Bonjour Sylvie,
Je vous remercie de m’accorder du temps alors que se tient du lundi 16 au vendredi 20 décembre 2024 à Nanterre la 4ème édition du colloque annuel de la DCIS qui est la Direction de la coopération internationale de sécurité du ministère de l’Intérieur.
« Cet événement réunit, en région parisienne, pendant une semaine, les cadres de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale déployés dans le monde entier sur des postes d’attachés de sécurité intérieure, de chefs d’antenne ou d’experts nationaux détachés auprès d’organisations internationales.
Ce rendez-vous permet un dialogue resserré entre les différents acteurs de la coopération internationale de sécurité intérieure autour du cap fixé par nos autorités. Il donne également l’occasion aux participants d’approfondir leurs connaissances et de partager leurs expériences. » précise Mme. Sophie HATT, directrice de la DCIS.
Donc en première question, je vous invite à partager votre feuille de route d’attachée de sécurité intérieure (ASI) en Grèce.
Je suis l’attachée de sécurité intérieure en Grèce, à Athènes depuis septembre 2020.
J’entame ma cinquième année, ce qui n’est pas tout à fait courant et comme tous les ASI de notre centrale, j’ai reçu avant mon départ ce que l’on appelle une feuille de route ou un plan d’action.
Ces feuilles de route ou ces plans d’action sont assez différents en fonction des pays, puisque tous les pays n’ont pas les mêmes problématiques, les mêmes contraintes, les mêmes sujets d’intérêt pour notre centrale. À certains égards, être ASI en Europe est plus facile qu’en dehors de l’Union européenne.
Pour autant, il ne vous a pas échappé que la Grèce est au sud-est de l’Europe et donc c’est notamment un des premiers pays d’entrée pour l’immigration irrégulière et illégale en Europe.
Cette feuille de route est constituée de trois priorités qui sont déclinées en sous actions. Pour mettre en œuvre ce plan d’actions, je suis à la tête d’une équipe de cinq personnes dont un adjoint commandant de police, une assistante de droit local, deux officiers de liaison spécialisés en matière d’immigration, et un officier de liaison spécialisé en criminalité organisée.
La première priorité occupe beaucoup de temps puisqu’elle structure notre service. Il s’agit de la coopération avec la police hellénique dans la lutte contre l’immigration irrégulière.
La deuxième priorité est la coopération opérationnelle avec les services spécialisés grecs dans la lutte contre la criminalité organisée et contre l’extrémisme violent qui sont des thématiques prégnantes en Grèce. Le terrorisme est aujourd’hui une préoccupation un peu moindre qu’il y a quelques années mais il faut se rappeler, par exemple, que des terroristes du Stade de France notamment sont passés par la Grèce, dans des flux migratoires.
Ensuite, nous avons d’autres missions. Par exemple l’accompagnement dans la gestion de crise et la modernisation des structures grecques, notamment de protection civile. Cela peut paraître un peu curieux parce que je suis commissaire de police, je ne suis pas pompier, mais néanmoins, la DCIS représente à l’étranger le ministère de l’Intérieur, dont fait partie la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.
Ce qui traverse toutes ces problématiques, c’est le soutien aux entreprises françaises du domaine de la sécurité, ce que l’on appelle le SOUTEX, c’est-à-dire le soutien à l’exportation. Nous aidons les entreprises françaises qui souhaitent répondre à des appels d’offres ou se faire connaître en Grèce dans le domaine de la sécurité. Notre travail consiste à présenter notre pays de compétence aux entreprises françaises, à les mettre en relation avec les autorités locales au plus haut niveau. C’est un sujet en soi. A cette fin, le SSI en Grèce a notamment, en décembre 2023, les French Greek Security Workshop. Le concept vient des French Security Days lancé par la centrale.
Très instructif. Je vous invite à développer…
D’autres services de l’ambassade de France en Grèce gèrent les relations avec les entreprises (comme le service économique régional par exemple), mais dans le domaine tout particulier de la sécurité intérieure, l’ASI a un rôle à jouer et a des actions spécifiques à mener.
C’est un défi pour un ASI que de s’engager dans ce genre d’entreprise parce que ce n’est pas son métier premier. C’est très intéressant parce que l’on apprend beaucoup de choses, on rencontre des gens que l’on n’a pas l’habitude de côtoyer dans un service de police en France. Cela demande beaucoup de travail et d’implication, notamment en Grèce, qui a connu une grave crise économique entre 2010 et 2019.
Lorsque je suis arrivée à mon poste d’ASI en Grèce en 2020, les services publics étaient encore en difficulté, il n’y avait pas eu ou peu d’investissement pendant dix ans. Les grecs sont aujourd’hui très demandeurs dans beaucoup de domaines. Progressivement j’ai été de plus en plus sollicitée par exemple pour l’achat de bateaux pour les garde-côtes, ou de technologies françaises dans d’autres domaines. Mon rôle est de faire en sorte que nos partenaires grecs se tournent vers nos solutions techniques, vers nos équipements. Cette action exclut toute intervention dans les négociations commerciales avec les partenaires locaux.
Les French Greek Security Workshop ont été compliqués à mettre en place. Il a fallu que je trouve un partenaire parce que nous n’avions pas de budget. J’ai trouvé le GICAN, qui est le Groupement des Industries de Construction et Activités Navales. Il promeut les intérêts de l’industrie navale française. C’est un très bon partenaire avec lequel j’ai pu travailler. Le GICAN a apporté ses propres adhérents. J’ai pu m’appuyer sur des entreprises françaises implantées en Grèce. Il fallait monter un événement qui n’avait jamais été fait. C’était compliqué : organiser la logistique, convaincre les ministères grecs de participer à l’événement. 38 entreprises françaises et 44 entreprises grecques ont participé aux French Greek Security Workshop et en attendaient beaucoup.
Cela a été un énorme travail avec mon équipe qui a été concrétisé il y a un an, les 14 et 15 décembre 2023 à Athènes en présence des ministres grecs et de l’ambassadrice de France.
Nous sommes à la première date anniversaire des French Security Days. Avez-vous des retours des entreprises françaises ?
En effet et j’ai eu de bons retours.
Les French Security Days ont initié des contacts sérieux et permettent aux entreprises françaises de mieux connaître les besoins du marché grec.
Je pense que mes successeurs reconduiront l’événement pour pérenniser ces partenariats.
Parlons de votre parcours : quels sont les leviers que vous souhaitez partager ?
Je suis entrée dans la police en 1986 après avoir fait du droit.
J’étais très intéressée par le droit privé, le droit pénal et la procédure pénale. Et sans doute influencée par mes lectures de jeunesse, je voulais rentrer dans la police parce que je voulais être le commissaire Maigret ! C’était ma motivation. Évidemment je n’ai pas été Maigret. J’ai très peu fait d’enquêtes de brigade criminelle.
Quel était le contexte dans les années 80 pour une femme dans la police ?
Nous étions peu de femmes à intégrer la police.
Cela n’était pas du tout comme aujourd’hui. Lorsque j’ai passé le concours de commissaire de police il y avait encore deux concours : un concours pour les hommes et un pour les femmes.
Ma carrière a commencé en PJ à la Préfecture de police de Paris, et ensuite en grande couronne parisienne, en sécurité publique.
A partir des années 2000, je fais beaucoup de sécurité publique à Marseille et j’ai été aussi affecté à l’IGPN, l’Inspection générale de la Police nationale.
Ensuite, je suis partie 5 ans en Corse comme conseiller sécurité du préfet de la Haute-Corse à Bastia. Ce fut une expérience très intéressante. Une préfecture est un milieu différent avec des missions transversales. J’y ai fait de belles rencontres. Je coordonnais les forces de police et de gendarmerie pour le préfet de Haute Corse.
Cinq ans après, je suis rentrée à Marseille pendant trois ans et je suis partie en Grèce en septembre 2020.
C’est un beau parcours.
Oui, c’est assez complet.
En Grèce, j’ai en charge beaucoup de sujets qui se rapportent à la police aux frontières, ce qui n’était pas ma formation initiale. Cela a été un défi pour moi d’apprendre et de me former. Plus généralement, il n’est pas forcément évident de s’expatrier. Il faut que la famille puisse suivre et s’adapter à une autre culture, retrouver des repères… Selon les pays, c’est plus ou moins facile.
Je pense à certains de mes collègues qui sont dans une contexte difficile. A Haïti par exemple, ou en Ukraine, en Israël.
Le travail en ambassade est différent du travail dans un service de police. Nous sommes à l’étranger, dans un Etat souverain.
Je suis très intéressée par mon travail. On peut essayer d’innover, de créer, de creuser son sillon, d’impliquer sa marque.
Quel est votre lien avec la Grèce ?
Je suis marseillaise d’origine et à Marseille, il y avait une très grande communauté grecque. Mes parents s’intéressaient beaucoup à la culture grecque. Ma mère me lisait l’Iliade et l’Odyssée, les mythes grecs… Et puis j’ai fréquenté la communauté grecque à Marseille, j’ai appris les danses grecques, j’ai commencé à apprendre le grec. Ensuite je suis allée en Grèce et je me suis fait des amis. Donc je peux dire que je connaissais avant d’y arriver la Grèce de manière un peu intime.
Mais je n’y avais jamais vécu et surtout je n’avais pas connu la vie professionnelle. Il est d’ailleurs intéressant de confronter l’idée que l’on a d’un pays en tant que touriste avec celle d’une expatriée. La carrière à l’international m’intéressait beaucoup et je suis très contente d’avoir été choisie au poste d’ASI en Grèce.
Racontez-nous vos loisirs en Grèce
Depuis mon arrivée, je continue à faire ce que je faisais en France c’est-à-dire du sport. Le sport permet de se maintenir en forme de manière générale et j’estime qu’un policier doit être en forme. Et puis j’aime beaucoup me promener en Grèce parce qu’il y a toujours quelque chose à découvrir !
Excellent ! Votre affectation en Grèce vous a-t-elle inspirée à découvrir des pays frontaliers ?
D’abord, je suis allée à titre professionnel dans certains pays, notamment l’Albanie et la Turquie. Evidemment je profite de mes congés annuels pour découvrir la région, qui est riche notamment de sites archéologiques.
Le colloque va reprendre, souhaitez-vous ajouter un dernier mot auprès de nos lecteurs ?
On a beaucoup parlé des Jeux Olympiques aujourd’hui, évidemment avec des retours d’expérience très intéressants. J’ai repensé à cette année Olympique et il ne vous a pas échappé que la Grèce est le pays des Jeux Olympiques.
En Grèce, notre investissement opérationnel a commencé dès le mois de février 2024 avec la préparation des échéances olympiques grecques. Il y a eu des cérémonies pour l’allumage de la flamme olympique, le relais de la flamme en Grèce, la remise de la flamme au COJOP français, le départ de la flamme sur le Bélem.
Nous avons reçu à deux reprises Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques. La ministre est venue à la cérémonie d’allumage de la flamme en présence de la présidente de la République hellénique. Ensuite, elle est revenue pour la remise de la flamme au COJOP et son départ sur le Belem.
Ce que l’on peut retenir c’est que tout commence à Olympie.
Excellent ! Je vous remercie Sylvie pour ce moment fort instructif et très agréable sur votre métier d’attachée de sécurité intérieure en Grèce, et votre parcours inspirant pour des jeunes femmes prêtes à s’engager et un brin aventurières.
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