Interview du préfet honoraire Pierre LAMBERT

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Le 23 mai 2022 – Un honneur et une joie de rencontrer le préfet Pierre LAMBERT autour d’un déjeuner. Les échanges ont mené à une forme de retour aux sources et de validation d’acquis professionnels et personnels. Un cercle vertueux de Paris à Paris en ayant eu un parcours en province et 13 affectations. Vous allez découvrir un homme attaché au social, à l’appel des territoires, à la France de l’intérieur dans sa diversité. Ces éléments clefs sont ses moteurs, ses motivations. D’où cela vient-il ? Probablement de son enfance corrézienne dans un milieu rural, de ses études en Histoire et à Sciences Po Bordeaux. Je vous invite à lire la synthèse de ses propos, rythmée par des thématiques.

Le métier de sous-préfet, des années marquantes

Un point important pour commencer, celui de préciser que les questions sociales faisaient partie de mes premières approches et le sont toujours aujourd’hui.

Après 4 ans passés à la délégation à l’emploi à Paris sur l’insertion professionnelle des jeunes, je découvre en 1986 les problèmes d’emploi sur le terrain, vus d’en bas à Nancy, région de sidérurgie en Meurthe-et-Moselle (54) alors que je suis sous-préfet.
Je travaille alors sur la conversion des sidérurgistes, la politique de la ville et du monde rural avec le préfet de département et le préfet Jacques CHÉRÈQUE.

Je me souviens que l’on créait à l’époque des entreprises rapidement, on faisait le lien avec les syndicats et on travaillait sur les reconversions. Il était même demandé de faire passer la préretraite à 49 ans pour les sidérurgistes. Le souhait était de développer les préretraites pour laisser la place aux jeunes.

A Nancy, je travaillais avec des profils très différents dont un préfet avec l’accent corse et un humour décapant qui m’a donné envie de rester dans ce métier. Le préfet Désiré CARLI m’a mis très à l’aise dans mon futur métier de préfet.
J’ai travaillé sur la politique de la ville avec des missions sur les jeunes pour le quartier du Haut-du-Lièvre à Nancy, tout comme à Luneville et Toul, en rural avec des sujets différents de développement local.
Une expérience très intéressante de 3 années que j’ai choisie.

En 1989, je suis affecté en tant que sous-préfet de Montmorillon dans la Vienne (86), une zone rurale et d’élevage de moutons où je vais exercer sous l’autorité du préfet Ivan BARBOT, qui me conseillera utilement tout au long de ma carrière.
J’avais un rôle de sous-préfet de liaison auprès des éleveurs de moutons à cause des baisses de prix. On était vraiment en zone rurale, la plus grosse commune avait 5000 habitants.
Je discutais aussi avec les chefs d’entreprises locaux. Pierre JOXE avait mis en place des sous- préfets développeurs chargés de porter le développement économique d’un territoire en équipe avec la préfecture de région. J’étais souvent en lien avec le ministère de l’agriculture.

En 5 ans avec ces 2 postes sur 2 territoires si différents, avec un monde urbain et un monde rural, on apprend globalement le métier de préfet.
Dans les 2 cas, les expériences se sont très bien passées, j’ai été bien accueilli tant par les préfets que par les élus et acteurs économiques locaux.

De fait, il n’y a pas un poste en France de préfet ou de sous-préfet où vous êtes confiné à un seul sujet.
Le contact local doit être en relation avec les parlementaires, les élus, les chefs d’entreprise, les syndicats, les universitaires ; les associations patriotiques, les responsables agricoles, les associations de quartier, culturelles ou autres.
On apprend à connaître la France en profondeur en étant en lien direct avec la population et ses représentants, toujours dans un climat d’écoute et de compréhension pour bien faire l’interface avec l’Etat qui est au centre des enjeux. Si les premières années se passent bien, on en fait une vocation pour la suite de sa carrière.

Le temps de l’administration centrale

Après 5 années sur le terrain, je suis affecté en cabinets ministériels.

J’ai notamment travaillé avec Jean-Pierre SOISSON, alors ministre du Travail, très attaché à la ruralité.
C’est là que j’ai collaboré avec l’association nationale des maires ruraux et que je me suis impliqué pour la rédaction d’un guide de l’emploi rural en 1991.
Ensuite Jean-Pierre SOISSON comme ministre de la Fonction publique m’a demandé d’animer des rencontres territoriales avec des hauts fonctionnaires sur la gestion des ressources humaines, de la déconcentration notamment.

Ce qui me plaisait, c’est que j’étais aussi en relation avec le terrain et les préfets.
Dès 1982, j’ai connu les campagnes nationales de promotion de l’emploi des jeunes avec Jack RALITE, puis Michel DELEBARRE, Philippe SEGUIN, en lien avec le délégué à l’emploi, d’abord Gabriel MIGNOT (Cour des comptes) de 1982 à 1985, puis Gérard BÉLORGEY, qui avait été préfet de la Dordogne et m’a convaincu de choisir le corps préfectoral à l’issue de mes premières années d’administration centrale.

Je me souviens de Jack RALITE, engagé communiste au service de la culture, qui à la chambre de commerce et d’industrie de Lyon évoquait la signature d’un engagement des adhérents à recruter 300 contrats emploi-formation comme l’équivalent d’une entreprise en création …

Ce que je veux dire par là c’est que j’ai toujours connu un respect des responsables politiques avec lesquels je travaillais quant à mes choix personnels. On ne me posait jamais la question. On sert l’Etat et pas un parti. Et on évite de politiser certains sujets comme l’emploi ou l’éducation, ce qui fait que j’ai servi les différents gouvernements dans leur diversité sans difficulté.

Il y a une continuité de l’Etat, d’un gouvernement à l’autre.
« L’Etat c’est ce qui reste », étymologiquement.

Le métier de sous-préfet et de préfet, une vision commune

Le sous-préfet et préfet s’intéressent au social et au territoire, et à la sécurité, à l’environnement.

  • Le social et le territoire

J’aime les deux accroches qui sont transverses.

Quand on est préfet ou sous-préfet, on représente l’Etat, le rapport de proximité avec la population locale.

Il est proche ou à l’écoute.
J’y ai contribué largement avec les acteurs locaux. Que ce soient lors des inaugurations de bâtiments publics qui ont longtemps été une tradition, ou les vœux de début d’année ou bien les commémorations patriotiques.
La mémoire collective est très prégnante en France, surtout pour la 1ère et de la 2de guerres mondiales.

Sous-préfet Pierre Lambert lors d’une cérémonie patriotique © Préfet Pierre LAMBERT
  • La sécurité

Le rôle de l’Etat est aussi celui d’être garant de la sécurité de la population.

Le préfet travaille avec la police nationale, la gendarmerie nationale et le renseignement du territoire. Une famille qui collabore étroitement pour obtenir des résultats et une baisse de la délinquance.

Je pense à Mantes-la-Jolie dans les Yvelines (78) de 2002 à 2006, une période marquante pendant laquelle je travaillais très bien avec ces trois services.

Pierre LAMBERT, sous-préfet, Frédéric AURÉAL, commissaire de circonscription, le commandant de la compagnie de gendarmerie, le responsable local des renseignements généraux à Mantes-la-Jolie (78) en 2004 © Préfet Pierre LAMBERT

Ce poste m’a beaucoup apporté dans mon rôle d’intermédiaire local du préfet avec un plus, celui de la sécurité, de la politique urbaine en 2005 alors qu’il y avait de nombreuses violences.
La sécurité urbaine et les problèmes de délinquance dans les quartiers sociaux étaient ma priorité, comme leur rénovation urbaine.
J’ai développé mes relations avec la police, la gendarmerie et le renseignement à partir de cette période.

Qu’est-ce que cela change d’être préfet

Accueillir des ministres et des hautes personnalités de la République, jusqu’au chef de l’Etat.

Mais on reste soi-même et on est amené à décider en équipe des questions qui nous sont posées.

Le préfet devient un décideur ultime sur des sujets internes que sont, par exemples, les ressources humaines, les formations, les budgets …
Le préfet relaie aussi des sujets externes tels que les attentes des collectivités territoriales, les infrastructures, les grands dossiers inhérents au département (l’irrigation, les éoliennes en mer, le développement de la montagne pour mes 3 postes de préfet de département…) sur lesquels il est interpellé en relation avec les élus et acteurs locaux.

Le sous-préfet suit la sécurité, le préfet gère les moyens d’intervention de l’ordre public.
Un exemple lorsque j’étais préfet des Côtes d’Armor (22) de 2014 à 2016, il a fallu déloger les manifestants agricoles de la voie publique, toujours avec le souci de la proportionnalité et d’éviter les violences, tout en utilisant la fermeté nécessaire et dans une recherche constante de concertation.
De même en Haute-Savoie (74) s’agissant des gilets jaunes, souci plus compliqué parce qu’il n’y avait que des individualités et pas d’interlocuteur en face du préfet et des services de l’Etat.

Le préfet n’est pas seul à décider de l’emploi de la force ou autre.
J’ai toujours pris des décisions collégiales, je crois.
J’avais à cœur d’échanger avec mon équipe, en concertation préalable.

Mais tous les sujets du département remontent au préfet dans un département.
C’est le préfet qui au final doit prendre sur lui les décisions ultimes.
Il m’est arrivé de faire des choix compliqués, comme celui de dire NON.
Je pense à la fois où j’ai dit NON à un projet touristique en moyenne montagne alors que j’étais préfet à Annecy, en Haute-Savoie (74) de 2016 à 2020. Mon avis était défavorable car le projet était disproportionné par rapport à la taille de la station. Et il n’a pas vu le jour.
Sur le même département, j’ai dit non à la construction d’une porcherie sur la localisation demandée car elle était en altitude et en zone humide.
Dans ces deux cas, il s’agissait de la protection de l’environnement et du milieu et de tenir compte de l’acceptabilité de ces projets par les populations locales.
Un 3ème exemple. J’ai travaillé sur une évaluation pendant une année, puis sur la révision du plan de protection de l’air (PPA) pendant deux ans dans la vallée de L’Arve. Le nouveau plan a vu le jour après trois ans de concertation. J’ai assumé la mission, mais certains auraient aimé que j’aille plus loin, tel que fermer le tunnel du mont Blanc au passage des poids lourds ou décider de l’arrêt d’activité d’une entreprise polluante. J’ai pris acte de ces demandes mais je devais respecter la proportionnalité de mes décisions. Je ne pouvais satisfaire tout le monde. C’est ainsi que j’ai préparé un accord diplomatique franco-italien pour interdire la circulation dans le tunnel du mont Blanc des camions mis en service antérieurement à 2006, c’est-à-dire les plus anciens et polluants, et que j’ai obtenu de l’entreprise visée par des plaintes une amélioration significative de ses rejets atmosphériques.

En 2019, toujours en Haute-Savoie dans le même domaine, j’ai travaillé sur le plan remplacement des chaudières à bois. L’idée était de donner une prime aux acheteurs de nouvelles chaudières aux normes de rejet des particules fines, qui sont très polluantes. J’ai fait passer la prime de 1 000 à 2 000 euros. En dopant la subvention, on a accru la demande de remplacement par les particuliers. Mon objectif était de trouver les financements auprès de l’Etat et des collectivités territoriales, Région et Département notamment, ce qui fut possible grâce aux bonnes relations entre nous, à l’appui des parlementaires, des services de l’Etat et au souci de l’intérêt général de lutter contre la pollution qui nuit à la santé des résidents de la vallée de l’Arve.

Ce que je retiens de mon expérience en Haute-Savoie ce sont les enjeux de la montagne et de la lutte contre la pollution atmosphérique, ainsi que le besoin de désenclavement du département en infrastructures de transport et le poids des frontaliers et des touristes dans le développement de ce territoire, qui doit conserver, par ailleurs, des alpages et ses fortes traditions d’élevage alpestre et de produits laitiers à haute valeur ajoutée.

Inauguration d’une fête agricole à l’invitation de l’association des producteurs de Reblochon fermier et des jeunes agriculteurs de Haute-Savoie (commune du Reposoir, octobre 2019) © Préfet Pierre LAMBERT

Je peux dire que sur l’ensemble des postes qui m’a été confié en tant que sous-préfet, puis de préfet, je me suis beaucoup plu à m’investir dans la diversité de mes missions.

Quand je fais le bilan de Nancy à Annecy avec une dizaine de postes différents, je me rends compte que ce métier permet vraiment un grand challenge et une réelle gratification professionnelle dès lors que les relations se passent bien avec les élus et acteurs locaux.

La gestion de la protection du Mont-Blanc en est un bon exemple.
Un gros sujet, surtout l’été avec les alpinistes. Sous l’impulsion de Jean- Marc PEILLEX, maire de Saint- Gervais-les-Bains, on a posé les conditions de la montée au mont Blanc dans le respect du milieu en conditionnant l’ascension à une réservation préalable en refuges et en interdisant le camping sauvage.
En février 2020, la visite du président de la République Monsieur Emmanuel MACRON a acté les principes que j’avais préparés avec les élus et les associations gestionnaires des refuges, Madame Elisabeth BORNE était sur place comme Ministre de la transition écologique.

C’est la personnalité du préfet qui compte.
Pour ma part, je me suis senti à l’aise partout en écoutant la population et en rapportant la parole de l’Etat.

Pour réussir dans un poste, c’est la personnalité du préfet qui compte en priorité et sa capacité à coller au milieu qui l’accueille, à travailler en bonne intelligence avec les élus les acteurs locaux dans leur diversité, à pratique l’écoute et la concertation dans l’esprit de respect mutuel.
Pour ma part, je me suis senti à l’aise partout, en écoutant les populations et leurs représentants et en rapportant la parole de l’Etat à leur endroit.

Le préfet exerce une fonction de responsabilité.
Cela peut devenir aussi une vocation.
La vocation de servir l’Etat sur le terrain pour toutes les raisons que je vous ai exposées.

Réception d’enfants, préfecture de Haute-Savoie, en présence du colonel Ivan MOREL, chef du 13 eme BCA et de Jean EXCOFFIER, président de l’union départementale des anciens combattants (11 novembre 2019) © Préfet Pierre LAMBERT

La croix de commandeur de l’ordre national du Mérite

Je n’ai jamais cherché les insignes au cours de ma carrière, ni sollicité qui que ce soit à cet effet.
J’en ai pourtant reçu beaucoup et récemment, la plus importante, qui est la croix de commandeur de l’ordre national du Mérite.

Elle m’a été remise personnellement par le ministre de l’Intérieur, Monsieur Gérald DARMANIN. On était seulement quatre à recevoir cette distinction lors de cette promotion de mai 2021. C’est une reconnaissance de fin de carrière, une gratification qui m’honore.

J’ai tenu un discours qui disait (extraits) : « Je suis reconnaissant à mes parents et à mes grands-parents, corréziens, de m’avoir éduqué dans l’éthique du mérite républicain, dès l’école, comme dans ma vie sociale ; ainsi qu’à toutes celles et à tous ceux qui m’ont accompagné dans ma longue carrière, mon épouse, mes enfants, mes amis, mes collaborateurs loyaux et fidèles et mes maîtres qui m’ont appris le métier, son exigence, sa grandeur et sa servitude, comme la modestie et la proximité que nous devons à nos concitoyens.
Monsieur le Ministre, vous m’avez manifesté votre satisfaction pour mon engagement au service de l’Etat, c’est-à-dire, m’avez-vous écrit « au service de la France et de l’intérêt général ». Je vous suis reconnaissant de cette appréciation qui m’honore. J’ai fait le choix de servir l’Etat à la sortie de l’ENA et je m’y suis tenu, avec le seul souci d’assumer mes fonctions le mieux possible au service de nos concitoyens.
C’est une fierté pour nous, préfets, fonctionnaires, agents de l’Etat, si notre action est perçue comme positive par nos gouvernants, comme par nos compatriotes. Car pour aimer et exercer ce métier, qui est d’abord une vocation, il faut aimer les autres et contribuer, chacun à notre mesure, à la nécessaire fraternité sans laquelle notre devise n’assumerait pas la promesse républicaine. »

Remise de la croix de commandeur de l’ordre national du Mérite du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin au préfet Pierre LAMBERT © DICOM

Un attachement à la littérature

J’aime noter dans un carnet les citations qui me plaisent.
Je vous livre une citation de Antoine de Saint-Exupéry « Chacun est seul responsable de tous. »

C’est l’interdépendance des uns et des autres.
Chacune de nos actions influence les autres.
Albert Camus aurait pu écrire ces mots, je pense.

Je relis les classiques en ce moment. Avec un focus sur Honoré de Balzac et son ouvrage Les illusions perdues, par exemple. Et puis Romain Gary, les racines du ciel (prix Goncourt).

Je propose de conclure notre entretien en citant Winston Churchill « Le succès ne dure pas, l’échec ne compte pas ; ce qui compte c’est de continuer. »

Un très beau parcours de la Corrèze au ministère de l’Intérieur, du monde rural aux grands noms de l’Etat. Le goût du social était ancré, sincère et n’a pas changé.
Vous êtes un exemple à suivre. J’espère que de votre témoignage naîtront des vocations.
Avec tout mon respect monsieur le préfet.


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