Aujourd’hui 8 janvier 2025, je suis avec Christel SIRE-COUPET dans un cadre très particulier qui marque un temps fort dès le début de l’année pour le media régalien Miss Konfidentielle. Je vous partage le fruit de notre entretien au cœur de l’actualité du ministère de l’Intérieur, dirigé par Monsieur Bruno RETAILLEAU, et du ministère de la Justice dont le garde des Sceaux est Monsieur Gérald DARMANIN.
Bonjour Christel,
Où sommes-nous ?
Nous sommes dans l’antre de la police scientifique à Saint-Denis.
A l’origine, le laboratoire de police scientifique était situé sur 3 sites dans Paris intra-muros :
- le quai de l’Horloge à côté de la Conciergerie, sur l’île la Cité où se regroupaient la direction, la balistique, les résidus de tir, la chimie-physique et les traces papillaires.
- la rue de Dantzig, à côté du laboratoire central de la préfecture de police de Paris où il y avait la division biologie.
- la place Mazas à côté de l’institut médico-légal où se situait la division chimie.
Depuis maintenant 4 ans, le laboratoire de police scientifique de Paris a déménagé sur un site unique implanté à Saint-Denis (93) et ce tout en conservant son appellation de Laboratoire de Police Scientifique 75 (LPS75). Le LPS 75 est un des laboratoires du service national de police scientifique (SNPS).
« Nous sommes à Saint-Denis dans l’antre de la police scientifique ». Combien avons-nous de laboratoires de police scientifique en France ?
Nous comptons 5 laboratoires de police scientifique en France organisés en réseau : Lille, Lyon, Marseille, Paris et Toulouse.
Et question clef pour la bonne compréhension des choses : quelle est la définition de la police scientifique à retenir ?
La police scientifique est chargée de trois grandes missions de la chaîne criminalistique :
- les constatations et prélèvements sur le terrain ;
- les analyses en laboratoires ;
- les comparaisons dans les fichiers de police.
En apportant des indices de nature scientifique, robustes, fiables et vérifiables, la police scientifique participe à la réduction de l’incertitude des enquêteurs et des magistrats, tout au long de l’enquête. La criminalistique est donc la science au service de la justice.
En constante évolution, la police scientifique se réforme en prenant en compte les progrès technologiques et opérationnels pour s’adapter aux enjeux judiciaires. Si je ne devais retenir qu’un qualificatif pour caractériser son action dans la résolution de l’enquête ce serait « essentiel ».
Qui dirige l’ensemble des 5 laboratoires de police scientifique en France ?
Le service national de police scientifique, service actif de la police nationale, est dirigé par l’inspecteur général Éric ANGELINO.
Votre métier, comment pourriez-vous le définir aujourd’hui ?
Aujourd’hui je suis directrice du laboratoire de police scientifique de Paris. Je dois mettre en oeuvre les grandes orientations du SNPS avec le comité de direction, décliner les objectifs opérationnels et organisationnels et en assurer le suivi.
Mon métier est complètement différent de ce que j’ai connu auparavant lorsque j’étais expert en empreintes génétiques au début de ma carrière. C’est un métier de pilotage : pilotage opérationnel des équipes et pilotage stratégique, permettant de se doter d’une vision à moyen terme, vision complexe dans le contexte économique incertain actuel.
Je dois veiller à réaliser les bons arbitrages budgétaires et porter une attention particulière aux ressources humaines. En effet, notre déménagement a eu pour conséquence une perte d’effectifs qui ne voulaient pas se « déraciner » de Paris ou pour qui le temps de trajet était multiplié et devenait trop contraignant. Le laboratoire connait donc des difficultés d’attractivité et de fidélisation des effectifs.
Vous êtes la directrice du laboratoire de police scientifique de Paris. Que dire de votre vision stratégique ?
Lorsque je suis arrivée, il y a presque deux années jour pour jour, j’ai observé, réalisé un diagnostic, mis en évidence des constats et construit un plan d’actions qu’il nous faut maintenant décliner.
Pour cela, j’ai invité mes équipes à piloter et participer à des groupes de travail afin de définir les actions à mettre en œuvre pour répondre aux difficultés constatées et ainsi améliorer la structure et l’organisation du laboratoire de police scientifique de Paris.
En décembre dernier, l’avancée de ce plan d’action a été présenté en 3 points au comité social d’administration de la police nationale :
- le pourcentage de réalisation,
- les points saillants
- les actions à poursuivre.
Avoir une vision stratégique c’est se donner un cap, aller de l’avant et anticiper les enjeux.
Quel est le bilan de l’année 2024 ? Est-ce qu’il y aurait des choses à dire sur cette année un peu particulière ?
L’année 2024 a été marquée par les Jeux Olympiques et Paralympiques et donc par l’engagement remarquable des effectifs du laboratoire scientifique de Paris qui n’ont pas eu de trêve estivale. Nous avons terminé l’année fatigués et reprenons cette nouvelle année 2025 plein d’espoir et de bonnes résolutions.
2024 année olympique et année déterminante pour le service national de police scientifique (qui a vu le jour le 1er janvier 2021 donc qui est un service jeune) avec des projets structurants et forts :
- la création de l’’École nationale de police scientifique (l’ENPS) le 12 septembre 2024 à Ecully rattachée à l’Académie de police. Cette école va permettre de renforcer la professionnalisation de la filière scientifique (créée il y a 30 ans). Ainsi, la formation initiale de 8 semaines pour les ingénieurs et de techniciens passera en 2025-2026, à 18 mois.
- le lancement du projet informatique (SILAB) pour la traçabilité des saisines, des scellés et des analyses. Ce nouveau système de traçabilité des données va venir remplacer un système un peu obsolète datant de 2008. 2024 a donc été une année de construction de cette application et de nombreux agents du SNPS se sont investis dans ce projet structurant dont 6 du laboratoire de police scientifique de Paris.
Et puis il y a le volet opérationnel du laboratoire de police scientifique de Paris avec une forte volumétrie. Les équipes font face à cette volumétrie, en optimisant les process pour réduire les délais d’analyse et donc de rendu des résultats.
Et bien sûr, les affaires marquantes pour lesquelles nous nous sommes mobilisés, je pense notamment à l’évasion sanglante de la « mouche » et à l’étudiante assassinée dans le bois de Boulogne.
Le laboratoire de police scientifique de Paris est marqué par des temps structurants et forts en 2024 avec toujours plus de volumétrie et des équipes qui doivent s’adapter.
Le narcotrafic est une des grandes directives du ministère de l’Intérieur. Que pouvez-vous en dire aujourd’hui ?
Le narcotrafic est une thématique majeure du ministère de l’Intérieur, notamment les opérations « Place nette » qui visent à renforcer la lutte contre la délinquance et plus particulièrement le trafic de stupéfiants.
Ces opérations ont été mises en place avant les Jeux Olympiques et Paralympiques. La multiplication des perquisitions, et l’ampleur des investigations ont augmenté le nombre de scellés entrants dans nos 5 laboratoires, notamment en termes d’armes, de munitions et de stupéfiants.
Pour l’année 2025, que pouvez-vous en dire ?
Pour 2025, à mon sens, il y a 3 actualités :
Le module chimie de l’outil de traçabilité (SILAB) sur lequel nous travaillons sera déployé. C’est-à-dire qu’il sera finalisé et mis en place au sein des 5 laboratoires. Ce sera un des grands enjeux de l’année.
Le second enjeu sera de développer les volets Innover et Rayonner de notre stratégie. En effet, l’inspecteur général Éric ANGELINO a défini 4 piliers stratégiques – PILOTER – FÉDÉRER – INNOVER – RAYONNER – qui seront plus que jamais nos lignes directrices pour 2025.
En matière d’innovation, par exemple, au LPS75, la section balistique se concentrera sur les armes imprimées en 3D afin d’identifier si elles laissent des traces, et ainsi aider les enquêteurs à remonter les filières.
Autre grande thématique qui nous tient à cœur au LPS75 : les Cold cases. Mes équipes sont particulièrement impliquées dans ces affaires non résolues. Nous disposons, depuis 2021, au sein du service national de police scientifique d’un dispositif cold-case, centralisé à l’état-major du SNPS. Ce dispositif regroupe des référents dans chaque spécialité. Ainsi, quand le Pôle des Crimes Sériels ou Non Élucidés (PCSNE) du Tribunal Judiciaire de Nanterre nous saisit, nous recevons l’ensemble de la procédure et sollicitons nos référents. Suite à un échange entre référents et une analyse approfondie de ce qui a été fait et ce que les nouvelles technologies pourraient apporter nous rédigeons une synthèse criminalistique au pôle. C’est un travail passionnant où notre métier au service des victimes et de leur famille prend tout son sens.
Je retiens les 4 piliers pour 2025 : PILOTER – FÉDÉRER – INNOVER – RAYONNER. Un travail qui exige un engagement fort. La police scientifique est-elle une vocation pour vous ?
Contrairement à ce que l’on peut penser, mon métier n’est pas une vocation à l’origine. La réalité des choses est que je suis rentrée un peu par hasard dans la police scientifique, il y a déjà 21 ans.
Diplômée d’un doctorat de biologie moléculaire, j’ai soutenu ma thèse en septembre 2000, à l’issue de laquelle je suis montée à Paris (comme on dit quand on est originaire du sud de la France !) pour faire un post-doctorat.
Je souhaitais m’investir et mettre mes compétences techniques au service d’une unité de recherche sur les maladies neurodégénératives parce qu’un proche avait été touché par la maladie d’Alzheimer. Approchée et embauchée par Sanofi-Synthélabo, j’ai travaillé 2 ans sur des molécules agissant sur la régénération neuronale. En pleine fusion avec Aventis, les embauches n’étaient pas la priorité du moment. Parallélement, ma belle-sœur, qui travaillait dans l’institution, m’informe de l’ouverture d’un concours externe d’ingénieur de police scientifique, pour lequel la fiche de poste semblait être en parfaite adéquation avec mon profil.
Effectivement je cochais toutes les cases. Comme aujourd’hui, c’était un concours sur titres et travaux. J’ai donc envoyé mon dossier complété avec ma thèse, mes publications, ma lettre de motivation et mon cv. Peu de temps après, un courrier m’annonçait que j’étais admissible pour l’épreuve orale. Lauréate de ce concours, j’étais curieuse de découvrir ce métier !
Me voilà donc arrivée le 1er septembre 2003 au 3 Quai de l’Horloge.
Pour la petite anecdocte, habitant alors à proximité, et en tant que provinciale peu enjouée par le métro parisien, je trouvais agréable d’aller à pied tous les jours au labo ! J’ai vite compris que ce ne serait pas possible car la division biologie était sur le site de Dantzig dans le 15ème.
Je suis immédiatement tombée dans le chaudron de la criminalistique ! A l’époque, la division biologie était dirigée par Madame Sandrine VALADE, expert en empreintes génétiques, une femme passionnée par son métier. Elle m’a formée et m’a appris les arcanes de la criminalistique. J’ai compris que chaque dossier était différent et que ce métier était vraiment fascinant. On pouvait apporter notre expertise scientifique et notre savoir-faire technique.
La science avance à grande vitesse. En 20 ans par exemple en génétique, nous avons considérablement progressé pour obtenir un profil génétique exploitable. Il fallait plus de 100 cellules à l‘époque et aujourd’hui avec moins de 20 cellules, on arrive à obtenir un profil génétique exploitable et éligible au fichier. Donc bien que l’espace-temps soit relativement court, les évolutions techniques se poursuivent et conduisent à la performance.
Je me suis prise de passion pour ce métier et j’y ai poursuivi ma carrière.
Vous êtes tombée dans le chaudron de la criminalistique ! Avez-vous vécu l’expérience de déposer en cour d’assises ?
En tant qu’expert en empreintes génétiques, j’ai déposé en cour d’assises de nombreuses fois, c’est la finalité de notre travail.
Le témoignage en cour d’assises est une expérience enrichissante, parfois impressionnante voire même stressante. Il ne faut surtout pas y aller au talent ! Le dossier doit être préparé rigoureusement en ammont, les questions qui pourraient nous être posées par les différents acteurs du procès pénal doivent être anticipées. C’est très important parce qu’à la barre, on est seul avec notre dossier.
C’est un exercice que je trouve très intéressant mais qui peut quelquefois mettre en difficulté un expert. Il ne faut pas se laisser intimider par le charisme d’avocats comme par exemple par Maître Eric DUPOND-MORETTI ou son associé.
Cet exercice nécessite également de garder la tête froide c’est-à-dire d’être lucide et concentré, de savoir gérer ses émotions et prendre du recul sur les dossiers. Ces qualités sont indispensables.
Je retiens que déposer en cour d’assises oblige une préparation et de savoir garder la tête froide. Auriez-vous des messages complémentaires à faire passer à nos lecteurs ?
Ne rien s’interdire ! Il faut avoir de l’ambition. Cela n’est pas mal d’avoir de l’ambition, je trouve que c’est bien.
Je me suis toujours fixée comme limite ce que je ne voulais pas faire. Après, j’observe et j’avance au gré des opportunités. Je me laisse guider par ma curiosité, mon ouverture d’esprit et mon appétence pour les nouveaux défis à relever.
C’est ce que j’ai fait. J’ai « changé de métier » et j’ai intégré la police scientifique de Paris sachant qu’il y a les policiers scientifiques de terrain et les policiers scientifiques de laboratoires. Je précise ce point parce que la réalité, ce n’est pas ce que l’on voit dans les séries télévisées. Le policier scientifique dans les films va sur le terrain faire les constatations puis rentre au laboratoire faire ses analyses et continue son enquête. En France, les policiers scientifiques de terrain font les constatations, sont les conseillers techniques des enquêteurs et peuvent placer sous scellés les pièces à conviction. Ensuite ces pièces à conviction sont transmises à l’enquêteur qui va rédiger une réquisition et saisir le laboratoire pour les analyser.
La police scientifique est donc un métier large auquel on peut accéder par la voie des formations, des concours, des mutations. Il ne faut pas hésiter à utiliser ces voies de mobilité. Cela enrichit de prendre des postes différents, permet d’acquérir une vision transverse de la chaine criminalistique et ainsi de prétendre à des fonctions à forte responsabilité.
Être audacieux est un message que vous transmettez à vous écouter, et l’encouragement à rejoindre la police scientifique est clair. Les métiers de la police scientifique permettent-ils d’avoir une vie personnelle avec une volumétrie croissante ? Par exemple, avez-vous du temps pour vous ?
C’est fondamental de maintenir un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
En ce qui me concerne, en tant que directrice mon téléphone est allumé 24H/24. Un week-end sur deux, je suis d’astreinte en alternance avec mon adjoint. Ce poste exige une grande disponibilité.
J’ai la chance d’être soutenue par ma famille, mon mari et ma fille, avec lesquels je partage 2 grandes passions que sont le cinéma et les randonnées.
Je vais au cinéma très régulièrement. J’affectionne particulièrement les films français (comédies et film d’auteur) et bien évidemment les polars et les thrillers. Et puis j’adore me ressourcer en randonnant dans les montagnes pyrénéennes ou en bord de mer dans les calanques marseillaises. Peu importe, l’essentiel est le contact avec la nature !
Je vous remercie Christel pour ces précieuses informations qui permettent de mieux comprendre la police scientifique et le métier de directrice du laboratoire de la police scientifique de Paris. Un remerciement aussi pour votre visite du site de Saint-Denis avec un accueil formidable des équipes. Je peux témoigner de la haute rigueur des agents et de la haute qualité technologique des équipements pour permettre aux enquêteurs et à la justice de faire au mieux leur travail. La volumétrie est forte, très forte, et je vous souhaite de recruter des agents motivés et passionnés.
Je partage deux photos souvenirs de ma visite.

Chaîne d’analyse salivaire en toxicologie sécurité routière (chromatographie liquide et spectrométrie de masse).
Christel SIRE-COUPET, directrice du laboratoire de police scientifique de Paris, et Miss K journaliste en 2024 © Miss Konfidentielle

Robot de préparation des échantillons pour la révélation des profils génétiques. Il est à noter qu’en biologie, le port d’équipements individuels de protection est obligatoire dans les salles d’analyses.
Christel SIRE-COUPET, directrice du laboratoire de police scientifique de Paris, et Miss K journaliste sécurite justice, 2024 © Miss Konfidentielle
Pour aller plus loin, je vous invite à consulter
l’interview de Richard MARLET
figure inoubliable du 36, quai des Orfèvres !
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