Interview de William HIPPERT, Chef du SIRASCO (service de renseignement criminel) à la Direction Centrale de la Police Judiciaire

Le vendredi 09 juillet 2021 – Miss Konfidentielle s’est entretenue avec William HIPPERT, Chef du SIRASCO (service de renseignement criminel) à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Une interview passionnante réalisée en toute confiance au sein de son bureau. Les sujets sont d’envergure et en cela méritent toute notre attention. William HIPPERT s’est confié par ailleurs sur des points plus personnels, un grand remerciement à lui.  

Bonjour William,

Et si nous commencions par une présentation toute simple ?

Bonjour Valérie, je suis né à Metz il y a 37 ans. Cette ville de l’Est de la France est mon berceau familial, mes racines sont là-bas et j’aime y retourner régulièrement. C’est une région mal connue mais qui mérite de s’y arrêter !

J’ai suivi mes études universitaires à Nancy afin de décrocher un Master 2 en droit pénal et sciences criminelles et ce dans l’optique de passer le concours de commissaire de police que j’ai obtenu du premier coup en 2008.

Cette volonté de rejoindre la police alors même que je n’avais ni policier, ni fonctionnaire dans ma famille remonte, aussi loin que je me souvienne, à 1995. J’étais en classe de CM2 et ma maîtresse m’avait avisé de la suppression du statut d’Inspecteur de Police. Je ne savais pas à cette époque qu’elle me parlait de la réforme des corps et carrières dans la Police Nationale !

Pourquoi cette envie d’entrer dans la Police ? Je n’étais pas attiré par l’image du flic véhiculé par la télévision notamment. Je ne lisais même pas de polar… En fait, cela peut paraître naïf mais je ne supportais pas l’injustice. J’avais envie de faire un métier qui me donnerait le sentiment d’être utile pour les autres et pas uniquement pour gagner beaucoup d’argent ; « Etre au centre des choses » pour reprendre Camus dans Les Justes.

Quel est votre parcours au sein de la Police nationale ?

En 2010, je sors de la 60ème promotion de Commissaires de Police et suis affecté à la sûreté urbaine de Lille. L’investigation, le boulot d’enquête m’attirait. J’y ai passé deux années très riches. C’était la découverte pour moi – sur le plan professionnel et parce que je n’avais jamais mis les pieds dans cette région – et je m’y suis tout de suite plu. C’était une « grosse boutique » avec plus de 130 personnes. Il y avait un très bon état d’esprit. Nos missions étaient de traiter les enquêtes judiciaires de la petite et moyenne délinquance dans tous les domaines (stupéfiants, meurtre, disparition, escroqueries, viols, cambriolage…,). C’est ce qui pourrit le quotidien des gens et les enquêteurs se donnaient à fond pour ça. J’ai compris alors qu’être policier n’était pas qu’un métier. On travaille au quotidien avec la misère, la violence, la détresse. Certaines enquêtes m’ont marqué comme celle de l’assassinat odieux d’une jeune femme par un prédateur sexuel récidiviste. Nous étions saisis de sa disparition inquiétante et l’avions interpellé puis… la PJ a été saisie !

Cette direction me fascinait et j’ai postulé pour la rejoindre en 2012. On m’a donné ma chance en me confiant l’antenne de Police judiciaire de Caen. J’ai alors découvert la Basse-Normandie, région que je ne connaissais que très peu et qui s’est avérée très agréable à vivre. Nous étions une petite équipe familiale de 23 personnes. J’ai fait la connaissance de gens passionnés. Certains sont devenus des amis. Je garde en mémoire de très belles réussites – comme l’arrestation en flagrant délit de braqueurs de banque – et d’enquête plus éprouvantes. Notamment celle d’un grand-père dépressif qui avait tué toute sa famille à l’arme de chasse avant de se donner la mort. Ces affaires vous marquent humainement.

Je garderai en mémoire également les commémorations du 70ème anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie. Aujourd’hui, je reste attaché à cette belle région où je me suis marié en 2014 et où j’y ai encore un cousin qui sert en Gendarmerie.

Après 3 ans et demi à Caen, je rejoins la « centrale » fin 2015 pour y exercer les fonctions d’adjoint au Chef de l’OCRGDF (Office central pour la répression de la grande délinquance financière) à Nanterre.
Il s’agit d’un des 9 offices centraux de la DCPJ qui est en charge de la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et les escroqueries ainsi que de la saisie des avoirs criminels. Le travail en office central est différent. Dotés d’une compétence nationale dans nos matières, nous sommes constamment en contact avec tous les partenaires en France et à l’étranger. J’ai eu l’occasion de parcourir une partie du monde. Je pense à la Colombie, la Géorgie, la Côte d’Ivoire, la Polynésie française, Hong Kong ou encore l’Algérie et le Maroc. J’ai tissé de nombreux liens dans ces pays. C’était une occasion également de progresser en anglais. Surtout, les enquêtes les plus complexes sont du ressort des offices. À l’OCRGDF, je me suis spécialisé dans le blanchiment de l’argent de la drogue, notamment par les réseaux de collecteurs. Cette approche développée par l’OCRGDF a été le fruit de passionnés qui ont été des pionniers avec des dossiers encore cités en exemple tels que les affaires VIRUS ou RETROVIRUS. Ce n’est jamais simple de penser les choses différemment et d’adapter les stratégies d’enquête. Je salue ces collègues et ce qu’ils ont apporté pour la compréhension de ces phénomènes criminels.

En 2019, porté par cet intérêt pour le blanchiment de trafic de stupéfiants, je décide de candidater à l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants) en tant que chef de la division opérationnelle c’est-à-dire en charge de piloter l’action des groupes d’enquête du service en lien avec l’ensemble des services territoriaux. 9 mois plus tard, en janvier 2020, l’OCRTIS devenait l’Office anti-stupéfiants (OFAST) où je conservais mes fonctions de pilotage de l’activité judiciaire du service dans une structure renforcée et positionnée comme chef de file de la lutte contre les stupéfiants en France. Un chantier colossal porté par une équipe solide composée de Policiers, Gendarmes et douaniers dirigée par Stéphanie CHERBONNIER et son, adjoint, Samuel VUELTA-SIMON, détaché du corps des magistrats.

J’ai vécu des moments inoubliables et notamment au gré d’affaires d’envergure aux côtés d’enquêteurs dévoués à leur travail et profondément attachés à leur service. Notamment, je me rappelle avoir passé 7 jours non-stop avec les équipes à attendre l’arrivée d’1 tonne de cocaïne au Port du Havre. Au final, un réseau international de trafiquants a été démantelé grâce à des techniques d’enquête innovantes. Cette matière est très prenante et j’y ai laissé beaucoup de temps et d’énergie… parfois au détriment de ma famille. C’est le quotidien des gens qui luttent contre le fléau de la drogue.

En avril 2021, la DCPJ me donne l’occasion de prendre la tête du SIRASCO. Service central de renseignement ayant la charge de l’analyse de l’ensemble des phénomènes criminels organisés. Il y a une cohérence dans ce choix car ce que j’aime le plus dans ce métier c’est de comprendre pour faire évoluer et améliorer nos stratégies d’enquête.

Au SIRASCO, nous sommes une équipe d’une trentaine de personnes en central (policiers, agents administratifs, gendarmes et contractuels). C’est une force de travailler avec des profils différents.

Mais le service possède également des antennes dans les directions territoriales de la Police judiciaire et des relais dans les offices centraux et à la Préfecture de Police de Paris. Le réseau SIRASCO, c’est 130 agents.

En tant que Chef du SIRASCO, mon quotidien est de donner les moyens à mes collaborateurs de réaliser au mieux leurs missions et d’adapter le service aux enjeux contemporains. Je manage une équipe d’hommes et de femmes au quotidien. Nous avons 12 femmes sur 28 effectifs au SIRASCO central.

Le SIRASCO est un service de renseignement criminel rattaché à la Police judiciaire dont le but est d’analyser les évolutions et d’évaluer les menaces représentées par la criminalité organisée en France.
Créé en 2009, cette structure est l’héritière d’une unité créée en 1992 pour lutter contre les mafias. Depuis plus de dix ans, elle s’efforce d’informer et de sensibiliser les services d’enquête et les autorités sur la réalité criminelle en étant au plus près des procédures judiciaires, meilleurs capteurs des menaces. J’ai des experts en mafias italiennes, en gangs de motards criminalisés (Hells Angels, Bandidos, etc,…). Des analystes sont incollables sur les groupes criminels des Balkans, d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique. D’autres sont spécialisés sur les criminels français opérant dans le banditisme ou le trafic de stupéfiants notamment. Enfin, un secteur d’analyse est dédié aux clans russophones – tels que les voleurs dans la loi (Vor V Zakone) géorgiens qui répondent à des codes très spécifiques et une organisation particulièrement hiérarchisée. Un Officier de liaison de l’ambassade de Géorgie est détaché au SIRASCO.

Chaque année, nous proposons un état de la menace criminelle en France qui est diffusé aux partenaires. L’édition 2020 est sortie de l’imprimerie il y a quelques jours et est en cours de diffusion. S’agissant d’un document confidentiel, il n’est pas accessible au grand public. C’est un regret exprimé par certains – notamment dans le milieu de la recherche ou des médias – que nous essayons de compenser en proposant des formats de présentation spécifiques.
Cela a été le cas le lundi 07 juillet 2021 dans le cadre d’un séminaire, diffusé en ligne également, et co-organisé par la DCPJ et l’IHEMI. L’évènement a rassemblé environ 50 participants en physique et 230 en distanciels de tous horizons (professionnels de la sécurité intérieurs et de la Justice, partenaires institutionnels, chercheurs, universitaires, journalistes,  …) en France comme à l’étranger.
Mes collègues en charge de la lutte contre le trafic de stupéfiants (Stéphanie CHERBONNIER, cheffe de l’OFAST), la criminalité financière (Thomas DE RICOLFIS sous directeur en charge de la lutte contre la criminalité financière ou SDLCF) et la cybercriminalité (Nicolas GUIDOUX, Sous directeur adjoint en charge de la lutte contre la cybercriminalité) ont fait un état des lieux très précis et synthétique de ces trois menaces principales.
C’est la première fois que ce type d’événement était organisé par la DCPJ et nous sommes très heureux du résultat. Ce ne sera pas la dernière ! Je remercie au passage toute l’équipe ayant organisé ce séminaire et l’ensemble des participants qui ont fait le déplacements ou suivi les échanges à distance.

Vous me demandez les principales menaces aujourd’hui ? Je peux vous citer les 3 prioritaires.

  • Sans surprise le trafic de stupéfiants. C’est l’activité criminelle qui génère le plus d’argent sale dans le monde. La vente de stupéfiants représente, pour une fourchette basse, 3 à 4 milliards d’euros en France chaque année et 21 milliards d’euros en Europe. C’est une activité qui génère des violences extrêmes (règlements de comptes, assassinats, enlèvements et séquestration) et de la corruption, une gangrène pour notre système démocratique.
  • Ensuite, il s’agit du blanchiment d’argent. On voit la criminalité financière par le prisme du mythe du col blanc mais c’est aussi lié à la criminalité organisée. C’est une matière qui peut amener à mettre sur le même banc des accusés un fraudeur fiscal et un trafiquant de drogue. Je prends pour exemples le fait de noyauter les marchés publics, l’achat de biens immobilier sur la Côte d’Azur…
  • Pour finir ce top 3, la cybermenace est très prégnante. Nous sommes tous connectés voire dépendants de la technologie (smartphones, objets connectés, moyens de paiement numériques, cryptomonnaies, …). C’est une manifestation du progrès mais aussi une aubaine pour les criminels. On a vu pendant la Covid-19 de nombreuses sociétés fragilisées être attaquées par des cybercriminels, dans le cadre d’attaques informatiques ou d’escroqueries par exemple.

On a aussi la Traite des Etres Humains (TEH) sous l’angle du proxénétisme, du travail forcé…

L’état de la menace européen, fourni tous les 4 ans par EUROPOL, reprend ces priorités. Le Sirasco a la charge de collecter les éléments des services de Police, de Gendarmerie et de la Douane pour alimenter cette analyse européenne.

Les autorités, sous l’impulsion de la Coordination Nationale du Renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), ont pris conscience de l’importance du renseignement criminel qui peut également porter atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Le SIRASCO a des liens régulier avec les services du premier cercle de renseignements tels que la DGSI, la DGSE, la DNRED (douane), le renseignement militaire, TRACFIN, …

Si vous deviez vous définir, que répondriez-vous ?

C’est tout simple, je suis un touche-à-tout.

Je pratique le basket-ball depuis tout petit,
Je joue de la guitare (Rock, Metal, Blues..) avec des préférences pour la musique de Pink Floyd, ACDC, Metallica ou B.B. King.

J’aime immortaliser un instant en prenant des photos (photo de rue, de paysage, de voyage…).

Pour me ressourcer depuis que je suis gamin, je pêche à la ligne. Un moment serein qui me permet de recharger mes batteries.

À mon sens, on peut faire un métier sérieux et prendre le temps pour se détendre, rire.
C’est ce que je préconise à mes équipes. Il est important de savoir décompresser et de penser à sa famille, ses amis.


Note importante

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges avant 1/ de reproduire tout ou partie de l’interview sur un autre support  2/ d’utiliser la photo publiée dans l’interview.

3 commentaires
  1. Daniel K. dit

    Bonjour, et encore comme toujours, une belle interview passionnante de Miss Konfidentielle où nous découvrons le SIRASCO et son patron, M. HIPPERT, dont la carrière est déjà bien remplie en postes stratégiques.
    J’en profite pour lui dire le bonjour de Lille qu’il connait comme j’ai pu le lire…et qui sait nous nous y sommes peut être déjà croisés lors d’une enquête ..

    1. HIPPERT William dit

      Bonjour Daniel, merci pour ce message du Ch’Nord. Au plaisir.

  2. Paul DOSSMANN dit

    Merci beaucoup pour cet interview de William HIPPERT, originaire de METZ où j’ai œuvré plus de 14 ans comme chef d’état-major interministériel de sécurité et de défense pour la zone de défense EST. Cet entretien met bien en valeur l’importance du renseignement dans les affaires criminelles et l’implication au quotidien de ses personnels.

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