Bonjour Anne-Catherine,
Nous sommes dans ton bureau au musée de l’Air et de l’Espace situé sur l’aéroport de Paris-Le Bourget. Nous avons déjà eu la joie de nous rencontrer dans le cadre d’un entretien en février 2022. Le temps passe très vite et même si nous avons, on peut le dire, régulièrement la joie de nous rencontrer, notamment dans le cadre de l’École militaire, sur des conférences, il est bien de revenir ici au Bourget et de partager tes actualités avant le Salon du Bourget 2025, et tout ce qui a été réalisé depuis 2022.
Absolument et je te remercie. Il est vrai que depuis 2022, il s’est passé beaucoup de choses.
On est toujours un peu sur un rythme d’une ouverture, d’un nouvel espace permanent par an et d’une grande exposition temporaire. Ce qui nous a permis aussi de continuer à développer les activités du musée et un travail de fond qui a été réalisé pour remettre aux normes et à jour un certain nombre de documents clés, notamment pour le musée.
Depuis février 2022, il y a eu la Médiathèque-Ludothèque qu’il faut absolument aller visiter puisqu’avec la région Ile-de-France et le ministère des Armées, que l’on a eu la possibilité de la réaliser -ce qui reste un peu exceptionnel dans les musées, et ce qui est dommage. Il faudrait que les musées puissent avoir un espace dédié à la lecture, toute typologie. C’est pour cela qu’il a la partie ludothèque et le visionnage de films.
Alors chez nous, l’originalité est que le visionnage se fait assis tranquillement dans des sièges d’avion A380 Première Classe. Ce qui est évidemment totalement original. Il y a une belle documentation autour de l’air et de l’espace. Et puis surtout, il y a des espaces pour la formation puisque l’on est en lien avec tous les acteurs de la formation. Tu sais que le domaine de l’aérien est un domaine qui recrute et on trouve qu’il est important pour notre public jeune.
Donc cela est la Médiathèque-Ludothèque qui a été inaugurée et qui fonctionne très bien.
Excellent. Et ensuite ? Il est vrai que l’on a pris un rythme d’une grande exposition par an et nous avons eu une exposition qui nous a pris quelques années de préparation autour des années folles de l’aviation.
Tu découvres le catalogue qui a reçu d’ailleurs un prix puisque c’était très ambitieux et l’idée était de traiter le sujet de la modernité, ce que l’on a appelé les années folles, qui est une thématique particulière de l’histoire. On sort de la Première Guerre mondiale et on se dit « plus jamais ça » et on entre dans une période dans les années 20 qui est assez extraordinaire en terme de développement, notamment dans l’architecture, et qui a eu un très grand succès. L’affiche que tu découvres sur le catalogue est une affiche de Robert Mallet-Stevens et c’était l’occasion pour nous également de revenir sur l’histoire de l’aérogare puisque l’aérogare qui a été réalisé par l’architecte Jacques Labro a été inauguré en 1937. Et c’est le musée aujourd’hui, dans sa partie centrale, donc fort de cette grande exposition temporaire, qui le met en lumière.
Par ailleurs, le salon du Bourget en 2023 a été un très grand succès puisque malheureusement en 2021, il avait été annulé. On est content puisque l’on a accueilli à peu près 130 000 visiteurs au musée en une semaine, ce qui était assez incroyable.
Et en 2024 ? Et bien nous avons tenu bon parce que les Jeux Olympiques et Paralympiques nous ont créés quelques petites frayeurs. Je ne te cache pas que cela a été un peu délicat d’aborder la question de l’accessibilité, puisqu’il y a eu beaucoup de réunions, comme tu le sais, interministérielles. Et au final, la bonne surprise pour nous, c’est que les environs du musée n’étaient pas du tout engorgés et que nous avons eu certes une baisse de fréquentation pour le mois de juillet et le mois d’août, mais pas du tout catastrophique en 2024.
Quel a été le retour ? On a eu un retour des visiteurs en septembre et en octobre qui a été incroyable. Ce qui fait qu’en fin d’année 2024, on était arrivé à plus 6 % de visiteurs dans l’année avec ce grand festival de musique électro que nous avons organisé qui a énormément eu de succès au mois de mai.
Et puis on avait pu préparer notre grande exposition temporaire Flight à l’automne. Alors Flight, c’est l’histoire du vol humain et du vol animal. C’est un consortium avec des collègues belges du Muséum des sciences naturelles, partie intégrante de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, des collègues allemands du Centre de sciences de Brême et des collègues espagnols du Parc des Sciences de Grenade.
Pourquoi cette collaboration européenne ? L’intérêt de travailler avec nos collègues européens est que l’on a des perceptions complémentaires d’un musée d’histoire naturelle, d’un musée de Sciences et un musée Technique et on n’a pas les mêmes types de collections. Donc nous avons travaillé plusieurs années à construire le synopsis de l’exposition. On se prête mutuellement des œuvres, des objets et tu vas pouvoir découvrir l’exposition.
Elle cartonne littéralement parce qu’elle est volontairement pour un public plus généraliste, mais elle amuse les petits et les grands puisqu’il y a ce mix des oiseaux et des animaux empaillés que tu découvres en entrant et tu te dis « effectivement, je découvre comment vole un colibri et comment vole une oie cendrée ». Et puis on te montre aussi des maquettes de drones ou des maquettes d’hélicoptère.
Et ensuite on retrace un peu l’histoire avec les dinosaures à plumes. Avec les premiers objets volants, on revient sur nos propres thématiques qui sont évidemment les premiers aviateurs. Et surtout un espace assez original autour du premier hélicoptère, dont nous avons l’original d’une des pales présentée et qui a demandé deux ans de restauration.
Donc cette exposition propose un aspect historique et un aspect contemporain.
L’exposition a-t-elle un aspect ludique ? Absolument. On a un espace dédié.
Par la manipulation, tu peux plier ton avion en papier, tout le monde le fait et tout le monde tente d’aller évidemment le plus loin possible. Et ensuite on découvre de manière très pédagogique, très ludique, pourquoi réellement un oiseau vole et un avion ne vole pas de la même façon.
Donc si tu te colles des plumes sur tes bras et que tu essaies de sauter du troisième étage de la Tour Eiffel, tu n’as strictement aucune chance de t’envoler. Mais il faut savoir que cela a été tenté réellement, ce qui est assez dramatique. Ces gens n’avaient strictement aucune chance et il a fallu du temps pour que l’homme comprenne que le battement d’ailes de l’oiseau est un battement d’ailes qui vient des muscles qui se situent ailleurs. Et la plume a d’autres fonctions. Et donc, l’avion a « des ailes » auxquelles tu ajoutes une puissance, c’est-à-dire le moteur, C’est ce que l’on explique de manière très simple dans l’exposition.
Tu embarques tout un groupe de jeunes et notamment les scolaires, et tu leur expliques les bases sans formules mathématiques : simplement avec du visuel, avec des objets et avec des manipulations. Et ensuite tu vas découvrir la fin de l’exposition.
Tu as les grands, ce que l’on a appelé nos grands maîtres du vol, cela peut être le Condor, le Concorde, et l’Antonov dont on a beaucoup parlé au début de la guerre en Ukraine.
On a voulu présenter cette exposition qui partira à Bruxelles à la fin du mois d’août et ensuite qui fera le tour par l’Allemagne et l’Espagne, ce qui permettra de nous concentrer sur la prochaine exposition temporaire qui ouvrira à la fin de l’année 2025 autour de la Lune.
Et cette fois ci, on visera un public jeune, volontairement. Quel âge ? Je dirais trois à huit ans. L’idée sera d’amener le visiteur jeune avec ses parents sur la découverte de ce qu’est mettre littéralement les pieds sur la Lune. Excellent.
Et c’est un peu un sujet d’actualité puisque l’on parle beaucoup aujourd’hui de retourner sur la Lune. Comme tu le sais, c’est le côté Air et Espace.
Et en retournant sur la lune, ce n’est pas forcément d’ailleurs comme on l’a fait précédemment pour le découvrir, c’est plutôt pour redécouvrir une possibilité d’en faire une zone intermédiaire : le fameux projet Gateway et pourquoi pas aller plus loin.
Donc nous avons Thomas Pesquet et maintenant Sophie Adenot et il nous a semblé important de valoriser le thème de la Lune et puis aussi d’alterner nos publics qui sont le cœur de notre activité.
C’est une valorisation de nos collections pour un public de plus en plus nombreux, de plus en plus large et surtout de mieux en mieux étudié par nos équipes. C’est peut-être cela le plus important aujourd’hui. Nos différentes équipes de médiation, de relations publiques, d’expositions travaillent fondamentalement à essayer de comprendre d’où vient notre visiteur ? Qu’est-ce qui déclenche la visite et jusqu’où va-t-on avec la satisfaction ?
Tu évoques le projet de Museum Research ? Absolument. On a intégré un groupe de recherche avec des musées internationaux, américains, finlandais, canadiens… Et l’idée de ce groupe de Future Museum Research est d’essayer de réfléchir autour de l’expérience du visiteur, de son voyage et de son bien-être. Il y a un certain nombre de réflexions, d’ouvrages autour de cette question qui selon moi est centrale. Faire venir des visiteurs en nombre, c’est bien, mais faire venir des visiteurs qui en ont une bonne expérience et un ressenti positif à la sortie, c’est essentiel et cela demande beaucoup de travail.
Concrètement. Les équipes font un travail fantastique. Aujourd’hui, en arrivant dans mon bureau, tu as pu constater que l’on a une très grosse fréquentation et des visiteurs très différents : tu as croisé un groupe un peu plus senior, qui a préparé sa visite, qui a réservé au restaurant. Tu as croisé un groupe de jeunes avec leur petit uniforme, parce qu’il faut que l’on ait les moyens de les identifier. Ils sont en centres aérés. Et puis tu as croisé des familles qui viennent avec la poussette. Oui, cela crée une ambiance intergénérationnelle très joyeuse dans le musée. D’ailleurs on les entend du bureau. C’est extrêmement agréable et on sous-estime un peu parfois le travail en amont que cela représente. Il n’y a pas de hasard, il y a un travail de fond sur plusieurs années.
Notre première interview était en 2022, tout le travail était déjà mis en place et peut-être récoltons-nous un peu le fruit de notre travail qui est très organisé. Cela représente des présences dans les salons et des relations avec des comités d’entreprises. C’est une étude très proche de notre territoire et c’est à la fois aussi de la campagne de communication dans le métro et puis des sujets qui fonctionnent bien.
Donc forcément, le bouche à oreille fonctionne et les visiteurs viennent sachant que nous avons un parking pour les voitures, et la mobilité douce qui a beaucoup été développée depuis les Jeux Olympiques. On se rend compte que ce mix voitures-vélo commence à porter ses fruits.
Et tout cela dans un environnement aéroportuaire très positif, très cordial. Entre acteurs on s’aide, on se soutient dans l’objectif de nous développer tous ensemble. Parce que l’aéroport du Bourget se développe, le musée se développe et la gare est en train d’être construite.
Donc on est dans un environnement très positif, ce qui nous permet, nous, de bien imaginer la suite de 2025, 2026 et plus loin.
Alors quels sont les projets en cours du musée de l’Air et de l’Espace ? On a préparé une grande exposition dont on finalise les contours autour de l’intelligence artificielle puisque c’est une des thématiques qui nous a été demandée.
Pourquoi l’IA ? L’IA est une thématique centrale de l’armée de l’Air et de l’Espace, du ministère des Armées et plus largement de l’ensemble des ministères.
Donc nous avons à nouveau décidé de travailler avec un consortium.
Et cette fois-ci, on va travailler avec des Estoniens. Il faut savoir que l’Estonie est un des pays les plus connectés que je connaisse avec les Allemands. Les Estoniens choisis viennent de Melbourne et nous allons effectivement, dans ce cadre-là, à la fois essayer par des manipulations et de la réflexion, d’expliquer un peu ce qu’est le trajet d’une future intelligence artificielle dont on ne connaît pas encore forcément tous les contours.
Et nous allons y ajouter un élément très personnalisé pour le musée de l’Air et de l’Espace autour des drones et de ce qu’aujourd’hui, au ministère des Armées, en termes d’innovation, on peut trouver.
C’est le travail en cours prévu pour octobre 2026.
Ce thème d’actualité passionnera les petits et les grands. As-tu d’autres projets en cours ? Nos programmations sont faites en expositions temporaires.
Elles sont faites cinq ans en avance, et en parallèle nous avons réussi à ouvrir une nouvelle expérience autour des simulateurs de vol parce que l’on a énormément de succès et qu’elle était un peu dépassée. Donc on a repris complètement la salle qui se trouve après le hall des prototypes et on y a installé des simulateurs de vol. Cela permet d’avoir une vingtaine de personnes en même temps qui s’inscrivent et vivent une séance d’apprentissage de décollage, d’atterrissage de simulateur de vol équivalent à un petit Cessna. Et puis avec les Apprentis d’Auteuil, on va pouvoir travailler à la préparation du carénage pour avoir vraiment l’impression d’être dans un cockpit d’avion à double commande.
En parallèle, on a finalisé notre réserve grand format, essentielle pour conserver et mettre en œuvre dans de bonnes conditions les avions de la taille d’un Constellation et surtout d’être en capacité de préparer notre futur grand hall de l’aviation civile, commerciale, légère et sportive qui est notre projet. Quand ouvrira-t-il ses portes ? Dans les prochaines années ce qui nécessite au préalable une restauration, notamment de la Caravelle dite « présidentielle » puisque le travail préliminaire qui a été fait sur la Caravelle Charles de Gaulle a été utilisé par plusieurs présidents de la République. On va reconstituer tout le mobilier en bois et on va surtout y présenter l’état de l’époque de Charles De Gaulle. Donc on y présentera aussi des œuvres d’art, puisqu’à l’époque c’était comme le train : l’avion était un luxe et à la fois une représentation de la grandeur de la France. Excellent ! On a retrouvé des tapisseries, et même un carton de Pierre Soulages que l’on a pu acquérir. Cela représente un grand travail des équipes du musée de l’Air et de l’Espace, des collections techniques et des collections des Beaux-Arts qui travaillent très bien ensemble pour valoriser et restaurer.
A partir de 2027 ? On aura une exposition sur le château de Maintenon. Elle sera présentée dans le nouveau hall avec le Mystère de l’aviatrice Jacqueline Auriol et toute une série d’œuvres. Il s’agira de représentations où on mélange les œuvres d’art, les œuvres du quotidien et les grands formats, les avions, les moteurs.
Tout cela correspond aux cinq prochaines années avec une exposition permanente et une programmation d’expositions temporaires. Et puis l’arrivée de métro. Ce qui nous permet d’imaginer une chose incroyable : 500 000 visiteurs chaque année !
Cela serait fantastique pour le lien armée-nation. Un dernier mot sur la boutique du musée. Comment se porte-t’elle ? La boutique cartonne.
On tient beaucoup à la boutique qui est notre concessionnaire puisque l’on est en délégation de service public avec la boutique. L’idée est qu’il y en ait des objets pour toutes les bourses. C’est vraiment important pour nous. Donc on peut effectivement trouver des livres pour enfants et un public plus averti, avec des séances de dédicaces comme le dessinateur Lapin et son album sur le musée. Les pilotes de l’aéroport viennent acheter leur matériel, c’est très important. On a toute une série de maquettes qui sont magnifiques, plus belles les unes que les autres, et puis toute une série de produits puisqu’ils ont pu se développer sur une superficie qui a triplé. La boutique propose des bonnes idées de cadeaux pendant l’année et avant les fêtes. On peut y trouver des crayons, des flammes, des catalogues et nous y tenons beaucoup puisqu’elle est placée à la sortie du musée.
Tu fais référence aux crayons à papier. Je prends une photo puisque tu as instauré une tradition qui me plaît beaucoup, symbole de transmission, et qui est d’offrir un crayon lorsque tu reçois dans ton bureau, et de recevoir un crayon en retour lorsque ton visiteur revient. Je suis venue avec un crayon à papier. Merci Anne-Catherine pour l’entretien passionnant et félicitations pour ton travail réalisé et à venir, et le travail des équipes engagées. A bientôt au salon du Bourget !

Interview de Anne-Catherine ROBERT, musée de l’Air et de l’Espace © Miss Konfidentielle
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