La Constitution de la Vème République définit les institutions françaises, et notamment ses 3 chambres constitutionnelles :
– l’Assemblée nationale,
– le Sénat
– et le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Le 29 janvier 2025, l’avis Restauration de la nature : face à l’urgence, donnons l’envie d’agir du CESE sur proposition de la commission Environnement est adopté.
Question dont le Conseil économique, social et environnemental a été saisi par décision de son bureau en date du 3 septembre 2024 en application de l’article 3 de l’ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental.
Le bureau présidé par M. Thierry BEAUDET a confié à la commission Environnement, la préparation d’un avis Restauration de la nature : face l’urgence, donnons l’envie d’agir. La commission Environnement présidée par M. Sylvain BOUCHERAND, a désigné Mme Julie MARSAUD, comme rapporteure et M. Alain DURAND comme rapporteur.
Je vous partage la synthèse du CESE sur ce sujet majeur de l’environnement en France. Excellente lecture.
Les services rendus par la nature sont essentiels pour la survie de l’humanité, en dehors même de leur valeur intrinsèque. À titre d’exemples, 75 % des espèces cultivées dépendent partiellement ou totalement des pollinisateurs, environ 50 % du PIB mondial repose sur la nature, 80 % des emplois en France dépendent de la biodiversité, dont 10 % directement.
Or, la perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes se poursuivent à un rythme alarmant sous l’effet des pressions anthropiques directes et indirectes, qu’il s’agisse de l’artificialisation et des pollutions, de la surexploitation, du développement des espèces exotiques envahissantes, ou encore du réchauffement climatique. Ainsi, dans l’Union européenne, 75 % de la surface terrestre est significativement altérée et 85 % des zones humides ont disparu. Le nombre d’oiseaux a décliné de 25 % en 40 ans, voire de près de 60 % pour les espèces des milieux agricoles.
Afin d’enrayer cette dégradation, le règlement (UE) 2024/1991 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2024 relatif à la restauration de la nature fixe pour la première fois des objectifs à la fois quantitatifs et contraignants aux États membres. Entré en vigueur le 18 août 2024, il fixe l’objectif de restaurer au moins 30 % de ces terres et mers dégradées d’ici 2030 et l’ensemble des écosystèmes d’ici à 2050. Il transpose ainsi l’un des objectifs du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, à savoir restaurer 20 % des terres et mers d’ici à 2030. Tous les écosystèmes sont concernés : espaces urbains, terres agricoles, forêts, prairies, écosystèmes côtiers, marins (notamment les prairies sous-marines et les bancs d’éponges et de corail) et d’eau douce (zones humides, rivières, lacs).
Pour garantir la mise en œuvre du règlement européen, les États membres devront définir d’ici 2026 et mettre en œuvre un plan national de restauration, précisant notamment les espaces ainsi que les actions de restauration prévues, qu’il s’agisse de restauration « passive » (par exemple : limitation de l’utilisation d’engins de pêche destructeurs sur les fonds marins ; réduction voire élimination de l’utilisation d’engrais et de pesticides de synthèse, encadrement de l’artificialisation des sols, etc.) ou « active » (reméandrage des rivières canalisées, enlèvement de drains ; rétablissement des essspèces indigènes par semis ou plantation ; extension des espaces verts urbains existants ; plantation des haies autour des champs cultivés, création de mares, etc.)
Or, le CESE constate que les potentiels porteurs de projet sont confrontés à la complexité de montage des dossiers, à la multiplicité des interlocuteurs et à un manque de moyens. Plus généralement, la faible appropriation des enjeux par la population conduit également à un manque de soutien aux projets de restauration. Le CESE souhaite donc que soient mobilisés tous les leviers afin de faciliter et multiplier leurs initiatives et formule à cette fin 16 préconisations, articulées autour de trois axes.
Sur la gouvernance, le CESE préconise un portage politique à haut niveau, une planification territoriale et un accompagnement local sous la forme d’un « guichet unique » assuré par les agences régionales pour la biodiversité (préconisations 1, 2 et 3).
Pour renforcer les connaissances, mobiliser les compétences et favoriser l’engagement populaire, le CESE préconise notamment de rendre accessibles les informations au travers d’un centre de ressources coordonné par l’Office français de la biodiversité (préconisation 4), d’engager une campagne nationale de sensibilisation et de mobilisation à destination du grand public, notamment scolaire et de l’éducation populaire, autour des objectifs et des projets de restauration de la nature (préconisation 5) et d’intégrer dans le plan national de restauration de la nature une trajectoire chiffrée de développement de la formation et de montée en compétences des professionnels, qu’il s’agisse des services déconcentrés de l’État et agents des collectivités territoriales, des gestionnaires d’espaces protégés, des entreprises de la filière du génie écologique, etc. (préconisation 6). En outre, reconnaître l’engagement des propriétaires privés ou publics dans la restauration de la nature pourrait passer par l’attribution d’un label (préconisation 7).
Enfin, l’accès au foncier, le financement et la pérennisation des mesures de restauration pourront s’appuyer sur des outils déjà existants mais peu accessibles ou insuffisamment attractifs. Tout d’abord, le CESE souligne que la réduction des pressions sur la nature constitue un prérequis encore défaillant. Pour cette raison, le plan national de restauration de la nature devra assurer la réduction des dépenses publiques dommageables à la biodiversité, le respect des politiques de « zéro artificialisation nette » et de la séquence « éviter, réduire, compenser » (préconisation 8). Par ailleurs, le passage à l’échelle nécessaire des actions de restauration repose sur la relance de la dynamique des contrats dans le réseau Natura 2000 (préconisation 9), sur le déploiement, l’attractivité et l’accompagnement en faveur d’outils tels que les obligations réelles environnementales – ORE (préconisation 10) et les baux ruraux environnementaux – BRE (préconisation 11), sur un développement encadré des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation -SNCRR (préconisation 12), et sur la mobilisation des outils fonciers et de protection forte pour les sites le nécessitant (dégradation continue, insuffisance des mesures de restauration passive, etc.) (préconisation 13). Les besoins financiers, que le plan national de restauration de la nature doit établir, devront être garantis via le Fonds vert (préconisation 14), les budgets verts des collectivités locales assortis d’un suivi renforcé (préconisation 15) et des outils de financement innovants ou encore marginaux tels que les paiements pour services environnementaux (PSE), les certificats (ou «crédits ») biodiversité et le mécénat (préconisation 16), en veillant à leur intégrité écologique et à leur ambition.
Face à la dégradation des écosystèmes, restaurer la nature est une nécessité. Pour le CESE, l’élaboration du plan national de restauration de la nature doit constituer une occasion de mettre en cohérence les politiques et outils existants au service de cet impératif. La France pourra relever le défi d’inscrire son développement dans le respect de la nature en explicitant les choix, en fournissant l’appui nécessaire à l’engagement et en rendant visibles les bénéfices, pour la société, d’une nature restaurée.
LES PRÉCONISATIONS
PRÉCONISATION 1
Le CESE préconise d’assurer un portage politique à haut niveau des objectifs de restauration de la nature, capable de rendre des arbitrages favorables face aux politiques sectorielles et évaluant le coût de l’inaction en faveur de la restauration de la biodiversité.
L’association des parties prenantes est nécessaire dans l’élaboration et la mise en œuvre du plan national qui devra porter une attention particulière aux besoins d’accompagnement des secteurs d’activité appelés à faire évoluer les pratiques de gestion des milieux (agriculture, sylviculture et pêche en particulier), tout en fixant un cap ambitieux pour l’atteinte des objectifs fixés par le règlement européen.
Un suivi annuel de l’atteinte des objectifs pourra utilement faire l’objet d’une présentation au Parlement.
PRÉCONISATION 2
Pour la déclinaison territoriale du plan national de restauration de la nature, le CESE appelle à s’inspirer de la démarche de préfiguration de « schémas territoriaux de restauration écologique » conduite pour la Méditerranée et à s’appuyer sur les COP régionales de la planification écologique.
Les territoires ultramarins, qui abritent 80 % de la biodiversité française, devraient faire l’objet d’une attention particulière au travers d’une stratégie de sauvegarde et de restauration de leurs écosystèmes, qui tienne compte de leurs spécificités (fort endémisme, insularité, sensibilité aux espèces exotiques invasives…).
PRÉCONISATION 3
Le CESE préconise que les agences régionales pour la biodiversité (ARB) ou équivalents régionaux constituent, sous la forme d’un guichet unique, la structure de mobilisation et d’accompagnement identifiée par tous les acteurs au niveau régional en termes d’ingénierie de projet, de mise en relation entre acteurs du territoire, et soient chargées de la collecte des données de suivi des projets et de la remontée des données de rapportage auprès de l’Office français de la biodiversité. Il importe aussi de promouvoir la création d’une ARB dans les régions qui n’en ont pas encore instauré.
PRÉCONISATION 4
Le CESE préconise de renforcer et de pérenniser les moyens des opérateurs chargés d’acquérir et de diffuser les connaissances sur l’état et l’évolution des milieux terrestres et marins, ainsi que sur les actions réalisées en matière de protection et de restauration de la nature et appelle à un déploiement additionnel de moyens au profit des territoires ultramarins, qui représentent une partie importante de la biodiversité française.
Le CESE préconise également de confier à l’Office français de la biodiversité, OFB, la mise en place d’un centre de ressources qui permettra aux acteurs des territoires (élus, associations, entreprises, services de l’État) de connaître, sous une forme aisément accessible, les pressions qui s’exercent sur les milieux, les mesures de restauration en cours ou en projet et les possibilités de s’engager localement auprès des propriétaires et gestionnaires des territoires concernés.
PRÉCONISATION 5
Engager une campagne nationale de sensibilisation et de mobilisation à destination du grand public, notamment scolaire et de l’éducation populaire, autour des objectifs et des projets de restauration de la nature, en milieu rural comme en ville. Constituer dans chaque région une COP des jeunes visant à développer des actions en faveur de la biodiversité et de sa restauration, mobilisant et visant les jeunes publics.
PRÉCONISATION 6
Intégrer dans le plan national de restauration de la nature une trajectoire chiffrée de développement de la formation et de montée en compétences des professionnels : services déconcentrés de l’État et agents des collectivités territoriales, gestionnaires d’espaces protégés, entreprises de la filière du génie écologique, chambres consulaires, urbanistes…
PRÉCONISATION 7
Reconnaître l’engagement des propriétaires privés ou publics dans la restauration de la nature par l’attribution d’un label, facilement identifiable et reconnaissable, et mettre en valeur les initiatives de restauration en renforçant la visibilité de démarches telles que le « prix national du génie écologique ».
PRÉCONISATION 8
Le CESE considère que la politique de restauration de la nature ne peut être efficace que si les grandes pressions sur la biodiversité sont réduites en amont. Cela suppose que l’État, pour ses grands projets, et les collectivités territoriales, au travers de leurs documents d’aménagement (SRADDET, SCoT, PLU/PLUi et cartes communales) atteignent l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) d’ici 2050, respectent la séquence « éviter-réduire compenser » (ERC) et préservent les continuités écologiques (les trames vertes et bleues -TVB).
Les sites faisant l’objet de mesures de restauration devraient être identifiés dans les documents d’urbanisme et les documents de planification territoriale, et être opposables aux activités susceptibles de dégrader les milieux, selon une trajectoire concertée localement. Des mesures d’accompagnement, de conseil et de soutien à l’évolution des pratiques seront nécessaires et pourront prendre la forme de conventions locales, de contrats d’engagements réciproques et/ou de paiements pour services environnementaux.
En complément, le CESE réitère sa demande de planifier la réduction, voire la suppression des dépenses budgétaires et fiscales dommageables à la biodiversité, européennes et nationales, qui représentaient encore plus de 10 Md€ en 2022.
PRÉCONISATION 9
Relancer fortement la dynamique des contrats dans le réseau Natura 2000, que le règlement européen prévoit de prioriser, et veiller à une meilleure intégration des prescriptions des documents d’objectifs Natura 2000 (DOCOB) et des orientations d’aménagement et de gestion des milieux : SRADDET, SCoT, PRDAR, PRFB, SAGE, schéma d’aménagement touristique départemental…
En complément, pour les sites subissant une dégradation continue et/ou forte, envisager le déploiement élargi des classements par arrêtés préfectoraux de protection de biotope et d’habitats naturels.
Pour les territoires ultramarins, qui ne sont pas couverts par le réseau Natura 2000, le CESE préconise d’adopter une démarche s’en inspirant, tout en étant adaptée à chaque territoire.
Dans tous les cas, renforcer les moyens consacrés au réseau Natura 2000 (animation, gestion, pilotage, contractualisation).
PRÉCONISATION 10
Le CESE préconise de fixer dans le plan national de restauration un objectif chiffré de déploiement des obligations réelles environnementales (ORE) et de les rendre plus attractives en initiant une expérimentation portant sur une exonération totale ou partielle et compensée par l’État de taxe foncière pour les ORE de type patrimonial (et non pour les ORE dans le cadre de la compensation), en prenant en charge systématiquement les frais d’acte notarié et en réduisant les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sur les terrains objets d’ORE. Les services fiscaux devront estimer l’impact de ces exonérations sur les finances publiques.
Un suivi des obligations réelles environnementales (ORE) conclues sur le territoire et une communication auprès des acteurs devraient être déployés afin de diffuser les bonnes pratiques, d’améliorer l’intégration des ORE dans les documents locaux de planification et de faciliter l’évaluation de la politique de restauration aux niveaux national et européen.
PRÉCONISATION 11
Pour la restauration des milieux agricoles, le CESE préconise de fixer dans le plan national de restauration un objectif chiffré de déploiement des baux ruraux environnementaux (BRE).
PRÉCONISATION 12
Dans la gestion des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation (SNCRR), le CESE appelle à la vigilance sur les risques de doubles comptages entre les mesures de compensation (d’origine réglementaire) et de restauration (d’origine volontaire).
En conséquence, il appelle l’État à garantir qu’elles soient bien distinguées, y compris d’un point de vue budgétaire et comptable. Afin que l’évitement des impacts soit plus rentable que leur compensation, les mesures de compensation devraient être nettement plus coûteuses que les mesures d’évitement et de réduction des atteintes à la biodiversité.
PRÉCONISATION 13
Le CESE préconise de préciser dans le plan national de restauration les conditions de la mobilisation des outils de maîtrise foncière et de classement en espace protégé, en complément des dispositifs incitatifs et contractuels.
En fonction de l’état de dégradation des milieux, du diagnostic des pressions exercées et des études d’impact socio-économiques, le classement en zone de protection forte doit être envisagé, en associant l’ensemble des parties prenantes, tout particulièrement les acteurs dont les activités devront être encadrées ou arrêtées.
Les possibilités de classement en zones protégées pourraient être étendues aux zones de trame verte et bleue de façon à assurer les continuités écologiques entre les espaces protégés.
PRÉCONISATION 14
Alimenter, sécuriser et pérenniser le Fonds vert en tant qu’instrument majeur d’accompagnement des collectivités territoriales et prévoir sa trajectoire d’augmentation à hauteur des besoins identifiés dans le cadre du plan national de restauration, sans préjudice des autres thématiques financées.
PRÉCONISATION 15
Afin de mettre en évidence les financements favorables à la biodiversité, le CESE préconise de mettre en place un suivi spécifique des dépenses des collectivités locales et opérateurs au profit de la biodiversité et en particulier de la restauration. Ce suivi permettra de répondre au besoin de rapportage prévu par le règlement européen.
PRÉCONISATION 16
Mieux faire connaître et mobiliser les financements publics et privés, en particulier sous la forme de :
– paiements pour services environnementaux (PSE) ;
– certificats (ou « crédits ») biodiversité et en les distinguant des mesures de compensation ;
– mécénat et mobilisation de l’épargne.
L’intégrité environnementale des actions ainsi financées devra être garantie par l’État, en associant un dispositif de gouvernance impliquant la société civile.
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La Source de l’article est le CESE. Le document complet à lire.
Consultez le site internet du CESE pour aller plus loin dans vos connaissances.