Interview de Véronique BECHU, chef du groupe central des mineurs victimes – OCRVP DCPJ

10 septembre 2021 – Miss Konfidentielle a partagé avec vous le portrait de Eric BEROT, Chef de l’OCRVP, l’Office Central pour la Répression des Violences aux Personnes, le 26 octobre 2020. Miss Konfidentielle a pris attache par la suite avec Véronique BECHU, Chef du groupe central des mineurs victimes afin de découvrir plus avant les actions menées par l’OCRVP, lequel est rattaché à la DCPJ (Direction centrale de la police judiciaire). Des sujets terribles abordés cet été qu’il vous faut lire et partager qui seront suivis d’échanges plus personnels.

Bonjour Véronique,

Quelle est l’origine puis l’évolution du groupe central des mineurs victimes ?

« L’unité a été créée en même temps que l’Office, il y a 17 ans. C’était en 1997, il y avait 5 personnes »

A la base, elle ne luttait que contre l’exploitation des mineurs en ligne.
Son activité principale était donc la recherche de détenteurs et de diffuseurs d’images.
Cette lutte contre la pédopornographie n’amenait malheureusement que des condamnations avec des peines assez minimes : quelques mois de prison très souvent assortis de sursis.

L’Office étant un point d’entrée à l’international, le service recevait des informations, notamment d’opérations menées dans de nombreux pays tels que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne.
Les collègues traitaient des dizaines parfois des centaines de cibles françaises issues de ces opérations « coups de poing ». Raphaël Pairon était déjà là à l’époque et Eric Nicolau a été le premier chef du groupe.

Raphaël Pairon  « Nos missions à cette époque n’avaient pas la dimension qu’elles ont aujourd’hui. Nous traitions essentiellement des signalements provenant des polices étrangères. L’augmentation de nos effectifs ainsi que les relations établies avec les différents pays et les différentes organisations policières internationales ont donné une autre dimension à notre travail, notamment en nous permettant d’initier nos propres enquêtes et de cibler des pédocriminels encore plus dangereux ».

« Puis Chantal Zarlowski a pris la place de chef du groupe »

Chantal Zarlowski a donné une dimension plus internationale au groupe en participant activement au sein des instances internationales telles que Circamp devenu depuis EMPACT mais également EUROPOL, INTERPOL. La France est devenue l’un des pays européens expert dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs.

Elle a aussi développé le côté technique et expert de ses effectifs dans des domaines tels que l’identification de victimes, l’enquête sous pseudonymes mais encore en effectuant des actions de formation à l’étranger auprès de nos homologues. Elle a également profilé le groupe à la traque de pédocriminels produisant des images et/ou des vidéos pédopornographiques. L’unité est dès lors devenue spécialiste dans les enquêtes contre des abuseurs d’enfants.

Je dirais que Chantal a donné ses lettres noblesse au groupe.

Lorsque je suis arrivée à l’OCRVP il y a bientôt 6 ans, je suis devenue son adjointe. On a travaillé deux années ensemble et ce jusqu’à ce qu’elle me passe le relais.

J’étais issue de la brigade de protection des mineurs de Paris ce qui me permettait de connaître déjà les violences sexuelles faites aux enfants.

La différence entre ce service et le groupe central des mineurs victimes est le vecteur « online ». Nous partons d’images ou de vidéos diffusées sur la toile pour débuter nos enquêtes et non pas du témoignage d’une victime.

Nous sommes actuellement 14.

Bien que traitant des violences sexuelles sur les enfants depuis 13 ans, je suis vraiment arrivée dans un nouvel univers avec l’outil internet à appréhender, comprendre, maîtriser et des stratégies à gérer.

« Il m’a fallu 2 ans pour être opérationnelle en travaillant aux côtés de Chantal Zarlowski. Depuis que Chantal a pris d’autres fonctions, je suis chef de l’unité »

Nous serons 17 à la fin de l’année et nous espérons davantage en 2022 parce que la thématique explose.

Aujourd’hui, 11 policiers et 3 gendarmes sont formés à l’enquête sous pseudonyme, aux auditions de mineurs victimes, aux techniques de l’identification de victime, certains à l’investigation en cybercriminalité ce qui leur permet d’identifier et de localiser tant les victimes que leurs agresseurs. Nous sommes donc amenés à nous déplacer en France et à l’étranger dans le cadre de nos investigations. Lorsque le dossier est prêt à être audiencé, nous témoignons aux Assises pour exposer notre travail. Autrement dit, nous traitons le dossier de A à Z.

On reçoit tellement de demandes de l’international que l’on garde les plus gros profils et on envoie les autres dossiers aux parquets locaux qui décident de les transmettre aux services de police ou de gendarmerie concernés.

« Du fait de notre ouverture à l’international, nous travaillons sur plusieurs thématiques dont deux principales  » :

La première
La lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs en ligne âgés de 0 à 12 ans.
Je parle de consultation habituelle d’images, de diffusions, captations … « grooming » (1), « sextorsion » (2), « revenge porn » (3).
On transmet les dossiers des plus de 12 ans pour avis et éventuel traitement aux Parquets locaux.

La seconde
La lutte contre la pédocriminalité itinérante.
La loi française nous autorise beaucoup mais nous manquons cruellement de remontées d’information même si on en reçoit principalement des ONG locales luttant pour la protection des enfants dans leur pays.
Il y a des pays où malheureusement nous n’arrivons pas à avoir de remontées d’information. Je pense notamment au Cambodge, au Laos, au Sénégal et bien d’autres pays d’Afrique.
Une bonne nouvelle, la thématique sera traitée lors de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) qui débutera le 1er janvier 2022. Nous organisons en février 2022 un séminaire international à Paris.

En outre, nous avons commencé à monter des partenariats police/justice complémentaires aux actions de formation menées à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM). Nous souhaitons poursuivre ces partenariats d’autant que des auditeurs de l’ENM semblent très intéressés. Nous en avons très régulièrement en stage au sein de l’Office et leur passage au sein du groupe mineurs est, selon leurs dires, très marquant.

On a développé la lutte contre le « live streaming ».
Il s’agit d’un domaine qui jusqu’alors nous était très peu familier car il s’agit de crime organisé financier sur fond de traite des êtres humains. C’est un phénomène qui a pris naissance aux Philippines il y a une quinzaine d’années et qui gangrène maintenant de nombreux pays jusqu’en Europe.

Pour conclure, je dirais que l’on se remet en question constamment au sein de l’unité pour suivre l’évolution des phénomènes et que l’on se doit d’être proactifs en permanence.

(1) « grooming » : Le grooming ou le fait  pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à toute personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique est réprimé à l’article 227-22-1 du CP.
(2) « sextorsion » : La sextorsion est le fait pour un majeur d’user contre un mineur de quinze ans, par un moyen de communication électronique, de pressions, de violences, de menaces de violence, ou de contraintes de toute nature, afin qu’il réalise un acte de nature sexuelle, que cet acte soit ou non suivi d’effet.
(3) « revenge porn » : Le revenge porn est le fait de diffuser sans l’accord de la personne des enregistrements ou documents présentant un caractère sexuel qui ont initialement été prises ou obtenues avec son consentement. 

Quel a été votre parcours avant de rejoindre l’OCRVP ?

J’ai suivi une formation juridique en faisant le tour de France des facs parce que je ne voulais pas choisir entre droit privé et droit public dans le but de devenir magistrat. Et puis cela ne s’est pas fait.

J’ai obtenu le diplôme de droit comparé à l’Université de Bourgogne ; le DEA Sciences pénales et criminologiques à la Faculté de droit d’Aix-Marseille.
Puis un Master’s degree, criminal law and procedure à l’Université du Minnesota.

Puis j’ai passé le concours d’officier de police, cela me paraissait bien (sourire).
Au bout de 2 mois, j’ai failli quitter l’école (à l’époque l’ENSOP – Ecole nationale supérieure des officiers de police) n’étant pas certaine de mon choix car le droit était ce qui m’intéressait le plus et ce n’était pas ce qui était enseigné principalement.
Je me suis tout de même décidée à poursuivre ce cursus et la Police judiciaire (PJ) est alors devenue une évidence.

Compte-tenu de mon classement de sortie, j’ai pu accrocher un poste à la PJ de Paris, à la Brigade de Protection des Mineurs.
Je voulais travailler sur les atteintes aux personnes car pour moi l’essence même du policier est de porter secours aux autres. Le mineur est l’autre le plus vulnérable, il était donc logique de rejoindre ce service prestigieux.

J’y suis restée 13 ans en traitant au fil des années soit des dossiers d’inceste, institutionnels ou encore des violeurs d’enfants en série pour arriver où je suis aujourd’hui.

Votre métier est très prenant, comment vous détendez-vous ?

J’aime le sport en général, j’ai ainsi quelques années de tennis, de rugby à 5 donc sans plaquage … Aujourd’hui je fais de la course à pied, 3 ou 4 fois par semaine. J’ai dans l’idée de tenter un marathon cette année…

Je lis des polars, je suis fan de Karine Giebel ou de Jérôme Loubry. D’ailleurs je suis actuellement membre d’un jury de lecteurs section polar (celui du livre de poche). C’était une vraie belle expérience de lecture et d’échanges entre adeptes de ce genre littéraire.

L’art déco : l’architecture, les tenues vestimentaires des années 20 et 30 est une période de j’aime beaucoup. La simplicité des lignes, l’élégance pure. Je suis fan des épisodes d’Hercule POIROT produits par la BBC qui se déroulent à cette époque (sourire).

J’aime voyager. Pour l’instant j’ai principalement visité certains pays d’Europe, les États-Unis, le Canada. En août dernier je suis allée au Liban dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth. C’était une expérience humainement très intense. C’est un peuple très attachant et d’une résilience sans commune mesure.

Je projette de mieux connaître l’Asie. Je pense à la Birmanie, le Vietnam, la Thaïlande, l’Indonésie …
Mes plus grands rêves sont de découvrir les îles Fidji et de vivre en Italie ! (sourire)

Passer du temps avec mes amis est quelque chose de très important également et j’attache du prix à la famille. 

Et puis au sein de l’unité, on s’entend bien. On se voit quelques fois à l’extérieur. C’est aussi agréable de se côtoyer dans un autre cadre.

Pour travailler dans cette unité, il faut avoir une vie assez équilibrée.
Il y a une grosse charge de travail donc c’est important que la vie personnelle se passe bien.
Et quand il y a des écueils, on s’entraide.

La thématique de l’exploitation sexuelle des mineurs en ligne est en pleine phase ascendante. Les enfants ont accès aux écrans de plus en plus jeunes et dans la plupart des cas sans protection parentale ou autre, ce qui est particulièrement dangereux. Tout vecteur de télécommunications est une zone de danger pour un enfant ou un adolescent : messageries instantanées, sites internet, réseaux sociaux, jeux vidéos …

La prévention de ces dangers est primordiale et de nombreux liens existent tant pour les enfants que pour les parents : www.jeprotegemonenfant.gouv.fr et si l’on se retrouve en ligne confronté à des contenus liés à de l’exploitation sexuelle de mineur, il faut le signaler sur www.internet-signalement.gouv.fr

Véronique BECHU chef du groupe central des mineurs victimes – OCRVP DCPJ avec Raphaël PAIRON – Chantal ZARLOWSKI – Katie STEEL © Valérie Desforges


Un remerciement appuyé à Véronique BECHU pour le temps passé à l’OCRVP. Merci aussi à Raphaël PAIRON, Chantal ZARLOWSKI et Katie STEEL pour leur accueil alors que l’activité était forte. Et surtout MERCI et RESPECT pour votre plein engagement sur ces sujets qui mériteront une pleine attention lors de la PFUE2022.


Note importante

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges avant de reproduire sur un autre support
1/ tout ou partie du contenu de l’interview,
2/ un ou des photos publiées dans l’interview.

4 commentaires
  1. Daniel K. dit

    Protéger les plus faibles que sont les enfants, c’est une mission noble et indispensable. Votre équipe en est le symbole au MININT. Nous vous découvrons ici Véronique BECHU, chef de ce service à la DCPJ, mais également votre parcours d’avant. Bravo à vous et vos collaborateurs…
    Cette nouvelle interview de MissKonfidentielle, toujours passionnante, nous apporte un regard sur les jeunes victimes de la pédopornographie . Cette dernière connait une extension importante grâce à l’avènement du Dark Web, qui a obligé les services à adapter les procédures d’investigations pour recueillir les preuves numériques.

    1. Véronique Bechu dit

      C’est tout à fait exacte.
      Cette thématique demande d’être en permanence connecté, proactif et investi. La compétence nationale de l’OCRVP fait de l’unité le service devant être force de propositions ainsi que révélateur de nouveaux phénomènes

  2. Anne souvira dit

    Un plaisir de travailler sur ces sujets avec Véronique Bechu et Katie Steel issues de la Préfecture de Police de Paris.Elles sont toujours de bon conseil, partantes et disponibles et la PFUE2022 verra peut-être des avancées dans leur domaine telles que la hach list française des contenus pedocriminels destinée à éviter leur diffusion par la reconnaissance par les opérateurs des images vidéos et sons dejà connus !

    1. Véronique Bechu dit

      Nous l’espérons effectivement !

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