Interview de Jean-Baptiste DULION, patron du RAID, unité d’élite de la Police nationale
#RAID
Le 19 septembre 2019 – Peu présent dans les médias, Jean-Baptiste Dulion a accepté de répondre à l’interview de Miss Konfidentielle. Un grand merci à lui. Après avoir passé huit ans à la DGSI, il a été nommé Chef du RAID le 21 mars 2017. Avec une obligation pour lui et ses équipes, celle de « Servir sans faillir ».
Bonjour Jean-Baptiste,
Quel parcours vous a mené au RAID ?
J’ai un parcours classique d’étudiant en droit, j’ai eu ma maîtrise en droit pénal en même temps que mon concours de commissaire de police en 1993.
Je voulais rentrer dans la police depuis mon plus jeune âge et mon père m’a poussé à tenter directement celui de commissaire même si initialement j’aurais préféré celui d’inspecteur car dès le début je voulais faire comme on le dit chez nous « du terrain » Finalement je n’ai aucun regret car même dans les missions quotidiennes d’un commissaire on peut, dans de multiples postes, occuper des fonctions opérationnelles sur la voie publique, ceci quel que soit le grade.
Notre échange est l’occasion de rappeler que les commissaires ne sont pas de simples managers ou encore des administrateurs qui n’auraient aucune prise sur la réalité et se tiendraient loin de la voie publique. Un commissaire par essence est impliqué dans la vie quotidienne de son service, il est amené à diriger des hommes et des équipes sur les dispositifs d’interpellation, de surveillance, de maintien de l’ordre, certes il doit aussi maîtriser les spécificités d’une politique RH, d’une ligne budgétaire mais c’est ce défi qui illustre parfaitement la richesse de notre métier.
C’est ce que je m’applique à faire depuis le début de ma carrière, chaque commissaire doit intégrer cette réalité, il ne doit pas s’enfermer dans son bureau et être tenté de gérer à distance les problématiques de sa circonscription ou des affaires judiciaires en cours, il doit être aux côtés de ses effectifs, animer les équipes, prendre des risques, assumer ses responsabilités sur la voie publique, et contrairement ce que j’entends de çà et là, nos collaborateurs sont souvent en attente de nous avoir avec eux et se sentent alors assurés et rassérénés dans le cadre de leurs missions.
Il est alors évident que chacun doit tenir sa place, au RAID, ce n’est pas à moi d’ « enfoncer» une porte ou d’être le premier derrière un bouclier dans une colonne d’assaut , en revanche, je suis là pour assumer la décision d’intervention après une phase de négociation ou de gestion de crise complexe, pour contrôler la progression des colonnes et la bonne exécution de la mission, pour intervenir dans l’urgence si les opérateurs sont confrontés à une contrainte qui nécessite une décision stratégique .
Chacun sa place, chacun son rôle, mais tous ensemble « les mains dans le cambouis » pour avoir les meilleurs résultats possibles. Cette philosophie, je l’ai acquise tout au long de mes précédents postes qui m’ont conduit au sein de multiples services et, formidable richesse, une carrière dans la police nous offre la possibilité de remplir plusieurs missions toutes différentes. Avec pour ma part un seul credo : « que ça bouge ».
Du maintien de l’ordre à la préfecture de police en passant par la protection rapprochée au service de protection des hautes personnalités (SPHP), un premier passage de 5 années au RAID en tant qu’adjoint puis un poste à l’étranger dans le cadre d’une mission anti-terroriste et pour finir une sous-direction opérationnelle de la DGSI pendant les années des attentats de 2015/2016 avant de retrouver le RAID en tant que numéro 1 en 2017, j’ai pu vivre de nombreuses expériences professionnelles toutes plus enrichissantes les unes que les autres.
Au final, un parcours varié mais avec une même ligne conductrice, la lutte contre le terrorisme.
Depuis le 21 mars 2017, vous êtes le chef du RAID. Que cela signifie-t-il?
C’est un grand privilège et je remercie toutes les personnes qui m’ont permises de prendre les rênes de cette superbe unité. Je pense bien sûr aux grands « patrons » dont j’ai été l’adjoint, Tisserand, Lambert, Fiamenghi, De Hauteclocque etc …auprès desquels j’ai tant appris, mais aussi à mes patrons actuels, le DGPN, Eric Morvan et son cabinet qui me font une totale confiance dans l’exercice de mes fonctions, ce qui est inestimable à la tête du RAID. La liste est longue, j’ai eu la chance de rencontrer durant mon parcours des personnalités extraordinaires, notamment sur le plan humain et qui ne correspondent en rien à l’image sombre et défaitiste de l’institution policière qui circule trop souvent.
C’est un privilège mais aussi vous vous en doutez bien une grande responsabilité tant à l’égard de la population que des autorités et de mes effectifs, c’est une unité à laquelle je suis très attaché où j’ai déjà passé 5 années extraordinaires en tant qu’adjoint entre 2003 et 2008. Je connais la valeur de mes hommes, leur dévouement, leur sens du sacrifice et je suis très fier de les diriger.
Le RAID, ce sont 35 années de défis, d’affaires, certaines très emblématiques, qui ont été gérées avec succès comme la prise d’otage à l’école maternelle de Charcot à Neuilly, l’arrestation du responsable des attentats du GIA à Paris en 1995, celle d’Yvan Colonna en 2003 ou encore plus récemment la prise d’otage de l’Hyper Casher ou la neutralisation du donneur d’ordres de l’attentat du Bataclan, la liste est très longue et je ne peux vous énumérer toutes nos affaires.
Mais, il faut retenir que l’activité des opérateurs du RAID est quotidienne sur l’ensemble du territoire, que chaque jour ils se mettent en danger dans des situations périlleuses et peuvent parfois le payer au prix fort. J’ai une pensée pour nos 3 collègues morts dans l’accomplissement de leur mission, Christian Caron, Fernand Seither et René Canto mais aussi à nos nombreux blessés qui parfois restent marqués à vie. C’est le prix de leur passion pour cette mission, de « servir sans faillir ». Encore une fois, je profite de cette « tribune » pour saluer leur engagement sans faille au profit de nos concitoyens.
Quelles sont les missions marquantes à ce jour depuis votre nomination ?
Depuis ma nomination, la menace terroriste qui était à un pic de 2015 à 2016 a muté. Même s’il faut être capable d’anticiper tout attentat majeur qui pourrait se produire dans les jours à venir, le niveau d’intensité des actions terroristes a pour l’instant baissé. Nous pouvons donc revenir aux basiques qui ont amené la création de l’unité en 1985 : l’assistance à l’ensemble des directions actives de la Police nationale et administrations partenaires (Douanes, Ministère de la justice, des affaires étrangères …) sur des missions dangereuses.
C’est l’ADN de la création de l’unité : forcenés, preneurs d’otage, assistance aux services judiciaires pour l’interpellation de braqueurs dangereusement armés, de trafiquants de drogue, protection rapprochée de repentis, d’ambassadeurs dans des pays à risque, missions de formations etc occupent nos journées et nos nuits, 7 jours sur 7 ; 24h sur 24 ; 365 jours par an, partout en métropole, en outre-mer et à l’étranger.
Mais si la menace terroriste a évolué, elle changera encore dans les mois qui viennent, il faut se préparer à faire face à tous types d’attentat et la valeur de mes collaborateurs, leurs technicités, nous aideront à relever les nouveaux défis proposés par l’imagination et l’ingéniosité mortifères des terroristes.
La lutte contre le terrorisme reste donc notre priorité absolue et notre cœur d’activité, nous nous attaquons actuellement avec les services de la police judiciaire et les services de renseignement aux réseaux logistiques qui supportent les actions terroristes, nous démantelons aussi avec la DGSI, plusieurs réseaux qui tentent de commettre des attentats sur notre territoire et nous nous préparons chaque jour à faire face à de nouvelles attaques.
Notre intervention à la centrale de Condé sur Sarthe le 05 mars 2019 dernier où nous avons neutralisé un couple de terroriste qui a tenté d’assassiner deux surveillants souligne une nouvelle fois qu’il faut en permanence se tenir prêt.
Trouvez-vous le temps de vous détendre ?
Bien sûr, c’est la clé, j’ai la chance d’avoir une vie de famille équilibrée, des loisirs, de pouvoir exercer une activité sportive régulière, autant d’éléments qui participent à un épanouissement professionnel.
Il faut pouvoir couper, même si au RAID, on ne coupe jamais totalement et on est jamais très loin…
Avez-vous un message à faire passer en ces temps difficiles pour les forces de l’ordre ?
Je sors un peu de mon rôle mais effectivement un message de soutien à tous nos collègues engagés sur les manifestations qui se multiplient et qui sont de plus en plus violentes, à ceux engagés dans des missions difficiles dans des quartiers où ils sont considérés comme des ennemis contre lesquels tous les moyens sont bons.
Je suis quelquefois abasourdi par le traitement médiatique de certains événements, souvent par des experts autoproclamés qui se répandent sur les plateaux télé alors qu’ils n’ont pas la moindre idée de l’extrême difficulté des décisions prises dans la seconde sur le terrain, de la complexité à gérer des foules, parfois infiltrées par des groupes radicaux violents qui n’ont de cesse de dévoyer l’exercice pacifique du droit à manifester.
Force doit rester à la loi, nos collègues doivent rester solides, solidaires, ne pas afficher de faiblesse et ne pas se limiter à la défense d’intérêt catégoriel même si elles sont pour beaucoup parfaitement légitimes.
La population, nos autorités comptent sur nous pour maintenir un ordre nécessaire à l’exercice même de nos valeurs démocratiques.
Lorsqu’on a été affecté quelques années à l’étranger, on mesure la chance d’habiter en France.
Comme nous le disons souvent au RAID, pas d’alternative car nous sommes le dernier rempart.
Un grand remerciement pour ce bel entretien. Comme vous le dites « Force doit rester à la loi ».