Interview exclusive de M. Didier LESCHI, Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)

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Le 02 juin 2024 – Bonjour M. LESCHI, un remerciement appuyé de me recevoir dans vos bureaux à Paris. Vous êtes le Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et je suis heureuse de partager notre entretien avec les lecteurs.

Tout d’abord, quelles sont les missions de l’OFII ?

L’Office français de l’immigration et de l’intégration est un établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Ce sont à peu près 1400 fiches de paie, avec des personnes qui sont soit des agents publics fonctionnaires, soit des contractuels en contrat à durée indéterminée, soit des CDD. Ce type de situations est habituel dans un établissement qui a une histoire ancienne. L’OFII c’est historiquement une création qui date de 1945. C’est une ordonnance du général de Gaulle qui a créé l’Office national d’immigration (ONI) dont l’Ofii est héritier. Historiquement, sa mission était d’abord l’introduction de travailleurs au moment de la reconstruction des années 50 et du développement économique des années 60. Aujourd’hui, l’OFII participe toujours à l’introduction de travailleurs et de salariés qui vont bénéficier du contrat d’intégration républicaine (CIR). Et sur le plan de la permanence historique il y a la visite médicale instituée au moment de l’ONI avec en particulier une radio pulmonaire.

Les principales missions de l’Ofii aujourd’hui sont liées aux divers flux d’immigration. Dans ces flux, il y a d’abord l’immigration familiale, avec ses deux composantes, les conjoints de Français et les personnes rejoignant des personnes qui ont un titre de séjour en France. Ces personnes vont aussi bénéficier du contrat d’intégration républicaine, c’est-à-dire à l’évaluation de leur niveau de français, pour après être orientées vers des cours de français et d’une présentation de la société française sous la forme de formations civiques..

Autre mission importante,  l’OFII est en charge de la délivrance des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs d’asile. Les conditions matérielles d’accueil ont deux volets.
Il y a le versement de l’allocation pour demandeurs d’asile, mission confiée à l’OFII depuis 2017. Le versement d’allocation pour demandeur d’asile était avant versée par Pôle emploi. Et puis, l’OFII organise le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile. Aujourd’hui, ce sont plus de 112 000 places qui sont dédiées à l’accueil des demandeurs d’asile le temps de l’examen de leur demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Donc l’OFII est une sorte de grand hôtelier avec, en permanence, des personnes qui rentrent et qui sortent des hébergements. Ce sont plusieurs dizaines de milliers de mouvements par an entre les entrées et les sorties.

L’OFII est en charge de deux autres missions : l’aide au retour volontaire, qui est la possibilité offerte aux personnes qui sont sans titre de séjour de bénéficier d’une prise en charge, tant du billet d’avion dans des conditions classiques, que d’une prise en charge sociale avec la délivrance d’un pécule au moment du départ. Il s’agit de permettre aux personnes de faire face à leur premier besoin dans leur pays de retour. Et l’autre proposition de l’OFII pour les personnes qui doivent quitter le territoire, c’est l’aide à la réinsertion, c’est-à-dire le soutien financier pour le développement d’une activité économique dans les pays de retour. Il s’agit d’éviter que les personnes aient de nouveau la tentation de risquer leur vie en Méditerranée ou de frauder aux frontières pour rentrer dans l’espace Schengen et donc en France.

L’OFII est aussi en charge d’une procédure particulière qui est unique à la fois en Europe et dans le monde. Il y a un tout petit peu l’équivalent en Belgique mais c’est tout. En France, un étranger sans titre de séjour a la possibilité de bénéficier d’un titre de séjour pour soin dès lors qu’il peut acter du fait que le soin dont il aurait besoin n’est pas accessible dans son pays d’origine. Pas qu’il n’existe pas, mais qu’il n’est pas, par exemple, socialement accessible du fait du prix du médicament. Mais pour bénéficier de cette prise en charge il faut néanmoins que les personnes soient véritablement porteuses de pathologies lourdes et que le soin n’existe pas ou ne soit pas accessible. C’est pour vérifier cela que les dossiers de demande de titre de séjour pour soin sont examinés par des commissions médicales qui font intervenir jusqu’à quatre médecins désignés de manière aléatoire dans un panel de médecins qu’organise l’OFII. Et dans ces commissions, il y a toujours un spécialiste de la pathologie.

Voilà les principales missions de l’OFII.

Comment l’OFII est-il organisé ?

Nous sommes organisés en direction territoriale avec 32 directions territoriales entre la France métropolitaine et l’outre-mer. L’Ofii a aussi des représentations à l’étranger qui ont des compétences géographiques régionales. L’Ofii est présent au Maghreb, en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, et puis du côté de la Turquie, de l’Arménie avec des compétences en Géorgie ou en Moldavie.

Ce sont les dernières implantations qui demeurent. Historiquement l’Ofii étaient beaucoup plus présent en Europe, lorsqu’il s’agissait d’intégrer des travailleurs venus du Sud de l’Europe ou encore de Pologne. C’était la grande époque de la venue des Italiens, des Espagnols, des Portugais. Moi-même, j’ai fermé une représentation en Roumanie. Il fût une époque où l’OFII aidait aussi au départ de compétences vers le Canada, en particulier au moment où le Québec cherchait des francophones pour répondre aux besoins de son marché du travail.

Voilà ce qu’est à peu près l’OFII.

Je vous remercie. Avez-vous des précisions à apporter sur le financement de l’OFII ?

L’OFII a un budget qui est délégué par le ministère de l’Intérieur, mais bénéficie aussi de fonds européens. Il s’agit donc d’une des composantes du budget du ministère de l’Intérieur qui reversé à l’OFII en charge d’une mission de service public. S’ajoute une dotation particulière consacrée au versement de l’allocation pour demandeurs d’asile, est une prestation sociale de guichet.

Il y a une autonomie. Sur le sujet des évolutions récentes et des étrangers malades, avez-vous des informations à ajouter ?

Les évolutions en cours ces dernières années concernent particulièrement l’intégration. C’est le renforcement des offres de cours de français pour les personnes non francophones et, en particulier, la mise en œuvre d’une possibilité d’avoir 600 heures gratuites pour les personnes qui sont non lecteurs, non scripteurs de leur langue, ce qui est le cas d’une partie de la demande d’asile et en particulier de personnes qui peuvent venir d’Afghanistan et qui obtiennent une protection. C’est beaucoup plus difficile quand on n’écrit pas sa langue, quand on ne lit pas sa langue, d’apprendre une autre langue.

Et puis, nous travaillons actuellement à la mise en œuvre de la dernière loi votée et qui prévoit un renforcement des exigences du niveau de langue pour ceux qui veulent bénéficier d’n titre de séjour pluriannuel ou qui veulent accéder à un titre de résident, ou bien évidemment à la naturalisation. Cela est l’essentiel de notre actualité.

Y a t il d’autres items d’actualité ?

Il est prévu la mise en place de guichets « France asile », mais comme l’OFII est déjà décentralisé, comme je vous l’ai dit la mise en place de ce dispositif concerne essentiellement la décentralisation des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

A l’OFII, on est peu touchés si ce n’est dans les exigences renforcées en matière d’intégration, d’adhésion aux valeurs de la République. C’est le seul item de la loi qui concerne l’OFII, les autres ne nous concernent pas directement.

Quelles missions selon vous serait-il souhaitable que l’OFII remplissent dans les centres de rétention administrative (CRA) ?

L’OFII est déjà présent dans les centres de rétention administrative pour de l’aide sociale.

La question qui pourrait se poser, c’est de savoir s’il est souhaitable de demander à l’Ofii de  développe des compétences de manière comparable à ce qui peut exister dans d’autres pays européens. C’est cela qui peut être discuté sachant que ce sont des évolutions lourdes. Mais, en fonction de notre tradition administrative, juridique, je ne pense pas qu’il y ait des évolutions institutionnelles dans les années qui viennent.

Un point important que vous mentionnez. L’OFII ne s’occupe pas des mineurs. Pouvez-vous préciser ?

L’Ofii n’a pas de compétence sur les mineurs non accompagnés, nous ne participons pas de l’évaluation de la minorité. Il est vrai qu’on peut être concerné par les personnes qui ne sont pas évaluées comme mineurs par les départements, mais dès lors qu’elles font un recours nous ne pouvons pas les considérer comme majeur puisqu’elles demandent toujours à être traitées comme mineures. Elles sont dans un entre-deux juridiques puisqu’elles ne peuvent pas être prises en charge par l’OFII et qu’elles ne sont plus prises en charge par l’Aide Sociale à L’Enfance (ASE) d’un département.

C’est le problème qu’on a de manière récurrente sur Paris en particulier, puisque les services du Conseil départemental examinent près de 10 000 personnes par an. En reconnait en gros un tiers mineurs. Pour les autres la situation est complexe, et suppose pour la régler une rapidité d’examens des demandes de recours par les juridictions.

Comment expliquer que l’aide au retour est plus développé dans certains pays européens que la France ?

L’aide au retour volontaire est plus développé dans certains pays européens. C’est essentiellement l’Allemagne parce que sinon la France est parmi les pays d’Europe qui fait le plus d’aide au retour volontaire. Ce qui n’est pas le cas du Portugal et de l’Italie qui ne sont pas organisés comme nous. Le Portugal ne fait aucune aide au retour volontaire. .

Donc en France on est quand même un des premiers pays en nombre d’aides au retour volontaire réalisées.

Les Allemands font beaucoup d’aide au retour volontaire vers les pays de l’Est, ce qui correspond à leur structure d’immigration. L’Allemagne a une plus forte immigration européenne aux sources continentales venant de la Fédération de Russie par exemple, plus la Turquie, et a moins d’immigration venant du continent africain ou du Maghreb. Les retours contraints ou volontaires sont plus facile. Mais la France est très bien placée en matière de retours contraints aussi. Nous en faisons plus que l’Allemagne.

En France, on a une immigration irrégulière venant de zones vers lesquelles faire des reconduites contraintes n’est pas simple. Or il y a une corrélation très forte entre la capacité à valoriser le retour volontaire et le taux d’exécution des reconduites forcées. Mais réalisons malgré tout entre 7000 et 10 000 retours volontaires par an.

Quelle est la position de l’OFII en outre-mer ?

L’OFII est présent en Guyane, en Guadeloupe, à la Réunion et Mayotte, qui est la dernière direction territoriale ouverte par l’OFII.

Il y a les mêmes compétences qu’en métropole, sauf à Mayotte où l’OFII n’est pas en charge de la demande d’asile et où l’aide au retour volontaire n’existe pas parce qu’elle n’est pas prévue par le code de l’entrée des séjours des étrangers. La mise en place de l’aide au retour volontaire à partir de Mayotte est en discussion. Mais si elle est mise en place, elle ne sera pas proposée vers les Comores, parce qu’il y aura un effet d’aubaine. De la même manière que nous ne faisons pas de retour volontaire de la Guyane vers le Suriname qui est frontalier, mais plutôt vers Haïti ou vers d’autres pays d’Amérique latine. L’idée serait de faire de l’aide au retour volontaire pour les Africains qui sont déboutés de l’asile et qui arrivent jusqu’à Mayotte par Madagascar ou par les Comores.

L’OFII est donc bien présent en outre-mer.

Quelle est l’articulation de l’OFII avec les autres services du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer ?

La tutelle effective de l’Ofii est la Direction générale des étrangers en France (DGEF) dans ses différentes composantes.

Nous travaillons avec la Direction de l’intégration et d’accès à la nationalité (DIAN), avec la DIMM, la direction de l’asile de la DGEF,  et nous sommes aussi en lien avec la police aux frontières (Police nationale) dans les CRA.

Nous travaillons sur d’autres sujets avec d’autres administrations de l’État. Dans le cadre du contrat d’intégration républicaine et de l’aide à l’intégration des nouveaux arrivants, en particulier de ceux qui obtiennent une protection ou travaillant avec Pôle emploi.

Et nous travaillons avec la Direction interministérielle à l’hébergement et au logement. En particulier pour aider au parcours vers l’autonomie des personnes qui obtiennent une protection et qui sont hébergées dans le dispositif national d’accueil vers le logement.

Notre environnement administratif quotidien c’est la DGEF, la Dihal et Pôle emploi. Mais nous avons aussi des liens avec la direction générale de la santé pour la partie médicale.

Très bien. Est-ce que vous auriez un message à faire passer ?

Le message est que l’OFII qui a changé de noms plusieurs fois n’est pas toujours bien identifié par l’ensemble des services de l’État, on peut le comprendre. On a parfois tendance à nous confondre avec le secteur associatif.  L’OFII est bien une administration de l’État avec les mêmes contraintes et en même temps la même finalité qui est celle su service public. Nous répondons aux missions que nous confient les autorités politiques une fois qu’elles ont défini la politique publique qu’elles souhaitent mettre en œuvre à l’OFII.

Cela est le message. L’OFII est de plus en plus connu mais on n’est jamais suffisamment connu.

Vous avez publié des livres sur l’immigration, lequel conseillez-vous en premier lieu aux lecteurs ?

 J’ai réactualisé Ce grand dérangement de la collection Tracts publié chez Gallimard.

Je pense que c’est un petit ouvrage de synthèse sur les enjeux de débats aujourd’hui autour des immigrations. L’Europe comme la France n’est ni une forteresse, ni une passoire. La question qui est posée c’est comment organiser et maitriser l’accueil. Les contraintes qui sont les nôtres sont fonctions de notre contexte économique et social. Il n’y a pas de régulation possible de l’immigration sans une part de contrainte, cela n’est pas quelque chose qui est toujours admis dans le débat public. Mais les  personnes qui sont contre toute idée de contrainte ou qui pensent qu’il faudrait ne pas avoir de frontière nous expliquent pas comment on pourrait alors réguler l’immigration. Or, l’immigration est autant un enjeu de nombre que social et culturel.

Je vous remercie pour le soin apporté à notre entretien qui permettra je le souhaite d’éclairer le plus grand nombre sur l’OFII.


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