J’ai rencontré Hugues Besancenot, préfet honoraire, le 15 avril 2024, lors de la séance de dédicaces du livre La face cachée de l’immigration (Editions Baudelaire). Nous étions à la librairie Fontaine Haussmann à Paris et je présentais avec Fernand Gontier le livre travaillé ensemble de bout en bout.
J’ai demandé à Hugues Besancenot comment il connaissait Fernand Gontier et quels étaient ses liens avec lui.
Hugues Besancenot m’a expliqué que, c’est au cours de sa carrière, au ministère de l’Intérieur, qu’il a connu Fernand Gontier.
En effet, au long de son parcours au sein du ministère, il a exercé des fonctions dans le domaine des politiques d’accueil des étrangers en France, au sein d’abord du ministère de l’immigration (comme sous-directeur en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière), de septembre 2010 à juin 2013, puis de directeur de l’immigration au sein de la direction générale des étrangers en France, d’octobre 2017 à décembre 2020.
Il a rencontré Fernand Gontier dès sa prise de poste en 2010 puis a, de nouveau, collaboré de façon encore plus étroite, avec lui, sur son dernier poste où ils ont constitué, tous les deux, le binôme, essentiel dans ces domaines, des hauts responsables, en charge des politiques migratoires au ministère de l’intérieur.
Ils ont travaillé ensemble pour mieux comprendre et appréhender tous les mécanismes de l’immigration en France (métropolitaine et outre-mer), pour dynamiser les conditions d’une meilleure efficacité des politiques de contrôle et de lutte contre l’immigration irrégulière, notamment par un soutien actif aux préfets, pour définir, avec leurs homologues étrangers, des conditions de coopération renforcée et pour contribuer aux réflexions préparatoires aux décisions des ministres en vue de renforcer l’efficacité des politiques migratoires.
Nous avons conservé le contact et avons pris temps d’échanger plus amplement sur son parcours et ses perspectives autour d’un café. Je vous livre le fruit de la discussion qui met en lumière un homme discret.
Bonjour Hugues,
Racontez-nous vos origines
Je suis né à Courbevoie d’un papa qui exercait des métiers dans le bâtiment : métreur-vérificateur, responsable du suivi de chantiers dans un cabinet d’architectes, puis responsable de suivi des travaux et de l’entretien d’immeubles chez un syndic de copropriété, et d’une maman qui n’a pas travaillé à la suite de graves problèmes de santé. Elle s’est occupée de mon frère cadet et de moi.
Ma vie d’enfant a été plutôt heureuse, avec des parents attentionnés, qui ont tout fait pour bien nous élever. Mes parents étaient des personnes modestes et j’ai mesuré ce que signifiait la nécessité de faire des efforts pour vivre et s’en sortir.
De fait, j’ai fait des études en faculté à Paris X-Nanterre de 1974 à 1977, année à l’issue de laquelle j’ai obtenu ma licence en Sciences Économiques. Puis j’ai décidé, en 1977, d’entrer dans une formation administrative. J’ai passé le concours d’entrée dans les instituts régionaux d’administration pour devenir attaché de l’État et j’ai fait mes deux années de formation à l’IRA de Metz, ponctuées de stages en administration.
C’est ainsi que j’ai été affecté pour mon premier poste en sortie comme attaché à la préfecture de la Seine-Maritime à Rouen.
Que retenez-vous personnellement de cette première étape de vie ?
Je retiens le souhait constant de mes parents de nous aider à faire nos études, malgré les difficultés financières auxquelles ils pouvaient être confrontés.
Je retiens la qualité des enseignements reçus tout au long de ma scolarité, que ce soit dans un cours privé pour le primaire, un collège et un lycée publics qui suivaient bien les élèves grâce à l’énergie des professeurs, l’Université de Nanterre (que n’ai-je entendu sur Nanterre, fief de la contestation de 1968 ?) et ses professeurs de qualité, s’attachant à offrir aux étudiants un large champ des possibles.
Je retiens l’envie de se battre quand on est un enfant, issu de milieu modeste, d’une part, pour répondre à l’engagement sans faille des parents (auxquels je serai toujours redevable), et d’autre part, pour montrer aux autres que se battre moralement et intellectuellement peut gommer les stéréotypes qui collent aux basques des enfants de milieux modestes. Cela construit une personnalité qui a envie d’être aux rendez-vous de la vie personnelle, bien sûr, mais aussi professionnelle.
Comment définiriez-vous votre évolution de carrière professionnelle ?
Ma carrière professionnelle a connu plusieurs étapes essentielles qui m’ont permis de progresser et de devenir le haut fonctionnaire que j’ai été au service de l’État et des citoyens de ce pays.
J’ai passé près de 19 années à Rouen travaillant principalement à la préfecture de Seine-Maritime. Tout d’abord comme chef de bureau, puis directeur adjoint et directeur de services, mais aussi au sein de la collectivité départementale lors de la mise en place de la décentralisation (Loi Deferre) et au tribunal administratif comme greffier en chef.
J’ai eu la chance d’avoir connu de grands préfets, hommes disposant d’une vision ambitieuse du rôle de l’État auprès desquels j’ai forgé mes convictions sur l’État.
Quels sont les marqueurs de votre carrière professionnelle ?
Une arrivée à Rouen en 1980 avec une première mission qui, lorsqu’elle m’a été présentée, m’avait quelque peu surpris, la réalisation, en six mois, d’une brochure destinée à célébrer le centenaire de la mort de Gustave Flaubert, en marchant sur ses pas à travers le département de la Seine-Maritime : je n’étais pas un littéraire, je n’avais jamais réalisé un tel document et je n’avais pas nécessairement la fibre « journalistique et communicante » … Mais je me suis lancé dans cette aventure, avec la détermination de celui qui a eu envie d’oser.
Le poste de chef de bureau des affaires culturelles qui me permettra en 1982 de rejoindre le Conseil général, au moment de la première phase de décentralisation, et, ainsi, notamment, de pouvoir créer un Festival de musique et de danse (Festival d’été devenu Octobre en Normandie). Qu’est-ce qui pouvait me destiner à entrer dans un tel projet ? Je n’avais pas de culture musicale, ni de compétences en danse contemporaine. Mais je l’ai fait par défi !
Le poste de greffier en chef au Tribunal administratif de Rouen, où avec un nouveau président, nous allions transformer le fonctionnement de la juridiction administrative, en mettant en place l’informatisation complète des procédures.
Un poste de directeur adjoint en préfecture, avec une feuille de route qui allait me conduire à participer, pour la première fois de ma carrière (avant bien d’autres périodes, ultérieurement), à un process de réforme ambitieuse de l’administration en vue de prendre en compte l’arrivée des outils informatiques pour la délivrance de tous les titres : CNI, passeports, permis de conduire, titres délivrés aux ressortissants étrangers, dans l’optique de faciliter la vie des citoyens.
Et, comme dernier poste en préfecture à Rouen, avant de m’engager dans la préfectorale, le poste de directeur de la protection civile et des affaires civiles de défense, où les fonctions qui m’ont été confiées m’ont placé dans la gestion de crise, l’organisation de dispositifs opérationnels de grande ampleur et la mobilisation de nombreux moyens opérationnels de l’ensemble des services de l’État. Une période très riche, où j’ai développé mes capacités à préparer et prendre des décisions, dans des circonstances souvent dramatiques, nécessitant des réponses urgentes.
C’est en août 1999, quelques jours après la fin de l’Armada du siècle, – le plus grand rassemblement de grands voiliers et de navires en provenance du monde entier qui a accueilli plus de 10 millions de visiteurs sur une dizaine de jours à Rouen et au Havre -, dont j’avais eu la chance professionnelle d’assurer la préparation pendant près de 3 années, et son organisation opérationnelle pendant sa tenue, que je quittais Rouen pour entamer un périple qui allait me permettre d’exercer des fonctions de responsabilité au sein du corps préfectoral.
Ce périple m’a conduit :
- de l’Aube à l’Aude, comme directeur de cabinet des deux préfets de ces départements,
puis en Lozère comme secrétaire général de la préfecture, - avant de venir sur Paris en cabinet ministériel,
- et en sortie de cabinet d’exercer en administration centrale au ministère de l’Intérieur, d’abord comme directeur de cabinet du DLPAJ (2007-2010), puis, de 2010 à 2013, comme sous-directeur en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière, au sein de la direction en charge des étrangers,
- de passer 3 années en Seine-Saint-Denis, de 2013 à 2016, comme secrétaire général de la préfecture, à vivre une expérience professionnelle certainement la plus passionnante de ma carrière, au regard des enjeux du département,
- et de terminer cette carrière au ministère de l’intérieur comme directeur de l’immigration, au sein de la direction générale des étrangers en France, entre 2017 et 2020.
Ce que je retiens de cette « seconde » carrière, dans l’exercice de hautes fonctions dans l’administration au sein du ministère de l’Intérieur ?
J’ai servi en territoriale, deux fois comme directeur de cabinet à Troyes puis à Carcassonne, dans deux régions totalement différentes, avec des enjeux sécuritaires différents mais avec la chance d’avoir travaillé au contact direct des policiers et gendarmes, des sapeurs-pompiers et des militaires, ce qui m’a permis de bien appréhender combien l’exercice des missions des hommes et femmes qui, au quotidien, œuvrent pour notre sécurité est complexe et demande de grandes qualités humaines, de courage et d’engagement au service de notre pays, avec les risques élevés auxquels ils sont soumis.
Toujours en territoriale, j’ai eu la chance de servir dans deux départements tellement opposés, d’abord par leur taille (le plus petit département français, la Lozère, et l’un des plus grands départements, la Seine-Saint-Denis), ensuite quant aux territoires, aux enjeux locaux, aux populations qui y habitent. L’exercice des fonctions de Secrétaire général de préfecture, en charge du fonctionnement des services de l’État dans le département, de gestion de la préfecture et de prise en compte de dossiers importants, aux côtés du Préfet, m’a conduit à bien appréhender les problématiques du département d’affectation, la diversité de nos territoires qui impose des regards différents dans l’approche des dossiers et la nécessité pour les hauts fonctionnaires de s’approprier une connaissance des réalités locales la plus complète possible.
Ma nomination comme préfet du Territoire de Belfort a été l’un des moments forts de ma vie administrative. J’entrais dans les fonctions les plus prestigieuses de l’administration. J’ai vécu cette affectation avec un réel plaisir, avec une reconnaissance indéfectible pour tous ceux qui avaient contribué à me permettre de rejoindre le cercle restreint des dirigeants administratifs du pays. J’ai pensé si fort à mes parents (hélas décédés à ce moment-là), à mon épouse et mes enfants et leur si fidèle soutien dans la construction de mon parcours professionnel (les conséquences humaines et familiales de ces carrières ne doivent pas être négligées !). J’ai été fier, moi enfant d’une famille modeste, issu de l’école républicaine, ayant gravi les échelons avec engagement, ayant su prendre en compte toutes les opportunités qu’on m’offrait, de revêtir cet uniforme et de placer sur ma tête la casquette consacrant les nouvelles responsabilités qu’on me confiait !
Retenez-vous des adages de votre carrière que vous pourriez partager avec les lecteurs ?
J’ai eu la chance, au cours des 42 années d’exercice de mes diverses fonctions entre mon entrée à l’institut régional d’administration de Metz et le dernier jour au ministère, fin 2020, d’avoir croisé des personnes qui m’ont offert de réelles opportunités.
Je dis, souvent, aux jeunes que je rencontre :
- Saisissez la chance qui s’offre à vous !
- Essayez de réussir au mieux vos études mais surtout ne baissez pas les bras quand, à certains moments, la réussite semble vous échapper !
- Acceptez les défis qu’on vous propose !
- Osez et allez au-devant des challenges que vous pourriez penser inatteignables ! ».
Ce que je leur dis correspond à mon parcours, fait de nombreuses occasions de saisir la chance qui m’était offerte et, notamment :
ma première directrice en préfecture, à Rouen, qui m’a lancé sur la confection d’une brochure culturelle ; les lois de décentralisation, qui m’ont amené à me faire mettre à disposition d’une nouvelle administration qui allait se construire, au Conseil général de la Seine-Maritime, époque de 3 années pendant lesquelles je créais un festival de musique et de danse ; les deux périodes où j’ai travaillé avec mes « chefs » à moderniser les procédures par la mise en place de l’informatisation des procédures, nécessitant des capacités managériales (que j’ai particulièrement développées à cette époque), au tribunal administratif de Rouen et à la préfecture ; les réflexions lancées par le secrétaire général de la préfecture de Rouen Pierre Mirabaud en matière de projection sur la préfecture de l’an 2000. Nous étions quelques jeunes cadres réunis en mission de réflexion auprès de lui ; les 5 années ½ passées à la tête de la direction en charge de la sécurité civile, avec la création d’un centre opérationnel de défense (de 400 m2), la gestion de multiples crises (naturelles et industrielles) et surtout la préparation de l’Armada du siècle (qui m’a permis d’être « repéré » par des préfets et qui a débouché sur ma seconde carrière) ; la préparation d’un sommet franco-espagnol en 2003 à Carcassonne au cours duquel la cheffe de cabinet du Président Jacques Chirac m’avait identifié, comme efficace (elle me l’avait dit), ce qui allait contribuer à permettre mon entrée au cabinet de M. Philippe Bas, nommé ministre délégué en juin 2005, puisque les renseignements pris sur moi répondaient aux attentes du ministre ; des rencontres, très bénéfiques professionnellement, avec de grands préfets et des conseillers d’Etat : je pense en particulier à Stéphane Bouillon, Patrick Stéfanini, Stéphane Fratacci, Laurent Touvet, Philippe Galli, Christiane Barret ou encore Pierre-Antoine Molina. Ils ont cru en moi, ils m’ont fait confiance, ils m’ont donné la liberté d’exercer mes missions avec responsabilité et ils m’ont ainsi permis de vivre une carrière dans le corps préfectoral intense et riche.
Mais tout cela n’est possible, aussi, que si vous disposez d’un soutien fort de vos proches. Mon épouse m’a toujours soutenu dans mes choix ; nos enfants ont accepté, même si ce n’était pas toujours facile pour eux, les contraintes d’exercice de mes différents postes.
C’est fondamental !
Et maintenant, pourquoi une retraite active ?
Lorsque le moment est venu de la retraite, je n’ai pas, un seul instant, imaginé que j’entrerai en phase de retrait de la vie publique.
J’avais un devoir. Je devais donner de mon temps pour des causes qui m’intéressaient, sorte de réponse à tout ce que j’ai eu la chance de recevoir, ce qui m’a permis de vivre cette carrière si intense et si passionnante.
Mes choix sont de :
- Prendre la présidence du conseil d’administration du bailleur très social, ADOMA, à compter de la fin juin 2021, exercice effectué de façon bénévole. Premier opérateur national dans ce domaine, ADOMA est une société qui offre aux publics les plus démunis des logements en résidence, en pensions de famille, ou pour les jeunes actifs débutant leur premier job. Je m’y suis pleinement engagé, aux côtés des équipes de direction mais aussi des plus de 3 000 salariés.
- Répondre à la demande de la Fondation Un Avenir Ensemble, gérée par la Légion d’Honneur, d’accompagner un filleul : c’est ainsi qu’à l’été 2021, je suis devenu le parrain de Nassim, qui allait entrer en 1ère en septembre et que je suis depuis (il a terminé cette année de façon brillante sa 1ère année sur le campus de Sciences-Po à Menton). Cet accompagnement durera jusqu’à la signature d’un premier contrat d’emploi (ou de son entrée dans l’administration), c’est-à-dire probablement jusqu’en 2028 ou 2029. C’est très intéressant d’aider un jeune aux capacités intellectuelles excellentes mais venant d’un milieu modeste.
- Donner de mon temps et m’engager dans l’association Réussir Aujourd’hui, présidée par l’ancienne préfète Christiane Barret, association qui accompagne des jeunes filles et garçons en 1ère et terminales, dans des lycées se situant dans des quartiers « politique de la ville ». Nous les aidons à prendre confiance en eux, en vue du baccalauréat, nous leur offrons des sorties culturelles et nous les aidons à réfléchir à leurs orientations. J’y suis entré en septembre 2021. Je suis membre du conseil d’administration.
- Suivre de façon plus individuelle, sur leur demande ou sur recommandation d’amis et anciens collègues, des jeunes étudiants et aussi de jeunes professionnels qui vont ou ont débuté dans le milieu professionnel, en leur apportant mon expérience, en leur donnant des conseils, en les invitant à la patience dans les projets qu’ils veulent construire au plan professionnel etc…
- Soutenir l’ONG Plan International France, en parrainant de jeunes filles pour les aider à suivre des études, à construire leur avenir dans des pays où naître fille peut être un handicap, et où être une fille soumet à des violences de toute nature. L’ONG a développé de nombreux programmes. C’est ainsi que j’ai accompagné une jeune fille chinoise et maintenant une jeune fillette indienne.
Enfin, j’ai décidé de créer, cet été, une société « Auteur du Changement », qui a pour but d’accompagner et de soutenir des collectivités territoriales de petite et moyenne taille et des PME, à partir de l’expérience acquise pour la réalisation de projets, la facilitation du montage de dossiers, la recherche de financements, la compréhension des attentes de l’administration, la connaissance des interlocuteurs utiles pour mener à bien des projets.
En résumé, quelles conclusions tirez-vous de ce parcours et de la façon dont votre engagement pour la « chose publique » s’est forgé ?
J’ai eu un soutien sans faille, d’abord de mes parents qui ont choisi de « porter » mes choix, des enseignants de l’école républicaine qui ont su me motiver pour les études et me donner les éléments pour me construire, et également des personnes qui m’ont dirigé dans l’exercice de mes diverses fonctions, sachant faire émerger mes envies de servir au sens le plus noble l’intérêt collectif et mes qualités.
Je ne peux pas vivre sans engagement, sans envie d’aider les plus en difficulté. C’est comme cela que j’ai construit ma carrière… et maintenant ma période de retraite… DONNER !
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