Interview de Eric Corbaux, procureur de la République de Pontoise

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16 mars 2020 – Miss Konfidentielle s’est entretenue avec Eric Corbaux, curieuse de connaître plus avant et de partager avec vous les missions exercées par un procureur de renom. Eric Corbaux se livre sur son parcours, ses souvenirs en Outre-Mer, son métier de procureur de la République de Pontoise… Une lecture instructive. Et qui fait voyager.

Bonjour Eric,

Né en Alsace, vous avez quitté le nid afin de suivre vos études.

Absolument. 
Je suis d’origine alsacienne. J’aimais notamment aller voir l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, qui est une merveille technique.
Après le bac, j’ai quitté l’Alsace et suis parti suivre une licence de droit à l’Université de Metz. Puis direction Paris pour rejoindre les bancs de Sciences Po. A Paris, j’ai vécu des années passionnantes et enrichissantes, pleines de découvertes, d’apprentissages, de connais- sances et de rencontres. Rares étaient les étudiants à l’époque qui à Sciences Po s’intéressaient à la filière de la magistrature. J’étais attiré par les fonctions et les responsabilités que l’on pouvait y exercer. Après une excellente préparation au concours à Sciences Po (en même temps que je passais une maitrise de droit public à l’Université de Panthéon-Assas), je l’ai passé et j’ai été reçu. Il s’en est suivi le Service national au cours duquel j’ai obtenu le brevet de parachutiste. J’avoue être fier d’avoir porté le béret rouge. J’ai terminé mes études à l’Ecole nationale de la Magistrature (ENM) de Bordeaux.

Depuis, j’ai été membre de la mission ONUMOZ de contrôle du déroulement des élections au Mozambique (1994), auditeur Défense Nationale et Intelligence économique à l’IHEDN (2008) et aujourd’hui auditeur du 8ème Cycle Interministériel du Management de l’Etat (CIME).

Votre ascension professionnelle vous a mené notamment en Outre-Mer. Quelles sont les étapes de votre parcours et vos meilleurs souvenirs ?

En sortant de l’Ecole nationale de la magistrature, j’avais envie avec mon épouse d’aller « voir ailleurs ». J’ai choisi un poste atypique à l’époque puisque c’était celui de juge à Saint- Martin et Saint-Barthélemy (maintenant il y existe une chambre détachée avec plusieurs magistrats). C’était une expérience fascinante avec une population qui était en attente de Justice et qui saisissait le juge d’instance que j’étais comme un juge de paix. Cela nécessitait souplesse et rigueur à la fois, écoute et recherche de la conciliation.
En tout dans ma carrière j’ai passé 10 ans aux Antilles : Saint-Martin, la Guadeloupe et la Martinique. La vie, la culture très riche, l’économie et ses potentiels, la politique, l’histoire souvent tragique sont insuffisamment connus dans l’hexagone. Professionnellement ces territoires subissent une très forte criminalité liée en grande partie au trafic de stupéfiants.
Lorsque j’étais procureur de la République en Martinique j’exerçais une compétence au niveau de toute la région Antilles Guyane concernant la lutte contre la criminalité organisée et notamment les trafics internationaux de cocaïne, ce qui était passionnant avec toutes les autres institutions impliquées dans cette lutte. L’occasion surtout de rencontrer des gens passionnants de nouer des amitiés fidèles et sincères.

J’ai également exercé plusieurs fonctions dans l’hexagone, à Grasse, Clermont-Ferrand, Saint-Dié-des-Vosges (pour mes premières fonctions de procureur de la République et un retour en Lorraine), et Caen. Donc une mobilité géographique assez active. J’ai également travaillé 4 ans comme adjoint au directeur des services judiciaires au ministère de la Justice.

Depuis 2017, vous êtes procureur de la République de Pontoise. Quelles sont vos responsabilités exactement ?

Un procureur de la République est un magistrat (on dit du parquet). Il y en a un dans chaque tribunal judiciaire qui co-dirige et co-administre avec le président ou la présidente du tribunal.

Par ailleurs le procureur dirige une équipe de magistrats (les substituts vice-procureurs et procureurs adjoints) et met en œuvre une politique pénale en suivant les directives de politique pénale nationale et régionale. Il analyse la délinquance de son ressort, et il va diriger l’action de la police judiciaire, rassembler les preuves, rechercher la manifestation de la vérité et décider de l’orientation qui sera donnée aux faits constatés et à leur auteur. Il peut décider de saisir un juge d’instruction, ou le tribunal immédiatement ou plus tard, d’orienter l’auteur vers un stage, ou classer sans suite si les faits ne sont pas constitués par exemple.
C’est le procureur qui à l’audience représente la société et donne au tribunal les arguments pour qu’une sanction soit prononcée.
Le procureur de la République intervient dans tous les champs du fonctionnement de la société où il convient de représenter les intérêts de la société. On peut citer par exemple l’Etat civil (c’est lui qui dirige les officiers d’Etat civil) ou le tribunal de commerce devant lequel il peut prendre des réquisitions pour préserver l’ordre public économique dans les redressements d’entreprise.
Il intervient également dans le champ de la politique de la ville pour mener une action de prévention de la délinquance ; c’est également lui qui veille au respect du droit des victimes. C’est donc un métier d’autorité, de responsabilités, toujours très varié et au cœur de la société.

On est confronté en permanence à de nombreux interlocuteurs, avec lesquels on échange et on travaille pour améliorer le quotidien des gens et le respect de la loi. Préfecture, policiers, gendarmes, douaniers, l’éducation nationale, toutes les administrations de l’Etat, les élus, les avocats, les experts, les notaires, les huissiers…

Etre procureur du Val d’Oise près le tribunal judiciaire de Pontoise, c’est gérer et piloter un des 12 plus gros parquets de France (sur 164) avec une forte délinquance dans un département en mutation. Un travail collectif, un engagement fort de toute une équipe qui n’excluent pas la bonne humeur. Quelques grandes orientations :

  • Lutter contre les violences faites aux femmes, on a ici dans cette juridiction, portée depuis des années une véritable politique de juridiction avec la présidente pour offrir une meilleure réponse à ce drame et une meilleure protection aux victimes,
  • La délinquance des mineurs qui doit être combattue pour préserver la génération qui arrive,
  • La lutte contre l’économie souterraine sous toutes ces formes, trafics en tous genres, habitat indigne, prostitution, stupéfiants et fraudes, notamment en « frappant les délinquants au portefeuille » avec une politique active de saisie des biens mal acquis,
  • Lutter contre les atteintes à l’environnement comme les décharges sauvages,
  • Travailler au cœur des quartiers sensibles avec des groupes d’analyse et de traitement de la délinquance spécialisés.

La vie est courte.. profitez-vous pleinement de votre vie privée ?

Bien sûr. J’aime voyager, surtout en Asie du Sud-Est et dans les Caraïbes, qui me fascinent assez par leur énergie permanente. La nature, la culture et la gastronomie.
Je peins souvent en rapport avec mes voyages, je crée des objets de décoration en ce moment notamment en utilisant des calebasses de Martinique et de la feuille d’or.
J’aime lire des ouvrages éclectiques, des romans ou essais, le théâtre, être surpris par des mises en scène originales à l’Opéra. J’ai vu il y a quelques mois Les Indes Galantes de Rameau à l’Opéra Bastille mis en scène par Clément Cogitore qui m’a beaucoup marqué. Je suis également un grand fan du chorégraphe Boris Charmatz.

La vie est courte, il faut avancer car nul n’est invulnérable ou éternel !

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