Interview de la colonel Géraldine BORREL, première commandant de la base aérienne 107 de Villacoublay « sous-lieutenant René Dorme »

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Le 14 mars 2023, j’assistais à la cérémonie du 20ème anniversaire du BEA-É, le Bureau Enquêtes Accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État, invitée par son directeur, le GBA Franck Mollard. L’événement se déroulait en présence du chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, le général d’armée aérienne Stéphane MILLE et de la colonel Géraldine BORREL. L’occasion d’un échange spontané et sympathique avec la colonel qui me conduit aujourd‘hui sur le tarmac de la BA 107 et dans ses bureaux.

Bonjour Colonel,
Quelles sont vos missions de commandant de la base aérienne 107 « sous-lieutenant Dorme » ?

Bonjour,
Ma mission principale est de commander la base aérienne où travaillent presque 3000 militaires, civils de la Défense ou agents d’autres ministères et de tous les accueillir dans les meilleures conditions du point de vue de l’hygiène et de la sécurité au travail ou encore du point de vue de la protection.

Globalement, ma responsabilité s’arrête là pour la moitié des effectifs qui ne me sont pas directement subordonnés mais qui travaillent au service d’autres autorités telles que le commandant des Forces Aériennes Stratégiques (FAS), le commandant de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (ALAT), le directeur du Bureau Enquêtes Accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’Etat (BEA-E), le directeur de la Direction de la Sécurité Aéronautique d’Etat (DSAE) ou encore le commandant du Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA).

En revanche, je commande directement l’autre moitié des effectifs répartis dans différentes unités de l’armée de l’Air et de l’Espace. Ma responsabilité est plus étendue vis-à-vis de ces unités qui s’entraînent voire opèrent depuis la base aérienne. Je dois à l’armée de l’Air et de l’Espace de maintenir à niveau et de faire progresser son outil de combat.

J’ai une troisième casquette car je suis aussi délégué militaire départemental des Yvelines (78). Dans cette fonction, je suis subordonnée au gouverneur militaire de Paris (GMP), le général Christophe ABAD et en relation avec le préfet Jean-Jacques BROT,  sa directrice de cabinet Audrey BACONNAIS-ROSEZ  et les équipes de la Préfecture des Yvelines que je conseille pour les affaires militaires. La préparation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 constitue une grosse part de ces interactions.

Peut-on dire que la BA 107 est différente des autres bases aériennes en France ?

On rattache souvent une mission à une base aérienne. La base aérienne de Villacoublay est très atypique parce qu’elle porte plusieurs missions très différentes.

Celle que l’on connaît le mieux est sans doute la mission de transport des hautes autorités de l’Etat.
Une seconde mission est le transport des hautes autorités militaires avec des avions légers de type TBM 700.

Nous assurons également la mission d’évacuation sanitaire, notamment des blessés en opérations, ce qui amène notre escadrille aérosanitaire à se déployer partout dans le monde, H24.

Nous réalisons aussi des missions de police du ciel dans le cadre de la posture permanente de sûreté aérienne qui est une mission régalienne confiée à l’armée de l’Air et de l’Espace. Les hélicoptères FENNEC et leurs tireurs d’élite interviennent depuis la base aérienne pour protéger H24 l’espace aérien d’Ile-de-France.

D’autres missions sont plus méconnues et constituent des niches que je ne connaissais pas avant de prendre mes fonctions sur la base aérienne. C’est le cas du Groupe Central d’Intervention Nedex dont l’expertise tourne autour des engins explosifs et qui opère aussi bien pour les Armées que dans un cadre interministériel.

Dans ce contexte atypique, comment la BA 107 fonctionne-t-elle ?

Pour que cela marche, nous rassemblons sur la base aérienne des spécialistes du contrôle aérien, des spécialistes de la transmission des informations, des mécaniciens pour la maintenance des avions et des hélicoptères, des pompiers, des commandos pour protéger l’ensemble du site, un service médical….

Au bilan, la base aérienne rassemble plus de 80 métiers avec des domaines d’expertise, des niches parfois qui doivent être préservées. Je m’efforce donc de faire découvrir ces métiers aux jeunes qui visitent la base aérienne. Cela est un de mes leitmotivs dans mon commandement.

Je propose un « Focus sur les grands évènements de la BA 107 »

La base aérienne est très fréquemment sollicitée.

Je pense d’abord au Salon du Bourget (SIAE) qui se déroulera du 19 juin au 25 juin 2023.

Le 14 juillet mobilisera une nouvelle fois la base aérienne. Idéalement placée, au plus près de Paris, elle rassemble pour le défilé des avions de transport, des hélicoptères ou encore la Patrouille de France.

Après l’été, nous basculerons dans une nouvelle phase de la préparation des JOP avec comme jalon intermédiaire la sécurisation de la Coupe du Monde de Rugby qui constituera un galop d’essai pour le dispositif de sécurité. Pour l’armée de l’Air et de l’Espace, il s’agira de déployer un dispositif de sûreté aérienne pour assurer la sécurité de la région parisienne dans la 3è dimension, comme pour chaque grand évènement, à l’instar du défilé militaire du 14 juillet. Puis, progressivement, nous aurons de grands rendez-vous au niveau interarmées et interministériel pour la préparation de cet évènement.

La base aérienne 107 c’est aussi une plateforme aéronautique au plus près de l’appareil de l’État.

C’est donc un formidable outil où s’agrègent des capacités militaires et des capacités interministérielles (ministère de l’Intérieur, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères…) indispensables pour certaines missions telles les retours d’otages.

Dans d’autres domaines, nous sommes facilitateurs comme par exemple lorsque nous ouvrons la plateforme aéroportuaire pour faciliter le transport d’organes d’un hôpital à un autre.

Il m’arrive de qualifier la base aérienne de caméléon, c’est-à-dire capable à la fois de missions très fines dans un champ opérationnel très précis et de missions radicalement différentes, tournées vers l’extérieur et l’interministériel. C’est ce qui fait la force de la base aérienne 107.

Je me permets de revenir sur les évènements de la Coupe du Monde de Rugby 2023 et des JOP 2024. Avez-vous des informations complémentaires à nous transmettre ?

En ce qui concerne la Coupe du Monde de Rugby 2023, je peux ajouter que l’armée de l’Air et de l’Espace s’appuiera sur la base aérienne pour la direction des opérations aériennes des moyens de lutte anti-drones. A ce stade, je ne peux pas vous en dire plus.

Pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024, la base aérienne 107 aura un rôle central dans la protection aérienne de l’évènement et la lutte anti-drones. Nous accueillerons une vingtaine d’aéronefs de police du ciel, un état-major de lutte anti-drones ainsi que la logistique spécifique. C’est un événement dans lequel je me projette en coordination avec le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, le gouverneur militaire de Paris et la préfecture.

Pour la base aérienne, il s’agira d’une véritable opération. Mon objectif est que chacun trouve sa place et que l’activité soit coordonnée pour que les missions soient réalisées en toute sécurité et sérénité. La sérénité est mon mot d’ordre. Pour cela, il faut penser au pire, s’organiser du mieux, prévoir comment gérer une crise. Dans ce cadre, j’ai recruté un réserviste opérationnel spécialiste de la gestion de crise pour challenger la base aérienne et améliorer son fonctionnement.

La logistique sera aussi un défi au quotidien comme le logement des renforts tandis que les hébergements seront comptés en Ile-de-France.

J’ai souhaité dès ma prise de fonction lier la jeunesse et les JOP et rouvrir la base aérienne à la jeunesse (après le COVID). Nous accueillons donc de jeunes stagiaires de 3ème pour leur faire découvrir les métiers de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) et nous organiserons le 7 juin 2023, de « petites olympiades ».
Les collégiens participeront à un petit challenge sportif, accompagnés d’aviateurs de la base et également de deux aviateurs sportifs de haut niveau se préparant aux Jeux paralympiques. Deux beaux profils d’aviateurs qui ont consacré du temps à la base aérienne et qui souhaitent partager leurs valeurs avec les jeunes.

L’entretien nous mène aux étapes marquantes de votre parcours. Pourquoi le choix de l’armée de l’Air ?

Jeune, je n’avais aucun lien avec le monde militaire que j’ai découvert à la lecture d’un article sur la première femme intégrant l’école navale. J’y fus d’autant plus sensible que je suis originaire de Bretagne. Tout ce qui m’attirait y était : aventure, sciences, langues…Sans connaître l’environnement militaire, je me suis dit « Et pourquoi pas moi ». Ma mère connaissant les classes préparatoires militaires m’a donné l’idée de m’inscrire, c’était un bon test pour savoir si l’armée me plairait.

J’ai donc intégré le Prytanée national militaire pour préparer les concours des grandes écoles militaires. Cela n’a pas été simple et je pense que pour beaucoup d’autres femmes c’était un peu compliqué aussi. Pour autant, j’y suis restée parce que j’y ai trouvé les valeurs que je recherchais.

Et puis je me suis embarquée dans l’aventure de l’armée de l’Air que j’ai découverte à cette époque.

Arrivée à l’école de l’Air, tout s’est déroulé naturellement.

Je ne pouvais pas être pilote, ce qui ne m’a pas contrariée plus que cela car j’avais la possibilité d’être soit mécanicien soit contrôleur aérien. Comme j’avais envie d’être au plus près des avions, je me suis retrouvée sur les tarmacs de l’escadron 3/33 Loraine à Reims ! J’ai vécu l’aventure que je recherchais dans l’aviation de chasse, je m’y suis tout de suite sentie bien. J’ai eu la chance d’aller à Djibouti, au Maroc. Et puis j’ai fait un détachement en Arabie Saoudite sur la base aérienne d’Al Kharj. Une expérience un peu particulière et très intéressante finalement.

A suivi un intermède de 6 ans à l’état-major de l’armée de l’Air avant de retourner sur une base aérienne, à Istres dans une période d’activité opérationnelle dense, lors des opérations Harmattan[1] puis Serval[2]. Je conserve un souvenir particulier de cette période où nous réalisions les opérations depuis la France ce qui exigeait un fort engagement et la recherche d’un équilibre avec la famille, à l’inverse des missions réalisées depuis un théâtre d’opération où ce facteur intervient moins.

Par la suite, j’ai tenu plusieurs postes en état-major central. A l’état-major des armées, à l’état-major de l’armée de l’Air et plus récemment à la direction de la maintenance aéronautique.

Enfin, on m’a confié le 20 juillet 2022 le commandement de la base aérienne 107 de Villacoublay « sous-lieutenant René Dorme » à l’issue d’une formation d’un an au Centre des hautes études militaires.

Quels sont vos autres centres d’intérêt ? Vos loisirs ?

Je suis quelqu’un de très simple et je consacre mon temps à mes enfants lorsque je ne le consacre pas à mon métier sachant qu’ils ont des personnalités complètement différentes.

Après, ce qui lie la famille, c’est le sport, en particulier les activités nautiques. Nous aimons nous rejoindre en Bretagne où nous avons un port d’attache et nous faisons du surf ensemble. Moi plus difficilement que les plus jeunes (rire). Je suis très contente de voir que ma fille aînée de 20 ans est toujours très heureuse de venir avec nous.

Et puis j’ai une passion toute simple qui est le jardinage. Je pense que je tiens cela de mon grand-père et je ressens de plus en plus d’appétence pour le retour à la terre. Pour l’anecdote je suis souvent frustrée parce que je jardine pendant mes permissions et que je n’arrive pas à voir les fleurs que j’ai plantées (rire). Mais je sais que demain j’aurai plus de temps.

J’aime aussi les sorties en famille et avec les amis. Ma seconde fille me porte vers le cinéma. Elle est passionnée et suit toutes les dernières sorties en salle. Je suis assez ouverte sur ses choix de films. Tout comme la lecture, je butine (rire).

Avant de nous quitter, avez-vous un message à adresser aux jeunes filles qui souhaitent suivre vos pas ?

Je dirais à la jeunesse que tout est possible.

Pour les jeunes filles en particulier, j’ai envie de leur dire :

Laissez-vous aller ! L’institution militaire est vraiment fabuleuse. Elle m’a permis de mener à bien une carrière épanouissante (et c’est ce qui a fait ma richesse au fil des années) mais aussi de fonder une famille sans en ressentir les difficultés car l’équité hommes / femmes est intangible. C’est une chance, dans les armées, les salaires sont identiques quel que soit le genre. Il faut y aller, il faut tenter.

Un grand remerciement colonel pour ce moment de partage spontané. Un entretien très agréable avec de belles valeurs humaines. Un remerciement aux jeunes filles qui travaillent à vos côtés et qui m’ont accueillie avec sourire et sérieux.

Je vous donne rendez-vous si je comprends bien le 07 juin prochain sur la BA 107 de Villacoublay afin d’encourager les collégiens lors des épreuves des « petites olympiades » !

Note personnelle : Une pensée particulière pour le RAID et le GIGN voisins et en soutien sur la BA 107 lorsque nécessaire. Au chef du RAID, Jean-Baptiste DULION, au chef adjoint du RAID, Thierry SABOT et au chef du GIGN, Ghislain RETY. Deux unités d’élite exceptionnelles.

[1] Contribution française à l’intervention militaire de 2011 en Libye dans le cadre de la guerre civile libyenne. Elle a commencé le 19 mars 2011 et s’est terminée le 31 octobre 2011.

[2] Le 11 janvier 2013, les autorités maliennes demandent à la France son appui pour arrêter l’avancée de groupes terroristes en direction de Bamako et les repousser vers le Nord. La France lance en quelques heures une opération militaire en appui des forces armées maliennes.)

Photos en Une et en fin d’article : Le lundi 17 avril 2023, la colonel Géraldine Borrel commandant la base aérienne 107 de Villacoublay se fait interviewer au PC base par le média Miss Konfidentielle.

Photo au centre de l’article : Le mercredi 19 avril 2023 sur la base aérienne 107 « sous-lieutenant Dorme » de Villacoublay a lieu la cérémonie mensuelle des couleurs du mois d’avril, présidée par la colonel Géraldine Borrel, commandant la base aérienne 107. L’occasion pour la base de procéder à la remise des brevets des mécaniciens navigants suivants : SGT Marie PERROT, SGT Abigaïl CANAL, SGT Romain PENNINCK, SGT Heidi LENEVEU, SGT Dorine LEPINAY. Une classe du collège Bel Air de Meudon faisait également partie du dispositif. Les décorés sont pris en photo avec la commandant de la base face au mystère 20. Ils sont ensuite pris en photo devant un Falcon 7X de l’Escadron de Transport 60.


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