Interview de Nicolas Pouvreau-Monti, co-fondateur et directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID)

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Alors que les élections européennes se tiendront le 9 juin 2024 en France, le thème de l’immigration divise l’opinion publique. L’occasion pour Miss Konfidentielle de donner la parole à Nicolas Pouvreau-Monti, co-fondateur et directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID).

Nous nous sommes entretenus au café des Officiers à Paris sans détour pour une bonne compréhension des choses.

Bonjour Nicolas,
Qu’est-ce que l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) ?

Nicolas Pouvreau-Monti : L’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) est un Think Thank qui a été créé il y a un peu plus de trois ans maintenant, en partant de trois constats fondamentaux.

Le premier, c’est qu’il y a une défiance dans l’opinion publique aujourd’hui sur le sujet de l’immigration. On le constate dans les sondages d’opinion.

Le deuxième constat est qu’il y a un déficit de confiance dans les statistiques de l’immigration. Ce déficit de confiance est présent aussi sur cette question de l’immigration dans le baromètre CEVIPOF où l’immigration arrive presque systématiquement en dernière position des données publiques dans lesquelles les Français ont confiance.

Et troisième constat, c’est qu’il était et qu’il reste dans une certaine mesure difficile de parler posément du sujet. Cela se résume trop souvent à des échanges de slogans alors qu’il y a une place dans le débat public pour une analyse rationnelle et dépassionnée du phénomène. Ce débat public utile nous l’avons à l’Observatoire de l’immigration en toute indépendance puisqu’il n’y a pas de caractère partisan.

Miss KJe vous remercie Nicolas. Deuxième question, que vous puissiez vous présenter auprès des lecteurs. Quel est votre parcours ? Pourquoi le choix de la thématique de l’immigration ?

Nicolas Pouvreau-Monti : J’ai grandi en région parisienne. Je suis entré à sciences Po Paris quand j’avais 18 ans et j’y ai fait l’intégralité de mes études.

Après mes études, j’ai travaillé pendant plusieurs années dans le privé, j’étais consultant en stratégie et en organisation.

Le sujet de l’immigration est venu tout d’abord par une démarche citoyenne, c’est-à-dire que je constatais qu’en tant que citoyen j’étais dans l’impossibilité d’avoir une discussion, de lancer ces sujets, avec une approche de ces questions qui ne soit pas idéologique ou strictement humanitaire.

Par ailleurs, ayant grandi en banlieue parisienne dans des villes et des quartiers où l’immigration était un fait social majoritaire, je pense avoir une expérience en la matière qui n’est ni celle du fantasme absolu, ni celle de la vision idéalisée. C’est un constat personnel.

Miss K : Très bien, je vais vous poser des questions au regard des actualités sur la thématique de l’immigration en matière de propositions concrètes afin de mieux contrôler l’immigration.

Première question: quelles perspectives en France et en Europe sur notre organisation ? Et faudrait-il un ministère de l’Immigration ?

Nicolas Pouvreau-Monti : Effectivement, l’immigration est un sujet qui est transversal par excellence, parce que la gestion de l’immigration comme flux est transversale.

C’est à la fois un enjeu de sécurité publique, un enjeu des affaires étrangères, un enjeu de politique sociale. Et puis aussi parce que l’immigration n’est pas un sujet à l’instant T. Il y a des flux, du stock avec la transformation de certains aspects de la vie de la société. L’immigration a un impact qui, par définition, est multidimensionnel, que l’on s’intéresse à l’emploi, l’éducation ou aux finances publiques.

L’action publique en la matière a été un échec constaté comme tel de manière assez unanime, et ce pour différentes raisons.

Je pense que, plus qu’un ministère de l’Immigration, avec les difficultés qu’impliqueraient la fusion des administrations (cultures et modes de travail avec des angles d’approches très différents), il y a un enjeu de coordination interministérielle très fort sur ce sujet, qui pourrait prendre la forme d’un comité interministériel permanent.
Le comité interministériel permanent pourrait prendre la forme d’un comité placé sous l’autorité du Premier ministre, voire même du président de la République si on estime que l’immigration est un sujet majeur de cohésion nationale. Plus qu’un ministère de l’Immigration, je pense que des structures interministérielles sont à privilégier.

Miss K : Très bien, faut-il réviser notre Constitution ?

Nicolas Pouvreau-Monti : Disons qu’on se pose cette question aujourd’hui, parce que de manière incontestable, la marge de manœuvre politique en matière d’immigration s’est trouvée considérablement restreinte au cours des dernières décennies.

Il y a un constat évident aujourd’hui : la loi seule ne peut pas suffire à moduler les grandes masses de l’immigration, parce que l’immigration est largement réalisée pour motif familial et que ce motif est régi fortement par des traités internationaux et la jurisprudence qui en est issue. Il y a aussi une dynamique de l’asile très forte en France et en Europe. De ce point de vue là, l’idée d’utiliser le levier constitutionnel pour réduire la contrainte administrative est d’assurer la souveraineté de la loi, du Parlement sur un certain nombre de sujets.

Je dirais que c’est une démarche utile de réviser la Constitution mais ce n’est pas une démarche suffisante. Réviser la Constitution n’est pas la solution magique qui, demain, nous libèrera seule de ces contraintes. Il faut entrer dans une démarche soit de dénonciation simple de certains traités, soit d’une réadhésion avec des réserves d’interprétation. Il s’agit typiquement d’une piste intéressante pour deux articles spécialement problématiques de la Convention européenne des droits de l’Homme: l’article 3 et l’article 8. Ou alors, troisième piste, une renégociation.

Parfois, la simple dénonciation de certains traités peut être aussi une solution. Je pense notamment à l’accord franco-algérien sur l’immigration, que notre Observatoire a été le premier à mettre dans la lumière du débat public il y a trois ans maintenant.

Miss K : Êtes-vous favorable à un référendum pour questionner la volonté des Français ?

Nicolas Pouvreau-Monti : Le référendum peut être un outil intéressant, parce qu’il s’agit d’un outil d’expression directe du peuple souverain.

Toutefois, il y a une interrogation : quelle question soumet-on à un référendum ?
Faire un référendum sur la révision constitutionnelle ? Un référendum législatif, avec l’ambiguïté de savoir si l’immigration rentre dans le champ constitutionnel de ce qui peut être abordé par referendum ?

À mon sens il y correspond pleinement, car l’immigration est un sujet qui concerne la vie économique et sociale de la nation.

Mais on ne peut pas traiter l’immigration uniquement par des référendums. Et pour ça, il faut redonner un espace au champ de la loi et de la delibération parlementaire “normale”, en desserrant notamment les contraintes issues des traités.

Miss K : Très bien, que pensez vous du projet britannique de renvoie des demandeurs d’asile au Rwanda ?

Nicolas Pouvreau-MontiC’est un projet qui se heurte à beaucoup de contraintes internes au Royaume-Uni, lequel s’est certes libéré d’un certain nombre d’obligations issues du droit de l’Union européenne (qu’il a quittée) mais pas de la CEDH.

Aujourd’hui la France et l’Europe connaisssent une vague d’asile qui est non seulement sans précédent, mais sur lequel l’état actuel du droit nous rend absolument vulnérables.

Depuis 2013, l’Union européenne (UE) a enregistré 8 millions de demandes d’asile, dont 1 million en France – avec un nombre annuel en France qui a augmenté de 245 % depuis la fin des années 2000.

C’est une dynamique qui est hors de contrôle du politique. Avant même de réviser potentiellement les traités qui nous lient en la matière, une politique immédiatement applicable peut consister à envoyer des contre-signaux, des signaux de “désattractivité” pour ceux des demandeurs d’asile qui viennent pour des raisons économiques.


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