Interview du général Benoît Durieux, directeur de l’IHEDN, Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale

Le 17 juin 2022 – Ecole militaire 🇫🇷 Très honorée et heureuse de rencontrer le Général Benoit Durieux, directeur de l’Institut IHEDN, Ecole militaire, salon des maréchaux. La joie de nous entretenir sur l’histoire de l’IHEDN et ses actualités puis sur le parcours du général et ses centres d’intérêt personnels.
💡J’ai pris plus ample connaissance de l’histoire du salon des maréchaux, plus belle pièce de l’Ecole militaire. C’est à ce bureau que le maréchal Joffre, héros de la Grande Guerre, a écrit ses mémoires.
💡 Aujourd’hui se déroule la journée de clôture de la 1ère Session nationale, un marqueur dans l’histoire de l’école, des étudiants.

Bonjour général,

Je vous propose de débuter notre entretien en mettant en lumière le salon des maréchaux de l’Ecole militaire de Paris

On est ici dans le salon des maréchaux qui est depuis plusieurs décennies le bureau du directeur de l’IHEDN. C’est une pièce qui a une riche histoire. Elle date de la construction de l’Ecole militaire à partir des années 1750 ; à l’origine du nom de salon des maréchaux il y eut, en 1810, une fête en l’honneur de la Garde impériale. Ce fut une grande soirée organisée dans plusieurs pièces à cet étage, et à un moment de la soirée, les maréchaux de l’Empire se sont retrouvés dans ce salon. Depuis cette période, on appelle cette pièce le salon des maréchaux. On pourrait aussi l’appeler le salon d’un maréchal puisqu’il a été le bureau du maréchal Joffre pendant plus de 15 ans à partir de la fin 1916 lorsqu’il a été écarté du commandement des armées françaises et jusqu’à sa mort en 1931.

C’est donc une pièce qui a une histoire très vivante. Si on se tourne vers le grand miroir, on observe un impact qui date de la période de la Commune de Paris en 1871 :  les communards s’étaient retranchés dans l’Ecole militaire, les versaillais ont donné l’assaut, et il en resté cet impact très symbolique. Il n’a jamais été réparé et c’est une part du patrimoine de notre pays. J’explique généralement à mes visiteurs que c’est très cohérent avec la vocation de l’IHEDN et de l’Ecole de guerre. Parce qu’ici, on est là pour préserver la paix pour notre pays, mais il faut toujours avoir en mémoire que la violence, la guerre, menace toujours. D’ailleurs, l’événement en Ukraine suffirait à nous le rappeler.

Voilà ce que l’on peut dire de cette pièce qui a sans doute été aussi le bureau du général Bonaparte pendant quelques mois, où Napoléon est venu présenter Joséphine, puis plus tard Marie-Louise au balcon. Où Napoléon III est venu avec la reine Victoria se présenter aux Parisiens.

Ecole militaire, salon des maréchaux, impact sur le miroir © Valérie Desforges

Parlons de l’histoire de l’IHEDN

L’IHEDN est un institut déjà ancien.
Il a été créé en 1936 alors que l’on a tiré les leçons de la première guerre mondiale.
On a compris que la guerre n’était pas seulement une affaire de militaires et puis on sentait très bien en 1936 que la situation internationale se tendait.

On a donc créé un institut qui avait pour vocation de rassembler, au départ, les hauts fonctionnaires et les militaires. Pour apprendre à se comprendre, à se connaître. Cela n’a pas suffi, à l’évidence, mais en 1947, l’expérience avait été suffisamment concluante pour que l’on recrée l’IHEDN, dont le succès ne s’est pas démenti depuis lors.

En 1947, ce ne sont seulement les hauts fonctionnaires, c’est comme aujourd’hui le plus large spectre de la société française qui se retrouve pour des sessions annuelles qui visent à familiariser et sensibiliser les futurs dirigeants, quelques soient leurs domaines d’activité, aux grands enjeux de la défense nationale. La défense nationale c’est-à-dire, pas seulement la défense militaire mais toutes les composantes de la Défense. La sécurité économique, la cyberdéfense, la lutte contre la désinformation, la lutte contre l’espionnage ou la préservation de notre souveraineté. Et dès 1947, on instaure la diversité des auditeurs qui est toujours la marque de l’IHEDN : des civils, des militaires, des chefs d’entreprise, des avocats, des membres des ONG, des parlementaires, des journalistes, des religieux.

Cette session nationale a perduré et puis progressivement les sessions se sont diversifiées :  en 1954, apparurent les sessions en régions. En 1995, on créa des sessions pour les jeunes, qui durent une semaine. Et puis il y a un très grand nombre de sessions plus spécialisées sur l’intelligence économique, la cyberdéfense et de très nombreux autres sujets. Nous organisons aussi des sessions internationales pour des auditeurs civils et militaires sélectionnés dans une grande région du monde en lien étroit avec le quai d’Orsay ou avec la délégation générale pour l’armement.

Aujourd’hui l’IHEDN est donc un organisme qui organise chaque année une session annuelle avec 250 auditeurs, 6 sessions en régions et 6 cessions jeunes, ainsi de très nombreuses sessions internationales.
L’IHEDN ce n’est pas seulement ce que l’on fait à l’Ecole militaire, c’est aussi le centre d’un réseau d’associations d’auditeurs qui ont suivi des sessions par le passé et qui dans les régions continuent à entretenir une activité qui prolonge celle de l’IHEDN. Les auditeurs se réunissent pour écrire des rapports sur des sujets en lien avec la défense nationale au sens très large de ce terme. Ils organisent des colloques, des conférences, ils animent le débat, ils vont dans les écoles. Il y a 42 associations différentes, internationales, nationales ou régionales qui prolongent l’action de l’IHEDN.
Cela constitue un maillage territorial assez unique et je crois que l’on peut dire aussi que les auditeurs restent très attachés à leur institut. L’IHEDN est d’abord une aventure humaine, c’est d’abord l’idée que la Défense est la défense de tous par tous.

– Les sessions IHEDN en Outre-mer

En Outre-mer, on organise une session par an. Nous préparons ainsi la session du mois de décembre 2022 en Nouvelle-Calédonie.  Nous déplacerons une équipe pédagogique et nous ferons appel à des intervenants sur place même si nous ne nous interdisons pas d’organiser quelques conférences en visioconférences depuis la métropole. La session suivante sera en 2023 en Antilles-Guyane.

Et puis l’IHEDN c’est toujours 3 types d’activités : des conférences, des visites d’industries, d’installations militaires … et puis des travaux de comité. Autrement dit, des travaux de réflexion collectives accomplis par les auditeurs pendant leur session. Ils réfléchissent à un sujet et remettent un rapport, qui aux autorités préfectorales, qui à une administration parisienne et contribuent ainsi à la réflexion de tous.

– Une actualité, la réforme de l’IHEDN

L’IHEDN est peu victime de son succès.

Il y avait cette session historique, que j’ai évoquée, qui date de la création de l’institut en 1936.

En 2010, il y a eu l’apparition d’une cession consacrée aux enjeux d’industrie et d’économie de défense qui venait de la fusion avec un organisme plus ancien, le Centre des Hautes Etudes de l’armement.

Il y a 6 ou 7 ans, avait été créée une session consacrée aux enjeux maritimes puis une session consacrée aux enjeux de cyberdéfense. Et cette année, nous avons mis en œuvre une réforme assez importante où on a regroupé toutes ces sessions pour en faire une seule. C’est une session nationale qui regroupe 250 auditeurs, articulée avec un tronc commun et une partie à options. Cela a commencé au mois de septembre 2021, et le 17 juin 2022, c’est la remise des diplômes de cette première session. Il s’agit là d’une étape que je qualifie d’historique dans la vie de l’IHEDN.

L’IHEDN vise à familiariser aux les enjeux de Défense. Il vise aussi, simultanément, à permettre à des gens qui ne se connaissent pas, qui ne se comprennent pas forcément, de se rencontrer et de se comprendre. Je pense que l’on vit dans une société marquée par l’apparition de très nombreuses communautés socio-professionnelles qui ont chacune leurs références, leur vocabulaire, leurs préoccupations. Et il n’est pas toujours facile de pouvoir comprendre les autres, de comprendre ce qu’ils disent, leur vocabulaire et leurs préoccupations. L’IHEDN est peut-être un des seuls endroits où pendant un an vous allez côtoyer des gens dont l’environnement professionnel n’a rien à voir avec le vôtre. L’idée est vraiment de mettre toutes ces personnes en commun. Les conférences, les visites, travaux de comité sont très importants. Les repas, les déplacements dans un bus, les moments d’attente le sont tout autant.

Il y a cette idée de création d’une communauté humaine et je crois que c’est ce qui fait un peu la magie de l’IHEDN (sourire).

Quels sont les faits marquants de votre parcours militaire ?

Je suis un officier de l’armée de Terre qui a eu un parcours finalement assez classique. Ecole Saint-Cyr au début, puis ensuite une carrière pour ma part essentiellement dans la légion étrangère. Un fait marquant parce que c’est une institution qui m’a véritablement formé. J’y ai rencontré des gens exceptionnels. Les légionnaires représentent une diversité, une richesse humaine absolument hors du commun.
Je suis toujours en contact avec plusieurs d’entre eux venus de continents différents. Cette expérience m’a beaucoup marqué que ce soit à Djibouti ou à travers les opérations auxquelles j’ai pu participer.

Dans les Balkans, en Afrique ou en Afghanistan.
Je me souviens de ce légionnaire américain qui avait un parcours incroyable rencontré en Afghanistan et qui travaillait sur une thèse de doctorat en latin sur le sujet de Erasme pour l’Université de Princeton. C’était tout à fait étonnant. Quand on lui demandait ce qu’il préférait chez César, il répondait dans le texte « C’est le style de César que je préfère » (sourire). Et je pourrais multiplier ce type d’exemple.

J’ai donc un grand attachement pour la légion étrangère qui est aussi une communauté humaine avec des liens extrêmement forts.

Par la suite, j’ai eu la chance de travailler à la charnière entre les hommes politiques et les chefs militaires. A plusieurs reprises, j’ai rédigé des discours pour un chef d’Etat-Major de l’armée de Terre puis pour un chef d’Etat-Major des armées.

Par la suite, j’ai été moi-même au cabinet de deux ministres de la Défense successifs, puis de deux premiers ministres et j’ai trouvé cela extrêmement intéressant parce que cela permet de comprendre plus précisément les deux populations et de comprendre comment elles arrivent à travailler pour le bien commun. Comment se fait la politique d’un pays. Contrairement à ce que certains peuvent parfois penser, les politiques et les hauts-fonctionnaires sont dans leur écrasante majorité des gens dévoués, qui travaillent pour le bien commun. C’est une ascèse. Ils ne sont finalement pas si bien payés en reconnaissance.

Souhaitez-vous faire passer un message …

– aux militaires ?

Aux jeunes militaires, je souhaite leur dire qu’ils ont choisi un métier fantastique. Un métier exceptionnel avec des responsabilités très importantes Ils ont une responsabilité dans la cité tout à fait essentielle.

Je souhaite dire aussi que le message que porte l’IHEDN depuis son origine est que la défense nationale est la défense de tous. C’est la défense de la Nation par la Nation toute entière. Ce n’est pas qu’une affaire de militaires, c’est aussi une affaire qui concerne tous les citoyens. Cela est fondamental.

– sur le sujet du 14 juillet ?

Je pense que le 14 juillet est une bonne date pour se rassembler et se rappeler que la Défense est vraiment l’affaire de tous. Lorsque l’on regarde le défilé, c’est intéressant parce que c’est un hommage réciproque, me semble-t-il. C’est-à-dire que les Parisiens et les Français plus largement se massent autour des Champs-Elysées pour applaudir les unités qui défilent ; inversement, les unités qui défilent en se présentant devant le Président de la République rendent hommage aux Français en disant « On est là pour vous ».
Effectivement notre mission n’a de sens que pour protéger et porter les valeurs de tous les Français.

Un mot sur vos centres d’intérêt personnel avant de nous quitter

J’aime bien voyager même si je le fais trop peu.
J’aime bien la lecture. J’aime bien la philosophie.
Et puis j’aime bien, je viens de la Dordogne, être sur mon petit tracteur ou travailler la nature. Je suis alors en général très heureux (sourire).

– une destination a-t-elle retenu votre attention ?

J’ai vécu un peu plus d’un an à Washington et j’ai découvert les Etats-Unis à cette occasion.

En réalité, j’ai trouvé extrêmement intéressant de voir cette capitale politique, ville de province à l’échelle française.
Je trouve que le contact avec les Américains à Washington était aisé, vraiment sympathique. Donc j’ai gardé un bon souvenir de cette année passée à Washington (sourire).

– des conseils de lecture ?

Il y a une philosophe que j’aime beaucoup, c’est Hannah Arendt. Je trouve qu’elle stimule beaucoup la réflexion. Elle est très éclairante notamment pour comprendre la politique, pour comprendre la nature politique de la guerre.
Ensuite j’aime beaucoup l’histoire. J’avais fait une thèse de doctorat sur la réception en France de Clausewitz. Je pense qu’il est extrêmement éclairant aujourd’hui. On gagnerait à le lire davantage. Clausewitz explique que la guerre est d’abord une interaction, ce que l’on oublie souvent. Je pourrai développer à l’infini (sourire).

Sur un autre registre, en vacances je relis pour la troisième fois les mêmes romans d’Agatha Christie ! Ils m’aident à me détendre. Il m’arrive de me souvenir de l’issue alors … (rire)

En conclusion, j’ai eu la chance de choisir un métier qui est une passion. Je souhaite à tous vos lecteurs de trouver leur passion et de la mettre au service de tous.

 

Un remerciement appuyé général pour l’entretien.
Je vous retrouve à l’IHEDN dans le cadre de la journée de clôture de la 1ère session nationale qui débute à 08h15 aujourd’hui avec un mot d’accueil par l’IGA F. Plessix. Une journée forte en émotions lors de tables rondes, de la remise des diplômes, d’allocutions, de rencontres.


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