French Connection… A l’occasion inédite de l’assemblée générale de l’Association des Hauts Fonctionnaires de la Police nationale qui pour la première fois depuis 70 ans se tenait à Marseille, l’AHFPN présidée par Christian SONRIER mettait à l’honneur durant deux jours, les 17 et 18 octobre 2024, et en présence de sa petite fille Gaëlle TOUSSAINT, le commissaire Marcel MORIN grand flic fondateur en 1971 à Marseille de la première brigade dédiée à la lutte contre le narcotrafic.
En un même lieu, sur un même sujet et dans un même temps, tous les acteurs vivants des 50 ans de l’histoire de la lutte contre les stupéfiants étaient réunis dans les grands salons de la Préfecture des Bouches-du-Rhône. Un moment unique!
En présence, ce fut un honneur d’écouter des grands flics : Ange MANCINI, Martine MONTEIL, Christian LAMBERT, Jean-Louis FIAMENGHI, Eric ARELLA, Christian SAINTE…, de remercier Frédéric VEAUX pour son engagement à diriger la Police nationale.
Puis vient le moment de réaliser une interview très personnelle de Gaëlle TOUSSAINT sur son grand-père. Nous sommes toutes les deux, au calme.
Bonjour Gaëlle,
Que s’est-il passé lors de l’assemblée générale de l’Association des Hauts Fonctionnaires de la Police nationale le 17 octobre dernier à Marseille ?
Le 17 octobre dernier, l’antenne marseillaise de l’Office anti-stupéfiants a baptisé sa salle de réunion Marcel MORIN, du nom de ce pionnier qui a consacré sa vie à la lutte contre les stupéfiants, où j’ai eu la chance d’assister. Marcel MORIN est le fondateur de la première brigade des stupéfiants de Marseille en 1971, mais également mon grand-père.
Ce moment était chargé d’émotion, car il mettait en lumière le rôle qu’il a joué à cette époque, il y a plus de 50 ans, dans cette même ville, pendant la période qu’on appelait la « French Connection ». Mon grand-père aurait été fier que son nom soit associé à un espace dédié à la réflexion et aux décisions importantes, des valeurs qu’il a toujours portées avec fierté tout au long de sa carrière.
L’inauguration de la salle a aussi été l’occasion de mettre en avant des archives précieuses que j’ai remises à l’OFAST : d’anciennes parutions de journaux, des photos et des documents officiels retraçant cette période marquante de la police marseillaise.
J’ai remis ces souvenirs à l’OFAST en hommage au combat acharné de mon grand-père, mais aussi de ses équipes, des hommes qui se sont surpassés et ont permis à la police d’innover à travers cette lutte qui remonte à près de cinquante ans. Même si je garde certains souvenirs pour moi, j’avais à cœur de laisser une trace pour les nouvelles générations, afin qu’elles n’oublient pas ceux qui, comme eux, se sont battus pour une France plus sûre.
Ce fut également l’occasion pour moi de remercier de manière plus officielle l’Association des hauts fonctionnaires de la police nationale et son président Christian SONRIER, mais aussi David PREUD’HOMME, Éric ARELLA et Martine MONTEIL, qui m’ont accompagnée dans ce projet d’hommage officiel pour l’homme et le policier que mon grand-père était.

Un bel hommage rendu à Marcel MORIN à l’antenne marseillaise de l’Office anti-stupéfiants. Racontez-nous davantage sur le parcours de votre grand-père policier...
Mon grand-père est né à Sétif, en Algérie, le 29 octobre 1931. Après avoir obtenu une licence de philosophie à l’université d’Alger et effectué trois ans de service militaire, de 1954 à 1957, durant les débuts de la révolution algérienne, il a passé le concours de commissaire à Paris en 1956. En 1964, il a participé à la création de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) avec François LE MOUËL et son équipe.
Quelques années plus tard, en 1971, il a été appelé par Raymond MARCELLIN, ministre de l’Intérieur de l’époque, suite à un appel du président américain Nixon, pour résoudre un problème majeur de fabrication d’héroïne à Marseille. Cette organisation criminelle avait alors fait de Marseille un véritable laboratoire à ciel ouvert, transformant l’opium et la morphine de Turquie et du Liban en héroïne. À ce moment-là, mon grand-père ne connaissait pas du tout Marseille, ni le monde des stupéfiants, mais aucun défi ne l’effrayait. Le nombre important de morts par overdose a poussé mon grand-père à œuvrer avec détermination pour vaincre ce fléau. C’est ainsi qu’il a créé la première brigade des stupéfiants de Marseille, avec l’aide de François LE MOUËL, qui dirigeait l’antenne à Paris, et bien sûr avec ses nouvelles recrues, devenues elles aussi des policiers légendaires, notamment reconnus par la police américaine. Grâce à des actions coups de poing et un travail en collaboration constante avec la Drug Enforcement Administration – DEA – américaine, la « French Connection » a été démantelée en 1975.
Après ce parcours marseillais et ce défi relevé avec brio — même si, 50 ans plus tard, on pourrait penser qu’il ne s’est pas passé grand-chose, ce qui est loin d’être vrai — en 1984, il est devenu le “patron” de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (BSP) de la préfecture de police de Paris, où il a rencontré Martine MONTEIL et Michel BOUCHET, avec qui il a tissé de vrais liens tout au long de sa carrière. Puis, en 1985, il a pris la tête de la brigade criminelle de Paris. Il a atteint le rang de contrôleur général et a fini par devenir préfet, tant en Corse en 1987 qu’à Marseille en 1988.
Et votre parcours initiatique.
Mon grand-père est parti il y a deux ans. Juste avant son départ, en triant quelques affaires, j’ai fait une découverte : des années d’histoires policières, bien cachées au fond de sa cave dans de nombreux cartons. En tombant sur des articles où il faisait la une d’un journal des années 70, j’ai commencé à m’intéresser à son parcours. À chaque visite, je préparais des questions à lui poser, pour mieux comprendre son histoire. J’arrivais avec mon enregistreur et ma caméra, prête à capturer tout ce qu’il pouvait me raconter, afin de ne rien manquer et surtout de garder une trace, d’immortaliser le moment.
Malheureusement, à ce moment-là, sa mémoire et le temps n’étaient pas de mon côté. Il ne se souvenait que de bribes, sans anecdotes ou précisions claires à transmettre.
Avant qu’il parte, je lui ai promis que je retracerais son histoire. Je me souviens de mes mots à son chevet : “Papi, tu verras, tout le monde connaîtra ton histoire.” En disant ces mots, je ne sais pas si je ME faisais une promesse pour trouver le moyen de connaître toute l’histoire de mon grand-père ou si je la lui faisais. Tout ce que je sais, c’est que mon but était de partir à la recherche des souvenirs de Marcel Morin, ce que j’ai fait pendant presque trois ans. J’ai interviewé d’anciens collègues, des journalistes, et même un ancien trafiquant de la French Connection ! Puis, je me suis rendue au ministère de l’Intérieur pour consulter son dossier, qui concentre tout son parcours professionnel, avec les notes et appréciations de ses supérieurs.
C’est à ce moment-là que j’ai rencontré David PREUD’HOMME, et je pense que cette rencontre a été marquante pour nous deux. Lui a été touché par ma démarche de retracer l’histoire de mon grand-père, et il a souhaité me présenter quelques membres de l’association des hauts fonctionnaires de police. De mon côté, j’ai été frappée par une autre réalité : David PREUD’HOMME, comme beaucoup de policiers des nouvelles générations, n’avait jamais entendu parler de mon grand-père. Le commissaire Marcel MORIN, inconnu de sa propre petite-fille, l’était aussi de nombreux policiers actuels. Ce constat m’a encore plus poussée à vouloir retracer et partager son histoire, afin qu’elle ne soit pas oubliée.
Deux ans plus tard, nous voilà à inaugurer la salle Marcel MORIN à l’OFAST, pendant l’assemblée générale, qui, par chance, s’est tenue à Marseille. C’était comme un signe que tout cela était destiné à arriver.
Un livre en hommage à Marcel MORIN est-il à suivre ?
Pendant ces trois années, j’ai entrepris de retracer la vie de mon grand-père à travers un livre qui paraîtra en 2025 aux éditions Fayard. Ce projet m’a d’abord permis de faire mon deuil, un processus intime que j’ai vécu à travers cette quête de souvenirs, les rencontres marquantes que j’ai faites, et les traces qu’il a laissées dans les mémoires de tous ceux qui l’ont côtoyé.
J’ai également voulu retrouver et réhabiliter certains aspects de son histoire. Ce livre est à la fois une histoire personnelle et une aventure intergénérationnelle. Il permet de découvrir Marcel MORIN sous toutes ses facettes : l’homme derrière le policier, mais également le parcours professionnel qui l’a forgé, avec ses victoires, ses rêves, ses péripéties, ainsi que ses remords et ses échecs. C’est une manière de rendre hommage à l’homme qu’il était, en espérant que son parcours puisse résonner et inspirer au-delà de notre famille.
Un hommage à sa mémoire donc, mais pas uniquement. J’ai également voulu mettre en lumière un passé révolu dont les évènements, les histoires ont marqué les esprits et l’histoire de la police de France sans oublier ceux qui, dans l’ombre, ont été les véritables acteurs de ces victoires.
C’est donc finalement, à travers ses pages, que je rends plus largement un hommage à tous les héros que j’ai eu la chance de rencontrer au fil de mes recherches. Ils m’ont confié leurs récits, leurs anecdotes et leurs combats pour un monde plus juste.
En parallèle de l’écriture de ce livre, je continue à plonger dans les archives de mon grand-père. Mon objectif est de préserver et de transmettre cette mémoire pour qu’elle ne disparaisse pas avec le temps. Ces documents, parfois oubliés dans des cartons, méritent d’être partagés et mis en valeur. J’envisage peut-être de faire naître un projet documentaire, afin de faire revivre ces archives, de leur redonner vie, et de les faire sortir de l’ombre pour qu’elles puissent trouver une nouvelle utilité et toucher un plus large public.
Un remerciement Gaëlle pour ce moment partagé intime sur le parcours de votre grand-père. Un hommage inspirant.
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