Interview de Jean-Jacques Colombi, conseiller international de Frédéric Veaux, Directeur Général de la Police nationale

Le 4 décembre 2021 – Un honneur pour Miss Konfidentielle que d’être reçue à Beauvau au sein du bureau de Jean-Jacques Colombi, conseiller pour les affaires européennes et internationales du Directeur Général de la Police nationale (DGPN), Frédéric Veaux. Le regard perspicace, la gestuelle avenante ont été les deux premières observations. Les bandits et l’international seront les deux mots indissociables du commissaire qui viendront à l’esprit au fil de l’entretien. Laissez-vous embarquer et suivez les aventures de ce grand monsieur de la police judiciaire à travers le monde.

Bonjour Jean-Jacques,
Souhaitez-vous commencer par le début ou la fin de votre parcours ?

On peut commencer par la fin.
Je suis un commissaire de police qui arrive au bout de sa carrière, à 66 ans dans quelques jours. J’ai commencé, j’en avais à peine plus de 20.

Comment définiriez-vous votre parcours ?

J’ai un parcours à la fois linéaire et atypique. 

  • Tout d’abord atypique

Rien ne me prédestinait à être contrôleur général de la police ;

Mon origine italienne, mon intérêt pour les langues étrangères, les voyages et la culture ne me prédestinaient pas non plus à être considéré par nombre de collègues étrangers et français comme un expert coordinateur international de la police ;

Jeune inspecteur de police à la PJ de Versailles à mes débuts en 1977 ou 1978, je ne pensais pas que je deviendrais 40 plus tard le conseiller international du DGPN et un des délégués pour l’Europe au Comité exécutif d’Interpol. A ce propos, je remettrai en fin d’année à l’assemblée générale à Istanbul le mandat pour lequel j’avais été élu il y a 4 ans à Pékin par les chefs de police des 194 etats-membres de l’organisation ;

Rien ne me prédestinait non plus à être pendant près de dix ans la voix de la France au Conseil d’administration d’Europol. Je suis fier d’avoir aidé au développement de cette agence.

En fait, je suis entré dans la police tout jeune homme, originaire d’un coin reculé de France, un petit village de la Haute-Saône, en Franche-Comté.

Je suis rentré dans la police par goût pour les enquêtes. Les films noirs et les romans anglais de ma jeunesse m’inspiraient beaucoup.

En réussissant le concours d’inspecteur de police, je m’étais promis que si je n’étais pas affecté en PJ, je chercherais un autre métier. A ce moment-là de ma vie, pour moi, la police ce n’était que l’enquête. Une vision réductrice de la police dont j’ai découvert les autres métiers plus tard.

Mais j’ai eu de la chance, j’ai été affecté dès ma sortie d’école à la Brigade criminelle de la PJ de Versailles. Dès le 1er jour, sur ma 1ère enquête, un incendie criminel d’un foyer de handicapés avec le décès d’un jeune homme, qui a déclenché ma certitude que ce métier serait pour la vie.

Puis, à partir des crimes de sang, j’ai découvert le grand banditisme.
D’inspecteur à la criminelle, je suis devenu chef de groupe à la répression du grand banditisme. A l’époque, il n’y avait ni le RAID, ni les BRI…avec mon équipe j’étais sur les flagrants délits de hold-up.

Presque naturellement, du grand banditisme je suis passé au crime organisé. Pour découvrir la complexité des organisations criminelle. Mais là encore les heureux hasards.
Un 24 décembre au matin, à Enghien, en perquisition, nous avons  trouvé des éléments qui m’ont emmené à développer nos investigations en Italie et à travailler sur la mafia sicilienne. Et c’est là que j’ai rencontré pour la première fois le juge Falcone. Et ma première femme.

Quelques mois plus tard, les italiens décident d’étendre leurs recherches sur les chefs mafieux en fuite, partout en Europe où ils étaient cachés, et en particulier en France sur la Côte d’Azur. Les italiens demandent à la France d’envoyer à Rome en immersion à l’antimafia un officier de liaison français. Le juge Falcone se souvient de moi. Il avance mon nom. Je pars à l’essai 3 mois, j’y resterai 9 ans.
Et je suis encore aujourd’hui le seul policier non italien à avoir développé cette expérience au sein du bunker antimafia.

20 ans sont alors passés depuis que je suis rentré dans la police.
D’inspecteur, je suis devenu commandant et je deviens commissaire de police.
Ce n’était pas mon aspiration première, mais c’est immédiatement un honneur et cela va me permettre de développer une seconde carrière tout aussi riche et passionnante.

  • Je disais que mon parcours est atypique, il est aussi linéaire.

Linéaire en ce sens que son fil rouge reste la lutte contre le crime organisé, mais cette fois avec des responsabilités encore plus grandes, des enquêtes plus amples et plus complexes, le plus souvent à dimension internationale.

J’ai travaillé dans plusieurs villes comme Sète, la région lyonnaise, la Corse, avant de revenir faire un passage à l’OCLCO (Office central de lutte contre le crime organisé).
La criminels s’étant entre-temps organisés autour des stups, je les ai si l’on peut dire naturellement « suivis », en prenant la tête de certaines brigades spécialisées comme à Nice d’abord, puis plus tard à l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), devenu l’OFAST.

Toutes ces années, plus de trente, à exercer des fonctions très opérationnelles se sont démontrées très structurantes pour moi. La diversité des régions, des mentalités, des criminels et des mondes sociétaux dans lesquels ils s’inscrivent m’ont démontré combien la présence sur le terrain, la patience voire l’opiniâtreté étaient nécessaires pour marquer des points dans cette lutte contre le crime organisé.

Et évidemment, tracé un cadre où le travail d’équipe est indispensable, comme la loyauté et le respect de la parole donnée.

Et j’y ai découvert, dans la dimension internationale la nécessité du partage des informations pour réussir contre des adversaires très bien armés et disposant souvent de moyens technologiques à la pointe et financiers de niveau supérieur.

2011. Toujours de la chance. Je suis à l’office des stups à Nanterre depuis un an à peine quand le directeur central de la PJ m’appelle. Je suis avec quelques collègues à l’aéroport de Sofia, en Bulgarie, en retour d’une enquête nous ayant permis de saisir une grosse quantité de cocaine sur le port de Varna.
Il me dit « Est-ce que tu souhaites prendre le poste de commissaire divisionnaire, chef de la division des relations internationales ? ».

J’accepte évidemment avec enthousiasme.

Je prends ainsi à Nanterre la tête du bureau Interpol France, de l’unité nationale Europol, de la partie française du système d’information Schengen. Pour le compte de la DCPJ mais dans un environnement interministériel et au service de tous les enquêteurs français, policiers gendarmes et douaniers.
Mon personnel est d’ailleurs composé de 2/3 de policiers, 1/3 de gendarmes, et de quelques douaniers.
Mon service reçoit l’appui 24/24 de magistrats et de greffiers, de la Direction des affaires criminelles et des grâces, du ministère de la Justice.

Dans ces nouvelles fonctions, on découvre très vite deux choses :
– Comme le reste de l’économie mondiale la criminalité est maintenant globalisée ;
– Les opérateurs de la coopération internationale ne font plus d’enquête par eux-mêmes. Ils conseillent ceux qui les font, transmettent leurs demandes, filtrent les réponses, et ne font que proposer des pistes. La coopération internationale est une école d’humilité.

J’occupe ce poste jusqu’en 2020 quand le DGPN actuel Frédéric Veaux qui a été mon sous-directeur à la PJ m’appelle à ses côtés.

J’accepte sans trop réfléchir, pour l’intérêt majeur et l’influence du poste, mais surtout par loyauté pour un collègue rencontré sur le terrain il y a des années, qui a été mon chef plus tard, et pour lequel j’ai un respect et une amitié profonde.

Il serait pertinent de venir sur les sujets de la coopération internationale

Absolument.

Je pense tout d’abord à sa volumétrie. Vos lecteurs doivent savoir qu’elle est impressionnante Les échanges entre les enquêteurs français et les partenaires étrangers sont à un niveau très élévé et en perpétuelle croissance.

Je n’aime pas beaucoup les chiffres mais quand même.
L’an passé, les policiers et les gendarmes français ont échangé pour les besoins de leurs enquêtes avec leurs partenaires étrangers :
140 000 messages par le canal Interpol, 180 000 messages par le système d’informations Schengen, 63 000 messages via Europol, 80 000 messages par les commissariats police-douane aux frontières et environ 10 000 messages par le réseau des attachés de sécurité intérieure et officiers de liaison que nous avons dans les capitales étrangères.

C’est dire que la coopération policière internationale, apanage autrefois des services spécialisés travaillant sur le spectre haut de la criminalité, est devenue une réalité et une nécessité quotidiennes de tous les policiers français.
Pour l’illustrer simplement, il y a 20 ans, un cambriolage commis dans une petite ville de France avait de grandes chances d’avoir été commis par un malfaiteur local. Aujourd’hui, le même cambriolage peut être le produit de l’action de groupes criminels organisés venant de nombreuses régions du monde (Europe de l’Est, Caucase, Amérique du Sud, Afrique occidentale …).

La coopération internationale de police vise un seul but mais essentiel, à savoir par la résolution des enquêtes en France le renforcement de la sécurité quotidienne de nos citoyens.

C’est dans cet esprit et pour cette seule fin que la Police nationale développe un réseau de partenariats avec les autres pays du monde.

Soit au travers d’Interpol,
Soit par la coopération technique bilatérale en renforçant les capacités des pays en demande (Afrique, Sahel, Balkans… Indo-Pacifique …).
Soit au sein de l’Union européenne en utilisant les outils les plus aboutis de la coopération internationale, comme EUROPOL, les délégations d’enquêtes européennes, Frontex. Je pense aussi aux équipes communes d’enquêtes, considérées souvent comme la « Rolls Royce » de la coopération internationale puisqu’elles permettent sous le contrôle de la magistrature aux enquêteurs français d’enquêter directement dans les autres pays de l’UE.

Que vous ont apporté toutes ces expériences sur le plan humain ?

J’ai déjà dit l’essentiel sur ce point.

En résumé, elles ont permis au jeune Rubempré que j’étais de devenir un homme, en quittant sa province « pour monter à Paris » ;

Plus personnellement, de me prouver que j’étais capable de réussir en France mais aussi dans le pays d’origine de mon père, l’Italie.

Je garderai de tout cela des amitiés fortes et des souvenirs inoubliables.

Elles m’ont permis aussi bien sûr de faire le tour du monde, de visiter plus de 80 pays, d‘y faire la connaissance de collègues de tous horizons, et de constater que la résolution de l’énigme criminelle est le but commun de tous les policiers, quels que soient les pays ou les régimes où ils exercent. La coopération internationale est là pour favoriser l’entraide, mais dans le respect des lois de chacun.

C’est d’ailleurs la devise d’Interpol : « Connect Police for a safer World ».

Quels souvenirs de voyages vous viennent spontanément à l’esprit ?

Le plus important ce sont toujours les rencontres !

Il est vrai que j’ai eu ainsi la chance de goûter à presque toutes les cuisines, et presque tous les vins, d’assister à quelques concerts improbables et des matchs de football dans des grands stades… mais aussi celle de jouer au foot avec des gamins dans des bourgades reculées en Anatolie, Mongolie, ou dans les faubourgs de Lisbonne…

Je pense à un plat qui m’a marqué et plu… le crabe cuit dans le poivre noir en Indonésie,
Et à un autre insupportable… les lasagnes à la graisse de mouton au Kazakhstan.

Pour tout vous dire, Il n’y a rien de mieux qu’une bonne pasta !

Un grand remerciement Jean-Jacques pour cet échange informel, sincère et très agréable. Je termine en vous donnant rendez-vous autour d’une excellente pasta ! Suggestion acceptée 🙂
Et surtout JOYEUX ANNIVERSAIRE 🍾


Note importante

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges avant de reproduire sur un autre support tout ou partie du contenu de l’interview.
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