Interview de Christophe FICHOT, commissaire général et médiateur interne de la police nationale auprès du directeur général de la police nationale
Une joie de rejoindre Christophe FICHOT, commissaire général et médiateur interne de la police nationale, à Lumière un bâtiment inspirant situé au pied du parc de Bercy et de la Cour Saint-Émilion à Paris.
Bonjour Christophe, nous nous sommes rencontrés dans le cadre de l’assemblée générale de l’Association des Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale qui s’est tenue à Marseille les 17-18 octobre 2024 sur le thème du narcotrafic. Voudriez-vous nous partager les raisons pour lesquelles vous étiez en présence à Marseille ?
Lorsque nous nous sommes rencontrés, j’étais en présence en tant que secrétaire général de l’Association des hauts fonctionnaires de la police nationale présidée par Christian SONRIER.
Mais en même temps, j’étais présent parce que la veille, dans le cadre de mes fonctions de médiateur interne de la police nationale, j’avais rencontré successivement le directeur zonal de la police judiciaire Sud à Marseille Christophe ALLAIN et ses collaborateurs, ainsi que le secrétaire général adjoint du SGA, David PREUD’HOMME, qui est également un membre de l’association et qui était impliqué dans l’organisation de l’événement de l’assemblée générale de l’Association des hauts fonctionnaires et de la Conférence sur les 50 ans de lutte contre le narcotrafic.
Je vous remercie. Vous êtes médiateur interne de la police nationale. Que cela signifie-t-il ?
Je suis le point de liaison quand il y a un différend entre les agents qui souhaitent me saisir et leur administration, lorsque celui-ci porte sur toute décision administrative qui peut leur porter préjudice.
Des litiges débutent parfois dès l’entrée en fonction des agents que ce soit au moment de la titularisation, voire avant en école de police. Par la suite, il peut y avoir des différends jusqu’au moment du départ à la retraite. Tous les moments de la vie sont marqués dans la police par des décisions et lorsqu’un fonctionnaire n’est pas d’accord avec l’une d’elles, il peut être amené à la contester. Éventuellement, il va parallèlement devant le tribunal administratif.
Il y a une dizaine d’années, l’administration a considéré qu’il serait bon que les agents confrontés à un différend avec elle, disposent d’une solution alternative à un recours en justice. C’est ainsi qu’elle a décidé de mettre en place un dispositif de médiation interne entre l’agent et l’administration.
Cette évolution a été voulue par Claude BALAND qui était le directeur général de la police nationale en 2012 et qui a souhaité qu’il y ait un mécanisme mis en place pour des relations plus apaisées entre les personnels et leur administration.
Cela ne s’est pas fait sans difficulté parce qu’à l’époque cela n’allait pas de soi. En 2024, la médiation s’est imposée partout, que cela soit dans les administrations, et dans le privé. Mais c’est toute une évolution qui s’est faite avec le temps.
Qui était le préfigurateur de ce dispositif voulu par Claude BALAND ?
Frédéric LAUZE quittait ses fonctions où il était affecté auprès du Premier ministre sur les problèmes de sécurité et il s’est vu confier cette préfiguration par le DGPN Claude BALAND. Il a exercé cette mission pendant quatre ou cinq ans. Il y était secondé par un magistrat qui a été le point de liaison avec son successeur : Pierre-Edouard COLLIEX.
Pierre-Edouard COLLIEX est l’actuel préfet de police de Marseille. Et cela fait presque le lien avec ma présence à Marseille. En avril 2021, j’ai été choisi par le directeur général de la police nationale Frédéric VEAUX pour prendre ce poste, assurer la continuité du dispositif et aussi l’améliorer pour rendre les relations toujours plus fluides et simples entre l’administration et les personnels.
Si je vous demande le point à date de votre mission, que me répondez-vous ?
Je dirais que l’on est dans une phase de transformation parce qu’en mai de cette année, le directeur général de la police nationale a signé une instruction permettant au médiateur interne de mettre en œuvre deux nouveaux outils de médiation. Cette instruction entérine le dispositif qui existait depuis l’origine, la médiation administrative, qui permet de traiter les saisines des agents par l’intermédiaire d’un avis, dont je vous ai déjà parlé. Le médiateur peut aujourd’hui également agir en facilitation, c’est-à-dire en amont d’une décision administrative, et il propose enfin un dispositif de médiation interpersonnelle, qui permet de prendre en compte les aspects relationnels des conflits au travail.
En matière de médiation administrative, qui représente encore la très grande majorité des dossiers, soit environ 700 à 800 saisines par an et 450 recevables après analyse (parce qu’il y a réellement une décision contestée), ce sont à 99 % les agents qui contactent le médiateur. Dans de rares cas, c’est le DGPN qui décide de me saisir, face à une situation très particulière.
Dans le cadre de la médiation administrative, il y a une véritable étude juridique et humaine qui est menée, parce que, bien entendu, il faut vérifier le respect du droit. Parfois il l’est, parfois il ne l’est pas, et même quand il l’est, il se peut qu’il y ait une solution qui, sans méconnaître le droit, soit plus opportune. Et dans ce cas, c’est à moi de l’explorer et de la proposer à l’administration.
Une évolution dans le temps tient à ce que le médiateur intervient de plus en plus comme un conciliateur, ce qui n’est pas forcément dans la culture administrative. Avec de la patience et du temps, l’administration a compris que le médiateur était vraiment ce point de liaison entre les agents et elle-même.
L’année dernière, c’est ainsi près de 93 % de décisions favorables aux agents qui ont été enregistrées faisant suite à des avis qui ne reprenaient pas la position de l’administration au départ. Voilà mon travail, tout du moins l’essentiel.
Vous êtes entouré d’une équipe à Lumière. Avez-vous d’autres appuis ?
Je m’appuie également sur une quinzaine de délégués sur l’ensemble du territoire, qui sont des réservistes de la police nationale.
Il s’agit d’anciens commissaires ou d’anciens officiers dont l’action se fonde à la fois sur leur connaissance du fonctionnement de la police nationale et sur les valeurs phares de la médiation, c’est à dire l’indépendance, l’impartialité, la neutralité et l’écoute, de manière à pouvoir justement être ce point d’équilibre avec les personnels.
Je voudrais revenir sur les deux nouvelles missions du médiateur que l’instruction du DGPN confie désormais en plus au médiateur.
Ce sont deux possibilités qui sont ouvertes au personnel ainsi qu’à l’administration, non pas cette fois de saisir le médiateur, mais de solliciter son intervention, car il n’y a pas de caractère automatique. J’ai été amené à constater que dans un certain nombre de cas, il pouvait ne pas y avoir encore de décision qui ait été rendue par l’administration. Mais pour autant, une décision était en préparation qui pouvait apparaître ne pas répondre le plus parfaitement à ce qui était souhaitable, aussi bien pour l’administration que pour l’agent. Lorsque je suis au courant d’une telle situation, quand bien même la décision ne soit pas intervenue, je regarde et j’estime si oui ou non il me paraît intéressant de répondre à la sollicitation de l’agent. Cela, c’est ce qu’on appelle le dispositif de facilitation.
La facilitation permet également de prendre en compte les situations dans lesquelles l’agent ne sait pas forcément à qui s’adresser. Alors on peut se dire « Il y a les syndicats, ses collègues » certes, mais il y a des cas où on peut être en dehors de ces situations.
Je pense à des cas récents que j’ai eus à traiter. Dans la police, entrent un certain nombre d’agents qui nous viennent du privé et bien qu’ils soient passés en école, n’ont pas toujours acquis le respect de la chaîne hiérarchique tel qu’on le conçoit chez nous. A titre illustratif, deux agents qui s’étaient mis à cet égard dans des situations un peu complexes ont pris attache avec moi, comme ils auraient pu le faire avec un de mes délégués. On a discuté de comment il était possible de revenir à une situation qui leur permettait de poursuivre leur activité sans difficulté.Je leur ai ouvert des pistes et libre à eux ensuite de suivre telle ou telle. Dans les deux cas, la situation est revenue ensuite à la normale.
Au total, depuis le début de l’expérimentation de ce dispositif en 2023, c’est plus de 75 dossiers de facilitation qui ont été menés, le plus souvent avec succès.
L’autre dispositif nouveau, mis en place seulement depuis mai dernier est la médiation interpersonnelle. Il découle de la constatation que dans un certain nombre de cas, on a des agents qui ne s’entendent pas à cause de leur tempérament, parce qu’on ne peut pas être amis avec tout le monde et cela rejaillit sur le travail. Dans ce cadre très particulier où le relationnel induit une vraie difficulté dans le travail, mon intervention peut être sollicitée. Je vais alors analyser la situation et on va décider avec mon équipe de savoir si on mène une médiation au sens où on l’entend très traditionnellement, avec une écoute active qui va être faite auprès des personnels. Et dans un deuxième temps, le fait de les rassembler et d’essayer de surmonter la difficulté à laquelle ils sont confrontés. L’objectif est d’abord de rétablir le dialogue. Ce dispositif vient juste d’être mis en place par la note du mois de mai 2024. On a eu une première expérience qui s’est bien passée dans le sud de la France.
Enfin, au-delà des missions que j’ai déjà évoquées, il me semble utile de souligner que je suis amené également à rendre des recommandations en matière de gestion des ressources humaines. Ces recommandations viennent de la constatation d’un certain nombre de difficultés récurrentes auxquelles les agents ont pu être confrontés dans l’année. Et elles m’amènent à faire des propositions à l’administration pour qu’elle puisse réformer, transformer sa façon de faire. Tant sur la volonté d’y mettre de plus en plus d’humanité que sur le respect de certaines règles qui s’imposent à elles et que parfois l’administration peut être amenée à méconnaître. C’est en général une vingtaine de recommandations qui lui sont faites dans un rapport produit chaque année qui fait un point à date et propose un regard vers l’avenir.
Très bien. Quelles ont été, je dirais, les étapes marquantes de votre parcours ? J’ai cru lire une étape au ST(SI)2 qui a changé de nom d’ailleurs en 2023, et qui est devenu l’Agence numérique des forces de sécurité.
Je suis rentré dans la police nationale notamment parce que j’ai été marqué par la lecture d’un livre. C’était l’ouvrage Les Justes de l’auteur Albert Camus. Le personnage du policier m’a beaucoup intéressé non pas parce que c’était un bon policier mais parce que c’était un personnage avec toute sa complexité humaine.
Il explique qu’il a voulu être policier pour être au centre des choses et c’est véritablement pour cette raison que j’ai choisi d’être policier.
De manière anecdotique et amusante, alors que nous étions à l’AG de l’AHFPN à Marseille en compagnie de Christophe MIRMAND, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet de la zone de défense et de sécurité Sud, préfet des Bouches-du-Rhône, celui-ci a fait directement référence dans un petit discours à ce personnage et à sa place « au centre des choses ».
J’ai eu la chance alors que je pensais, un peu comme le médecin de campagne, ne faire que de la police urbaine, de la sécurité publique, de pouvoir découvrir beaucoup d’autres facettes du métier.
Je me suis occupé de sécurité dans les trains sur l’ensemble du réseau ferré de la SNCF. J’ai été ensuite chef du bureau de la réglementation et des affaires européeennes. C’était à la PAF, la police aux frontières. J’allais notamment à Bruxelles dans l’enceinte Schengen, notamment pour discuter et pour représenter la France dans les négociations de l’application de l’accord ainsi qu’à l’Union européenne sur les problématiques de frontières. Je me suis occupé d’un centre de recherche, le Centre de recherche et d’études de la logistique de la police nationale où ont été notamment développés les moyens de protection des policiers, les armes de force intermédiaires ou encore le renforcement des véhicules de police et vous savez qu’on en a beaucoup besoin. Je pense aussi à Ramsès, le nom donné à un bouclier noir, en forme de sarcophage avec des céramiques russes, conçu pour équiper le RAID. J’ai pu aussi développer avec des ingénieurs de mon équipe les dispositifs qui permettent la détection des drogues dans la salive. On avait beaucoup de missions différentes. Ensuite, j’ai été à l’Inspection générale de la police nationale en charge des études, puis de la coordination de l’ensemble des enquêtes sur le territoire national.
Voilà tout mon parcours avant de rejoindre, comme vous l’avez dit, le ST(SI)2 qui était le service des technologies, des systèmes d’information, de la sécurité intérieure, et qui gérait plusieurs centaines de projets, d’importance diverses en faveur de la police et la gendarmerie. Cela a été une expérience très intéressante auprès des deux directeurs généraux, avec la volonté de toujours trouver ce qui pouvait être utile à l’un et à l’autre. Dans la notion de mutualisation, ce qui est important n’est pas de mettre la police et la gendarmerie ensemble, c’est de voir comment les deux institutions peuvent s’entraider. C’est ça qui est intéressant dans la mutualisation, c’est être plus fort ensemble. Et j’ai véritablement découvert des deux côtés des gens qui travaillent différemment, mais pour le même service du public.
Un remerciement pour le travail accompli auprès des policiers. Votre mission exige des qualités techniques et humaines alors comment prenez-vous le temps de vous ressourcer ?
La police, pour moi, c’était pouvoir être au centre des choses. Donc oui, la médiation, c’est aussi ça, c’est pouvoir être au centre des choses.
Vous qui aimez lire, je suis actuellement en cours de lecture de deux ouvrages : La construction d’objets en sociologie (Editions du Croquant) et L’initiation à la pratique sociologique (Dunod). Là, c’est mon intérêt du moment et ce grâce à l’Académie de police qui a développé un diplôme universitaire en sociologie sur le rapprochement police-population. Alors là, vous voyez, je prépare peut-être l’avenir. Après médiateur interne, pourquoi pas un jour médiateur externe, et cela aussi me passionne.
Et puis lorsque je retire l’uniforme, j’ai un casque de cycliste. Je suis un passionné de vélo. J’aime me déplacer ainsi autant pour des petits trajets quotidiens que pour remonter le long des canaux. Je vous avoue que mon physique m’incline plus au plat ou aux faibles dénivelés qu’à la haute montagne.
Par ailleurs, j’aime la cuisine méditerranéenne, la cuisine asiatique et j’apprécie aussi de me mettre derrière les fourneaux pour concocter des plats de cuisine fusion développée à l’origine dans les années 80 en France pour renouveler les sensations en mélangeant les cultures, les herbes et les épices. J’ai cet intérêt également de pouvoir trouver de nouvelles alliances entre la nourriture et le vin, de permettre que l’un et l’autre se renforcent, ne viennent pas se heurter mais viennent créer une autre forme de médiation.
Et vous en faites profiter la famille et les amis ? Tout à fait, la cuisine et le vin, c’est d’abord le partage.. C’est sympathique. Je vous remercie Christophe pour la conversation agréable et instructive. Mais c’est moi qui vous remercie.
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