Bonjour Virginie, nous avons le plaisir de nous rencontrer lors du 5ème colloque de la Direction de la coopération internationale de sécurité, DCIS, située à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, et rattachée au ministère de l’Intérieur.
Le 5ème colloque se tient du 25 au 29 août 2025 dirigé par Sophie HATT qui a pris le soin de répondre à mon interview le 25 août et que j’invite les lecteurs à lire en préambule de notre entretien, et qui a pour thème majeur la « LA COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE ».
Votre poste est celui d’attachée de sécurité intérieure en Thaïlande, ASI Thaïlande. Pouvez-vous nous raconter ?
Je suis attachée de sécurité intérieure en Thaïlande.
Je suis postée à l’ambassade de Bangkok, et je suis compétente également sur la Birmanie.
Le cœur de notre métier comprend deux grandes missions :
– La coopération opérationnelle et judiciaire.
– Et la coopération technique.
La particularité du SSI Thailande (Service de Sécurité Intérieure) c’est que la coopération opérationnelle occupe une très grande place dans le travail quotidien.
Quels sont les grands axes ou vos axes prioritaires dans le cadre de vos missions ?
Dans le cadre de la coopération opérationnelle, notre mission est de faire le lien entre la police française et la police thaïlandaise pour permettre aux enquêtes françaises d’avancer dans un sens positif.
Le SSI Thaïlande a fait le choix de concentrer son action sur deux grandes thématiques prioritaires. La première c’est la criminalité organisée, plus particulièrement le trafic de stupéfiants, le blanchiment et la recherche de fugitifs. La deuxième c’est la pédocriminalité très présente en Asie.
Les services d’enquête français, offices mais aussi services de province nous saisissent pour obtenir des informations dans le cadre de leurs procédures. Leurs sollicitations sont diverses : le mis en cause est-il venu en Thaïlande ? est-il connu des services de police thaïlandais ? a-t-il investi dans un commerce, un bien immobilier ?
Ces demandes s’effectuent en général par le canal H24, c’est de la pure coopération policière.
De façon complémentaire, certaines demandes s’effectuent via des demandes d’entraide pénale internationale ou des commissions rogatoires internationales lors d’enquêtes plus complexes nécessitant des investigations plus approfondies.
En Thaïlande, vous êtes donc confrontée à une thématique majeure qui est la « protection des mineurs ». Peut-on faire un focus sur ce sujet ?
Le service de sécurité intérieure en Thaïlande a un vrai historique sur cette thématique.
Je relis encore des notes et rapports de mes collègues qui étaient à Bangkok au SSI (service de sécurité intérieure) au début des années 2010, et il y avait déjà une vraie implication.
Cette implication n’a pas faibli au fil du temps car l’Asie est un lieu de prédilection pour les prédateurs sexuels qui recherchent des mineurs. La Thaïlande fait partie de ces pays de destination, même si, depuis quelques années, les autorités thaïlandaises ont fait des efforts pour lutter contre le phénomène. Une grande partie des pédocriminels privilégient des pays plus pauvres et moins contrôlés de la zone.
Lesquels ? Le Cambodge ou le Laos par exemple. Mais la Thaïlande reste encore très touchée. On a un vrai rôle d’alerte et de relais en lien étroit avec l’office mineurs du ministère de l’Intérieur, OFMIN.
Expliquez-nous ? Nous sommes des capteurs à l’étranger, nous essayons d’avoir un visuel sur les délinquants français qui se déplacent en Thaïlande mais également sur les Français qui pourraient être victimes en Thaïlande. On a ce double prisme.
Dès qu’un Français commet un crime ou qu’il est victime d’un crime sur un territoire étranger, les autorités judiciaires françaises sont compétentes à condition qu’il n’y est pas eu de jugement définitif. C’est le principe de l’extraterritorialité de la loi.
A l’étranger, nous avons un rôle important dans la transmission des informations via notre salle d’état-major H24. Ces « notes d’informations » sont ensuite relayées par la centrale vers l’état-major de la Direction nationale de la police judiciaire. Dans le cas d’une affaire de pédocriminalité, l’office mineurs sera saisie de notre signalement et ils pourront s’en saisir, aviser le parquet et ouvrir ce que l’on appelle une « enquête miroir ». Cela va permettre aux enquêteurs français d’avoir un cadre juridique notamment pour interpeller un mis en cause de retour en France.
Avez-vous un exemple à nous partager ?
L’« affaire Jean-Christophe Quenot » est un bel exemple de coopération Thailande-France. C’est un dossier emblématique qui a particulièrement marqué les enquêteurs français, c’était un véritable prédateur qui a fait des milliers de victimes à travers l’Asie du Sud-est.
Il était professeur de français à Singapour et se déplaçait lors de ses loisirs dans les pays de la région. Il prenait contact avec des mineurs par les réseaux sociaux et abusait sexuellement de ces enfants. Il recherchait des jeunes garçons et filmait tous ses méfaits. Il tenait un cahier où il recensait tous les enfants dont il abusait comme un « serial killer ».
Comment l’« affaire de Jean-Christophe Quenot » s’est-elle terminée ?
Cet individu a été arrêté en Thaïlande en février 2019. Il a été dénoncé par le père d’une des victimes qui est allé voir la police. En remontant la piste, les policiers ont surpris Jean-Christophe Quenot avec deux mineurs dans sa chambre d’hôtel. Il faut savoir qu’en Thaïlande, en matière de pédocriminalité, la police privilégie les enquêtes sur plainte des victimes, ce qui est très rare, ou celles qui sont faites en flagrant délit. Jean-Christophe Quenot, pris en flagrant délit, est donc interpellé puis placé en détention.
Le SSI remonte immédiatement l’information par le canal H24 et une « enquête miroir » est ouverte en France par le groupe mineurs de l’OCRVP, aujourd’hui devenu un office doté d’une soixantaine d’enquêteurs.
Le relai du SSI a été déterminant. Jean-Christophe Quenot a pu payer sa caution et être libéré. Il a ensuite payé la police pour récupérer son passeport et s’est échappé par la Malaisie. L’OCRVP a tout de suite pu émettre une notice bleue qui permet de suivre notamment les passages frontières des criminels. Lors de son arrivée en Suisse, la notice bleue a bippé auprès d’Interpol et les enquêteurs français ont interpellé l’individu au domicile de sa mère à Besançon. Tout son matériel informatique a pu être saisi, notamment les enregistrements vidéo qu’il s’était envoyé depuis la Malaisie, comme des « trophées » de ses actes criminels.
Cette affaire est un très bel exemple de coopération internationale.
Jean Christophe QUENOT a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour les actes commis en Malaisie. Il est en attente de son jugement pour ceux commis en Thailande.
Travaillez-vous en Thaïlande avec des associations qui luttent contre la pédocriminalité ?
On est en contact avec des associations car la thématique est très importante sur la zone. Depuis décembre 2024, une ancienne enquêtrice de l’office mineur a été détachée en Thaïlande en tant qu’experte technique internationale sur la pédocriminalité en ligne et financée par le ministère des Affaires étrangères. Elle est basée au SSI Bangkok et elle est chargée d’un projet régional pour faire monter en compétences les polices et les magistrats de la zone à travers des formations et séminaires. C’est un travail titanesque mais fondamental. C’est elle qui est en contact avec ces associations qui sont extrêmement actives dans la région et qui sont à l’origine de nombreux signalements de pédocriminels.
Les conseils qu’elle prodigue aux enquêteurs thaïlandais sont particulièrement appréciés. Elle a été très bien accueillie à son arrivée.
A vous écouter, le savoir-faire policier français est vraiment reconnu en Thaïlande.
C’est une évidence. Les Thaïlandais sont toujours très en demande d’expertises et ils sont très admiratifs du savoir-faire de la police française.
Par exemple, le Raid se déplace et intervient chaque année dans le cadre de la coopération technique en Thaïlande pour montrer les méthodes des forces d’intervention françaises aux policiers thaïlandais.
S’agissant de la pédocriminalité, depuis les années 2010, des formations techniques sont dispensées chaque année, à l’appui de notre coopération judiciaire. Des enquêteurs de l’OFMIN viennent former les policiers thaïs aux méthodes d’enquête et de recherches sur internet, mais également dans le but de les perfectionner à l’utilisation des logiciels de détection des pédocriminels. Cela existe depuis longtemps et fonctionne bien. Il est important que la détection d’initiative des pédocriminels soit plus fréquente et plus efficace.
Aujourd’hui, l’implantation de cette experte sur la zone démontre l’importance de la thématique et la nécessité de passer à la vitesse supérieure en termes de technicité et de coopération. C’est quelque chose d’innovant. Pourquoi ? En Asie, peu d’experts police sont implantés sur la zone alors qu’en Afrique, le réseau est bien fourni, experts cyber et immigration par exemple. C’est innovant aussi car c’est la première experte qui a été déployée dans le réseau sur la thématique de la cyberpédocriminalité.
Je vous invite à mettre en lumière les marqueurs de votre vie professionnelle qui vous ont permis d’être aujourd’hui Attachée de sécurité intérieure en Thaïlande ?
Je suis sortie d’école en 2004. J’ai été affectée cinq ans en sécurité publique en Seine-Saint-Denis, ce qui a été extrêmement formateur.
J’étais entourée d’équipes efficaces, heureusement, car c’était l’époque des violences urbaines de 2005. Une expérience en commissariat est selon moi un passage obligé pour tout policier.
Ensuite, j’ai intégré la PJ (police judiciaire), c’était ce que je souhaitais depuis l’école. Cela a été mon cœur de métier pendant 13 ans, un métier passionnant !
J’ai fait plusieurs postes à la DRPJ Paris. D’abord à la Brigade de répression de la délinquance astucieuse, spécialisée dans les escroqueries puis je suis revenue en Seine-Saint-Denis. J’étais à la tête de la section stups du SDPJ 93. C’est un sujet qui me passionne aussi et sur lequel on travaille beaucoup en Thaïlande.
Ces 5 années au SDPJ 93 ont été extrêmement formatrices avec beaucoup de terrain, des permanences qui m’ont permis de toucher à des affaires très diverses, homicides, enlèvements, viols etc. De très belles années pour moi.
Puis j’ai pris la tête du GIR Val de Marne. L’enquête patrimonial, l’identification des avoirs criminels est un volet indispensable sur toute enquête judiciaire, notamment en criminalité organisée. Cela m’a permis de compléter mes expériences précédentes.
J’ai ensuite intégré la Brigade de répression de la délinquance contre la personne avant de passer à la coopération internationale et prendre un poste à l’état-major de la DCIS.
Votre parcours est en pleine cohérence.
Effectivement, c’est en cohérence avec ce que je fais actuellement et au fil de mes différents postes, j’ai pu toucher du doigt l’international. Je suis partie notamment dix jours en Israël sur commission rogatoire internationale avec une juge d’instruction sur un dossier d’escroquerie en bande organisée.
Cela a été passionnant de voir les méthodes d’une police étrangère. Être au cœur de l’action, sur le terrain à l’étranger. J’avais trouvé l’expérience assez fascinante.
Et, un autre exemple qui me vient à l’esprit, lorsque j’étais aux stups sur le 93, nous avons pu effectuer des opérations transfrontalières avec des filatures de criminels jusqu’aux Pays-Bas. Ce côté international m’avait plu.
Je me suis souvent dit « un jour j’aimerai avoir un poste à l’étranger ».
Je comprends. Et puis c’est une manière de s’ouvrir au monde. Comment occupez-vous votre temps libre depuis votre arrivée en Thaïlande ?
Le travail est dense en ambassade, on fait tout ce qui est coopération, mais on est aussi présent pour assister les autres services de l’ambassade : faire du conseil, du soutien. On est aussi présent pour la communauté française.
Pour le temps libre… Je suis une passionnée de voyages et j’ai la chance d’être au bon endroit ! Le hub de Bangkok nous permet de visiter en famille les pays de la région mais surtout de découvrir la Thaïlande profonde, d’aller dans des lieux reculés. Nous adorons sortir des sentiers battus. En début d’année, nous sommes allés dans la région de l’Isan, encore peu visitée et située dans le nord-est du pays. C’était un magnifique voyage.
C’est superbe. Vos voyages vous permettent de partager des moments en famille inoubliables et d’enrichir vos connaissances locales, culturelles et humaines utiles à votre mission d’ASI à Bangkok.
Tout à fait ! c’est très intéressant de mettre en parallèle son métier et ses expériences personnelles… quand nous avons visité l’Isan, nous avons pu toucher du doigt la pauvreté de cette région … et cela a forcément fait écho à ce que nous côtoyons dans nos dossiers, les prostituées thaïlandaises qui sont à Pattaya ou à Phuket viennent pour la plupart de cette région et sont victimes de réseaux criminels. L’Isan est également ciblée par les pédocriminels occidentaux, un Français y a d’ailleurs été arrêté en juin de cette année.
L’interview a pris la forme d’une conversation. Un moment spontané sur des sujets graves. Il y a beaucoup à dire. Je vous remercie Virginie.
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