Interview de Caroline Canivez, chef de l’unité de protection sociale à la sûreté départementale de la CSP Lens Agglomération

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En ce 25 novembre 2020, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nombreux ont été les institutionnels à communiquer sur le sujet en vue de sensibiliser et informer les citoyens. Un grand remerciement à eux pour cette démarche indispensable. Pour autant, Miss Konfidentielle s’interroge. Depuis 30 ans, elle témoigne de faits violents intrafamiliaux à l’encontre de mineurs et suit l’évolution dans le temps d’enfants, lesquels devenus adultes sont dans l’incapacité de gérer leur vie de famille, reproduisant pour certains des faits de maltraitance. Elle se demande si le temps ne serait pas venu de se saisir également de ce vrai sujet ? Caroline Canivez partage avec nous ses expériences vécues sur le terrain et nous sensibilise à ses pistes de réflexion qui méritent probablement notre attention.

Bonjour Caroline,

Le sujet étant grave et urgent, vous avez toute liberté pour vous exprimer.

Je vous remercie.
Pour commencer, la CSP Lens Agglomération couvre 350 000 habitants sur 38 communes.
Cela représente 1300 dossiers de mineurs victimes par an.

Il faut savoir que nous avons doublé le travail en lien avec les violences faites aux mineurs lors du premier confinement. Alors que nous reprenions contact avec les victimes de violences conjugales pour vérifier qu’elles n’étaient pas confinées avec leur agresseur, nous avons procédé de la même façon avec les mineurs.
Les enfants n’avaient plus la possibilité de s’exprimer à l’école, auprès de leurs psychologues.. Et les professionnels ne pouvaient s’assurer de leur bien-être. La situation était terrible pour eux. Ils étaient susceptibles d’être confinés avec leurs agresseurs 7/7 et 24/24.

Vous me demandez d’évoquer un dossier qui m’a marqué : Je pense à un cas sordide, celui de mon premier dossier à la brigade des mineurs quand j’ai débuté ma carrière.
Un petit garçon de deux ans et demi m’a dit en audition que « papa a mis son zizi dans mon caca ». En dehors de l’horreur des révélations, il a fallu identifier le papa. Or la maman et le papa étaient séparés et la maman recevait de nombreux hommes à la maison. J’ai dû récupérer les photos de ces hommes et les présenter au petit garçon.. il s’est avéré que l’enfant appelait tous ces hommes « papa » et que le vrai papa était l’agresseur.
J’ai réalisé à ce moment toute l’importance de se former à l’audition des mineurs et à cette procédure très spécifique.

Plus récemment un autre cas, celui d’un garçon qui allait tous les samedis faire ses devoirs chez son parrain.
Sauf qu’après les devoirs, le parrain l’emmenait dans son abri de jardin pour se faire masturber.
Nous avons appris les faits un vendredi et il a fallu rapidement prévenir les parents et entendre l’enfant avant que le parrain soit informé.
Le mis en cause est toujours entendu en dernier car il faut un dossier solide pour comprendre et aider au mieux l’enfant.

Avec le développement d’internet et des réseaux sociaux, nous sommes confrontés à des situations de jeunes filles qui envoient des photos de leur seins, de leur intimité… à leurs petits amis… et sont terriblement blessées lorsqu’après la séparation du couple certains d’entre eux postent ces photos sur snapchat à leurs copains du lycée. Elles le font bien souvent parce qu’elles sont amoureuses sans penser que leurs petits amis feraient ce genre de chose.

Je pense à des pistes de réflexion qui pourraient être entendues. Non pas que je sois revendicatrice, loin de là, simplement pour partager des idées .

  • A mon sens, il paraît nécessaire que chaque commissariat et chaque gendarmerie soient dotés d’une « salle Mélanie ».

« La salle Mélanie » ressemble à une chambre d’enfant. Le décor et le mobilier sont adaptés aux enfants.
Elle permet au mineur victime d’être auditionné dans de bonnes conditions. De se détendre et de s’exprimer en toute sérénité auprès de l’enquêteur. Il peut parler, s’arrêter et jouer un peu, parler de nouveau.
L’enfant n’est pas auditionné dans une salle froide dérangé par les bruits du commissariat, les appels téléphoniques, le PV à taper en direct…

Notre « salle Mélanie » à Lens est toute récente, elle date de décembre 2019.
C’est la 20ème en France que co-finance Madame Annie Gourgue, présidente de l’association La Mouette située à Agen en lien avec la direction départementale de la sécurité publique du Pas-de-Calais. Merci à Mme Gourgue pour son implication et son investissement. Cela serait bien que nous ayons pourquoi pas d’autres financements.

Nous avons besoin d’équipements qui existent, et aussi d’équipements qui n’existent pas et dont nous aurions grand besoin. Comme un logiciel de retranscription des auditions sachant que la voix de l’enfant change à chaque audition et que c’est la principale difficulté qui nous empêche d’utiliser les logiciels déjà existants. Nous gagnerions un temps précieux. Aujourd’hui, nous passons un temps infini à retranscrire par écrit chaque audition filmée dans la « La salle Mélanie ». Les enquêteurs pour autant ne rechignent pas à le faire car il en va de l’intérêt du mineur et de la procédure.

Je tiens d’ailleurs à souligner le formidable investissement des enquêteurs des brigades des mineurs qui font un travail formidable mais extrêmement difficile.

  • Avec la libération de la parole, le nombre de dossiers augmente avec les années et souvent, on manque d’effectifs en brigade des mineurs.

Ces dernières années, on constate que les effectifs sont en baisse.

Les départs en retraite ne peuvent pas tous être remplacés.

Malheureusement quand le nombre de procédures augmente mais pas les effectifs, ce sont les délais de traitement qui s’allongent. Or nous sommes sur des sujets urgents car on travaille sur l’humain et particulièrement sur l’humain en souffrance.

On ne peut pas laisser des mineurs en situation de maltraitance.

  • Dans un autre ordre d’idée, il est important, me semble t-il, de simplifier la procédure pénale pour le bien des mineurs victimes.

J’ai de nombreux retours précisant que la procédure pénale est de plus en plus lourde

Il était prévu que nous allions vers une simplification des procédures, cependant sur le terrain on se rend bien compte que c’est l’inverse.

La procédure pénale connaît de plus en plus de contraintes juridiques qui alourdissent la charge de travail des fonctionnaires.

  • Les victimes et les auteurs doivent être pris en charge sur le plan psychologie voire psychiatrique.

Il me semble que la psychiatrie est assez pauvre en France.

On manque de moyens, de structures, d’effectifs, de soins…

Les délais d’attente pour une prise en charge en CMP (Centres Médico Psychologiques) est souvent de 6 mois pour l’enfant. C’est très long pour un enfant, surtout en détresse.

Ce pourrait être intéressant d’interroger la psychiatrie et la psychologie afin d’avancer.

J’ai conscience que ce financement est lourd mais pour autant nécessaire.

  • Ce ne sont pas aux enfants victimes de s’éloigner de leur famille. C’est aux agresseurs.

Aujourd’hui, un mari qui violente sa femme est éloigné du foyer.

Pourquoi le papa, le tonton, le grand-père… maltraitant ne serait-il pas éloigné ?

Il arrive que l’enfant soit arraché à sa famille, sa maman, ses frères et sœurs ainsi qu’à son environnement (école, amis, sport…). On le place en foyer ou en famille d’accueil loin de ses repères. Ce n’est pas juste pour l’enfant qui vit une double peine.

Je pense intéressant de réfléchir à l’idée de créer des foyers pour les parents violents et les traiter.

Les enfants victimes, eux, pourraient alors rester au sein de leur famille et être suivis par des psychothérapeutes.

On oublie souvent qu’une femme peut s’exprimer même si c’est difficile. Elle peut appeler au téléphone, aller au commissariat… Un enfant de cinq ans ne pourra pas le faire. Il faut donc en prendre soin.

Après le Grenelle des violences conjugales, j’ai envie de poser la question légitime : A quand un Grenelle de la protection de l’enfance ? Cela serait l’occasion d’avancer pour le bien de nos enfants.

Je terminerai en citant Maria Montessori, médecin pédagogue que « L’enfant d’aujourd’hui sera l’adulte de demain. »

Un grand remerciement Caroline pour votre réactivité. Nous avons réalisé cette interview dans l’urgence afin de vous donner la parole le dernier jour de la semaine de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (25 novembre). Miss Konfidentielle vous souhaite de tout coeur une pleine réussite dans vos projets d’aide aux enfants maltraités et se porte volontaire avec bienveillance pour vous accompagner.


💔 Signalements au téléphone :

Au téléphone : 17 – Police secours
Au téléphone : 15 – Service d’aide médical urgent
Au téléphone : 119 – Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger destiné aux enfants, adolescents et adultes
Au téléphone : 3919 – Numéro de téléphone pour les femmes victimes de violence

💔 Signalements par internet :

Le site gouvernemental : Signalement des violences sexuelles et sexistes  #NeRienLaisserPasser
Le site gouvernemental : Arrêtons les violences

💔 Signalements par sms :

Par sms : 114 – Numéro d’urgence pour les personnes sourdes et malentendantes ou qui ne peuvent appeler


Note importante :
Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges, auteur de l’interview, avant de reproduire tout ou partie de son contenu sur un autre media.
Copyright obligatoire des photos publiées en Une : © Caroline Canivez

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