Interview de Frédéric Lauze, directeur départemental de la sécurité publique du Val d’Oise et médiateur interne de la police nationale
13 janvier 2020 – C’est une interview pleine de rebondissements que Miss Konfidentielle vous invite à lire. Frédéric Lauze ne manque pas d’histoires à raconter sur son propre parcours et sa passion. Alors laissons-nous porter ! Et si cela peut inciter des jeunes à rejoindre la police nationale, ce sera parfait.
Bonjour Frédéric,
Avez-vous été ce que l’on appelle un bon élève ?
Clairement non ! J’ai très vite été en difficulté, j’ai redoublé et j’ai connu au collège des problèmes disciplinaires récurrents, le décrochage, des renvois puis l’échec scolaire. A la fin de ma 3ème, j’ai été orienté en BEP à l’Ecole Hôtelière de Nice. Mais là aussi, je me suis fait renvoyer, au grand dam de mes parents qui désespéraient de mon cas.. Puis j’ai atterri comme apprenti serveur de restaurant dans une auberge à Vence où je préparais un CAP en travaillant. J’avais 16 ½ ans. A ce moment là, pour moi, l’échec scolaire était définitivement consommé. Originaire de la Côte d’Azur, je fréquentais, de surcroît, une bande d’ado turbulents et à la dérive. Serveur de restaurant, jamais je n’imaginais, un jour, reprendre des études. J’avais peu d’acquis scolaires et j’avais totalement perdu confiance en moi.
N’ayant plus rien à perdre, j’ai devancé l’appel et après une préparation militaire, je me suis engagé dans les paras, comme simple soldat dans mon service militaire. J’avais lu « Le bataillon du ciel » de Joseph Kessel et je rêvais d’aventure, d’exotisme et de servir utilement la France. Comme mon père, ancien para en Indochine.
Je suis parti au Liban, au sein de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), en 1982. Dès mon arrivée en avril 1982, comme casque bleu dans ce pays ravagé par la guerre civile, le terrorisme et les occupations étrangères, ce fut pour moi un électrochoc. J’ai été happé et fasciné par un tsunami d’événements, dont l’invasion d’Israël, le siège de Beyrouth, les massacres de Sabra et Chatila ou encore l’assassinat du président libanais Bachir Gemayel.
De retour en France, j’étais transformé. J’avais envie de comprendre et de décrypter ce que j’avais vécu au Liban : la guerre, les enjeux géopolitiques, l’absence d’Etat, le conflit israélo arabe … une rencontre violente et passionnante, mais tellement stimulante.
J’avais quitté une France finalement raisonnable où les enjeux étaient le chômage et l’inflation, pour me retrouver dans un chaudron ; une région où la vie, la mort, l’Histoire, Dieu, la guerre et les passions identitaires et religieuses prédominaient.
N’ayant qu’un CAP de serveur et pas fait le lycée en quittant l’armée, j’ai repris des études en cours du soir à Nice. J’ai suivi les cours de capacité en droit, tout en faisant des dictées, de la remise à niveau et en travaillant.
Finalement ce séjour au Moyen-Orient m’a réveillé, éveillé, questionné et stimulé !
Vous comprendrez que je suis un nostalgique du service militaire et que je crois beaucoup à l’intérêt du service national universel que relance le gouvernement .
Après l’échec, la réussite. Félicitations !
C’est ainsi que vous décidez de rejoindre la police nationale. Pour quelles raisons ?
La reprise des études fut très difficile. D’abord parce que je n’avais pas fait le lycée. Je devais me hisser au niveau de l’Université avec comme seul bagage un CAP de serveur.
Mais également, ce fut très dur de tout concilier tout en travaillant, et surtout d’apprendre à retrouver confiance en moi.
J’ai été commandé, « managé » pendant cette période dans une dizaine de restaurants et ces expériences m’ont beaucoup apporté par la suite lorsque je me suis retrouvé en position de manager.
De mauvais élève indiscipliné et désespérant, je suis devenu un bon élève, maîtrise de droit, DESS de droit, sciences po et obtention d’un doctorat en sciences politique.
Effectivement, je décidais de passer le concours de commissaire pour entrer dans la Police. Je voulais être au service de l’Etat, de la Justice, mais je ne voulais pas de routine.
La Police, c’était le compromis parfait. Cette expérience d’adolescent à la dérive et en échec scolaire a nourri ma réflexion : « dur avec le crime, mais dur avec les causes du crime … ».
Abordons maintenant votre parcours professionnel
J’ai démarré en Sécurité Publique en 1990 au Commissariat de Coulommiers (77). Quelle émotion, le premier jour où j’ai poussé la porte de ce Commissariat ! J’avais peur de ne pas être à la hauteur et l’autodidacte en échec scolaire qui manquait de confiance, se rappelait à moi. Dans ma mallette, comme un talisman, je gardais un exemplaire de mon CAP de serveur, pour me donner de la force. Se rappeler d’où l’on vient et relativiser les difficultés !
Après le poste de Chef de Circonscription de Coulommiers, je fus adjoint chef de Circonscription à Melun puis chef de la circonscription de police de Fontenay-sous-Bois.
J’ai appris mon métier, appris à connaitre et aimer les policiers… mais au fil du temps, j’ai appris également à me protéger de la vision déprimante de la société que ce métier peut vous donner. Gare aux représentations, il faut absolument s’oxygéner. La bouteille à moitié vide est aussi à moitié pleine. Je précise que je suis en service et que je parle d’une bouteille d’eau !
En 1997, j’ai été appelé à la DCSP pour créer une cellule nationale sur les violences urbaines et pour m’occuper de l’activité des GIPN. J’étais heureux, mais à peine arrivé, au bout d’une semaine, le nouveau gouvernement mettait en place la Police de Proximité. J’ai du m’adapter. Il m’a été confié une mission d’étude sur la Police de Proximité, avec deux déplacements passionnants en Grande Bretagne et au Canada. Je me suis ainsi occupé des GIPN où j’ai eu la chance de succéder à Jean Michel Fauvergue.
Puis le DCSP Gilles Samson m’a proposé, avec trois autres collègues, de suivre sur l’ensemble du territoire national, la mise en place de la Police de Proximité. Une expérience passionnante et très enrichissante. J’ai sillonné la France et mieux compris ses spécificités culturelles et policières. Et j’ai acquis la conviction de la nécessité pour une police nationale d’entretenir une relation de confiance serrée avec la population.
2002, je reviens sur le terrain, comme Commissaire Central de Nice, chez moi, sur la côte ! Avec une certaine émotion. La première semaine de mon arrivée, j’ai été invité à prendre le thé avec Jeanne Augier, patronne de l’Hôtel Negresco, en qualité de nouveau Commissaire Central de Nice. Or, 22 ans auparavant, j’avais travaillé comme serveur en extra dans ce même palace. Séquence émotion !
Après ce poste difficile, mais passionnant, j’ai comme on dit, changé de crémerie. Un changement géographique et fonctionnel et un projet familial. Je suis parti en Martinique comme Directeur Régional des Renseignements Généraux Antilles-Guyane. J’ai beaucoup aimé ce poste, j’ai adoré les Antilles et travailler avec les antillais. Je me souviens avec beaucoup d’émotion et de respect de mes entretiens avec Aimé Césaire. Ma connaissance du Moyen-Orient et de ses subtilités identitaires m’a aidé à mieux comprendre et appréhender les mentalités de la Caraïbe.
Parallèlement à ma carrière de Commissaire, j’ai enseigné la géopolitique dans trois universités au gré de mes mutations en me spécialisant sur le Moyen orient.
De 2007 à 2012, j’ai été conseiller technique pour les questions de sécurité au cabinet de François Fillon. J’avais indiqué à mon épouse que cela allait durer un an ou deux … Ca a duré cinq années difficiles pour la vie de famille, mais tellement passionnantes. Une expérience exigeante où j’ai beaucoup appris sur le fonctionnement interministériel de l’Etat et la gestion de crise.
En 2012, je cherchais à retourner sur le terrain. M. Valls, Ministre de l’Intérieur, créa, sur proposition du DGPN Claude Baland un poste de médiateur interne de la Police Nationale pour les 150.000 personnels de la police. Une feuille blanche ! Il fallait tout créer. Le but était de déminer en amont les conflits managériaux et liés à la carrière et éviter la multiplication des contentieux. Un changement copernicien d’orientation pour un commissaire de police. J’ai passé un diplôme de médiateur, puis j’ai créé, à partir d’une petite équipe, dont le juge administratif Philippe Buchin, le dispositif de médiation interne de la police nationale, en tâtonnant. Tous les directeurs centraux et la Préfecture de Police ont joué le jeu. Le dispositif de médiation a prouvé son utilité et s’est imposé.
J’ai beaucoup écouté, beaucoup appris sur le ressenti des fonctionnaires de police de tous grades et directions sur l’ensemble de toute la France. C’était passionnant de relever le défi de l’indépendance, alors que j’étais un haut fonctionnaire de police dans une position statutaire fragile. Finalement, ma plus grande satisfaction, fut qu’au bout de quelques mois, les policiers qui prenaient rendez-vous ou qui m’appelaient, ne disaient plus Mr le Commissaire ou l’Inspecteur Général, mais Mr le Médiateur. Je me suis appuyé sur des collègues retraités que j’ai formés comme délégués du médiateur et qui sont présents sur l’ensemble du territoire et apporte la sagesse des anciens.
En 2017, l’envie se fait sentir de retourner sur le terrain
Au début de l’année 2017, effectivement j’ai eu très envie de revenir sur un poste territorial « sur le terrain ».
Pascal Lalle m’a donné ma chance et je l’en remercie. J’y suis très heureux. Depuis mai 2017, j’exerce comme Directeur Départemental de la Sécurité Publique du Val d’Oise. Je voulais revenir au centre des choses ? Je suis servi !
Je suis à la tête d’une belle équipe de policiers courageuse, compétente et soudée, dans un département difficile où la question de la place de l’Etat et du sens de nos missions est évidente chaque minute !
Votre vie professionnelle se complète d’une passion : l’écriture
Oui, effectivement, c’est l’une de mes passions.
La publication de mon premier livre en 2003 a été, pour moi, une grande satisfaction, notamment compte tenu de mon passé d’autodidacte et de la difficulté que j’avais à écrire dans le passé. Mon premier ouvrage « Entre deux feux » s’est imposé. C’est une catharsis, un peu ma psychothérapie littéraire. J’évoque essentiellement le thème et les conséquences de mon échec scolaire, la difficulté de reprendre des études. Dans ce récit j’ai aussi voulu démontrer qu’il n’y a aucune fatalité de l’échec pour n’importe quel adolescent.
Mon deuxième roman « Dépression légale » a été écrit à l’occasion de mon séjour professionnel sur la Côte d’Azur.
En 2017, j’ai publié un troisième roman « Téchouva » aux Editions Harmattan. C’est un roman que j’ai écrit avec les tripes et le choix du titre n’est pas anodin…
Outre la passion de la lecture et de l’écriture, j’aime beaucoup les voyages et les moments simples en famille.
Avez-vous des messages à faire passer aux lecteurs avant de nous quitter ?
Nos policiers sont courageux. Ils ont un métier très difficile et paradoxal.
En effet : les séries télé, le cinéma diffusent du matin au soir des films policiers, mais la complexité, la noblesse, la richesse et la subtilité de ce métier sont finalement méconnus.
Respect pour les « Gardien de la paix » anonymes qui défendent jour et nuit la République !
Je suis un rescapé de l’échec scolaire. Et je m’en suis sorti. Oui, j’y ai mis de la volonté, beaucoup de travail, mais j’ai eu aussi de la chance et les mots d’encouragement de mes parents et de professeurs qui m’ont donné très progressivement confiance.
J’ai fait et je fais beaucoup de choses à la fois, car j’ai appris, à travers ces expériences, à mieux gérer le temps, les émotions, mes passions et a distinguer ce qui est stratégique et ce qui l’est moins ou pas. Faire confiance, apprendre à écouter, à déléguer. Faire participer tous les membres d’une équipe à la réflexion commune suscite la motivation et donne du sens au travail de tous et finalement renforce l’esprit d’équipe et l’efficacité d’un collectif.
Mon moteur, c’est cette conviction que l’humain est au centre de tout.
Rien n’est plus beau que le travail d’équipe. L’aventure professionnelle est une séquence de vie.
Si je devais me contenter d’un ultime message, il s’adresserait aux parents des adolescents mal dans leurs peaux, en difficulté scolaire et qui ont perdu confiance en eux : « encourager, aimer, conseiller de façon bienveillante et adaptée. Ne désespérez pas ! Les mots sont toujours des graines tardives qui se réveilleront et offriront de belles fleurs ».
Chacun peut transformer son destin.
Sans aucune exception.
J’ ai travaillé avec Frédéric Lauze dans le Var. J’ ai gardé le souvenir d’un patron compétent et humain à la fois, avec un grand sens de ses responsabilités. Un “honnête homme” dans tous les sens du terme, ce qui n’est pas un mince compliment de nos jours…
[…] Fréderic Lauze nous expose sa réflexion. Grace à lui, j’ai voyagé entre l’Égypte et l’Israël avec Henri Zilberg et appréhendé l’histoire de deux peuples dont j’avais du mal à saisir les subtilités. Il a soufflé sur mes incompréhensions et quand l’amour s’en mêle et s’emmêle, la compréhension est d’autant plus aisée. […]