Le 29 juillet 2024 – Dans le cadre de la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives, j’ai pris attache avec M. Gilles LAGARDE, directeur de cabinet du Président du Sénat, M. Gérard LARCHER. Nous sommes au Petit Luxembourg autour d’un déjeuner informel à nous entretenir sur des sujets clefs au bon fonctionnement de nos institutions. Un moment exceptionnel que je partage pour une bonne compréhension de la vie politique.
Monsieur,
Quel est l’objet du Sénat ? Quelle est sa mission ?
Le Sénat est la seconde chambre du Parlement, à côté de l’Assemblée nationale.
La France est en effet un pays de tradition bicamérale. Cette tradition naît en 1795, avec la Constitution de l’An III, qui crée le « Conseil des Anciens », lointain ancêtre du Sénat moderne. « Les Cinq-Cents seront l’imagination de la République, les Anciens, la raison », plaida à l’époque le rapporteur de la commission constitutionnelle, Boissy d’Anglas. La seconde Chambre naît ainsi en France du refus de la dictature de la Chambre unique sous la Convention, du rejet des excès de la guillotine et de la dictature montagnarde. Bonaparte, Premier Consul, crée ensuite le « Sénat conservateur », dont la fonction est de « conserver » la Constitution. Puis la Charte de 1814, avec la restauration de la monarchie et le retour des Bourbons, crée la Chambre des Pairs, sur le modèle de la Chambre des Lords.
L’année prochaine, en 2025, nous fêterons le cent-cinquantenaire de la création du Sénat tel que nous le connaissons actuellement, c’est-à-dire la Chambre qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » pour reprendre les termes de l’article 24 de la Constitution de 1958. C’est sur cette base que les sénateurs ont bâti, depuis 1875, et continueront à asseoir leur légitimité. L’avènement de la IIIème République a en effet permis, pour la première fois, l’exercice réel du bicamérisme, le Sénat disposant dès lors des mêmes pouvoirs que la Chambre des députés. Il est, avec l’Assemblée nationale, colégislateur. Et c’est là que s’instaure un dialogue bicaméral entre la Chambre basse et la Chambre haute.
Divers événements, colloques, expositions, seront prévus en 2025 pour célébrer cet anniversaire.
Pourquoi une deuxième chambre ?
Je pourrais répondre à votre question par une anecdote assez connue qui date des débuts de la démocratie américaine. Thomas Jefferson demande à George Washington de lui expliquer pour quelle raison il a accepté la création d’une seconde Chambre : « A quoi peut bien servir le Sénat ? » lui demande-t-il, une tasse de thé à la main, pendant qu’il en verse le contenu dans une autre tasse pour le refroidir. « Vous venez de répondre à votre propre question ! » lui répond Washington. « Le Sénat est la tasse dans laquelle nous versons les textes législatifs pour les laisser refroidir ».
Les arguments en faveur du bicamérisme sont au nombre de quatre :
- L’équilibre des pouvoirs ;
- La nécessité de ne pas céder aux pulsions de l’opinion publique (« laisser refroidir les passions ») ;
- La nécessité de traduire la représentation territoriale de notre pays ;
- Et la péréquation territoriale entre territoires plus peuplés et territoires moins peuplés : le Sénat est la Chambre qui amplifie la voix des pauvres en démographie, et on a vu combien cette représentation pouvait être vitale pour ceux qui habitent la « France périphérique », pour reprendre le terme du géographe Christophe Guilluy, ceux qui se sentent « de côté », « dépossédés », parce qu’ils vivent en marge des grades métropoles. Sans le corps électoral actuel du Sénat, la représentation de ces citoyens serait écrasée sous la loi du nombre et leurs voix étouffées sous le poids numérique des métropoles et des territoires densément peuplés.
Le Sénat contribue à l’équilibre des pouvoirs en faisant contrepoids à l’Assemblée nationale et en apportant un autre regard sur la législation. Et il marque souvent de son empreinte les travaux législatifs : ainsi, depuis 1959, un peu plus de 11 % des textes seulement ont été adoptés en dernière lecture par l’Assemblée nationale, ce qui veut dire que dans presque 90 % des cas, les deux Chambres sont arrivées à un accord, même si le Sénat n’a pas le dernier mot en matière législative. Et depuis 2017, le taux de reprise des amendements du Sénat par l’Assemblée en dernière lecture avoisine les 70 %, ce qui démontre la qualité du travail sénatorial au cours de la navette parlementaire. Le Sénat contribue incontestablement à l’amélioration des textes législatifs !
Par son mode d’élection (suffrage universel indirect avec un corps électoral essentiellement constitué des 550.000 élus locaux, les « grands électeurs »), le Sénat a un rôle modérateur dans l’élaboration de la loi parce qu’il est beaucoup moins sensible aux émotions, parfois aux pulsions, de l’opinion publique que l’Assemblée nationale, élue au suffrage direct. Son mode d’élection lui donne davantage de recul, lui permet le temps de l’analyse et de la réflexion. Il y a dans le bureau du Président du Sénat une pendule ancienne qui montre un sénateur romain avec un rouleau de parchemin qui représente la loi. Et ce sénateur romain a l’index pointé sur le front. Cela veut dire qu’il réfléchit avant de faire la loi !Le Sénat a fait sien ces propos de Portalis dans son discours préliminaire sur le projet de Code civil : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance : ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».
De fait, l’expérience montre que le Sénat est une Chambre où le dialogue et le compromis sont possibles dans l’intérêt de la Nation, où les clivages sont moins marqués qu’à l’Assemblée nationale, les positions moins soumises aux postures idéologiques. Il peut ainsi donner de la loi une lecture moins passionnée, plus indépendante, éclairée par la connaissance et l’attachement que les sénateurs, « élus des élus », portent à nos collectivités locales. Comme le dit souvent le Président du Sénat : « Au Sénat, on ne dit jamais non par dogmatisme, jamais oui par discipline ! ».
Le Sénat joue également un rôle de stabilisateur institutionnel. Depuis le changement de rythme de notre démocratie, avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier des élections législatives qui suivent désormais l’élection présidentielle, l’Assemblée nationale est en principe politiquement alignée sur le Président de la République et le Gouvernement, du moins c’était le cas jusqu’en 2022 ! Le rythme sénatorial étant différent, avec un mandat de six ans et un renouvellement par moitié tous les trois ans, le Sénat est le seul contrepoids institutionnel, sorte de balancier stabilisateur de nos institutions. Il est la voix de la différence car il est le seul à ne pas être dans le temps du quinquennat. Le renouvellement par moitié tous les trois ans et l’impossibilité de le dissoudre en font également la Chambre de la continuité : alors que l’Assemblée nationale est renouvelée toute en bloc, et donc avec un temps d’interruption (on vient de le voir avec la récente dissolution), le Sénat assure en tout temps la continuité des institutions de la République.
Enfin, le Sénat est un stabilisateur constitutionnel puisque son accord est impérativement requis, hors voie référendaire, pour faire adopter une révision de notre Constitution (article 89 de la Constitution de 1958). C’est ce que l’on appelle parfois « le verrou constitutionnel », alors qu’il s’agit en réalité de l’exigence d’un consensus politique, qui se traduit par la nécessité d’un vote conforme des deux Assemblées, sur les questions touchant à notre Loi fondamentale. Comme l’écrivait Montesquieu dans De l’Esprit des Lois (1748), « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare et, lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante (…) Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Le Sénat est là pour le rappeler.
Excellent. Souhaitez-vous apporter des précisions ?
Je voudrais souligner combien, depuis 1958, le Sénat a su prouver son indépendance et son rôle de garant de la stabilité des institutions et de protecteur des libertés publiques. La défense des libertés publiques et l’attention portée aux collectivités territoriales sont les deux principaux marqueurs de notre institution, et ce depuis 1881 lors des discussions de la loi portant abrogation de toutes les lois restrictives de la liberté de la presse et lors des débats sur la loi municipale de 1884, visant à uniformiser le régime juridique des communes de France.
Plus récemment, depuis le début des années 1970, par le biais de propositions de lois, d’amendements, de commissions d’enquête et de missions d’information, le Sénat a continué d’imprégner notre législation par la défense des libertés publiques (liberté d’association, liberté de la presse, encadrement plus strict des écoutes téléphoniques, soutien à la création de la CNIL, lutte contre l’emprise des sectes, etc.), en apportant sa pierre à la décentralisation lors de la discussion des textes de 1982, de 1999 sur l’intercommunalité, de 2002 sur la démocratie de proximité et lorsqu’il s’est agit d’examiner les projets de lois de réforme territoriale de 2014, 2015 ou en 2022 lors de l’examen de la loi dite « 3DS » (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification), ou encore en améliorant le fonctionnement de la justice et, lors de la pandémie de Covid 19, en veillant constamment à maintenir l’équilibre entre exigences sanitaires et préservation des libertés individuelles.
Allons encore plus avant. Quelle est la place du Sénat au regard de l’Assemblée nationale ?
Le Sénat est colégislateur aux côtés de l’Assemblée nationale, même s’il n’a pas le dernier mot (mais nous avons vu que près de 70 % des amendements du Sénat sont repris en dernière lecture !), sauf s’agissant des lois organiques relatives au Sénat. Les projets de loi peuvent être indifféremment déposés devant l’une ou l’autre Assemblée, à l’exception des projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale qui doivent obligatoirement être soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale, et des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales qui doivent être soumis en premier lieu au Sénat.
La Constitution (articles 42 à 45) définit la procédure d’examen des textes entre les deux Chambres (il s’agit de la « navette parlementaire ») : première lecture à partir de la première Assemblée saisie, deuxième lecture, sauf si engagement de la procédure accélérée, et, en cas de désaccord entre les deux Assemblées, convocation d’une Commission mixte paritaire (CMP) composée de 7 députés et de 7 sénateurs, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Le texte élaboré par la CMP peut être ensuite soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux Assemblées. Si la CMP ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté par l’une ou l’autre des deux Assemblées, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la CMP, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat (article 45).
Enfin, il ne faut pas oublier les pouvoirs de contrôle du Gouvernement exercés, chacun de leur côté, par l’Assemblée nationale et le Sénat : questions d’actualité au gouvernement, questions orales ou écrites, commissions d’enquête, missions d’information, pouvoir d’auditionner les ministres et directeurs d’administration centrale devant les commissions permanentes, contrôles sur pièces et sur place dans les ministères, toutes ces prérogatives donnant lieu à publication de rapports parlementaires. C’est évidemment un rôle très important pour la vie démocratique du pays et qui s’exerce au titre de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».
Vous êtes directeur de cabinet du Président du Sénat. Quelles sont vos missions ?
D’abord faire fonctionner le cabinet et apporter au Président tous les éléments dont il peut avoir besoin pour exercer sa mission.
Le cabinet du Président du Sénat est organisé comme un cabinet ministériel : quinze conseillers, avec un directeur de cabinet, un directeur-adjoint, des conseillers thématiques (questions politiques, conseiller social, conseiller diplomatique, conseillère juridique, questions territoriales, environnement et agriculture, outre-mer, question de défense et de sécurité, éducation, cultes, communication, etc.), une cheffe et une cheffe-adjointe de cabinet, chargées de la gestion de l’agenda du Président, de ses déplacements et du fonctionnement logistique du cabinet.
Notre rôle, c’est d’abord d’aider le Président du Sénat dans sa mission : préparer ses réunions, ses entretiens, ses déplacements, lui préparer des notes sur tout type de sujets en fonction des besoins ou de l’actualité. C’est l’accompagner dans sa mission de Président du Sénat, et donc de Président d’une institution parlementaire, ce qui suppose un travail étroit avec les groupes politiques quels qu’ils soient, avec les commissions permanentes et délégations du Sénat et avec l’administration du Sénat (environ onze cents fonctionnaires avec à leur tête deux secrétaires généraux : le secrétaire général du Sénat, qui est vraiment le chef de corps de l’administration sénatoriale, et la secrétaire générale de la Questure qui est en charge, sous l’autorité des trois Questeurs, des questions budgétaires, RH et logistiques (travaux, patrimoine, Jardin du Luxembourg, etc.). Je suis évidemment en lien permanent avec les deux secrétaires généraux.
Mais nous travaillons également très fréquemment avec nos collègues des autres institutions, d’abord de l’Assemblée nationale bien sûr (je suis en dialogue très régulier avec mon homologue de l’Assemblée), mais aussi de l’exécutif, avec un lien privilégié avec le cabinet de la ministre ou du ministre chargé des relations avec le Parlement et les conseillers parlementaires de l’Élysée, de Matignon et des différents ministères. Nous travaillons aussi avec nos homologues du CESE.
Vous avez des liens forts au plus près des institutions.
J’ajoute, et c’est très important, la relation personnelle, individuelle, avec les sénatrices et les sénateurs. Je considère qu’une part importante de mon rôle, c’est d’être à l’écoute des sénatrices et des sénateurs, quels qu’ils soient, à quelque groupe qu’ils appartiennent, aux groupes de la majorité ou aux « groupes minoritaires » (on ne parle pas d’opposition au Sénat !). Je m’attache à être à leur disposition lorsqu’ils ont une question, une difficulté, ou tout simplement quand ils souhaitent me parler de sujets qui leur tiennent à cœur. Cela peut être une proposition de texte, une initiative qu’ils aimeraient prendre, ou un sujet politique s’ils le souhaitent.
Enfin, last but not least, parce que c’est l’ADN du Sénat qui est la Chambre des territoires, nous sommes en liens très étroits avec les élus locaux, à quelque niveau qu’ils appartiennent, commune, intercommunalité, département ou région, et aussi avec leurs associations, au premier rang desquelles les trois associations généralistes que sont l’Association des Maires de France (AMF), Départements de France et Régions de France. J’ai des relations extrêmement fréquentes avec les directeurs généraux de ces trois associations. Et puis avec les autres associations plus thématiques comme Intercommunalités de France, l’Association des Maires Ruraux de France (AMRF), France Urbaine, l’Association des Petites Villes de France (APVF)…
Je souhaiterais signaler un dernier aspect de notre activité, qui a vraiment été ma principale découverte en arrivant ici il y a presque sept ans, c’est l’intensité de l’action diplomatique du Président du Sénat. Il ne se passe quasiment pas de semaine sans qu’il ne reçoive un Chef d’État, un Président d’Assemblée, un ministre ou un ambassadeur étranger. C’est ce que l’on appelle la diplomatie parlementaire, c’est-à-dire les relations de Parlement à Parlement avec les groupes interparlementaires d’amitié, ce qui permet de porter une diplomatie un peu différente de la diplomatie traditionnelle menée par l’exécutif, de faire passer certains messages et d’assurer des liens avec quasiment tous les pays du monde. Il y a même une Association des Sénats d’Europe qui regroupe les deuxièmes Chambres des pays européens (il y en a 13).
Pourquoi votre intérêt pour la vie politique ?
Je crois que la politique m’a toujours intéressé.
Si je voulais vous répondre de manière plaisante, mais ce n’est pas une plaisanterie en réalité, je vous dirais que mon intérêt pour la politique est né en mai 1968 ! J’avais presque 8 ans à l’époque, et même si je ne suis vraiment pas d’esprit soixante-huitard (!) – et ma famille était très gaulliste –, je crois que l’effervescence des mouvements politiques, la vivacité des débats politiques à ce moment-là (ou du moins ce que je pouvais en comprendre du haut de mes huit ans en écoutant mes parents…) ont éveillé mon intérêt pour la politique.
Et plus tard, en 1977, lorsque je suis entré en faculté de droit à Lyon, je me suis tout de suite passionné pour le droit constitutionnel. Pourquoi ? Parce que ça parle d’institutions, du fonctionnement des régimes politiques, de l’histoire des institutions et des idées politiques, en France et à l’étranger. J’ai toujours été passionné d’histoire en général et d’histoire des idées politiques en particulier. C’est vraiment un intérêt très ancien et très profond, parce que ça concerne aussi la vie de la cité, et donc c’est ce qui conditionne la vie des gens.
Vous évoquez la faculté de droit et l’intérêt pour le droit constitutionnel. Quel parcours vous a mené aux fonctions de directeur de cabinet du Président du Sénat ?
J’ai suivi un parcours très classique : maîtrise en droit public à la faculté de droit de Lyon III, puis Sciences Po à Paris et l’ENA. Je suis rentré à Science Po parce que je voulais faire l’ENA, et je voulais faire l’ENA parce je souhaitais rentrer dans le corps préfectoral. C’est d’ailleurs ce que j’avais dit lors de l’entretien avec le jury d’entrée à Sciences Po et ils ont dû trouver que c’était cohérent !
En sortant de l’ENA, en 1989, j’ai choisi la préfectorale (après avoir hésité une seconde avec le Quai d’Orsay !). J’ai fait ce métier pendant 25 ans, avec beaucoup d’enthousiasme et de passion. J’ai beaucoup donné et j’ai beaucoup reçu ! Je crois que je m’y suis pleinement épanoui, j’y ai fait de belles rencontres et j’ai eu de grandes joies professionnelles. Et c’est un métier que l’on exerce aux côtés des politiques, des élus locaux et des parlementaires. Être préfet ou sous-préfet, ce ne sont pas des fonctions politiques, mais ce sont des fonctions où l’on travaille avec les politiques, et j’ai toujours aimé ça. On y travaille avec des gens qui sont en charge de la vie de la collectivité, qui ont choisi de se mettre au service de leurs concitoyens, qui essaient d’améliorer la vie quotidienne, de porter des projets, de faire en sorte que leur collectivité se développe. Élus et fonctionnaires de l’État, nous essayons côte à côte, de manière complémentaire, de mettre en œuvre des politiques publiques qui construisent l’avenir de la cité.
Je vous sens attaché au métier de préfet. Pensez-vous que ce métier est suffisamment reconnu aujourd’hui ?
Je l’espère, et on a bien vu le rôle éminent des préfets et sous-préfets, aux côtés des élus locaux et notamment des maires (le fameux « couple maire-préfet »), durant les crises que nous avons traversées ces dernières années (Gilets jaunes, Covid).
La suppression du corps préfectoral en 2023 m’a attristé parce que je pense que c’était l’une des armatures de ce pays. On verra comment les choses évoluent. Un corps, au sens administratif des choses, n’est pas forcément synonyme de corporatisme. C’est d’abord la reconnaissance d’un métier dans toutes ces spécificités, que l’on apprend en l’exerçant sur une succession de postes, des plus modestes aux plus importants, et un lieu de transmission en échangeant avec ses collègues. Lorsque vous êtes jeune sous-préfet, vous apprenez beaucoup de vos collègues plus anciens, de votre préfet. Et plus tard, c’est vous qui transmettez à vos collègues plus jeunes. Mais je suis peut-être vieux jeu…
Nous sommes en période estivale. Allez-vous prendre des vacances, vous détendre ?
J’ai la chance d’avoir plusieurs « chez-moi » ! Donc je vais d’abord aller chez-moi en Bourgogne, dans l’Autunois, au nord de la Saône-et-Loire. Ce sont mes racines familiales les plus profondes. Et puis j’irai ensuite dans mon autre chez-moi en Bretagne, du côté de Dinard, Saint-Malo, ce que l’on appelle la Côte d’Émeraude : c’est très beau ! Je vais retrouver ma famille, passer du temps avec ma femme et mes enfants.

Les vacances, c’est prendre du temps pour soi, ne pas être contraint par un agenda, prendre du temps pour flâner, faire du tourisme, voir des amis, nager et lire. Je suis un grand lecteur et j’essaie toujours de me préserver du temps pour lire.

Un ouvrage posé sur le bureau. Quel est-il ?
C’est le livre du général François Lecointre, qui s’intitule Entre guerres. C’est une très belle réflexion à partir de son expérience sur ce qu’est l’état militaire. Le général Lecointre explique par ailleurs qu’une civilisation naît à partir du moment où l’on distingue le monde civil du monde militaire, où l’on spécialise une partie de la population pour faire la guerre et exercer le monopole de la violence légitime. Ce sont les bellatores (ceux qui combattent) des trois ordres de la féodalité décrits par Georges Dumézil et Georges Duby.