Le 15 décembre 2025 – Bonjour Jean-Valéry, nous sommes au CoSSeN situé au sein du Fort de Charenton, un ouvrage militaire défensif construit en 1842 sur la commune de Maisons-Alfort et faisant partie du dispositif de protection de Paris décidé par Aldolphe THIERS.
Quelles sont vos responsabilités au sein du Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire ?
Bonjour Miss Konfidentielle,
J’ai la chance d’être le directeur du CoSSeN depuis le 1er septembre 2024.
Le Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire est statutairement un service à compétence nationale. Il dépend de deux tutelles que sont le ministre de l’Intérieur et le ministre chargé de l’Énergie. Ses principaux interlocuteurs au sein de ces deux ministères sont les services des hauts fonctionnaires de sécurité et défense.
Le CoSSeN est un organisme qui bénéficie d’un triple financement : du ministère de l’Intérieur, du ministère chargé de l’Énergie, et du ministère des Armées, au prorata des missions qu’il réalise à leur profit.
Ce qui signifie deux tutelles hiérarchiques et trois contributeurs au budget pour ce service très particulier dont la vocation, depuis sa création il y a bientôt dix ans, est de participer à la sécurité nucléaire dans notre pays, c’est-à-dire la protection contre toutes les menaces, toutes les malveillances sur la filière nucléaire civile.
Pour aller plus loin, le CoSSeN s’inscrit actuellement dans un double contexte :
D’une part, celui de la relance du nucléaire annoncée par le Président de la République M. Emmanuel Macron en février 2022, à la faveur du discours de Belfort.
Cette relance passe notamment par la construction de nouveaux réacteurs de type EPR 2, complétés par des petits réacteurs modulables (SMR) et le financement de la recherche portant sur des réacteurs innovants … Cette dynamique s’accompagne d’une montée en gamme de la filière nucléaire civile en France.
L’un des premiers effets induit par ces projets est l’augmentation des recrutements dans le secteur du nucléaire. La profession annonce ainsi plus de 100 000 recrutements en dix ans, soit plus de 10 000 par an. La plupart d’entre eux accèderont aux sites nucléaires et feront donc l’objet, préalablement à cet accès, d’une enquête administrative de sécurité. Cette enquête, menée par le CoSSeN, est destinée à vérifier que le comportement de la personne n’est pas incompatible avec l’accès demandé. Le CoSSeN s’assure donc que ces personnes ne présentent pas de vulnérabilité.
Ainsi, le CoSSeN va accompagner la montée en gamme de la filière sur le volet de sa sécurité. D’autre part, l’évolution du CoSSeN s’inscrit dans un contexte de crise internationale.
On évoque aujourd’hui une situation de guerre hybride qui peut déstabiliser notre pays, ses institutions, ses valeurs ou ses facteurs de croissance. Or, la filière nucléaire civile est un vrai vecteur de souveraineté, de pouvoir et d’autonomie pour la France. Ce caractère stratégique en fait une cible de déstabilisation.
Dans ce double contexte, de relance du nucléaire et de montée des tensions internationales : la feuille de route du CoSSeN est d’accompagner cet élan tout en le prémunissant de ces menaces.
On parle de guerre hybride, de menaces. En octobre se tenait le #Cybermois. La cybersécurité fait-elle partie aujourd’hui des sujets du CoSSeN ?
C’est une excellente question.
Le CoSSeN à sa création a été imaginé dans un contexte géopolitique particulier où le risque majeur identifié était celui de l’intrusion physique.
Étaient particulièrement redoutés :
– les vols de métaux (cuivre..) et d’outils, constituant de la délinquance de droit commun ;
– les intrusions ou tentatives d’intrusion d’opposants au nucléaire. Ces dernières étaient notamment menées par des associations militant contre le nucléaire afin de faire des opérations de communication. La sécurité des sites n’était pas compromise mais l’action pouvait laisser penser qu’il était facile d’accéder à une centrale.. ;
– Enfin, le milieu des années 2010 correspond à l’accroissement des actions terroristes en France. Les sites nucléaires et les sites emblématiques de la France sont identifiés comme pouvant être des cibles.
Le CoSSeN a ainsi été constitué dans ce contexte. Il a fallu apprendre à s’adapter et hausser le niveau de protection de nos sites.
Pour revenir au Cybermois2025, si la menace était avant tout physique dans le début des années 2010, elle a aujourd’hui également un important volet distanciel qui peut notamment se concrétiser par une attaque cyber. Celle-ci permet de déstabiliser une PME, un centre hospitalier, une petite ville…
Alors qu’en est-il d’un site industriel voire nucléaire ?
La prise en compte de ces nouvelles menaces fait partie des réflexions qui sont les nôtres aujourd’hui au CoSSeN.
Néanmoins, le CoSSeN n’ayant pas été construit avec cette vision, le sujet est traité avec nos partenaires et interlocuteurs tels que :
– l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI),
– Cybermalveillance.gouv.fr,
– le Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM)
…
Le CoSSeN a également adhéré au #Cybermois pour montrer tout notre intérêt pour cette matière qui devient essentielle.
Les menaces distancielles peuvent également être constituées par les tentatives de captation d’informations sur les sites. Cela peut être des photos aériennes par des drones, par des satellites mais aussi tout ce qui est intelligence économique et espionnage.
Enfin, il y a une menace distancielle qui apparaît moins évidente, mais, en tant qu’ancien directeur de la communication (SIRPA-G) de la Gendarmerie nationale,je connais l’importance de la menace réputationnelle.
Ainsi, un adversaire qui voudrait affaiblir la filière nucléaire française et à travers elle, la France, pourrait très bien mettre un dispositif d’attaque de l’e-réputation de cette filière via les réseaux sociaux, les fake news..
Ce type d’attaque aurait pour conséquence de faire baisser l’acceptation sociale autour du nucléaire. Il est donc nécessaire d’exercer une grande vigilance sur ce sujet.
Ce ne sont pas des réflexions qui prévalaient à la création du CoSSeN il y a dix ans et je vous remercie à cet égard de donner de la visibilité à cette date anniversaire du service.
Cet évènement permet au service de faire un point d’étape, de constater sa pleine prise en compte de ses missions et de s’interroger sur ce qui pourrait être amélioré. C’est aussi l’opportunité de réfléchir avec nos partenaires à l’émergence de nouvelles menaces, et d’apporter l’analyse du CoSSeN.
D’autres partenaires cyber du CoSSeN peuvent-ils être cités, pour aller plus loin ?
Dans son décret de création, la vocation du CoSSeN est d’être, pour le ministère de l’Intérieur, le point d’entrée et le point de convergence des sujets nucléaires pour les différents partenaires.
Le CoSSeN intervient ainsi, pour les services de renseignement, comme « une partie de leurs yeux et de leurs oreilles » pour tout ce qui concerne les informations d’intérêt nucléaire afin de leur transmettre une vision « de filière » relative au nucléaire..
Le CoSSeN travaille également avec les unités de police et de gendarmerie qui interviennent sur le terrain, Ainsi, le schéma national d’intervention prévoit que les unités d’intervention comme le RAID (Police nationale), le GIGN (Gendarmerie nationale) et leurs antennes interviennent en cas de menace sur des sites nucléaires. Nous travaillons aussi avec des services d’enquêtes.
Le CoSSeN ayant une vocation interministérielle, il interagit également avec des partenaires extérieurs au ministère de l’Intérieur. Il est ainsi en lien avec le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) sous l’égide duquel il a d’ailleurs été créé.
Enfin, le CoSSeN est en contact avec tous les acteurs de l’écosystème nucléaire de notre pays que ce soit :
– la nouvelle (ASNR) créée le 1er janvier 2025 par la loi n°2024-450 du 21 mai 2024 (Légifrance) née de la fusion de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). – les organismes de contrôle comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
– les grands opérateurs de la filière.
L’écosystème du nucléaire est très vaste à vous écouter. On ne peut citer tous les partenaires. Ce que je comprends est votre responsabilité de coordination.
Absolument. J’utilise à cet égard souvent l’image des cinq Co- pour justifier du besoin de création du service :
– nécessité de Coordination des acteurs et de Convergence et de Cohérence des différentes politiques publiques autour du nucléaire et des différents ministères responsables dans ce domaine,
– nécessité de Cohésion de la filière ,
– nécessité de Co-construction de la sécurité associant avec les grands opérateurs privés, leurs officiers de sécurité, et les sociétés de sécurité privées exerçant sur leurs sites.
Répondre à ces constats permet de créer une dynamique d’échange entre les différents intervenants dans le domaine du nucléaire et d’approfondir et diffuser une culture de sécurité commune.
Pour ce faire, nous réunissons chaque année les patrons départementaux de la police et de la gendarmerie concernés par un site nucléaire afin notamment de partager les bonnes pratiques et permettre à tous de progresser et monter en compétences.
Le CoSSeN organise également une fois par an un séminaire des officiers de sécurité des opérateurs qui est une occasion de croisement des expériences et connaissances tant entre opérateurs qu’avec les différents services du CoSSeN, mais aussi de constitution d’un réseau.
L’organisation de ces évènements permet ainsi de coordonner une réponse à l’élévation des menaces et par effet rebond, d’élever le niveau global de protection.
Depuis dix ans, le niveau de protection physique des sites nucléaires a fortement évolué et s’est durci.
Il est néanmoins nécessaire de se projeter vers l’avenir. Il y a des axes d’amélioration mais également d’adaptation, notamment vis à vis de menaces n’existaient pas à la création du CoSSeN, comme le cyber.
Sur l’année 2025, des événements du CoSSeN sont-ils à partager ?
En 2025 le CoSSeN a participé au séminaire réunissant les préfets à la tête de département nucléaire, organisé par le ministère de l’Intérieur. Le CoSSeN s’est fortement impliqué pour que ce séminaire, qui n’avait pas été organisé depuis quelques années, se tienne en 2025. Il s’est engagé tant dans son organisation au côté du SHFD du ministère que dans les prises de parole. C’est un évènement marquant qui permet de renforcer la coordination entre départements concernés.
Le CoSSeN organise également un séminaire de rentrée chaque année.. Cet évènement interne est toujours l’occasion d’accroitre la culture nucléaire du service, notamment par le biais de la participation d’intervenants extérieurs. Il a eu lieu cette année en octobre 2025 avec des interventions d’Orano et EDF.
Par ailleurs, pour la première fois en 2025, des personnels du CoSSeN ont participé à des formations en tant que formateurs.
Deux de mes collaborateurs sont allés à l’Académie de police à Lognes donner une formation sur la sécurité nucléaire.
J’ai aussi par exemple fait une intervention à l’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI) . On peut donc dire qu’en 2025, le CoSSeN a commencé à intervenir comme formateur à haut niveau d’enseignement, ce qui reflète le niveau d’expertise aujourd’hui acquis par le service.
Enfin, le dernier point que je pourrais évoquer est l’envoi de collaborateurs du CoSSeN dans certaines préfectures afin de les aider à élaborer leur planification de sécurité et de défense. Ces déplacements constituent également une nouvelle plus- value apportée par le CoSSeN au service des préfectures.
Et comment envisagez-vous l’année 2026 ?
Une bonne question puisqu’en 2026, le CoSSeN fêtera son 10ème anniversaire ;
Le service a été créé par arrêté en 2016 et confirmé en 2017 par décret n° 2017-588 du 20 avril 2017 (Légifrance).
Dix ans, cela permet, comme évoqué précédemment, de regarder ce qui a été fait, et de constater qu’il y a notamment eu de vrais progrès en termes de sécurité physique sur les différents sites de la filière nucléaire.
Il est aujourd’hui nécessaire de réfléchir aux autres menaces pesant sur la sécurité nucléaire, celles dont le CoSSeN a déjà la responsabilité mais également celles dont il n’a pas nativement la responsabilité, notamment les menaces distancielles. Le CoSSeN a l’ambition de prendre sa part dans les différentes réflexions portant sur ces nouvelles menaces, la finalité étant de bien protéger notre filière.
Ces dix ans seront ainsi l’occasion pour nous de donner une dimension plus importante à nos séminaires habituels, notamment les séminaires des officiers de sécurité.
Nous envisageons par exemple de délocaliser certains de nos séminaires dans des lieux encore plus emblématiques et pourquoi pas à des dates ayant du sens avec nos partenaires. Cela dépendra des actualités du moment.
Un mot personnel avant de nous quitter et de vous souhaiter de bonnes fêtes de fin d’année ?
Je souhaiterai terminer avec une observation de citoyen, convaincu que la filière du nucléaire civil est une filière stratégique et un vrai vecteur de souveraineté énergétique et de décarbonation pour la France.
Il est question de puissance de la France et je pense que nos concitoyens peuvent et doivent être fiers. Beaucoup de gens devraient pouvoir s’engager à travers leurs études pour rejoindre la filière un jour, comme techniciens, comme ingénieurs, comme agents, parce qu’il y a vraiment de belles choses à faire. C’est plus un message de citoyen français qu’un message de directeur d’organisme.
Un remerciement Jean-Valéry pour cet entretien d’enjeu majeur pour la France que vous gérez avec plein enthousiasme et conviction.
J’ai deux souvenirs à partager avec nos lecteurs :
Ma 1èreinterview réalisée au CoSSeN avec le colonel Laurent VANDECAPELLE, Chef DOE du CoSSeN, Commandement Spécialisé pour la Sécurité Nucléaire (20 avril 2023), en mission actuellement en Nouvelle-Calédonie. Si possibilité, cher Laurent, faites de la plongée sous-marine !
Et notre premier entretien réalisé au CoSSeN avec Jean-Valéry LETTERMANN filmé le 17 octobre 2025 qui vise à poser les fondations de ce qu’est le CoSSeN à consulter en complément de l’interview publiée ce jour.
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