Interview de Christian Prouteau, fondateur du GIGN et du GSPR

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Le 08 avril 2019 – Miss Konfidentielle a le privilège d’interviewer Christian Prouteau, fondateur et 1er commandant du GIGN en 1973, unité d’élite de la Gendarmerie Nationale sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Puis fondateur du GSPR en 1982, unité chargée de la protection du Président François Mitterrand.

Monsieur Prouteau,

Quelles ont été vos motivations pour rejoindre la gendarmerie française ?

Après le bac, assez bon en dessin je suis allé m’inscrire à l’école du cinéma de Boulogne-Billancourt, intéressé par la réalisation des décors. Mais j’ai aussitôt compris que cette voie n’était pas faite pour moi. C’est alors que j’ai vu une belle affiche Porte-Maillot à Paris avec les mots « Engagez-vous » écrits en lettres blanches sur fond d’azur ! 

Il faut savoir que j’ai grandi dans une brigade de gendarmerie aux côtés de mon père officier. Je l’observais mener ses hommes dans son uniforme et je ne cache pas que cela m’impressionnait. Tout comme la photo de mon grand-père lui aussi gendarme qui en imposait avec ses grandes moustaches dans un cadre à la maison. A l’âge de 11 ans, j’ai demandé à intégrer l’école militaire d’Autun pour suivre les même études que mon père. Ce que j’ai fait. Je pense qu’il y a souvent une forme d’atavisme dans les familles. 

Ce qui explique sans doute ma décision de m’ « engager ». Je suis allé voir un officier orienteur au fort de Vincennes qui m’a expliqué quelles étaient les formations pour devenir officier. Je décidai alors de suivre le plan strict suivant : faire mes classes dans l’armée de terre, ensuite l’école des sous-officiers de Saint-Maixent, puis l’école militaire de Strasbourg, seul moyen d’accéder à l’Ecole militaire interarmes de Saint-Cyr Coëtquidan pour être officier. Une fois en corps de troupe, je me présente au concours d’entrée de l’école des officiers de gendarmerie de Melun. 

Et c’est ainsi qu’en septembre 1971, j’intègre l’école des officier de gendarmerie à Melun. J’ai alors eu le sentiment d’avoir accompli ce que je voulais. Faire comme mon père, servir mon pays ! 

Votre père a certainement été fier de vous, je me trompe ?

Il était ravi ! J’étais la troisième génération de Prouteau à endosser l’uniforme de la gendarmerie. Ma mère aurait préféré je pense me voir côtoyer les stars du septième art.

La prise d’otages des JO de Munich en 1972 va tout changer pour vous. Que s’est-il passé ?

En suivant les événements de l’attentat des Jeux Olympiques de Munich, j’ai immédiatement compris la limite de l’exercice en gendarmerie française dans le domaine de la prise d’otages. J’ai proposé à ma hiérarchie qui réfléchissait à ce problème, de mettre en place une unité capable de faire front à une situation extrême comme celle des JO.

En 1973, la Direction de la gendarmerie accepte ma proposition et décide de mettre en place une première expérimentation. J’ai alors choisi les hommes et créé la première équipe d’unité spéciale, ce qui n’était pas une mince affaire, croyez-moi.

Mais le plus compliqué a été de faire reconnaître le GIGN n°1 par les plus hautes autorités ! C’est Jacques Chirac, alors 1er Ministre, qui est d’abord venu nous rencontrer. Ce n’est que plus tard que le Président Valéry Giscard d’Estaing nous a rendu visite à Melun.

Pour quelles raisons le Président ne reconnaissait-il pas le GIGN ? Je ne comprends pas.. expliquez-moi

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. La problématique au niveau de l’Etat et de tous les Etats sur ce type d’événement sensible, était très politique. Le credo était : On ne s’en mêle pas et on se débarrasse du problème en cédant aux exigences des ravisseurs.

Premier exemple : il y avait en moyenne entre 60 et 80 détournements d’avions par an. Ce qui est très important, on ne s’en souvient pas. Le Président Valéry Giscard d’Estaing refusait les interventions et interdisait aux pilotes d’avion de se poser en France lorsqu’ils étaient détournés (excepté s’ils n’avaient plus de carburant) c’est du moins la stratégie mise en place dans le cadre du premier plan « Piratair ».

Deuxième exemple : je me suis retrouvé face à Carlos lors d’une prise d’otages à Orly en janvier 1975. Le Président n’a pas voulu que j’intervienne. On a laissé partir Carlos et on connait la suite : attentats, meurtres de deux membres de la DST…

Arriver à ce que le chef de l’Etat s’implique dans ce qu’il considérait comme des épiphénomènes était difficile. Il préférait négocier et céder. 

C’est sous la pression de la répétition de ces événements mais surtout grâce à nos premiers succès très relayés par la presse qu’il a fini par accepter de s’impliquer, prenant conscience que l’unité existante pouvait être utile et limiter ce nombre d’actions terroristes.

Ma conviction est qu’à chaque fois que l’on cède, on donne l’opportunité de recommencer. 

C’est ainsi que nous avons pu intervenir lors de l’affaire à Djibouti alors qu’un an avant nous n’avions pas pu. De nombreuses contraintes ont tout de même été imposées par le Président lors de cette opération. 

Quelle a été l’affaire la plus marquante lors de votre carrière ?

C’est justement l’affaire à Djibouti. Plus précisément la prise d’otages de Loyada, à la frontière de Djibouti et de la Somalie les 3 et 4 Février 1976. 30 enfants de militaires français ont été pris en otages par un groupe de terroristes dans un bus scolaire. 

C’est toujours terrible de voir que ce qui est le plus important pour vous ne l’est pas forcément pour les autres. Pour tout le monde cette opération est un succès et c’est vrai… Moi je porte toujours cette douleur de n’avoir pu sauver ces deux petites filles à dix secondes près qui m’ont manqué pour neutraliser celui qui les a mortellement blessées.

Nous avions perdu deux minutes pour prendre possession du bus, cloués au sol par les mitrailleuses somaliennes ce qui n’était pas prévu car la Somalie avait affirmé qu’elle n’interviendrait pas. Là ce n’était plus une prise d’otages, c’était la guerre. 

A cette période, Djibouti était une colonie française. Et nous étions en pleine guerre froide. Les soviétiques sur place, étaient les conseillers techniques des somaliens. La prise d’otages avait pour but d’obliger la France a quitter Djibouti. C’était une guerre géopolitique. Le terrorisme est toujours sous-tendu par la géopolitique.  

Et l’affaire dont vous êtes le plus fier ?

C’est celle de la prise d’otages à l’hôtel FESCH à Ajaccio en janvier 1980 par des nationalistes corses. 

J’ai réussi par la négociation à éviter un bain de sang. Etre face à des corses armés jusqu’aux dents retranchés dans cet hôtel alors que nous étions trente seulement était impressionnant ! Vous retrouver ainsi face à des hommes déterminés à en découdre et dont la vertu des vertus est de défendre leurs idées bien arrêtées par les armes, avec une notion de l’HONNEUR exacerbée n’est pas simple. 

J’avoue que négocier avec Marcel Lorenzoni, chef du groupe des nationalistes, a été l’exercice de style le plus énorme que j’ai eu à faire. La psychologie et la raison l’ont emporté sur la violence.

Le sang creuse un fossé. Si le problème n’avait pas été réglé, le fossé aurait été tellement énorme entre l’île et le continent, que nous serions partis pour vingt ans de problèmes politiques. Donc j’en suis assez fier. 

En 1982, vous créez le GSPR afin de protéger le Président François Mitterrand. Avez-vous des souvenirs que vous pourriez partager avec nous ?

Le première chose qui me vient à l’esprit est d’avoir entendu à maintes reprises que j’échangeais avec le Président sur des sujets qui étaient de l’ordre de l’intime. Ce n’était pas aussi simple. A mon sens, le Président ne s’appartient plus pendant sa présidence et nous devons gérer TOUTE sa vie si l’on ne veut pas qu’il soit vulnérable et il en était conscient. Sauf que j’ai vite compris qu’il fallait que je sache, sans que nous en parlions. Ce n’était pas évident à mettre en pratique mais ça me convenait parfaitement…

Je vous raconte la petite histoire. 

Lorsque j’ai annoncé au chef de l’Etat que j’assurerais ma mission nuit et jour 24h/24, il m’a répondu « C’est lourd ce que vous me demandez là ». Je lui ai répondu «  vous pouvez avoir confiance en ma discrétion et celle de mes hommes ». Ce à quoi il a répondu « c’est le moins que vous puissiez faire ». Ce qui était bien sûr évident. 

Puis je fais le tour des personnes de sa famille à protéger sachant que la vulnérabilité peut être indirecte. 

Au moment de quitter son bureau, il me dit pour conclure « pour le ‘reste’ allez voir André Rousselet » qui était le Directeur de cabinet puis fondateur de Canal+. Un Monsieur très strict en costume trois pièces, maintenant toujours une distance avec tout le monde. Ce que j’apprécie beaucoup parce que je pense que le copinage n’est pas bon. Le vouvoiement en France est un privilège que nous avons pour qu’une hiérarchie soit respectée et qu’il y ait une progression dans la connaissance des gens. Le « reste » pour moi ce n’était pas très clair et j’étais loin d’imaginer ce qui aller suivre…

Je relate à André Rousselet la phrase sibylline du Président qui fait que je suis devant lui et il se lève, gêné, fait le tour de son bureau Empire, me prend par le bras puis me dit « C’est délicat, allez voir François de Grossouvre, il va vous expliquer ». François de Grossouvre était le conseiller spécial du Président. 

Lorsque je me présente à son bureau François de Grossouvre est surpris et me reçoit sèchement  : « Mon petit (formule qu’il utilisait quand il était énervé) Pourquoi venez-vous me déranger ? », je lui réponds « je sors du bureau du Président ». C’était le sésame ! Je lui fais état de mes entretiens précédents et là il se calme immédiatement et me dit : « C’est vrai on ne vous a pas parlé de la fille du Président qui s’appelle Mazarine. Elle vit avec sa maman près du Boulevard Saint-Germain à Paris. Vous avez en charge sa sécurité ». 

Là j’ai mesuré l’étendue de la mission qui m’imposait pour mieux protéger Mazarine. Il fallait qu’elle ne soit pas connue. D’autant que le Président, détenteur de la force nucléaire et de certaines autorisations en tant que chef des armées, était susceptible de recevoir des pressions de groupes ou d’un cinglé si sa fille était menacée. 

Dès lors, j’ai dessiné le contour de la protection du Président et de ses proches lui expliquant qu’il serait protégé nuit et jour 365 jours par an. C’était ma responsabilité.

Mon premier juge c’était moi et je me devais d’être à la hauteur de ma mission et de la confiance qui m’était accordée et en 13 ans mes hommes et moi nous n’avons pas failli…

Quels sont vos ouvrages que vous pourriez conseiller à nos lecteurs ?

Je conseille en premier lieu « GIGN : nous étions les premiers » co-écrit avec Jean-Luc Riva. L’histoire du GIGN ne m’appartient pas complètement, elle appartient aussi à mes hommes c’est pour cela que je n’ai pas souhaité le rédiger seul et le conjuguer à la première personne du singulier….

Ensuite « la petite demoiselle et autres affaires d’Etat » qui peut intéresser beaucoup de gens ne serait-ce que par rapport à ce que l’on pense savoir sur la République et que l’on ne sait pas. Ce livre est aussi une réflexion de citoyen par rapport à ce que j’ai vécu. 

Un grand remerciement à vous, Monsieur Prouteau, pour le temps accordé à cette rencontre exceptionnelle.

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