C’est dans le cadre de la 5ème Journée Innovations Métallurgiques pour l’Industrie de Défense (JIMID5) qui se tiendra le 20 mars 2025 à Balard au ministère des Armées à Paris que je vous propose de voyager dans le temps.
Trois grands noms marquent l’Histoire de la métallurgie au XIXème et XXème siècles : Antoine Hector Thésée Treuille de Beaulieu (Français), Nikolaï Timofeïevitch BELIAEV (Russe) et Alfred WILM (Allemand).
Chacun participera notamment à la montée en puissance de l’innovation métallurgique, une réponse aux enjeux militaires de souveraineté.
Antoine Hector Thésée Treuille de Beaulieu (1809-1885), polytechnicien français, général de brigade et inventeur du mousqueton Treuille de Beaulieu et de la machine à rayer les canons est associé depuis le XIXème siècle à l’artillerie.

Antoine Hector Thésée Treuille de Beaulieu (1809-1885), polytechnicien français, artilleur, général de brigade et inventeur du mousqueton Treuille de Beaulieu et de la machine à rayer les canons
Trois révolutions technologiques vont bouleverser l’artillerie du 19ème siècle : les canons en acier vont remplacer les canons en bronze, les canons d’artillerie rayés remplaceront les canons lisses et les canons qui se chargeaient par la bouche du canon se chargeront dorénavant par la culasse. Ces 3 ruptures technologiques sont le fruit des innovations de Antoine Hector Thésée Treuille de Beaulieu.
Des innovations qui ont du mal à séduire en France
En France, de ces 3 innovations, on adopta qu’une partie, et bien la plus petite des idées de Treuille de Beaulieu en matière d’artillerie. On fit seulement des canons en bronze rayés. Les nouvelles pièces rayées reçurent le baptême du feu en Italie où on les avait expérimentées dès 1855.
Des innovations captées en dehors de la France
Dés 1860 en Allemagne notamment, les usines KRUPP fabriquent pour la première fois des canons rayés en acier qui se chargent par la culasse, une innovation qui bouleversa le monde de l’artillerie.
La guerre de 1870
La guerre franco-prussienne (ou guerre de Septante) sera déterminante dans l’évolution de la doctrine de l’artillerie française.
D’un côté des canons français, rayés en bronze qui se chargent par la bouche à l’âme rayée, majoritairement de calibre 4 – doté de 4 rayures – de 86.5 mm dont la portée ne dépasse pas les 1.850 m.
D’un autre coté les Allemands possèdent le canon Krupp, en acier, à l’âme rayée, se chargeant par la culasse, de calibre 4 et 6 dont la portée dépasse 3.500 mètres, ils surclassent nettement les batteries françaises. Les canons français furent handicapés par la fragilité des canons en bronze lors des tirs soutenus et la faible cadence des tirs à cause du chargement par la bouche du canon. Le canon Krupp fut la pièce maîtresse de la victoire allemande de 1870. A partir de 1871, la France commence à fabriquer des canons en acier rayés se chargeant par la culasse.
Antoine Hector Thésée Treuille de Beaulieu
Né à Lunéville en 1809, entre à l’École Polytechnique en 1829. Lieutenant d’artillerie en 1833, capitaine en second en 1840, il sert alors à la manufacture d’armes de Châtellerault. Ses innovations attirent les attentions de ses chefs, dans un mémoire adressé en juin 1842 au Comité de l’artillerie, il préconise avec insistance le chargement par la culasse de canons rayés. Traité d’esprit chimérique, mal noté, écarté des services techniques, il va faire son temps de commandement. Affecté ensuite à l’Établissement de Bourges puis à l’Atelier de précision, il aura sa revanche et son nom sera associé à jamais à l’histoire de l’artillerie.
Lecture complémentaire proposée
Pour les passionnés d’innovation et d’histoire, il sera passionnant de lire le document « Innovation et armement sous le Second Empire » rédigé par Christophe Pommier, Lauréat du Prix d’histoire militaire 2021 du ministère des Armées.
Nikolaï Timofeïevitch BELIAEV (1878-1955), pionnier de l’industrie russe de la métallurgie et de l’artillerie, métallurgiste de renommée internationale, colonel d’artillerie, historien, et académicien va marquer de son empreinte la métallurgie du XIXème siècle.

Colonel d’artillerie, historien, et académicien le russe Nikolaï Timofeïevitch Beliaev (1878 – 1955) va marquer de son empreinte la métallurgie du 19éme siècle
Ses débuts dans l’artillerie
Nicolaï Timofeïevitch Beliaev est né le 26 juin 1878 à Saint-Pétersbourg. Il appartient à une ancienne famille de nobles et de militaires. Conformément à la tradition familiale, il s’engage dans l’armée, où sa carrière s’avèrera particulièrement brillante. En 1915, il atteint le grade de colonel et exerce ses fonctions à l’Académie d’Artillerie de Moscou. En 1914, il participe aux opérations militaires en commandant une batterie d’artillerie.
Ses débuts dans la métallurgie
Pendant ses études à l’Académie, il découvre les travaux du célèbre métallurgiste russe Dimitri CHERNOV (1839 -1921). Il assiste à ses cours et développe un intérêt marqué pour la métallurgie. Rapidement, il devient un expert reconnu dans ce domaine. Sa première publication scientifique est l’ouvrage bien connu « Sur les aciers damassés » publié en 1906 basé sur la collection d’armes damassées de Dimitri CHERNOV dans lequel le jeune scientifique étudie l’effet du traitement thermique sur la structure et les propriétés des aciers spéciaux. Plus tard, Nicolaï Timofeïevitch Beliaev poursuit ses recherches dans ce domaine encore peu connu de la métallurgie, étudie la structure et les propriétés de l’acier damassé dans de grandes usines métallurgiques : Putilov, Zlatoust, Izhevsk et d’autres. En 1909, il soutient une thèse de doctorat en métallurgie. En 1911, la thèse reçoit le prix Mikhaïlovski en tant que meilleur travail scientifique.
Benchmark
Depuis 1910, Nicolaï Timofeïevitch Beliaev est devenu professeur à plein temps de l’Académie en métallurgie et en chimie, et a été envoyé à plusieurs reprises à l’étranger « pour améliorer encore ses études scientifiques ». Parlant couramment de nombreuses langues européennes, il visite les plus grands centres métallurgiques et usines de production d’équipements d’artillerie en Allemagne, en France, en Italie et en Angleterre. Il assiste à des conférences et travaille dans les meilleurs laboratoires de recherche d’Europe – chez Fritz Wüst en Allemagne et chez Floris Osmond et Henry le Chatelier en France.
Une fin de vie en France
A la fin de 1932, Nicolaï Timofeïevitch Beliaev s’installe à Paris, où il rejoint l’Institut de soudure autogène nouvellement fondé (1930). Il y organise un laboratoire de métallographie et poursuit ses recherches sur la structure de l’acier. Né Russe, naturalisé anglais, Nicolas Timofeïevitch Beliaev sera aussi naturalisé français. Nikolaï Timofeevitch Beliaev meurt à Paris le 6 novembre 1955 des suites d’une longue maladie et sera inhumé au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois. Les archives de Nikolaï Timoïevitch Baliev ont été transférées aux Archives nationales de France.
Alfred WILM (1869-1937), chimiste et métallurgiste allemand révolutionne l’industrie au XXème siècle notamment l’industrie de l’aéronautique avec le développement des alliages Al-Li. Il découvre la nanotechnologie sans le savoir.

Alfred WILM (1869-1937), chimiste et métallurgiste allemand est reconnu à l’international pour la découverte du durcissement structural des alliages d’aluminium
C’est au grand métallurgiste allemand Alfred WILM (1869-1937) que l’on doit la découverte du durcissement structural des alliages d’aluminium. Il est nommé en 1901 métallurgiste à l’Institut Neubabelsberg, un institut scientifique de l’armée allemande situé près de Berlin. Il s’intéresse pendant ces deux premières années à étudier l’effet du traitement thermique sur les alliages Al-Cu. Il s’étonne que ces derniers deviennent mous après une trempe contrairement aux aciers au carbone.
La métallurgie outil de puissance industriel et militaire
En 1903, ce centre de recherche est mandaté par l’armée allemande pour trouver un alliage d’aluminium qui aurait les mêmes caractéristiques que le laiton et qui pourrait être utilisé pour la fabrication de munitions. En 1906, Alfred Wilm aboutit à un premier résultat en expérimentant un alliage de type Al-Cu-Mn en atteignant presque la résistance souhaitée mais la dureté est trop basse. Il ajoute par la suite 0.5 % de magnésium et prépare un échantillon qu’il chauffe à 520°C puis le trempe.
Sérendipité
C’était un samedi matin juste avant la fermeture à midi et l’assistant de Alfred Wilm, Fritz Jablonski n’a eu que le temps d’effectuer une mesure rapide de la dureté. De retour au laboratoire le lundi, Fritz Jablonski complète ses mesures et les deux hommes sont surpris de voir la dureté augmenter. Ils poursuivirent leurs mesures et constatent que la dureté n’a cessé d’augmenter pendant les quatre premiers jours avant d’atteindre un palier. Un brevet est déposé en 1906 par Alfred Wilm – German Patent N°DRP244554 – pour un alliage d’aluminium avec 3.5 à 5.5% de cuivre et moins de 1% de Mn et de Mg.
Duralumin
Alfred WILM va vendre une licence de son brevet à la société Dürener Metallwerke AG située à Düren en Rhénanie du Nord-Westphalie, une filiale à l’époque de l’arsenal allemand Deutsche Waffen und Munitionsfabriken. A l’origine Alfred Wilm veux baptiser ce nouvel alliage « hartaluminium » pour « aluminium dur » mais pour des contraintes de marketing et de compréhension à l’international le nom de Duralumin est choisi : une fusion entre les noms de la société « Dürener » et le mot aluminium. Plus tard, en 1919 on montrera l’importance des phénomènes de mise en solution et de saturation et en 1921, Zay Jeffries, l’illustre métallurgiste américain – inventeur des outils de coupes en carbures et expert consulté pour le projet MANHATTAN – donnera des éléments de réponse sur les phénomènes nano-métallurgiques liés au durcissement structural.
La naissance de la nanotechnologie
Alfred WILM abandonnera quelques années plus tard la métallurgie pour s’occuper d’une ferme. Son brevet lui permet d’avoir des revenus confortables. Il mourra en 1937 sans savoir qu’il venait de découvrir la nanotechnologie.
L’Histoire de la métallurgie, ses grands hommes et l’innovation industriel en lien avec les enjeux de souveraineté sont des sujets passionnants … à bientôt !