Bonjour Rémi,
Nous sommes réunis autour d’un café. J’ai le souvenir d’être venue chez vous où vous m’aviez merveilleusement bien accueillie pour une interview sur votre parcours et votre travail d’écriture, et écouter une belle partition de piano, puisque vous êtes passionné de musique.
Aujourd’hui, nous nous rencontrons dans le cadre de la publication d’un nouvel ouvrage. Comment s’appelle-t-il ?
Le livre s’appelle L’adret et l’ubac. Il est publié aux éditions Du Palio. Le titre correspond à une expression géographique. L’adret désigne la pente la mieux exposée au rayonnement solaire direct. À l’inverse, l’ubac est le versant le moins ensoleillé et le plus défavorablement orienté.
C’est à la fois le sens géographique et le sens métaphorique qui est intéressant ici. Il est une image de la vie parce que la vie a toujours un côté à l’ombre et un côté au soleil.
Nous avons choisi ce titre avec l’éditeur parce que d’une part j’emploie cette expression dans le livre et d’autre part il reflète bien le sens du roman et le cheminement que j’ai essayé de suivre en l’écrivant.
Pourquoi l’écriture de ce nouveau livre ?
J’ai voulu écrire pour une fois un livre très personnel.
Ce n’est pas un essai ou un roman historique comme les autres livres. Dans celui-ci, je parle de mon parcours avec ses épreuves et ses réussites, car, dans la vie, il y a des temps forts et des temps faibles, des épreuves, des réussites.
Et plutôt que de dire « je » en permanence, ce qui finit en général par lasser le lecteur, j’ai mis en scène Raoul Hauterive et Rodolphe Harz, deux personnages qui portent exprès les mêmes initiales que moi-même ; deux personnages qui en outre se parlent, dialoguent, se confient l’un à l’autre. Chacun des deux représente au fond un versant de moi-même. Par exemple, l’un est chrétien et l’autre est juif. L’un est plus tourné vers la musique, l’autre plus vers la littérature, l’un est attiré par l’Asie, l’autre par l’Afrique.
Donc, j’ai essayé de répartir les différentes facettes de ma personnalité, de mes origines et de mon parcours entre ces deux personnages avec l’intérêt ici qu’ils se parlent, se confient l’un à l’autre et s’épaulent mutuellement.
Une forme de dialogue intérieur entre l’adret et l’ubac. L’idée est intéressante. Que se racontent Raoul et Rodolphe ?
J’ai imaginé que ces deux personnages se rencontraient à mi-parcours de leur vie.
Ils ne se sont pas vus depuis trente ans et ils se retrouvent par hasard dans un jardin public. Là, sur un banc, ils commencent à évoquer leurs vies respectives.
Leurs vies, c’est d’abord leur enfance passée dans la même ville. Ensuite, chemin faisant, ils prennent des nouvelles, échangent sur leur adolescence, sur toute la partie de leur vie qu’ils n’ont pas vécue ensemble. Par exemple, Raoul a été éprouvé par des problèmes conjugaux et a voyagé en Afrique. Rodolphe, lui, a connu l’Asie pendant la guerre du Vietnam et l’épreuve du deuil de sa femme…
J’insiste aussi sur une autre dimension, la recherche des origines. Cette recherche concerne surtout Rodolphe, dont les origines juives ont longtemps été tenues secrètes, y compris au sein de sa propre famille. J’ai voulu traiter ce point, car savoir d’où l’on vient permet de mieux savoir où l’on va.
Ces retrouvailles, en tout cas, donnent lieu à une reprise de leur amitié.
Rodolphe propose alors à Raoul de marcher ensemble sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle et Raoul accepte, pour s’éloigner de ses soucis.
Ce chemin, dans le roman, apporte un mieux-être aux deux personnages. Ils passent successivement du récit de leurs souvenirs et de leurs épreuves respectives, à quelque chose de plus méditatif, de plus apaisé, en se tournant davantage vers l’avenir.
Cette marche, je le précise, décrit la traversée de la France à pied que j’ai faite moi-même ces dernières années, en reliant l’Allemagne à l’Espagne.
Un roman très personnel dans lequel vous livrez aussi votre parcours spirituel. A qui s’adresse-t-il ?
Oui, cette marche se présente clairement comme un cheminement spirituel. Cette démarche d’espérance est très importante pour moi. Je n’ai pas écrit ce livre pour parler de moi, mais au contraire pour dire qu’il y a toujours une issue, même dans les moments les plus difficiles de l’existence.
J’ai voulu partager cette démarche avec des personnes dont la vie n’a pas été forcément facile, afin de leur apporter un message d’espérance. L’espérance, je le crois profondément, est le meilleur remède, peut-être même le seul, à la souffrance et au doute.
Je destine donc ce texte à tous ceux qui ont pu connaître des souffrances dans leur vie. J’espère qu’il les aidera à surmonter leur douleur, leur souffrance et à trouver un chemin d’apaisement. J’ai voulu m’adresser à eux, y compris à ceux qui n’ont pas forcément la capacité d’écrire, et leur apporter si possible du réconfort.
Et puis, j’ai pensé à partager ce cheminement avec mon fils, avec mes petites filles…leur montrer que la vie est un chemin parfois un peu caillouteux mais finalement magnifique, à condition de se défier, de se dépasser soi-même.
Donc votre roman est aussi une forme de transmission.
Oui, tout à fait, il s’agit bien ici de transmettre.
J’ajoute que dans ce livre, il est aussi question de musique et de littérature. Les deux personnages aiment la musique classique et le jazz. Ils admirent de grands écrivains comme Marcel Proust et Marguerite Yourcenar.
La musique, d’ailleurs, imprègne tout le livre. On retrouve dans ce texte tous les ingrédients qui constituent la musique, le rythme, le mouvement, les nuances, le tempo… On y retrouve aussi le côté swing du jazz, un art que je considère comme génial. Certains écrivent comme des peintres, j’ai le sentiment pour ma part d’écrire comme un musicien.
L’écriture du roman s’est-elle faite sur un temps long ?
J’ai mis deux ans à l’écrire L’adret et l’ubac. C’est un peu plus compliqué d’écrire un livre très personnel. Je suis quelqu’un d’assez pudique et c’est la première fois que je me livre à cet exercice. Cela n’a pas été facile. J’ai traversé en l’écrivant des moments de doute, avec parfois l’envie de renoncer à ce projet. Puis, finalement, je me suis lancé. La progression a été plutôt lente mais j’ai tenu bon ! J’ai débuté l’écriture du livre en 2022 et je l’ai terminé en 2024.
Quels sont les premiers retours ?
J’ai eu des retours en général positifs d’amis ou de lecteurs. Certains ont trouvé mon récit très émouvant, personnel et authentique. J’ai l’impression qu’il leur a été utile et cela me fait plaisir. Si c’est le cas, tant mieux. On écrit pour toucher son lecteur, avant tout.
Je suis intriguée par le lieu où se déroule le récit. Pouvons-nous en savoir davantage ?
Les deux personnages se retrouvent et évoquent leur enfance. Alors, j’ai installé l’action dans une petite ville qui s’appelle Villiers. Il s’agit là d’une contraction entre Ville-d’Avray, ma commune d’enfance, et le célèbre village d’Illiers-Combray que l’on découvre dans le roman Du côté de chez Swann de Marcel Proust.
J’ai fait au fond de Villiers une sorte de village emblématique. J’y évoque mes propres souvenirs : l’école, l’église, le scoutisme. Grâce à cette évocation, Raoul et Rodolphe arrivent à retisser des liens, à échanger, non pas simplement des souvenirs d’enfance, mais également leurs questionnements ultérieurs d’adultes. Ce dialogue donne lieu à une relation marquée à la fois par le souvenir et par la quête d’un mieux-être.
Un très beau cheminement à lire. J’ai beaucoup apprécié. Et puis, pourquoi pas interpréter Raoul et Rodolphe sur scène dans une pièce de théâtre un jour. Que pensez-vous de l’idée ?
Cela pourrait tout à fait donner lieu à une pièce
Le roman est très dialogué et en le réaménageant, en ajoutant ici ou là d’autres dialogues entre les deux personnages, on pourrait, je crois, en faire une pièce très riche.
On pourrait poser par exemple une sorte de dialogue avec comme décor un jardin public où ils se retrouveraient et où ils évoqueraient leurs souvenirs d’enfance, les épreuves qu’ils ont traversées, l’un ses problèmes conjugaux, l’autre la perte de sa femme etc… Chacun se raconterait ainsi. Et puis, les deux protagonistes évoqueraient leur traversée de la France, un cheminement au sens propre et figuré, qui se terminerait sur une note optimiste, marquée par l’espérance.
Une belle idée, à creuser en effet !

Interview de Rémi HUPPERT livre L’adret et l’ubac au Standard, Paris © Miss Konfidentielle
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Le 19 avril 2025.