Interview du général de brigade Frédéric BARBRY, Chef de la Division «cohésion nationale» au ministère des Armées

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A J-6 du 14 Juillet, je vous invite à partager un moment agréable et instructif avec le général de brigade Frédéric BARBRY, Chef de la Division «cohésion nationale». Nous sommes à Balard, au ministère des Armées, et prenons le temps d’un échange. 

Place à la «cohésion nationale».

Bonjour général,
Quelle est votre mission aujourd’hui au ministère des Armées ?

Ma mission est à la fois relativement simple et complexe. Simple dans la finalité, complexe dans les modalités.

Il m’a été donné l’honneur de commander la toute nouvelle division « cohésion Nationale » créée au sein de l’Etat-major des armées au 1er août dernier. Et donc je suis de facto le premier chef de cette division qui je l’espère aura une longue durée, au moins une durée qui lui permettra d’arriver à sa finalité.

Et la finalité, quelle est-elle ? La finalité c’est la « cohésion Nationale » qui est l’élément principal et constitutif de la résilience de la Nation. Elle constitue un enjeu crucial aujourd’hui qu’on est en droit d’attendre justement, et encore plus aujourd’hui, dans un contexte géopolitique, géostratégique particulièrement sensible. Cela a conduit à regrouper différentes fonctions qui étaient jusqu’ici dispersées au sein de l’état-major des armées. C’est pourquoi le chef d’état-major a décidé de la création d’un vaste écosystème, un cercle vertueux dans lequel on retrouve essentiellement trois piliers : un pilier relatif à la réserve, un pilier relatif à la jeunesse et un pilier relatif au lien avec le monde extérieur et tout particulièrement les entreprises.

Le premier pilier, le plus simple d’un point de vue pédagogique car le plus visible et donc le plus connu est celui de la réserve.

La réserve sous toutes ses formes : la réserve opérationnelle, de premier et deuxième niveau, mais également la réserve citoyenne. Le but étant de concourir à l’objectif qui nous a été fixé par le chef des Armées  : doubler le nombre de réservistes sur le segment temporel de la loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM 2024-2030). Comment ? En passant de 40 000 réservistes opérationnels à 80 000 en 2030 et avec comme point d’atterrissage terminal en 2035 une cible à 105 000 réservistes, ce qui correspond à un réserviste pour deux militaires d’active.

La trajectoire est claire et le plan d’action élaboré par les armées prévoit une montée en puissance progressive, c’est-à-dire que l’on sera en capacité d’absorber les nouveaux entrants, de les instruire et de les entraîner pour leur délivrer une compétence opérationnelle. Pour atteindre ces 80 000, nous sommes donc face à un véritable défi !

Et aujourd’hui ? Le rythme est tenu avec environ 42 000 réservistes pour une cible à 43 800 au 31 décembre prochain. Nous serons donc à l’heure sur nos objectifs quantitativement.
Toutefois, l’objectif n’étant pas uniquement quantitatif mais qualitatif, il fallait qu’on mette en place une véritable vision. Elle est inscrite dans la stratégie militaire générale : faire de la réserve un ferment de cohésion nationale et une réserve stratégique. Pour ce dernier point, il s’agit de bénéficier à la fois de réservoir de complément et de compétences, mais également d’une réserve de combat, en mesure de participer à différentes fonctions stratégiques, et qui joue un rôle de protection du territoire national mais aussi d’intervention. Raison pour laquelle l’état-major des armées a mis en œuvre une directive stratégique qui a permis de donner l’élan et la direction vers cette horizon 2035.

Cela était le premier pilier : la réserve et j’expliquerai après pourquoi justement elle vient se mettre en place, se coordonne et s’interpénètre avec les deux autres pièces du triptyque.

Le deuxième volet est la jeunesse qui constitue un élément fondamental.

Et là encore, pour répondre aux ordres du chef d’état-major des armées, il nous faut augmenter notre surface de contact vis-à-vis de la population civile, de nos concitoyens.

Je rappelle que l’armée de la République est au service de la Nation. C’est notre raison d’être, et il convient de toucher nos concitoyens de façon plus large et moins ciblée qu’auparavant, c’est-à-dire sortir de notre zone de confort en allant au contact de ceux qui ne nous connaissent pas. Le chef d’état-major des armées évoquait lors d’une séance devant la commission de Défense et des Forces armées à l’Assemblé Nationale le 02 avril 2024 qu’un Français pouvait parfaitement passer sa vie sans jamais avoir côtoyé un militaire. Or nous avons cette force, justement, dans les armées, de pouvoir accueillir des jeunes.

Les accueillir comment ? Il y a d’abord la Journée défense citoyenneté (JDC) supervisée par la direction du service National et de la jeunesse, qui permet aux armées de s’adresser chaque année à une classe d’âge complète de 850 000 jeunes. Mais au-delà de cette journée, le ministère des Armées propose une multitude de dispositifs qui permettent justement d’entrer en contact avec la jeunesse. Ils sont ainsi 80 000 jeunes qui, tous les ans, découvrent les Forces armées, à travers des dispositifs très complémentaires mis en place par les armées, directions et services, qu’il s’agisse des Escadrilles Air Jeunesse (EAJ), des préparations militaires, des cadets de la défense… sans oublier tous les dispositifs d’apprentissage, de stage ou d’alternance, Toute une offre qui permet de répondre aux différentes attentes, depuis le plus jeune âge.

C’est-à-dire ? La plupart des dispositifs touche les jeunes à partir de 14-15 ans, jusqu’à 25 ans, avec une variété qui permet de faire découvrir le milieu militaire. Cela peut parfois créer une véritable vocation et il n’est pas rare d’en voir certains rejoindre nos rangs après une période d’immersion dans les armées. Même si ce n’est pas l’objectif initialement poursuivi, susciter l’adhésion concoure également à l’atteinte de l’état final recherché : la cohésion nationale.

Pour certains, le foisonnement des offres jeunesse ressemble à un « un jardin à l’anglaise », par opposition à nos jardins à la française, très normés et classiques. Les armées sont le reflet de la société française et doivent s’adapter justement aux différentes jeunesses métropolitaines et ultra-marines et donc développer des dispositifs en cible avec toute une variété de publics, des plus sceptiques aux plus sensibles à la « chose militaire ». Autrement dit, notre dispositif, réparti en plusieurs branches complémentaires, est parfaitement pensé et concourt au même objectif. Cela nous demande un peu plus d’investissement, un peu plus de travail, parce qu’il faut s’adapter à ces contraintes. Mais pour plus d’efficacité : reproduire pour tous un modèle à l’identique nous conduirait à l’échec. L’agilité est désormais le maître mot de notre société et les armées n’y échappent pas ! Tous les dispositifs sont développés dans une démarche gagnant-gagnant, à la fois vis-à-vis des jeunes qui sont accueillis, et puis vis-à-vis des formations qui permettent de ce fait de continuer à l’édification de l’esprit de défense.

A ces dispositifs s’ajoutent également ceux que nous développons en partenariat avec l’éducation Nationale. La relation se passe remarquablement bien, avec un dispositif phare notamment, qui est celui des classes de défense et de sécurité globales dans le cadre du trinôme académique.

Il existe aujourd’hui 850 classes de défense et de sécurité globales (CDSG) réparties sur tout le territoire, et ce y compris dans les 30 départements qui correspondent à des « déserts militaires ». C’est-à-dire ? II s’agit des départements dans lesquels la seule présence militaire est assurée par les délégués militaires départementaux (DMD).

Nous pouvons également citer les stages, comme par exemple les stages de 2de qui ont été mis en place cette année et qui ont permis d’accueillir des jeunes dans environ 200 formations administratives. Le chef d’Etat-major a d’ailleurs souhaité en faire une opportunité d’échange avec eux, en leur proposant un temps de partage en visio conférence.

L’effort est également placé auprès de l’Éducation Nationale et des professeurs en essayant d’apporter notre pierre à l’édifice et notamment dans les INSP (ancien IUFM) et pour lesquels nous proposons des colloques, des séminaires, des formations, des échanges pour, une fois encore, sensibiliser les futurs professeurs à l’enseignement de défense et faire en sorte que cela puisse redescendre. C’est extrêmement intéressant. C’est toujours parfaitement bénéfique, à la fois je pense pour eux et pour nous, que de pouvoir confronter nos visions.

Nous mettons également en ligne sur le site du ministère de l’éducation Nationale avec la Direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA), des ressources pédagogiques qui permettent aux enseignants de pouvoir aller capter à la source des données qui ont été élaborées par des spécialistes. Il peut s’agir d’articles, d’images d’archives, de vidéos… sur des sujets très variés. C’est une vraie richesse.

Toujours sur la jeunesse, dans le cadre d’un partenariat entre le ministère des Armées et le ministère de la Justice, nous œuvrons également, au profit d’une jeunesse un peu touchée durement : une jeunesse qui se trouve sous main de justice. Ce sont les liens qui nous unissent avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans le cadre de plusieurs dispositifs.
Trois dispositifs en particulier : un dispositif en centre d’éducation renforcée où nous appuyons la protection judiciaire de la jeunesse dans la mise en place des parcours d’immersion militaire; un dispositif en centre éducatif fermé où nous mettons en place des MAN, des modules armée-Nation qui sont peu ou prou des classes de défense et sécurité globales adaptés à ce public particulier. Enfin, les formations administratives Terre-Air-Mer, les différents services mettent en place et proposent des postes pour des travaux d’intérêt généraux (TIG) ou des travaux non rémunérés, pour faire en sorte que, justement, ces jeunes puissent se confronter à un cadre, à des limites, à des règles et pourquoi pas trouver pour ceux qui ont une situation qui le permet : une opportunité d’engagement lorsque cela est possible.

Enfin, un troisième pilier relève du  lien avec les entreprises. Il s’avère d’ores et déjà très fort et ancré avec le MEDEF auprès duquel nous avons un officier de liaison qui est désormais rattaché et subordonné à la division « cohésion Nationale ». Nous participons également au Comité Liaison Défense (CLD). Mais nous continuons de travailler également sur une vision plus holistique avec les autres organisations qui, elles aussi, participent de par leur proactivité, de par leur sens patriotique, au développement de la réserve.

En conclusion, l’écosystème de la division « cohésion Nationale » regroupe des piliers interdépendants. La division peut promouvoir la réserve auprès de la jeunesse. Mais la réserve trouve aussi sa ressource dans les entreprises, auprès des salariés, qu’il convient de pouvoir libérer. Il nous faut donc entrer dans un cercle vertueux en travaillant avec les employeurs dans une optique de résilience, compte tenu du contexte dans lequel nous vivons et que j’ai évoqué en début de notre entretien.

Parlons de vous général. Comment définiriez-vous votre parcours ?

Je suis issu de ce que l’on pourrait peut-être qualifier d’une génération spontanée, puisque je n’avais pas de militaire dans la famille.

J’ai très tôt été attiré par la notion de service par tradition familiale. Je pense que ma vocation remonte à la classe de terminale. Il s’agissait avant tout de trouver un métier qui ait du sens et qui puisse servir la France. Cela peut paraître grandiloquent, mais cela a été le moteur de ma motivation.

Dans quel lycée étiez-vous pour votre préparation à Saint-Cyr ?

J’étais dans un lycée civil, ce qui pouvait paraître contre-intuitif à l’époque, mais qui a été véritablement un laboratoire pour éprouver mon choix. Il m’a permis de confronter et conforter ma vocation face à l’opposition de certains camarades.

Quelle a été la suite ?

Si j’ai pu alterner assez classiquement des postes opérationnels ou plus conceptuels, l’essentiel ne se trouve pas sur les ligne d’un CV . Après 34 années de carrière, les moments les plus forts sont surtout ceux des rencontres humaines.

Quelle que soit notre arme ou notre spécialité d’origine, c’est bien l’homme qui demeure en position centrale. Pour ma part, ce qui m’aura marqué le plus dans ma carrière, c’est bien évidemment l’honneur d’avoir pu commander des hommes et des femmes, que ce soit sur le territoire National ou à l’étranger, au quartier comme en opération extérieure (opex). Mais surtout d’avoir connu cette cohésion et la fraternité d’armes qui constituent l’ADN de notre Institution.

C’est une belle réponse. Souhaitez-vous transmettre des messages ?

Je pense qu’il est d’une part essentiel et comme le disait le général Benoît DURIEUX dans une de ses interviews, plutôt que de parler du lien armée-Nation, de parler du niveau d’intégration des armées dans la Nation.

Le lien, par essence, est quelque chose qui peut être fragile. Or le code de la défense le formalise : l’armée de la République est au service de la Nation, elle est consubstantielle. Je ne me sens pas en dehors de la Nation. Cela serait quelque part un non-sens que de voir deux univers séparés.

Le militaire est bien totalement au cœur des enjeux de la cité, et donc mon message consiste à tout mettre en œuvre pour le rendre plus visible.

Le militaire ne fait pas de politique, mais il est un instrument de la politique, tout en étant son prolongement, pour paraphraser Clausewitz. Il est un acteur structurant de l’écosystème de la cité d’un point de vue philosophique.

Et pour reprendre les paroles du chef d’état-major des armées : on ne peut pas passer à-côté de la population pour laquelle on est entièrement dévoué. C’est une raison pour laquelle, ce poste me plaît plus que tout ! J’ai la mission d’étendre, de diffuser cet esprit de défense au travers des actions auprès de la jeunesse, en lien avec les trinômes académiques, au travers de la réserve et du tissu entrepreneurial.

Au passage, je trouve quand même intéressant aujourd’hui de noter que cohésion et résilience sont deux termes scientifiques.
La résilience est bien la capacité à retrouver, après une déformation, la forme d’origine et la cohésion est un principe physique qui vise à agglomérer des choses qui sont initialement séparées. C’est intéressant d’appliquer ces définitions tirées de la physique à une réalité humaine fondamentale.

J’espère donc que mon passage va pouvoir permettre, avec l’ancrage de la division dans le paysage, d’augmenter justement progressivement la cohésion et participer ainsi à la résilience de la Nation.

Parce que vous êtes tourné vers les autres, est-ce que cela s’exprime aussi dans vos loisirs ?

J’aime bien les paradoxes.

Autant je pense que la primauté est à la relation et aux facteurs humains ; autant je crois que ce que l’on donne aux autres, il faut pouvoir au préalable l’intérioriser et le construire. Je suis donc très peu sports collectifs, et j’aime me retrouver plutôt dans les sports d’endurance que ce soient les trails, les ultra-trails ou les longs parcours en vélo.

Ce sont des sports qui permettent, dans une sorte de dépouillement, pour ne pas dire d’inconfort, de revenir aux fondamentaux et de se retrouver avec soi-même.

Miss Konfidentielle, journaliste et le général de brigade Frédéric BARBRY au ministère des Armées © DR

(*) : Ce qu’il faut retenir de l’Histoire de la conscription française

« Tout Français est soldat et se doit à la défense de la Patrie ». Par ces quelques mots, la loi Jourdan ouvre l’histoire de la conscription française, établissant le lien entre l’armée et la Nation.

Durant tout le XIXe siècle, le principe est posé d’un service de très longue durée mais effectué par un petit nombre de conscrits ayant tiré un mauvais numéro et qui ne peuvent payer un remplaçant pour partir à leur place.

C’est à la IIIe République qu’il reviendra d’établir un service militaire universel et personnel. Avec l’école, la caserne devient l’autre pilier de la République. Par sa généralisation, le service militaire transforme l’obligation en devoir, en rite accepté sinon subi du passage à l’âge d’homme, unissant les conscrits de la classe dans une fraternité qui perdurera dans les tranchées.

La fin des conflits en Europe, les transformations de la société française et les attentes de sa jeunesse laissent finalement place à une professionnalisation de l’armée et à son corollaire, la suspension du service, devenu national, décidée par le président Jacques Chirac en 1997.

Source : FranceArchives


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