Interview de Gabrielle Hazan, commissaire de police, nouvelle responsable nationale contre les violences conjugales et sexuelles

Le 23 novembre 2021Miss Konfidentielle a eu le privilège d’interviewer Gabrielle Hazan, commissaire de police, nouvelle responsable nationale contre les violences conjugales et sexuelles, dans son bureau à Beauvau. Nous avons beaucoup échangé sur ses sujets graves qui font l’actualité. Brillante tout en restant naturelle, il est certain que Gabrielle Hazan ira loin pour le plus grand bien de la police nationale et des citoyen(ne)s. 

Bonjour Gabrielle,
Quelles sont les trois premières étapes de votre parcours ?

Mon premier poste était à la sûreté régionale des transports à Paris, c’est un service d’investigation spécialisé dans la délinquance commise dans les transports en commun avec une compétence dans toute l’Ile-de-France. On travaillait notamment sur des infractions à caractère sexuel commises dans les transports en commun, mais aussi sur des vols à l’arraché, des vols à la tire, des violences. J’ai beaucoup appris au contact des enquêteurs et je ressentais au quotidien un fort sentiment d’utilité.

Deux années plus tard, j’ai été nommée chef du service d’investigation du commissariat de Versailles. Je travaille sur la délinquance générale à Versailles, les trafics de stups, les violences conjugales, les cambriolages … mais nous avions aussi initié des affaires de proxénétisme sur des mineures placées en foyer..

Je pense qu’être chef de service dans un commissariat est ce qu’il y a de plus dur pour un commissaire de police, mais aussi peut-être de plus complet.

Ensuite, j’ai eu le souhait d’accéder à la direction centrale. Le travail de lien entre l’action politique et les directions opérationnelles m’intéressait.

L’expérience de terrain permet de poser un constat, de comprendre les enjeux pour ensuite mieux exprimer et défendre les besoins opérationnels de la police. C’est comme ça que je suis arrivée à Beauvau, au cabinet du directeur général de la police nationale en tant qu’adjointe au conseiller judiciaire.

Vous êtes aujourd’hui responsable nationale contre les violences intrafamiliales ?
De quoi s’agit-il plus précisément ?

Le rôle de référente nationale des violences conjugales et sexuelles est très varié. En quelques mots, je dois être un point de contact privilégié pour les partenaires qui travaillent au quotidien avec les services de police pour lutter contre ces violences. En même temps, je suis une sorte de chef d’orchestre pour recueillir les difficultés rencontrées par les enquêteurs et proposer au directeur général des évolutions dans la façon de traiter cette délinquance.

Concrètement, si je prends l’exemple du mouvement actuel « hashtag double peine », je dirais que les témoignages des victimes m’aident à comprendre les attentes, à prendre conscience des améliorations à porter en matière de formation des policiers. Nous sommes d’ailleurs en train de concevoir deux livrets d’accompagnement pour le traitement des violences conjugales et des violences sexuelles.
Ils auront pour but :
– de définir ces violences,
– d’expliquer aux policiers les conséquences sur les victimes (mémoires traumatiques, sidération, phénomène d’emprise) pour mieux les comprendre et en conséquence mieux les accueillir,
– et de rappeler enfin les diligences à réaliser en urgence au début de l’enquête.

On a mis du temps dans la police à réaliser l’impact du phénomène #MeToo, à comprendre ce qui se jouait avec cette libération de la parole des victimes. Mais, selon moi, l’enjeu aujourd’hui pour la police, comme pour d’autres institutions d’ailleurs, est de s’adapter à ces changements sociétaux. ll nous faut accepter la critique lorsqu’elle est constructive et évoluer avec la société.

Aujourd’hui, on n’attend plus seulement d’un policier qu’il mène une enquête suite à la commission d’une infraction. Aujourd’hui, les mots « je vous écoute, je vous crois » du policier, qui resteront gravés dans la mémoire des victimes, sont tout aussi importants.

L’accompagnement des victimes compte autant que les premières diligences techniques au début d’une enquête, il faut d’abord adopter une attitude de compréhension et de soutien pour instaurer un climat de confiance et recueillir ainsi des éléments précis utiles à l’enquête. Il faut aussi savoir expliquer le déroulé de l’audition, que les investigations peuvent prendre du temps, tenir la victime informée de l’évolution de la procédure, et enfin l’orienter vers des associations d’aide aux victimes ou d’autres partenaires spécialisés dans l’accompagnement des victimes. Bref, cet accompagnement suppose une véritable formation des policiers et le développement de véritables compétences professionnelles.

En tant que référente à la Direction générale de la police nationale, mon rôle consiste aussi à donner des outils de travail aux policiers, pour répondre ensemble à cette attente.

Initier les changements en tentant de prendre du recul, c’est aussi cela le rôle d’une référente.

Pourquoi le choix de la police ?

J’ai choisi la police simplement parce que c’est un métier utile, ancré dans le quotidien des gens.

Ce qui a guidé mon choix pour la police, c’était ma volonté d’avoir un métier avec des effets concrets de mon action au quotidien. Je cherchais d’abord un boulot avec un sentiment d’utilité sociale très prononcé : devenir fonctionnaire et policière m’a semblé répondre le plus à cette attente.

Cela n’empêche pas de me questionner souvent sur le sens et l’utilité finale de mes missions au quotidien, surtout sur un poste où je travaille plus loin du terrain et sans contact direct avec la population.

Mais pour moi, cela doit rester ma boussole professionnelle : c’est ce pourquoi j’ai choisi de rejoindre la police nationale et c’est cette recherche de sens qui guide mes orientations professionnelles.

Pourquoi la thématique des violences faites aux femmes ?

Justement, parce que s’investir sur cette thématique a du sens !

J’ai pris conscience lors de mes premiers postes dans des services d’investigation, que les violences conjugales comme sexuelles, était une véritable délinquance de masse : les victimes sont nombreuses, elles ont tous les âges et sont issues de toutes les classes socio-professionnelles. Les violences conjugales et sexuelles sont des fléaux de notre société. Pour illustrer mon propos, on décompte en moyenne 225 plaintes de violences intrafamiliales par jour et 26 interventions de police par heure pour mettre fin à une situation de violences intrafamiliales.

La police, si elle ne peut pas éradiquer seule cette délinquance, a un rôle essentiel dans la lutte contre ces violences.

Ce n’est pas la police qui pourra lutter contre la volonté de domination et de possession des auteurs de violences conjugales et de violences sexuelles : sur ce point, c’est à la société entière d’évoluer, à commencer par l’éducation des garçons ! Mais la police doit apporter sa pierre à l’édifice en accompagnant les victimes et en menant des enquêtes de qualité pour présenter les auteurs devant la justice.

Enfin, je dirai que j’ai conscience d’avoir aussi été choisie comme référente nationale parce que je suis une femme. Et si en tant que femme engagée, j’ai envie de défendre la voix des femmes dans un monde que je trouve toujours profondément patriarcal, je pense que la lutte contre les violences faites aux femmes aura beaucoup progressé le jour où on arrivera à nommer un homme à ces fonctions : comme un signe que la lutte contre les violences faites aux femmes nous concerne bien tous, en tant que société, et pas seulement les femmes en tant que potentielles victimes !

Et ma courte expérience professionnelle m’a montré que la question du genre n’avait absolument aucune influence sur la qualité de la prise en charge des victimes. J’ai, personnellement, beaucoup appris sur cette thématique en observant les enquêteurs du groupe des infractions à caractère sexuel lors de mon premier poste : en tant que chef de service, je recevais à leur intention des lettres de remerciement des victimes, qui soulignaient à quel point leur accueil avait participé et aidé à leur reconstruction. L’écoute, l’empathie et l’accompagnement ne sont pas des qualités féminines !

Vous arrive-t-il de travailler avec les gendarmes sur la thématique des violences faites aux femmes ?

Oui bien sûr, comme je vous le disais, les violences faites aux femmes touchent toute la société et tous les territoires. Sur cette thématique des violences faites aux femmes, les gendarmes sont confrontés à la même délinquance que nous, et quasiment dans les mêmes proportions. En 2020, 125 000 victimes de VIF étaient recensées par la police et 100 000 par la gendarmerie.

Nous travaillons en concertation pour la définition des instructions à destination des services, nous partageons nos bonnes pratiques et nous allons essayer d’élaborer également des actions de formation communes pour les policiers et les gendarmes en 2022.

Et si nous parlions un peu de vous maintenant d’un point de vue personnel ?

J’ai grandi en région parisienne et fait mes études à Sciences Po Paris. Je viens d’avoir trente ans et j’ai le privilège de pouvoir profiter de Paris au quotidien. Autant j’aime cette ville, autant je suis ravie de pouvoir m’échapper le week-end pour retrouver un peu de calme et de nature !

Mon défi à relever pour les années à venir sera de mieux concilier ma vie privée et ma vie professionnelle. C’est un combat que ma génération est peut-être la première à relever, quitte à heurter parfois nos aînés !

J’ai une grande diversité d’intérêts que j’essaie de suivre en alternance et de façon équilibrée. Ils m’aident à me sentir bien dans mes baskets et je suis convaincue que c’est un gage d’efficacité au travail à long terme.

Un grand remerciement Gabrielle pour votre accueil très agréable, le temps consacré à expliquer les choses avec pédagogie et surtout vos engagements dont celui de la lutte contre les violences conjugales et sexuelles. Nous ne pouvons que vous souhaiter une pleine réussite dans vos projets !


Miss Konfidentielle rappelle les informations utiles destinée aux VICTIMES OU TÉMOINS. 

  • 17 police
  • 114 urgence par SMS pour les sourds et malentendants
  • 3919 violence femme info
  • 119 enfance en danger
  • 116 006 aide aux victimes
  • 115 hébergement social d’urgence
  • 112 numéro européen d’alerte
  • Tchat PSVSS
  • arretonslesviolences.gouv.fr
  • moncommissariat.fr

Ne pas rester sans rien dire… il faut OSER contacter la police pour se sauver ou sauver.


Note importante

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges avant de reproduire sur un autre support tout ou partie du contenu de l’interview.
Il est interdit d’utiliser la photo en Une de l’interview sans autorisation écrite de Valérie Desforges.

 

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