C’est avec joie que je rencontre le colonel Laurent SAVIO avec lequel j’échange depuis des années et qui me fait l’honneur de me recevoir dans ses bureaux à la Tour DGA (Balard) pour partager son métier, son parcours, ses valeurs et ce qui l’anime dans sa vie personnelle. Une excellente rencontre empreinte de sérieux et d’humour pour que le tout soit constructif et agréable.
Le colonel Laurent SAVIO est Directeur du Segment de Soutien Chasse à la DMAé, qui est la Direction de la Maintenance Aéronautique du ministère des Armées.
Bonjour colonel,
Tout d’abord, quelle est la signification de Directeur du Segment de Soutien Chasse ?
Ce travail consiste à soutenir les forces de l’armée de l’Air et de la Marine nationale, en contractualisant via des contrats verticalisés mis en place par la DMAé auprès d’industriels que sont Dassault, Safran et le service industriel aéronautique (d’autres industriels sont concernés pour les autres aéronefs) pour des prestations qui permettent que ces avions volent.
D’autre part, ce segment renferme des spécialistes qui vont aider sur la conception du soutien des avions futurs. Le SCAF dont vous avez peut-être entendu parler et l’accompagnateur du Rafale F5.
Je me permets de venir sur les deux acronymes cités pour que les lecteurs comprennent de quoi on parle.
La DMAé est la Direction de la Maintenance Aéronautique qui est un organisme interarmées rattaché au chef d’état-major des Armées. Elle est responsable de la performance du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de l’État. Elle existe depuis 6 ans sous l’impulsion de la ministre des Armées Madame Florence PARLY suite à la SIMMAD.
Le SCAF est le système de combat aérien du futur. Il s’agit d’un programme réalisé en collaboration avec les Allemands, les Espagnols et récemment avec les Belges qui sont venus en observateurs pour créer un système de sixième génération sur les avions de chasse. C’est l’avion de chasse de demain qui devrait remplacer le Rafale à l’horizon 2045-2050.
Très bien. Revenons maintenant sur vos missions.
Mon travail du Segment de Soutien Chasse implique de fournir les prestations pour ces aéronefs, quelles que soient les bases en métropole et en opex, mais aussi pour le porte-avions.
Cela implique de permettre des contrats opérationnels d’activité en nombre d’aéronefs et en heures de vol. Ce sont des sommes très importantes qui sont mises en jeu.
Un enjeu très important que relève le soutien, parce que cela permet de faire les missions opérationnelles, la permanence opérationnelle, la PO qui permet de faire décoller sur alerte avec un très bref préavis des avions de chasse armés dans la France, pour éviter un 11 septembre pour vous donner une idée.
Cela fait partie des contrats auxquels on est en soutien, tout comme la dissuasion.
On sait que le contexte sécuritaire est particulier, d’où les enjeux d’être présents à bon niveau et à un coût le moins important possible pour le contribuable et pour les armées actuellement.
Comment vous sentez-vous dans le cadre de ces missions ?
Je suis vraiment épanoui dans le périmètre qui est le mien. Parce que soutenir les forces au quotidien, c’est vraiment passionnant.
Discuter avec les industriels, négocier, travailler ensemble pour trouver des solutions avec les forces, pour les forces, c’est très enrichissant !
Demain, j’aspire à commander une base aérienne et si cela se poursuit, je pense que je continuerais dans l’institution, dans des postes d’état-major comme à la direction où je suis actuellement.
Mais si cela ne devait pas se faire, je m’intéresse aussi au contrôle général des armées, qui est une filière un peu particulière mais qui est très intéressante pour conseiller le ministre.
Et enfin, troisième option, si les deux premières ne devaient pas aboutir, je n’exclus pas un jour de rejoindre la vie civile, peut-être chez ces chers industriels que je côtoie.
Votre parcours aux armées est très riche et varié. Je consulte votre CV que j’ai sous les yeux et je vous en remercie. Spontanément j’ai envie de vous demander : quels sont vos moteurs ?
Alors je dirais que mes moteurs se résument en 3 mots : opérationnel, technique, humain.
Je vais vous donner des marqueurs et des exemples pour être plus précis.
J’ai eu la chance de travailler jeune en opérationnel sur la dissuasion nucléaire. Quand vous avez 23 ans, que vous avez les mains littéralement dans une arme nucléaire, cela vous marque et cela vous permet de très vite prendre le poids des responsabilités qui vous sont données.
Techniquement, j’ai eu la chance de faire SUPAERO qui m’a permis de m’épanouir vraiment dans la connaissance fine des sciences, mais aussi de l’appliquer.
J’ai rejoint l’escadron d’expérimentation et de solutions techniques à Mont-de-Marsan. Il s’agit d’un véritable petit bureau d’études où l’on a pu faire de l’innovation au profit de différents grands commandements, de forces atypiques, des forces spéciales et même pour la communication avec par exemple la mise en place de dispositifs vidéos permettant de visualiser les avions pendant le défilé du 14 juillet. Ces innovations sont souvent réalisées avec la DGA, Direction générale de l’armement. Cependant, il nous est arrivé pour les forces spéciales de réaliser la mise en place de matériels sur dérogation de navigabilité (article 10 pour les initiés) signée par le chef d’état-major de l’armée de l’Air et qui a permis que l’on mette le matériel que l’on avait créé sur l’avion sans aide validation par la DGA (tout en fournisseur à l’autorité d’emploi des calculs et garanties). C’était la première fois que cela se faisait et cela a été vraiment très riche et très intéressant.
Et enfin, le dernier point : l’humain. L’humain m’a marqué tout au long de ma carrière. J’ai commandé deux fois ce qui est déjà en soi une chance énorme. J’ai commandé les deux fois à Mont-de-Marsan et cela m’a permis de rencontrer des gens formidables : les officiers, les sous-officiers que l’on a dans l’armée de l’Air et de l’Espace ou dans les armées. En effet, j’ai pu aussi commander des gens passionnants et passionnés dans la Marine nationale et l’armée de Terre. Cela m’a beaucoup appris sur moi et le commandement où l’art d’appliquer « le rôle social de l’officier » (livre du Maréchal LYAUTEY).

Premier escadron de chasse du commandant Laurent SAVIO (AAE)
J’ai hélas perdu deux personnes, dont le major Didier LAVIGNE qui était quelqu’un que j’appréciais énormément. Un homme comme on peut le rêver en termes de sous-officier vraiment passionnant et qui est parti hélas trop tôt. Un événement comme celui-là vous marque énormément en temps de commandement. Et donc je pense à ces deux personnes, que j’ai perdu, très régulièrement. Mais je pense aussi à tout ce que ces gens m’ont apporté, m’ont appris et l’humain est vraiment quelque chose d’important.
Si je cite ces trois exemples, ils ne sont qu’un morceau de tous ces moments riches qui font une carrière.
Vivre, être heureux de ce que l’on fait, c’est vraiment ce qui me fait lever tous les jours. J’adore mon travail et la collaboration avec mon équipe qui elle aussi à l’aéronautique dans les tripes.
Qu’est-ce que vous diriez aux jeunes pour leur donner envie de rejoindre les armées ?
Les armées ont déjà une belle qualité dans le fait qu’elles constituent un magnifique ascenseur social. Et c’est aussi une structure où l’on a quand même tendance à reconnaître la valeur des gens. Une personne qui vaut le coup, qui s’investit, aura un retour.
Et si la personne veut faire plus de choses, les armées offrent énormément d’opportunités passionnantes, en particulier dans l’armée de l’Air où on peut tester et mettre en place des choses. C’est ce qui s’est passé pour moi et je ne pense pas avoir un parcours atypique.
Les jeunes peuvent frapper à notre porte, même s’ils ne savent pas exactement ce qu’ils veulent faire. Déjà, ils pourront découvrir l’institution et ses opportunités et en repartir en fonction du statut par lequel ils sont recrutés. Ou bien développer leur carrière aux armées comme je l’ai fait.
On peut aussi découvrir l’institution, pour les jeunes et les moins jeunes, en intégrant la réserve des armées qui est un outil intéressant et un enjeu important.
Absolument. Intégrer la réserve c’est l’opportunité de voir comment cela se passe, de prendre des contacts, nouer des liens et donc d’être sensibilisé.
J’ai commencé par un lycée militaire, ma classe prépa, pour me dire : « Est-ce que c’est vraiment fait pour moi ? » Et je pense qu’aujourd’hui le bon outil c’est celui que vous dites, c’est-à-dire la réserve pour découvrir si les armées et l’armée de l’Air et de l’Espace sont fait pour la personne concernée.
Très bien. Est-ce que vous avez des messages à faire passer ?
L’aéronautique fait rêver beaucoup de gens. C’est un secteur qui est en pleine expansion. Il y a des besoins dans l’aéronautique privé mais aussi étatique.
Donc on est intéressé par beaucoup de profils. Les gens peuvent se dire : « Ah non, je ne suis pas fait pour ça ». Il faut savoir qu’il y a beaucoup de formations internes, de l’accompagnement qui permet de s’épanouir et d’apporter des résultats concrets sur le terrain. Donc qu’ils n’hésitent pas à pousser la porte ou à demander. Déjà, c’est une option.
Après, il y a aussi le soutien. Beaucoup de gens se disent « Mon métier sera mal vu. Je ne serai pas Maverick dans Top Gun ». Mais il faut bien savoir que Maverick ne décolle pas s’il n’a pas eu son avion en état pour fonctionner. Donc c’est là où les mécaniciens interviennent et cette partie soutien n’est pas assez connue et valorisée.
Je pense que c’est intéressant de dire que les mécanos sont la cheville ouvrière indispensable à l’armée de l’Air. Elle représente une très grosse partie des effectifs. Ce corps est à valoriser. Le coût de soutien c’est à peu près 60 % du coût d’un programme d’armement quand on prend le coût d’un système complet sur toute sa durée de vie.
Je prends l’exemple concret du coût d’un Rafale dans la vie complète du Rafale. Entre le coût d’acquisition et le coût qu’il nous coûte jusqu’à la fin : 60 %, c’est son soutien. Si vous prenez l’exemple d’une voiture, son entretien est du même ordre. Ainsi vous voyez l’importance de bien le concevoir y compris pour former les mécaniciens.
Venons sur des sujets plus personnels. La première question qui me vient est de savoir si vous êtes pilote d’avion ou d’hélicoptère pendant vos temps libres ?
Je vous avoue ne pas être un fan du pilotage parce que je ne me sens pas très à l’aise avec le manche. Je préfère réparer avec ma clé à molette, mais c’est un choix.
Ce que j’aime bien c’est courir et pratiquer l’Aïkido qui est un art martial qui permet de se construire dans la pratique avec l’autre. Il me permet de souffler, de faire un peu d’introspection.
J’adore passer du temps en famille, ce sont des moments précieux et il faut bien les chérir.
En cette période de l’année, j’aime me promener avec ma femme et mon chien. Ce sont des moments calmes à la campagne. On aime beaucoup la verdure.
On aime aussi voyager. J’ai eu la chance de découvrir des continents avec deux années d’affectation à l’étranger. Et précédemment lorsque j’étais affecté au Quai d’Orsay, j’ai beaucoup voyagé, entre autres en Afrique. Travailler en coopération, c’était très riche humainement, une belle aventure.

LCL Laurent Savio dans les jardins de Monsieur l’Ambassadeur de France au Sénégal en 2023 © Laurent Savio

Vol au-dessus de Conakry en Guinée avec le LCL Laurent SAVIO (AAE) © Laurent Savio

LCL Laurent Savio (AAE) dans la Baie d’Abidjan en Côte d’Ivoire © Laurent Savio
La famille est un point très important de stabilité.
Je l’ai toujours dit, je n’aurais jamais fait la carrière que j’ai faite sans ma femme qui est un appui vraiment indispensable dans mon équilibre, tant mental qu’émotionnel. Et puis on a une fille de 19 ans qui est une belle source d’épanouissement. On va croiser les doigts avec Parcoursup cette année encore une fois.
Et enfin, il y a des gens qui marquent notre parcours. J’ai eu la chance d’avoir un mentor, quelqu’un qui m’a apporté des conseils précieux au moment où il fallait. C’est le GDA Franck MOLLARD qui dirige l’EATC, European Air Transport Command, à Eindhoven aux Pays-Bas. Un vrai chef !

Départ du lieutenant colonel Patrick Bryant et prise de commandement du régiment de chasse 2/30 Normandie-Niémen par le lieutenant colonel David Pappalardo, départ du lieutenant colonel Christophe Hindermann et de la prise de commandement du Centre d’Instruction du Contrôle et de la défense aérienne 00.910 par le lieutenant colonel Olivier Rouchette, du départ du LCL Patrice Villette et de la prise de commandement de l’escadron d Expérimentation et de soutien Technique 03.330 par le commandant Laurent Savio, et de la dissolution de l’escadron de Survie Opérationnelle et des parachutistes d’essai 02.330 © Laurent Savio
Un remerciement colonel pour notre entretien et les échanges sympathiques qui ont suivis. Il y a tant à partager sur votre parcours. J’ai reçu une belle photo des rues de l’île de Gorée au Sénégal que je partage avec joie avec les lecteurs !

Laurent Savio dans les petites rues de l’île de Gorée au Sénégal, lieu chargé d’histoire, c’est de là que partaient les esclaves pour le nouveau monde notamment (Alabama, par exemple) © Laurent Savio
Et une photo souvenir de la visite du CEMA Thierry BURKHARD au salon du Bourget 2025.

Salon du Bourget 2025 – SIAE2025 – Paris Air Show – Colonel Laurent Savio et le CEMA Thierry BURKHARD sur le stand du DMAé © Laurent Savio
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