La question de la féminisation des armées revêt un enjeu tout autant stratégique qu’opérationnel, renvoyant très concrètement aux questions de recrutement et de modèle d’armée. Alors que la France a été nation hôte de la 3ème édition de l’European Orientation on Global Security, le Paris Defence and Strategy Forum (PDSF) offre du 11 au 13 mars 2025 à l’École militaire à Paris une nouvelle occasion de promouvoir le sujet de la mixité et de revenir sur la contribution des femmes dans le champ de la défense et de la sécurité.
Auditrice au PDSF2025, j’assiste à la table ronde “ Défense et sécurité : quelle (s) stratégie (s) pour le leadership féminin ? ” animée par Catherine BOURDES-FAURY, Commissaire générale, Haute fonctionnaire à l’égalité des droits, Directrice de projet Mixité, au ministère des Armées.

Catherine BOURDES, commissaire générale au Paris Defence and Strategy Forum 2025 © Miss Konfidentielle
Après une introduction de Mme Aurore BERGER, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, les intervenants de haute qualité se sont exprimés à la table ronde.
Chiara RUFFA, Professeure des Universités, Sciences-Po Paris, Irène FELLIN, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’OTAN, générale Karine LEJEUNE, Martial FOUCAULT, Directeur, Institut de Recherche Stratégique de l’École militaire (IRSEM), Hélène CHINAL, Executive Vice President, Capgemini et Annick WIBBEN, Professeure des Universités, Swedish Defence University.
Ce que je retiens de la prise de parole de la générale Karine LEJEUNE
Secrétaire générale adjointe de la Garde nationale (SGGN), secrétaire générale adjointe du conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM), la générale Karine LEJEUNE est connue pour son engagement en faveur de l’égalité et son travail sur les violences faites aux femmes. Elle a été conseillère défense & sécurité / adjointe gendarmerie au sein du cabinet du ministre des Armées.
La question de la place des femmes et du leadership féminin est présent dans le continuum sécurité-défense, notamment sur cette vision que l’on voit revenir d’une force physique qui viendrait questionner la place des femmes. Ce questionnement existe tant dans les questions de défense que dans le domaine de la sécurité intérieure. Face à une population confrontée à de plus en plus de violences notamment physiques, face à une société qui se radicalise, les forces de sécurité intérieure, police ou gendarmerie nationale, chaque jour sur le terrain, sont davantage confrontées à une violence extrêmement forte à laquelle des personnes trouveraient intéressant de venir lier la question de la présence des femmes dans leurs rangs.
Pour autant, le ministère de l’Intérieur a entrepris la mise en place de politiques très volontaristes pour promouvoir les femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes depuis une dizaine d’années. Ce sont des politiques qui ont permis de faire progresser le nombre de femmes dans les postes à responsabilité dans toutes les strates et dans toutes les subdivisions d’armes. Ce qui est le cas en gendarmerie dont je suis issue, qui, je le rappelle, est une force armée qui assume des missions de sécurité intérieure. C’est à l’heure actuelle un peu plus de 24 % de personnel féminin, que l’on soit sous-officier, officiers ou militaires du rang, 22 % des personnels sont des personnels militaires. On a bien une très forte présence des personnels féminins dans les personnels militaires.
On va retrouver de la même manière un peu plus de 30 % de personnels féminins dans la police nationale, corps civil, qui s’est ouvert plus rapidement que les forces armées. Une forte progression est également constatée à la direction de la sécurité civile, dont dépendent les militaires des sapeurs-pompiers de Paris et les marins-pompiers de Marseille, avec des chiffres qui montent à plus de 20 %. Ces politiques sont portées notamment par la loi Sauvadet de 2012. On trouve ainsi cette forte progression du leadership féminin auprès du corps préfectoral avec notamment 43% de femmes dans les primo-nominations de préfets, préfets de département ou de région. Donc, une présence du leadership féminin au sein du ministère de l’Intérieur qui progresse.
Cette présence est essentielle et inévitable comme dans la défense. Pourquoi ? Parce que les forces de sécurité intérieure sont au contact quotidien de la population qu’elle doit protéger. Donc, elle se doit d’être à l’image de cette société.
Cela a été dit par la commissaire générale Catherine BOURDES, il s’agit par ailleurs d’une question de performance opérationnelle. Le monde privé, on y reviendra, fait des études depuis de nombreuses années qui prouvent qu’une mixité, notamment dans le cadre des Comex, des conseils d’administration, permettent de favoriser et de faire progresser la performance économique. Il semble donc évident que de la même manière la performance opérationnelle des forces armées ou de sécurité intérieure soit aussi impactée et renforcée quand cette mixité entre hommes et femmes est bien représentée.
Ce constat, on le trouve naturellement dans les forces d’active, on le constate aussi dans les réserves opérationnelles. Et donc là, je prends ma casquette de Garde nationale : pour celles et ceux qui ne connaissent pas la Garde nationale, elle est une structure interministérielle qui a été créée après les attentats de 2015 et 2016 en France, et qui a vocation de promouvoir les réserves opérationnelles des armées, directions et services, c’est à dire huit composantes du ministère des Armées, mais également du ministère de l’Intérieur : gendarmerie nationale, réserve opérationnelle militaire, mais également depuis 2022 police nationale.
Ces 10 composantes sont portées par la Garde nationale qui a vocation à promouvoir l’engagement citoyen en général dans les réserves opérationnelles et surtout d’œuvrer au quotidien pour favoriser l’employabilité des réservistes. Puisqu’un réserviste sur deux est un actif, il faut que dans le relationnel entre le monde militaire et le monde civil, le réserviste opérationnel, qui est un citoyen qui s’est engagé pour son pays, puisse œuvrer au quotidien et venir renforcer les forces de défense et de sécurité dans les meilleures conditions possibles.
On retrouve notamment cette volonté de conciliation qui va au-delà de la vie professionnelle et personnelle. C’est une triple conciliation, à la fois de la vie personnelle, mais d’une double vie professionnelle pour les réservistes qui ont à la fois une vie dans le monde civil qui est le cœur de l’activité professionnelle, mais aussi cette fonction de militaire ou de policier à mi-temps au profit des forces armées ou des forces de sécurité intérieure.
A ce titre, nous disposons d’une représentation très intéressante des femmes dans la réserve opérationnelle, puisque dans les 10 composantes que représente la Garde nationale, c’est 23 % de femmes sur les 84 000 réservistes opérationnels que l’on assure des missions opérationnelles sur le territoire national. Et leur présence est essentielle à plusieurs titres. Tout d’abord, elles renforcent tout comme les réservistes masculins, par leur engagement, la cohésion nationale et la résilience de la nation. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement important qu’elles soient bien représentées pour permettre une réelle concorde nationale. C’est aussi essentiel dans la captation des compétences où qu’elles soient, puisque c’est le but des réserves: répondre aux besoins des armées, et des forces de sécurité intérieure. Donc, il est essentiel d’aller capter toutes les bonnes volontés et surtout toutes les compétences, où qu’elles soient, qu’elles soient détenues par des hommes ou par des femmes.
À la Garde nationale, lors de nos déplacements sur le terrain, nous rencontrons des réservistes opérationnels, notamment dans les entreprises privées avec lesquelles nous conventionnons. Les témoignages que nous recevons prouvent que les femmes qui sont engagées dans les réserves renforcent leurs compétences, leur leadership.
Pourtant les réservistes opérationnels ne sont pas toujours identifiés par leur employeur privé et concernant les femmes, leur employeur ou collègues ne savent pas toujours qu’elles servent dans des régiments de l’armée de Terre, dans des unités de gendarmerie et disposent de savoir-faire rares. Leur engagement leur permettent, par les formations, par les missions qui leur sont données de développer, de renforcer leur leadership, leurs facultés de management dans le privé. Elles obtiennent des savoir-faire et des savoir-être qui s’avèrent être très intéressants pour les entreprises privées ou pour les collectivités locales dont elles peuvent être agents.
Les réserves opérationnelles créent des ponts, renforcent les liens entre le public et le privé et nourrit les deux mondes au moment où nous sommes dans une société qui connaît des crises protéiformes, au moment où le Président de la République appelle à cet engagement citoyen de tous et de toutes.
Les réserves opérationnelles, l’engagement dans la sécurité ou la défense sont un vrai levier pour consolider le leadership féminin.
Des photos souvenirs du #PDSF2025 organisé par l’Académie de défense de l’École militaire (lien des articles de l’#ACADEM) dirigée par le GCA Hervé de COURRÈGES.
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