie.

J’ai envie de dire : Écoutez plus vos collaborateurs, c’est gagnant-gagnant !

Cela n’a rien à voir avec un management bisounours. Je ne suis pas un bisounours, mais j’ai été managé et commandé à l’armée, dans le privé (Frédéric LAUZE a démarré sa vie professionnelle à 16 ans dans la restauration avant de reprendre des études) et j’ai été manager dans la police, y compris dans des conditions difficiles. Alors que j’étais tout en bas de la hiérarchie, quand j’avais un bon manager qui me demandait mon avis et qui, tout simplement, voulait s’assurer que je comprenais les objectifs, et bien j’avais envie d’en faire dix fois plus. Je ne pensais pas à freiner la machine ou à me mettre en arrêt maladie. Mais quand je subissais un management brutal où en plus on ne m’explique pas le sens des choses, j’avais envie de faire le strict minimum et parfois même de ne pas participer.

Voilà ! Il y a des enjeux immenses.
Est-ce qu’on l’a compris ? Pour moi, on l’a un peu mieux compris mais beaucoup de chemin reste à faire.
Est-ce qu’on l’applique ? Pas assez.  Et on ne l’applique pas assez en général aujourd’hui dans la haute fonction publique qui pourrait donner l’exemple.

Qui convaincre et Comment pour l’application de vos propositions ?

Tout le monde ! Peut-être le législateur, les hommes politiques, les influenceurs : tous ceux qui pensent que c’est secondaire, chose pas réaliste, par conformisme, peur, manque d’imagination ou qui n’ont pas perçu le pari gagnant/gagnant.

Je pense que dans la Police nationale c’est un gisement d’efficacité, de motivation de qualité de vie au travail insoupçonnée. J’en suis persuadé. D’ailleurs on le voit dans l’histoire : de mauvaises réformes ou des réformes ambigües mais qui sont mises en œuvre par de bons managers, peu ou prou ça marchera. D’excellentes réformes, dotées de beaucoup de moyens mais mises en place par de mauvais managers, ça ne marchera pas. Le facteur humain est le plus important. Je ne peux pas être plus clair.

C’est une conviction profonde qui s’adosse non pas sur une intuition, mais sur mes expériences.

Avec ce groupe de travail je suis satisfait d’avoir pu poser des jalons en élaborant ce guide qui j’espère va construire sur le sujet du management des murs fondateurs. On ne part pas de rien non plus. Mais maintenant il est souhaitable que cela devienne effectif, que cela soit prioritaire dans la formation initiale et continue, dans le recrutement, dans les pratiques.

C’est également pour cela que j’ai proposé que l’on se pose, tous les trois ans, à l’occasion d’un séminaire et que l’on se questionne en s’ouvrant sur l’extérieur :

On en est où du management ?
Qu’est-ce qui va, qu’est-ce qui ne va pas? Les bonnes et mauvaises pratiques ?
Que nous enseignent l’IGPN et le Conseil supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation (CSATE) sur les évaluations des managers ?
Que nous disent les pays étrangers ?
Que nous dit le secteur privé ?
Que nous dit la science sur la façon de motiver des êtres humains ?
Et que nous dit l’armée, qui commande et manage des hommes souvent à H 24 sur des terrains de guerre ?
Que nous disent les chercheurs ? La recherche ? L’international ?

Il nous faut benchmarker !

Le management, évidemment, ne concerne pas que les commissaires. Parfois, il peut arriver que certains commissaires s’interrogent sur ce guide : « On nous rajoute une charge mentale, des exigences ». Non ! Le management concerne tous ceux qui sont en situation de pouvoir, d’autorité et de commandement : commissaires, officiers, attachés, gradés. Si tout le monde est bien formé : compétences, éthique et, en même temps convaincu qu’en étant plus participatif, ça va collectivement aller mieux, on gagnera en efficacité. Et un bon management c’est aussi important en terme d’atout pour un service qu’un budget supplémentaire, un meilleur code de procédure pénale, des armes de meilleure qualité. Car la première richesse ce sont les femmes et les hommes de la police ! De tout corps et tout grade.

Je rajouterais un exemple parlant. Quand on vit en couple, les gens se sont choisis. Généralement, ils s’aiment et pourtant, ils s’engueulent et ils divorcent assez massivement. Et alors, quand ils s’entendent plus, rien n’avance.

Alors imaginons quand on est au travail, on ne se choisit pas. Dans les interactions individuelles il y a forcément des systèmes de communication différents, des représentations différentes, des stratégies différentes et, en même temps, des conflits qui sont inhérents à la vie et tout cela peut tout polluer, tout paralyser, et rompre ce carburant qu’est la confiance. Donc si on ne réfléchit pas à la façon dont on va donner de la cohésion, du sens à cette équipe, et en particulier ceux qui sont en haut dans les échelons de commandement et management on passe à côté de quelque chose de fondamental. Est-ce qu’on l’a compris ? Pour moi, pas encore.

Je suis, en 2024, un commissaire qui cherche à apporter sa pierre à l’édifice pour qu’on prenne conscience que c’est important et il faut s’approprier pas simplement ce guide, mais le fait que le management et le commandement, c’est central. Un management plus participatif … c’est gagnant/gagnant.

Un remerciement Frédéric pour les messages qui méritent d’être clairs. Nous aurons probablement de prochaines opportunités d’échanges.

J’invite les lecteurs à prendre connaissance du Guide complet.


Note importante : il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’article.

2 commentaires
  1. Freddy dit

    Bonjour,
    C’est un excellent article mais après le “J’invite les lecteurs à prendre connaissance du Guide complet.” le lien vers le document retourne une Erreur 403 “You don’t have permission to access “the-file-link” on this server”.

    Pourriez vous mettre à jour ce lien et le document concerné à travers un nouveau lien Mediafire/GoogleDrive ou par Email.

    Très Cordialement en vous remerciant pour votre travail,

    1. Miss K dit

      Bonjour,
      je vous remercie pour l’information.
      Le lien a évolué, je viens de le mettre à jour.
      Excellente lecture ! Miss K.

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