Le mercredi 18 septembre 2024, 15h00 – Le général de corps aérien Laurent RATAUD, commandant la défense aérienne et les opérations aériennes (CDAOA), préside la cérémonie de prise de commandement de l’EAC2P, l’ESTT, l’ESIT et de l’EEIT sur la place d’armes de la base aérienne 105 d’Évreux « Commandant Viot ».
L’EAC2P, l’ESTT, l’ESIT et l’EEIT, c’est quoi ?
L’EAC2P signifie l’Escadre Aérienne de Commandement et de Conduite Projetable, elle est l’unité référente des moyens numériques projetables au profit de l’ensemble des unités de l’armée de l’Air et de l’Espace.
Elle encadre 5 escadrons : l’Escadron des Systèmes de Télécommunication Tactiques (ESTT), l’Escadron des Systèmes de Surveillance Tactiques (ESST), l’Escadron des Systèmes d’Informations Tactiques (ESIT), l’Escadron d’Expertise et d’Instruction Tactiques (EEIT) et l’Escadron de Soutien Logistique Opérationnel (ESLO).
Pour les curieux, j’ai publié un article sur le CISEX le 25 septembre 2024.
Invitée sur site la journée du 18 septembre par le colonel Christophe PIUBENI, délégué militaire départemental (DMD) de l’Eure, et commandant de la base de défense et la base aérienne d’Évreux, je vis l’expérience passionnante de la prise de commandement de l’intérieur.
Que faut-il savoir sur la base aérienne 105 d’Évreux « Commandant Viot » ?
La BA 105 d’Évreux est riche d’un passé aéronautique vieux d’un siècle, la base s’est vue tour à tour transformée de l’inauguration de la “station d’Aviation Bellanger” en 1913 à l’ère américaine, en passant par la création d’une école de pilotage dans les années 1930 ou encore la période d’occupation allemande.
En 2024, la BA105 est une emprise stratégique pour l’armée de l’Air et de l’Espace. En responsabilités ? Le transport tactique et logistique, la permanence opérationnelle, les missions de reconnaissance et de surveillance, la gestion des réseaux de télécommunication.
Elle est parmi les bases majeures de l’AAE avec une superficie de 720 Ha et environ 2300 personnels civils et militaires, français et allemands dont environ 1000 personnels SIC projetables par an sur plus de 120 missions (hors théâtres d’opérations extérieures) de l’EAC2P. Elle compte 6 « marguerites », 10 C130J, 17 CASA CN 235.
Qui était le commandant Jules VIOT, parrain de l’emprise ?
Jules Viot est né dans la Marne, à Ville-sur-Tourbe, le 14 juin 1910. Il s’engage dans l’armée à l’âge de 18 ans et incorpore le 51e régiment d’Infanterie. À 24 ans, il devient élève officier d’active et rejoint en 1935 le 32e puis le 43e Régiment d’Infanterie. En 1938, après un stage à Avord, il obtient son brevet d’observateur en avion. Admis dans l’Armée de l’air, il devient élève pilote à l’école de Melun en février 1940 et il est breveté pilote dans l’année. Promu au grade de Capitaine dans le corps des officiers navigants de l’air en 1941, il est affecté en Afrique-Occidentale française où il commande l’escadrille de police de sécurité stationnée à Bamako.
En 1946, il rejoint les Forces françaises en Indochine. Il y exécute de nombreuses missions en tant que pilote. Nommé commandant en juin 1947, il est affecté au groupe de transport 1/64 dont il prend le commandement en septembre. Le « Béarn », présent depuis 1945 en Indochine, assure alors, à l’aide d’appareils « Junker 52 » des missions de bombardement et de ravitaillement par air. C’est au cours d’une mission de parachutage que son appareil est abattu à Cao-Bang (Tonkin) le 9 octobre 1947.
Tué en service aérien commandé et déclaré Mort pour la France, avec 1 800 heures de vol et plus de 20 missions de guerre, Jules Viot est cité à titre posthume à l’ordre de l’armée le 15 décembre 1947. Titulaire de la Croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieures et de la médaille coloniale, Jules Viot est fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. Il avait 37 ans. Considéré comme l’un des plus prestigieux commandants du Groupe Béarn, il est nommé parrain de la base aérienne 105 le 3 juin 1984 donnant comme nom de tradition à la base « Commandant VIOT ». Une stèle mémorielle est érigée en son nom. La base aérienne 105 possède aujourd’hui la totalité de ses cinq carnets de vol, documents émouvants retraçant de 1938 à 1947 l’ensemble de sa carrière de pilote.
Quelle est l’articulation de la journée de prise de commandement ?
Une articulation en plusieurs temps incluant la dernière répétition en matinée sur la place d’armes, la visite de la base dont la tour de contrôle, le déjeuner au mess (restaurant militaire pour tous) avec le commandant de base et son équipe, l’exposé du colonel Christophe PIUBENI au GCA Laurent RATAUD, la cérémonie de prise de commandement avec des remises de décorations : une médaille militaire, un ordre national du mérite et deux médailles de la défense nationale échelon argent, puis les prises de commandement successives des quatre commandants d’unité montants, puis l’allocution et le départ des autorités.
Un honneur de vivre l’expérience de l’intérieur.
L’INTERVIEW DU GÉNÉRAL DE CORPS AÉRIEN LAURENT RATAUD
Mon général, je vous invite à vous présenter et à préciser ce que cela signifie pour un civil qui ne connaît pas le métier.
Je suis le commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes. Tout est inscrit dans le titre mais il faut un petit peu décoder parce que cela n’est pas si évident que cela.
En fait, je suis un des grands commandeurs de l’armée de l’Air et de l’Espace et mes responsabilités sont surtout axées sur les opérations conventionnelles puisqu’il y a un grand commandement qui s’occupe des opérations stratégiques et un commandement qui s’occupe de ce qui se passe dans l’espace. Je m’occupe principalement de ce qui se déroule sur le théâtre national, et en particulier ce que l’on appelle communément la “police du ciel“.
En temps de paix, je suis responsable devant le Premier ministre de la garantie de la souveraineté de notre espace aérien national. Et cela englobe donc tous les dispositifs de surveillance radar, de centre de contrôle, les alertes opérationnelles avec les interceptions, avec les hélicoptères, les avions de chasse à chaque fois qu’il y a une situation anormale dans le ciel de France.
En temps de crise ou de guerre, je suis responsable devant le Chef d’État-Major des Armées (CEMA), du volet militaire de cette “police du ciel“ qui devient la défense aérienne du ciel pour se protéger d’un adversaire militaire. Pour la partie opérations aériennes le CEMA peut me confier la conduite d’opérations aériennes sur le territoire métropolitain, mais également sur un théâtre d’opérations extérieures, auquel cas j’exerce la fonction de commandant de l’opération. Et pour faire cela, j’exerce la fonction de commandant des opérations. Ces missions s’exécutent dans le cadre de centres d’opérations basés essentiellement à Lyon.
Alors c’est assez étonnant. Depuis Lyon, on commente toutes les opérations sur la France, mais également partout à l’étranger. J’ai des équipes qui planifient sur le long terme, qui programment, qui conduisent et qui gèrent tous les événements en temps réel.
Le cœur décisionnel de nos missions s’exerce donc via l’État-Major dont les différentes brigades dépendent pour la mise en œuvre des moyens adaptés.
Il y en a notamment une : la Brigade Aérienne du Contrôle de l’Espace Aérien (BACEA). C’est la brigade dans laquelle on retrouve toutes les unités mettant en œuvre les radars, les systèmes d’information, de communication mais également tous les contrôleurs, les tours de contrôle, les centres de contrôle. Et au sein de cette brigade, puisqu’on est aujourd’hui sur la base aérienne 105 d’Évreux, il y a une unité très particulière : l’EAC2P qui va changer aujourd’hui de commandement.
La raison de ma présence aujourd’hui est de présider la prise de commandement de cette unité qui nous permet d’exercer nos fonctions de commandement et de conduite des opérations n’importe où dans le monde. L’EAC2P dispose de radars, de téléphones, de stations satellites, et ses équipes sont partout où l’armée de l’Air et de l’Espace est, de manière à ce que l’on puisse donner des ordres, donner des plans, contrôler les missions et s’assurer que tout se passe bien. C’est ce qui nous permet de faire cette fonction, ma fonction.
L’unité EAC2P ici à Évreux est juste incroyable. C’est-à-dire que l’on a des personnels qui sont des techniciens hors pair. Ils sont sur les exercices, sur les missions intérieures. Ils sont sur les théâtres d’opérations. Pendant les Jeux Olympiques, ils étaient très présents avec des radars… On a créé des nouveaux réseaux, il a fallu tout relier. Et encore une fois, l’unité était là au rendez-vous afin relever ce défi hors norme.
Ces hommes et ces femmes étaient sur le terrain et ils nous ont permis dès le premier instant d’être capables de donner les ordres, de voir ce qui se passait, que ça soit par des ondes radio, par des satellites, par des réseaux d’infrastructures, ils trouvent toujours une solution.
L’INTERVIEW DU COLONEL PIUBÉNI
Mon colonel, quelles sont vos responsabilités ?
Tout d’abord, je suis le délégué militaire départemental de l’Eure et à ce titre, je suis le conseiller militaire du préfet. Cela signifie que je dépends directement du CEMA.
Ma responsabilité est de conseiller le préfet sur l’emploi des forces armées, emploi strictement encadré par la loi sur le territoire national. Et dans le cadre de cette fonction, je fais le liant entre les entités militaires et les services de l’État.
Faire le liant, c’est être présent à des commémorations patriotiques, aller vers des services de l’État comme ceux de l’Éducation nationale pour faciliter l’intégration des familles de militaires, trouver des partenaires qui puissent soutenir des challenges mettant en avant le lien armée-nation.
Ensuite, je suis le commandant de la base de défense d’Évreux. Une base de défense est une aire géographique incluant dans son périmètre un ensemble de formations et d’organismes qui relèvent du ministère des Armées dont la Base aérienne 105 d’Évreux fait partie. A ce titre, nous assurons le soutien de toutes ces unités militaires s’étendant bien au-delà de l’Eure.
Donc quand on dit “on les soutient“, cela veut dire qu’on met à leur disposition des véhicules pour se déplacer, on met à disposition des services médicaux, des services sociaux et j’ai également une enveloppe financière pour venir en aide en cas de problème d’entretien de matériel ou pour faire ce que l’on appelle du soutien courant, c’est-à-dire payer les factures d’énergie, la tonte des espaces verts…
Pour cela, je dépends de l’état-major des armées, d’une entité qui s’appelle le Centre interarmées de la conduite opérationnelle de soutien (CICOS) qui est commandé par un aviateur. Et en ce sens, je joue le rôle de coordinateur, car je n’exerce pas vraiment de fonction de commandement.
Puis, la dernière casquette qui pour moi est la plus exaltante, c’est celle de commandant de base aérienne. Et donc là, c’est vraiment le commandement au sens premier, c’est à dire qu’on a une responsabilité de 2450 hommes et femmes, que ce soient des personnels militaires ou des personnels civils, sur une aire de 720 hectares. Et après j’ai des petites antennes également qui sont là dans le cadre de la posture permanente de sûreté Air (PPS-A).
Quelle est la particularité de la base aérienne 105 d’Évreux ?
Cette base aérienne a la particularité qu’elle permet d’assurer ce que l’on appelle les grandes fonctions stratégiques.
Il y a la fonction d’intervention, donc tout ce qui concerne nos avions de transport : on a des CASA, on a un escadron binational employant des C-130J qui est quelque chose d’unique et que vous avez visité. Une moitié des officiers est française, une autre moitié des officiers est allemande.
Il y a la fonction anticipation-connaissance. Il faut connaître les intentions de nos adversaires, voire de nos compétiteurs. Donc on a un escadron dit de guerre électronique qui avant volait sur Transall C160G « Gabriel » : Groupement Aérien de Brouillage, Recherche et Identification Électronique, et qui évolue vers des Falcon 8X « Archange » aux couleurs de l’armée de l’Air et de l’Espace. C’est un escadron qui va essayer de voir ce qui se passe sur le champ de bataille d’un point de vue électromagnétique. Quelle fréquence utilisée par un opérateur de drone pour piloter son drone ? Est-ce qu’il y a une grande activité sur les téléphones portables ?
Et puis la fonction qui en fait est un peu la clef de voûte, c’est la dissuasion. On concourt à la dissuasion dans la capacité de notre base aérienne à accueillir des avions ravitailleurs MRTT et à s’assurer que la mission de dissuasion aéroportée puisse se faire.
Donc la base aérienne 105 d’Évreux est assez unique.
Comment êtes-vous arrivé à ces fonctions ?
Tout d’abord, je suis rentré à l’école de l’Air en 1998 et ma première partie de carrière était sur C160R Transall entre Évreux, Toulouse et Orléans.
Puis j’ai réussi le concours de l’École de guerre et j’ai eu la chance d’être sélectionné dans les tous premiers équipages à évoluer sur A400M. C’était la période 2012-2014 où j’ai commandé une unité de transport que l’on appelle le CIET, le Centre d’instruction des équipages de transport. Cela m’a beaucoup plu parce que j’avais l’opportunité de voler sur tous les avions de transport œuvrant dans l’armée de l’Air.
Ensuite, je suis parti en Angleterre pour l’École de guerre, puis je suis allé faire des plans (Bureau Plans) ce qui m’a permis de travailler par exemple sur des sujets comme la fermeture de la base aérienne de Châteaudun.
Ensuite je suis parti trois années au Pentagone en qualité de conseiller auprès du chef d’état-major de l’USAF. Une fois que vous êtes commandant d’unité et que vous avez eu l’École de guerre, vous faites ce que l’on appelle « deux tours » en état-major avant de pouvoir prétendre à pouvoir commander une base aérienne.
Enfin, j’ai été présélectionné pour être commandant de la base 105 d’Évreux. J’étais très honoré parce que cela était un peu inespéré dans le sens où les compétiteurs sont nombreux. J’étais encore plus heureux que ce soit le Général de Corps Aérien (2S) Frédéric PARISOT qui me l’annonce car je travaillais pour lui lorsque j’étais au bureau Plans et qu’il avait aussi occupé les mêmes fonctions que moi au Pentagone. J’étais ému de retrouver la base aérienne que j’avais quittée et que je n’avais pas revue depuis 2012.
Le Major Général de l’armée de l’Air et de l’Espace, le général de Corps Aérien Philippe MORALÈS a écrit ma feuille de route pour m’indiquer ce qu’il attendait de moi. D’abord, il y a des directives générales s’appliquant à l’ensemble des commandants de base, puis plus spécifiquement pour la base aérienne 105. Il m’a été demandé de conduire l’arrivée des C130H ou d’aider à la montée en puissance de l’escadron franco-allemand par exemple. Et j’ai bien pris conscience de mon rôle clé d’un commandant de base dans l’architecture de l’AAE. Il y a le CEMAAE entouré de son comité stratégique pour décider les axes stratégiques des grands commandants pour donner les moyens aux bases aériennes d’exécuter leurs missions. On l’a bien vu pour les 90 ans de l’armée de l’Air et de l’Espace où le CEMAAE a voulu une section composée des commandants des bases et détachements aériens. Le CEMAAE nous considère vraiment comme les bras armés de l’armée de l’Air et de l’Espace parce que l’on est à la tête d’outils de combat et cela je le vois au quotidien. Donc c’est exaltant.
Cela demande aussi d’être optimiste ! Les aviateurs que je commande me donnent des raisons d’être optimiste. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris que les fonctions permanentes que l’on a ici nous tirent vers le haut et que l’on ne peut pas ne pas être au rendez-vous. L’exemple que j’aime donner, c’est le mois de janvier 2024 : il faisait très froid et il neigeait. Eh bien à 3 h 40 du matin, les militaires déneigeaient et on circulait mieux sur la base aérienne d’Évreux que dans la ville d’Évreux. Je n’ai pas eu une seule rupture de la Posture Permanente de Sûreté (PPS). Quand un chef voit toute une base se fédérer autour d’une mission, c’est formidable, c’est vraiment le sens du commandement.
Quel est l’objet de la cérémonie aujourd’hui ?
La prise de commandement est une cérémonie qui institue ou officialise un nouveau chef. C’est un cycle, il y a quelqu’un qui part et quelqu’un qui arrive. Vous verrez qu’il y en a un qui est déjà parti et qui a pris sa prochaine mutation. Mais surtout, cela montre aussi qu’il y a une continuité. Le cycle permet la continuité.
La passation de commandement est un moment très particulier dans la vie d’une unité. Elle est une forme de reconnaissance pour chaque homme et femme.
Le protocole date de Napoléon donc il est bien rodé. Vous appelez quelqu’un devant tout le monde, vous donnez son nom, vous le mettez à l’honneur, il va sortir de derrière, il va arriver, vous verrez la personne qui va rendre son commandement, qui va arriver en face de moi. Il y aura le drapeau… il laisse une partie de son âme et s’efface automatiquement. Je trouve que c’est vraiment bien fait et c’est un temps court, mais c’est un temps qui est vraiment intense.
Les élus, les associations, les familles sont invités à la prise de commandement et ce soutien est une forme de reconnaissance pour celui qui part, celui qui arrive et l’unité en présence.
Les remerciements
Un remerciement appuyé au colonel Christophe PIUBENI d’avoir pris le soin de m’inviter sur site et de me permettre une mise en lumière inédite de la BA105 de l’armée de l’Air et de l’Espace.
Un remerciement appuyé au GCA Laurent RATAUD pour sa confiance.
Un remerciement à l’équipe communication pour l’organisation de la journée, l’accueil fort sympathique et le suivi parfait.
Enfin, un remerciement chaleureux au général d’armée aérienne Stéphane MILLE, pour notre lien fidèle. Un honneur et une joie d’avoir accompagné l’armée de l’Air et de l’Espace à vos côtés.
Au général d’armée aérienne Stéphane MILLE, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace du 10 septembre 2021 au 16 septembre 2024, succède le général d’armée aérienne Jérôme BELLANGER depuis le 16 septembre 2024.
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