Interview de Sonia Dollinger, Directrice du Patrimoine culturel et des Archives de Beaune

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24 avril 2020 – Miss Konfidentielle attachée à notre patrimoine a le plaisir d’interviewer Sonia Dollinger, Directrice du Patrimoine culturel et des Archives de Beaune. Sonia Dollinger a par ailleurs des loisirs tournés vers la culture qui ne manquent pas de piments. Un entretien très sympathique comme vous allez le constater. Bonne lecture !

Bonjour Sonia,
Quelles sont vos fonctions en tant que Directrice du Patrimoine culturel et des Archives de Beaune ?

Je travaille au sein de la mairie de Beaune depuis 1999, j’ai tout d’abord été assistante de la directrice des Archives puis, en mars 2000, j’ai eu la chance de me voir confier la direction des Archives municipales de la ville de Beaune, un rêve se réalisait car être archiviste était vraiment mon but et Beaune disposait de fonds d’archives extraordinaires que mon équipe a pu faire croître et connaître encore un peu mieux. Ce passage à la tête d’un service d’archives a été très formateur, il a fallu apprendre le management, la gestion d’un budget, d’un bâtiment et évidemment mettre en pratique tout ce que ma formation en archives m’avait enseigné : comment collecter les archives, comment les conserver, les classer ou les valoriser afin qu’elles soient connues et appréciées du grand public. Le métier d’archiviste permet d’être au contact de tous les acteurs de la collectivité, on peut ainsi discuter avec nos collègues des services techniques ou des marchés publics et apprendre en quoi consistent les différents métiers présents au sein de la mairie. J’ai eu la chance dans cette période d’être épaulée par une adjointe passionnée, Yvette Darcy, avec laquelle nous avons pu mettre en œuvre de nombreuses actions pour dynamiser ce service.

C’est en 2008 que ma carrière prend un nouveau tournant : la nouvelle adjointe à la Culture, Anne Caillaud, me propose la direction du Patrimoine culturel qui regroupe la supervision de quatre services : les Archives, la Bibliothèque, les Musées et les collections patrimoniales de la Collégiale Notre-Dame. Il s’agit alors de coordonner les actions de tous ces services, de les faire travailler ensemble, ce qui, jusqu’alors ne marchait pas forcément très bien. Il faut bien sûr mettre en place la politique culturelle souhaitée par l’élue et soutenir les initiatives des services. Cette nouvelle expérience m’a ouvert d’autres mondes que je connaissais peu et m’a permis de faire des rencontres extraordinaires avec des agents et des chefs de service inventifs, passionnés et passionnants. J’ai ainsi travaillé pour les Musées avec Laure Ménétrier, une directrice vraiment très impliquée qui a su donner un nouveau souffle aux établissements qu’elle dirigeait. Ensemble, nous avons notamment modernisé le parcours du Musée du vin ou repensé l’accrochage des collections du Musée des Beaux-arts. Je pense que nous avons beaucoup appris l’une de l’autre. A la Bibliothèque, j’ai la chance d’avoir une directrice également formidable, Anaïs Gros qui dispose d’un grand sens du service public et qui sait mettre en valeur aussi bien les fonds patrimoniaux que faire des propositions numériques. J’ai confié la gestion des collections de Notre-Dame à mon adjointe, Justine Frérot qui s’est tout de suite prise de passion pour le sujet. Nous travaillons d’ailleurs avec une association, les Amis de Notre-Dame qui sont de véritables mécènes pour nous et nous aide à financer les restaurations d’œuvres d’art. 

Enfin, j’ai souhaité conserver la direction des Archives en plus de celle du Patrimoine culturel, je n’ai pas pu renoncer à mon service d’origine pour lequel j’ai la plus grande tendresse. Les Archives sont le seul endroit où l’histoire de chacun d’entre nous peut être préservée et transmise, elles sont le réceptacle de toutes les vies passées et, quand je passe dans les magasins, je sens presque toutes ces existences s’exhaler des boîtes d’archives, c’est toujours aussi émouvant, même après 20 années d’exercice. Là encore, j’ai eu et j’ai encore des équipes formidables, qui savent s’investir et faire des propositions parfois très étonnantes et novatrices pour faire vivre cette institution. Je remercie mes jeunes collègues du service : Emilie Rouilly, Estelle Ferrand ou Geoffrey Maire qui savent travailler avec rigueur et bonne humeur à la préservation et à la valorisation de ce patrimoine du quotidien. 

Tous ces services ont bien compris le souhait de notre adjointe et le mien : être le plus inventif possible, proposer sans relâche de nouvelles actions, de nouvelles formes de communication. Anne Caillaud est une élue qui nous fait confiance et elle réagit toujours avec enthousiasme à nos propositions les plus loufoques. Notre but est certes de toujours adopter une grande rigueur scientifique sur le fond mais de montrer que le patrimoine peut aussi être amusant et toucher tout le monde, notre démarche n’est pas élitiste, bien au contraire. 

Etre directrice du Patrimoine culturel m’a appris que les problématiques des services patrimoniaux sont assez similaires, nous avons tous le souci de conserver le mieux possible nos fonds et nos collections afin de les transmettre aux générations futures, de leur donner une cohérence et de les présenter au plus large public possible. Notre plus grande récompense, c’est cette petite étincelle qui brille dans les yeux des visiteurs, leur émotion est notre raison d’être. C’est pour cela que je fais ce métier.

Vous avez des loisirs étonnants au regard de votre métier. Racontez-nous..

Depuis mon jeune âge, je suis attirée par la bande dessinée, les jeux vidéos, les éléments de la culture populaire. Dans un premier temps, j’ai crée un premier blog, Archives et culture pop’ qui permet d’allier mon métier d’origine et mes loisirs. J’ai beaucoup travaillé sur l’image des Archives et des archivistes, chaque métier est porteur de clichés. Pour nombre de personnes, un archiviste est un être un peu revêche, hors du temps, un peu déconnecté de la réalité et on entend souvent « à quoi ça sert ces vieux papiers ». Ce métier qui semblait invisible est pourtant omniprésent dans tous les pans de la culture populaire, on voit des archives dans les films, les séries, la littérature sous toutes ses formes ou encore les jeux vidéos et la bande dessinée. Archives et culture pop’ permet de mettre cela en valeur et de montrer aux archivistes mais aussi au grand public que nous sommes entourés d’archives, elles sont partout et irriguent la culture populaire. C’est assez amusant de voir que mes amis non archivistes se sont pris au jeu et maintenant me signalent des références aux archives dans leurs lectures ou lorsqu’ils jouent. Une de mes fiertés est que ce blog est désormais participatif : je ne suis plus la seule rédactrice, certains archivistes proposent spontanément un article sur un sujet qui leur tient à cœur et j’ai un acolyte, Marc Scaglione, archiviste en entreprise, qui est très actif et très innovant dans ses propositions. Ce blog ne m’appartient plus réellement, il est vraiment fait pour que les archivistes s’en emparent, qu’ils puissent rire des clichés véhiculés sur la profession, qu’ils puissent voir combien notre métier est présent au quotidien. J’ai connu des archivistes qui préféraient se lamenter sur le manque de visibilité du métier, l’idée d’Archives et culture pop’ est plutôt de montrer un métier passionnant, aux multiples facettes. 

J’ai également créé un autre blog sans rapport cette fois avec les métiers du patrimoine : Comics have the Power est un blog dédié aux comics, c’est-à-dire la bande dessinée anglo-saxonne. Je lis des comics depuis l’âge de six ans où on trouvait en kiosque des revues comme Strange, Nova ou Spidey qui publiaient des aventures de super-héros américains comme Spider-Man ou les X-Men. Ces personnages m’ont accompagnée dans toute ma jeunesse et ma vie d’adulte, leurs aventures abordaient des thèmes qui me touchaient : le harcèlement scolaire, le racisme, l’homophobie… Ces super-héros étaient avant tout des êtres humains torturés et pas seulement des guignols en collant. Il y avait parmi eux beaucoup d’héroïnes féminines : Phénix, Tornade, des femmes fortes qui faisaient jeu égal avec leurs homologues masculins. Cela permettait à la petite fille que j’étais de m’identifier à ces héroïnes qui me parlaient plus que la Schtroumpfette ! 

J’ai donc commencé par écrire sur les blogs des autres, notamment lescomics.fr ou Planète BD et je me suis ensuite lancée seule en créant Comics have the Power pour parler des comics que j’aime. Là encore, cette aventure est devenue collective puisque nous sommes plusieurs à écrire sur ce blog et les contributeurs sont passionnés. Cela nous permet aussi de rencontrer des artistes, scénaristes ou dessinateurs, des éditeurs, tous ces gens qui font vivre ce medium. 

Votre goût de la transmission se traduit-elle aussi par des interventions en Université ?

Absolument. J’ai eu la chance d’être appelée par mes professeurs d’Histoire pour la création et l’animation de formations en archivistique. C’est ainsi qu’avec Jean-Marc Berlière, nous avons créé la licence Pro APICA à l’IUT de Dijon puis avec Jean Vigreux le Master Pro Archives à l’Université de Bourgogne. Pour moi qui avais dû quitter ma Bourgogne pour aller étudier l’archivistique à Angers, c’était une belle chose de pouvoir contribuer à la création de formations archivistiques dans l’Université où j’ai étudié. 

J’aime énormément transmettre mon expérience, j’ai assuré des cours sur l’histoire de l’archivistique, sur la communication et la communicabilité des archives, et évidemment sur la valorisation des Archives. Je tente toujours de m’appuyer sur des exemples très concrets afin de ne pas me contenter de balancer aux étudiants des textes de lois sans leur en donner les répercussions concrètes. La communicabilité des archives peut, par exemple, faire l’objet de questionnements et d’enjeux car nous touchons à la vie privée des individus. Il faut toujours questionner nos pratiques pour ne pas se contenter d’appliquer des textes sans discernement. 

Les échanges avec les étudiants sont extrêmement enrichissants, on se nourrit mutuellement et eux-mêmes nous font progresser dans nos questionnements. J’ai gardé contact avec de nombreux anciens étudiants qui sont devenus des proches. Je suis aussi très fière de voir les beaux postes que certains occupent et la solidarité dont ils font preuve envers les nouveaux arrivants. 

J’ai accueilli également beaucoup de stagiaires dans mes services car la formation sur le terrain est indispensable, certains de ces stagiaires travaillent maintenant avec moi, aux Archives ou à la Bibliothèque et c’est un bonheur d’avoir pu leur proposer d’intégrer la ville de Beaune après leur investissement en tant que stagiaire. J’aime les voir prendre peu à peu de l’autonomie et les voir se transformer en professionnels reconnus, c’est la ma vraie récompense. 

La culture est votre passion à ne pas en douter. Laisse t-elle la place à des loisirs ? 

Bien sûr, évidemment, je lis beaucoup, tout ce qui me passe sous la main avec une prédilection pour certains auteurs comme Simone de Beauvoir, Marguerite Yourcenar ou des auteurs de bande dessinée comme Will Eisner ou Chris Claremont, mais je pourrais en citer des milliers, en ce moment, je redécouvre Conan Doyle ou Lovecraft avec délice. 

J’aime aussi le cinéma, surtout le cinéma américain des années 1970-80. Si je devais donner quelques titres, je citerais Le Parrain, Alien ou l’Invasion des Profanateurs de sépulture. J’aime les films fantastiques ou d’aventure mais aussi les films qui explorent la société américaine comme Mississippi Burning. Je suis aussi adepte de séries avec des thématiques très variées allant de American Horror Story à Mad Men. 

En vraie « geek », je pratique aussi le jeu vidéo, de manière un peu moins intensive qu’avant mais cela fait toujours partie de mes loisirs, ça me détend.

Je participe aussi à des salons et conventions où l’on peut rencontrer des artistes et échanger avec eux, je me rends régulièrement à la Comic Con Paris ou encore au salon Super Heros à Toulouse, c’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres passionnés et de se faire de véritables amis. Je ne sais pas du tout dessiner mais ces conventions permettent d’admirer les artistes au travail, les voir donner vie à un personnage sur le papier me fascine réellement. 

J’aime la musique, je me rends souvent à des concerts des artistes que j’aime, mon record : j’ai eu l’immense chance de voir six fois Patti Smith que j’adore !

Enfin, j’aime les voyages, j’aime découvrir de nouvelles cultures, je suis particulièrement fascinée par le continent américain, j’ai eu la chance d’aller au Mexique et au Pérou. Les civilisations précolombiennes m’intéressent au plus haut point et j’aimerais vraiment pouvoir continuer mon exploration de ce continent fascinant et mystérieux. 

Pour finir, j’ai aussi une passion pour les animaux, j’ai des chiens et je suis très sensible à la cause animale, je soutiens par exemple le refuge des Cailloux à Dijon, de manière très modeste mais c’est important à mes yeux. J’aime aussi beaucoup les lamas depuis fort longtemps – depuis la lecture de Tintin et le Temple du Soleil. J’ai eu la chance d’en approcher au Pérou, cet animal majestueux me plait beaucoup comme l’ensemble des camélidés d’ailleurs. 

Une philosophie de vie vous guide t-elle ?

Le plus important à mes yeux, c’est la connaissance et le partage. Je ne cesse d’apprendre, c’est important d’être curieux de tout, de s’enrichir sans cesse, de découvrir et de se poser des questions. Ça peut avoir un aspect un peu fatigant pour les gens qui m’entourent car je suis sans cesse en mouvement, sans cesse à vouloir comprendre ou approfondir mes connaissances, tout sujet mérite qu’on s’y intéresse, ma philosophie serait donc de rester curieuse et à l’écoute de tout. C’est parfois un peu frustrant car on aimerait tout approfondir, tout embrasser ou tout connaître mais j’ai fait mienne cette citation de Simone de Beauvoir tirée de l’Invitée qui résume bien le fond de ma pensée : 

“je suis tranquille à présent, parce que je me suis persuadée que où que j’aille, le reste du monde se déplace avec moi. C’est ce qui me sauve de tout regret.
Des regrets de quoi ? Dit Gerbert
D’habiter seulement dans ma peau, alors que la terre est si vaste “

J’aime aussi les rencontres qui nous enrichissent également, qu’il s’agisse de rencontres à l’occasion des loisirs ou dans le cadre professionnel. Deux exemples marquants : j’ai pu rencontrer à Toulouse grâce à mes amis Katchoo et Paul Renaud, un des scénaristes de comics que j’admire le plus : Chris Claremont, jamais je n’aurais cru cela possible, j’ai pu l’interviewer, c’est un des plus beaux moments de ma vie ! Dans le cadre professionnel, j’ai aussi rencontré des gens extraordinaires, le dernier en date étant Bruno Latour, sociologue et philosophe des sciences reconnu dans le monde entier qui a confié ses archives aux Archives de Beaune, j’ai pu échanger avec un homme d’une grande simplicité. 

Par ailleurs, et dans nos métiers c’est essentiel, j’aime la notion de partage. Conserver un patrimoine ne sert à rien si on ne le partage pas avec le plus grand nombre, on ne le garde pas pour nous, il nous faut le rendre au public. Tous ces efforts que nous faisons pour ordonner des fonds, restaurer des œuvres ou développer la lecture publique, nous le faisons pour que les publics puissent s’en saisir. 

Une anecdote pour vous montrer à quel point c’est enrichissant : nous avons programmé une soirée projection de films d’archives sur Beaune dans les années 1950-70, cette soirée a réuni presque 300 personnes. Quand nous avons lancé le film, j’ai senti une grande émotion monter de la salle, des murmures, des exclamations, je peux vous avouer que j’ai pleuré de bonheur de voir combien ces quelques images avaient pu toucher les gens et les ramener à des souvenirs heureux.

Pour moi, c’est le sens de la vie : donner et partager. 

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