Interview de Maryvonne Caillibotte, Procureur de la République de Versailles

Miss Konfidentielle est heureuse de partager avec vous une très belle rencontre humaine comme il n’en arrive pas tous les jours. Maryvonne Caillibotte, Procureur de la République de Versailles, a accepté le temps d’un rendez-vous dans son bureau au Tribunal judiciaire de Versailles d’échanger sur ses sujets. Nous sommes rapidement sorties du cadre d’une interview comme si nous discutions de tout d’un tas de choses autour d’un café. Quelle chance ! Intelligence, spontanéité, sincérité, droiture sont les mots qui me viennent en premier lieu à l’esprit. Vous l’avez compris, j’ai un coup de cœur. Je vous invite à lire ce que je retiens de notre conversation.

« Un procureur de la République c’est déjà un chef d’équipe »

Le procureur est quelqu’un qui travaille avec un collectif du parquet et qui a la charge de donner des orientations, des réponses à toutes les procédures qui lui sont adressées.

C’est une gare de triage. Tout arrive et tout doit repartir.
On doit prendre une décision en appliquant les lois que l’on ne vote pas, mais que l’on applique.

La matière pénale est nécessaire, elle fixe les interdits et la punition au sens large.

Elle fixe les réponses qui peuvent aller du simple rappel à la loi au traitement de crime. Cela va du simple rétroviseur cassé à la condamnation à vie d’un criminel.

Le travail des magistrats est organisé de manière à ce que le procureur et son équipe soient disponibles 365 jours/365 et 24h/24.

Outre la mise en œuvre des politiques publiques décidées au niveau national, le procureur doit être en lien avec son ressort et choisir les thématiques appropriées pour une année comme l’« environnement » et donner l’impulsion. Un autre exemple, les « marchands de sommeil » dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne.

Etre procureur c’est ainsi avoir un rôle de veille.
Je suis à la tête d’une équipe pour et avec laquelle je travaille.
Si il n’y a pas de socle, il n’y a pas de sommet.

Dans le département des Yvelines, comme partout, on  entend les attentes des élus, des citoyens … La question est de savoir si le droit pénal est l’outil unique et systématique pour régler une problématique. Ma réponse est non, même s’il y a une tendance lourde de nos concitoyens à judiciariser les relations sociales.

Le sujet des violences intrafamiliales (VIF) est une illustration du fait que la justice pénale ne suffit pas. Elle doit se prononcer, sanctionner, protéger les victimes, mais si cela n’est pas doublé par le travail éducatif de base, dans les familles, à l’école, il sera difficile d’en faire baisser le niveau.

Or nous voyons dans les procédures où les mots sont en réalité remplacés par des coups, combien l’éducation est essentielle.

Les circulaires ministérielles que nous recevons nous donnent les lignes directrices, nous rappellent les outils législatifs voire les outils (TGD, BAR ) tout court mis à notre disposition. Notre travail est d’en faire une application opportune en fonction des procédures qui nous sont soumises, où la nuance est plus souvent présente que dans un texte de loi !

La loi me permet de classer une procédure parce qu’elle ne contient pas les éléments justifiant ou permettant un renvoi devant le tribunal : c’est une prérogative légale que nous devons exercer avec loyauté et transparence, et nous devons toujours pouvoir justifier ce que nous décidons.

Il ne faut pas confondre l’objectivité et l’indifférence.

Le procureur doit conserver sa part de lucidité tout en suivant la feuille de route.

On constate dans notre métier une complexification des procédures car même une loi de simplification est une nouvelle loi ! Je peux ainsi recevoir plusieurs circulaires en une seule journée.

La réforme de la procédure pénale est devenue malheureusement un serpent de mer. Alors que faire ?

De plus, nous devons intégrer en droit interne les directives européennes qui ne sont pas forcément dans notre tradition législative.

Conclusion, on arrive à des choses très bigarrées.

« Depuis ma prise de fonction de procureur à Versailles, j’ai été marquée par 3 événements sur mon département »

Le 2 novembre 2019, des forces de l’ordre avaient été prises à partie par des jeunes. Elles avaient essuyé des jets de projectiles et des tirs de mortiers jusqu’à 23 heures à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines). Dans la soirée, un incendie avait détruit l’Arche. Il s’agissait d’un chapiteau avec une structure en partie construite en bois et utilisée par la Compagnie des Contraires afin de proposer des activités aux jeunes. L’incendie était spectaculaire et choquant. Les images ont circulé partout. J’ai en tête les réactions politiques qui ont été immédiates et très nombreuses pour condamner ces faits pour lesquels une instruction a été menée à Versailles avec un jugement de condamnation rendu en septembre 2021. Autant, le sujet faisait la Une de l’actualité en 2019, autant 2 ans plus tard, il n’intéressait presque plus personne… Nous sommes habitués à ces décalages et il est donc essentiel de garder notre cap : mener un dossier au bout si cela est possible. Cet incendie a beaucoup interrogé car personne ne comprenait pourquoi ce chapiteau, mis à disposition de la population locale a été pris pour cible. C’était à priori un non-sens, c’était aussi peut-être un avertissement pour la mairie, on ne connaît pas le mobile.

Le 16 octobre 2020, le professeur d’histoire-géographie Samuel Paty était poignardé puis décapité près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) par Abdoullakh Anzorov, un réfugié russe d’origine tchétchène. Le jeune homme de 18 ans, radicalisé, reprochait à l’enseignant d’avoir montré en classe des caricatures de Mahomet, dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. C’est un drame total : un professeur, engagé dans son travail, soucieux de faire réfléchir ses élèves sans militantisme est mort assassiné à cause d’images. Mais ça, on le savait déjà : souvenez-vous qu’à cette date le procès Charlie était en cours depuis le mois de septembre. L’usage ou plutôt l’abus des réseaux sociaux qui a suivi (et notamment par des mineurs qui diffusaient la photo de la décapitation) nous a montré combien cet outil de communication est le parfait vecteur et presque sans contrôle de la bêtise la plus profonde, le tout sur fond de lâcheté aveugle. C’est tellement facile de condamner derrière un écran …

Le vendredi 23 avril 2021, Stéphanie fonctionnaire de police a été tuée d’au moins un coup de couteau, lors d’une attaque terroriste perpétrée au commissariat de Rambouillet (Yvelines). Cette agente se trouvait dans le sas du bâtiment lorsqu’elle a été attaquée par un homme de 36 ans qui a crié “Allah Akhbar”.
Il faisait très beau ce jour-là : comme souvent dans les attentats terroristes, les cibles sont tellement vulnérables. Pourquoi ? parce qu’elles n’en sont pas justement, elles ne sont que le hasard qui les a placées devant un meurtrier. Et ça c’est irréparable et inconsolable pour les survivants.
Le département des Yvelines (78) est très concerné par les sujets de radicalisation et de terrorisme qui laissent beaucoup de traces dans le conscient et l’inconscient. Au parquet, les faits ne nous ont concernés que quelques heures (le Parquet national antiterroriste, PNAT, s’est en effet saisi de l’enquête) et pour autant, elles nous ont marqués. Ce sont des événements avec des ondes de choc tout à fait incroyables, dramatiques.

« Avant tout projet, je dois m’assurer que le socle est solide »

Le travail du procureur et de son équipe a deux aspects différents mais très liés :
– le cœur du métier : tenir la permanence, aller à l’audience, traiter les procédures ..
– assurer une présence et une visibilité à l’extérieur du tribunal : signature de protocoles par exemple.

Pour faire ce travail, j’ai besoin d’une visibilité sur l’avenir de mes effectifs. Or je ne l’ai pas, alors j’avance au mieux. Ce qui n’est pas évident et ce d’autant plus que si je prends ne serait-ce que l’exemple des dossiers VIF qui se sont démultipliés ces derniers mois, il ne faut pas pour autant oublier les autres sujets.
Il est important que l’on garde les équilibres dans les contentieux qui nous sont soumis. Il nous faut nous saisir de toutes formes de violences et les traiter du début jusqu’au bout de la chaîne. 1/ Réparer 2/ Eviter que les faits soient reconduits.

« Chaque département a ses particularités »

J’utilise à Versailles le dispositif Téléphones Grave Danger (TGD) : nous en avons une quarantaine, mais le besoin est potentiellement supérieur. Simplement derrière cet outil, il y a un suivi assuré à la fois par mon parquet et par les associations spécialisées : nous sommes à la limite de nos possibilités. Or, nous voulons tous protéger celles et ceux qui le méritent…

Il s’agit d’un dispositif de protection pour les personnes menacées par leur ancien conjoint ou compagnon, en pratique, presque toujours des femmes. Il s’agit d’un téléphone équipé d’une touche qui alerte immédiatement un service d’assistance.

« J’ai un parcours professionnel cohérent »

Je suis dans les fonctions du parquet depuis toujours.

Depuis mes premiers pas, je me suis sentie à ma place.
Un sentiment d’adéquation entre qui je suis (valeurs, événements construits, éducations, sentiments..) et ce que je fais.

C’est ma passion, le métier de ma vie.

J’ai eu la chance d’avoir pu vivre mon métier dans des administrations et des services différents. Je ne dis pas que cela a toujours été facile.

J’ai vécu des drames dans la vie professionnelle. Avec le recul, je me sens grandie.

J’ai emmagasiné des connaissances incroyables tout au long de mon parcours notamment au cabinet du ministre de la Justice Pierre Méhaignerie et j’ai bien conscience que c’est un privilège. C’était en 1993/1994, j’étais plus jeune (sourire). J’ai eu cette impression de 1ère ouverture au fonctionnement de l’Etat. Je me suis inquiétée au début puis je me suis adaptée.

J’ai rencontré mon conjoint dans un tribunal, ce qui n’est pas neutre. C’est un second privilège.

J’ai eu des « parents professionnels » qui m’ont lancée, éduquée, tirée vers le haut, qui sont des modèles. Un grand privilège, j’en ai bien conscience.
J’espère qu’un jour, des personnes avec lesquelles j’ai travaillé diront la même chose de moi. J’aimerais entendre en fin de carrière que j’ai été un bon guide comme j’ai été guidée. J’en serais fière et heureuse.

« J’ai des très bonnes relations avec les forces de sécurité intérieure »

Dans l’exercice concret de procureur, j’ai des très bonnes relations avec les forces de sécurité intérieure (FSI), police, gendarmerie … Elles sont simples et directes.

Si je ne suis pas satisfaite d’une enquête, je peux le dire en communiquant facilement avec les services d’enquêtes.

Je pense que mon tempérament sincère suscite des choses positives en retour.
Mes interlocuteurs sentent mon honnêteté ce qui fait que tout se passe bien.

« J’ai besoin d’avoir une équipe de conseillers et pas de courtisans »

Le métier de procureur est un métier que l’on n’exerce pas seul donc il est important d’avoir une équipe de confiance autour de soi pour l’exercer au mieux.

J’ai besoin d’avoir une équipe de conseillers et pas de courtisans. Je ne suis pas la Reine Soleil, même à Versailles ! (sourire)

J’ai cette équipe de conseillers et grâce à elle, je conserve l’équilibre. Comme une balance. Cela permet de partager la lourdeur de ce métier.

Et je sais pouvoir compter sur tous mes collègues du parquet.

« Il est important d’avoir un équilibre vie professionnelle et vie privée »

Cela m’aide d’avoir un conjoint dans ma profession car on se comprend sachant que nous avons aussi une vie et des conversations en dehors du travail.

J’ai un socle familial en Bretagne, en bord de mer. J’y vais aussi souvent que possible. J’y ai mes valeurs. C’est un lieu de simplicité.

Avec mes proches, la famille, les amis je pratique le sport.
J’aime courir le week-end 10km. 15km je peux encore.. plus je manque d’entrainement : courir c’est simple , pas de gros équipement, on peut le faire partout, on peut partager sa course, on peut se fixer des challenges ou y aller tranquille. C’est à la carte.
Je joue au golf le week-end en famille : ce sont de très beaux endroits et précisément toute la famille y joue. De ce fait, on reste ensemble. Et c’est la seule activité où je ne pense à rien d’autre qu’à toucher la balle !

J’aime beaucoup lire des romans. Je fonctionne avec des coups de cœur pour des auteurs. Je pense à Laurent Gaudé et son roman Le Soleil des Scorta qui a remporté le prix Goncourt en 2004. J’ai lu ce premier livre puis tous ses ouvrages (sourire). Nancy Huston a beaucoup écrit. J’achète dès qu’elle sort un bouquin !

Je regarde les suppléments Livres des journaux donc je me laisse conduire par des articles.
Il y a des maisons d’édition que j’apprécie aussi comme Actes Sud. Leurs livres sont beaux.

Récemment, j’ai relu toute la série des Dune de Frank et Brian Herbert que j’avais lue à 16 ans sans être certaine d’avoir tout compris !

Un autre univers que j’apprécie beaucoup, l’opéra. J’y suis venue assez tard. J’assiste à des représentations à Paris comme Aida de Verdi, la Traviata de Verdi, Norma de Bellini … Tous ces grands opéras ont des airs tragiques qui accompagnent des histoires de femmes et d’hommes, mais surtout de femmes.

J’ai un ami magistrat très bon pianiste. Il me parle des musiciens et j’apprends beaucoup avec lui. C’est du partage.

« Ce qui me fait briller les yeux »

Je ne sais pas pourquoi mais ce qui me fait briller les yeux lorsque je rentre chez moi, c’est de regarder la Tour Eiffel qui scintille.

Il est 19h30, nous avons largement dépassé le temps prévu pour l’entretien.
Il fait nuit, la vue est belle, je prends une photo.
Sur le retour vers Paris en train, je devine la Tour Eiffel au loin et prends une photo.

Coucher de soleil à Versailles © Valérie Desforges
Vue au loin de Paris et de la Tour Eiffel © Valérie Desforges

Note importante

Il est strictement interdit de copier tout ou partie du contenu de l’interview et strictement interdit d’utiliser les photos de l’interview sans un accord préalable écrit de Valérie Desforges.

 

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