Exclusivité – Donatien Le Vaillant, chef de la MIVILUDES s’exprime sur la Loi du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes 

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Miss Konfidentielle attachée à la protection des plus fragiles suit les actualités de la MIVILUDES, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

C’est ainsi que j’assistais les 9 et 10 mars 2023 aux 1ères Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires organisées par la MIVILUDES sous le haut patronage de Madame Sonia Backès, Secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté et de la ville, dans le but de redynamiser et de renforcer l’efficacité de cette politique publique.

Une année plus tard…

Le projet de loi présenté au Conseil des ministres le 15 novembre 2023 par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des outre-mer et Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et de la Ville a été adopté. La loi a été promulguée et publiée le 10 mai 2024.

Une excellente nouvelle pour la MIVILUDES et son chef Donatien Le Vaillant avec lequel je partage un moment sympathique au café des Officiers à Paris.

Bonjour Donatien,
Je propose en cette fin de semaine une conversation spontanée sur la MIVILUDES et la Loi n° 2024-420 du 10 mai 2024, un sujet de sécurité et de santé majeur.

Bonjour Miss Konfidentielle,

Je me présente : je suis le chef de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) qui existe depuis 2002 et qui a pour objet d’attirer l’attention du public sur les risques en matière de dérives sectaires et de coordonner l’action préventive et répressive contre les dérives sectaires.

La loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et l’accompagnement des victimes vient d’être adoptée de manière définitive. Elle a été validée intégralement – à l’exception d’un amendement parlementaire de détail – par le Conseil constitutionnel, promulguée et publiée au Journal officiel. Elle est donc applicable depuis le 10 mai dernier.

Miss K : Quelles dispositions essentielles faut-il retenir de la loi du 10 mai 2024 ?

Donatien Le Vaillant : Cette loi institue tout d’abord deux délits.

En premier lieu, la provocation à l’abandon de soins ayant des conséquences particulièrement graves pour la santé physique ou psychique.

Je précise que cette provocation doit être faite, pour que le délit soit constitué, de pressions ou de manœuvres réitérées, c’est-à-dire de procédés qui sont en réalité abusifs ou trompeurs.  On peut citer par exemple de fausses études ou des études invérifiables, ou  encore des pressions sur des personnes malades, afin qu’elles se détournent des parcours de soins conventionnels. Malheureusement, on reçoit beaucoup de signalements en matière de dérives thérapeutiques à caractère sectaire concernant des personnes atteintes de cancers, mais également des signalements concernant des pathologies psychiatriques lourdes, avec des ruptures de soins qui sont particulièrement préjudiciables aux personnes. Ce délit pourra s’appliquer notamment à des propos tenus et des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

Le deuxième délit vise à rendre l’incrimination relative aux dérives sectaires plus simple, plus claire et à permettre une meilleure réparation des préjudices causés aux personnes.

Le délit applicable en la matière avant la loi était un article réprimant l’abus de faiblesse causé par un état de sujétion psychologique ou physique, c’est-à-dire un état d’asservissement, de dépendance extrême à un « gourou », conduisant à des actes gravement préjudiciables. Mais cet article ne permettait pas d’identifier l’auteur, la personne ayant provoqué cet état de sujétion. Suivant la représentation des dérives sectaires de l’époque, à savoir l’emprise mentale d’un gourou et d’un groupe entraînant des abus financiers, la loi About Picard de 2001 avait introduit dans le code pénal la notion novatrice de sujétion psychologique ou physique, mais elle n’avait pas tiré toutes les conséquences des séquelles psychologiques graves et plus largement des dommages aux personnes causés par cet état de sujétion.

Aujourd’hui, le délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique va s’appliquer aux auteurs qui sont à l’origine de cet état de sujétion.

Cet état peut être provoqué par des techniques d’emprise mentale et par divers procédés bien connus comme la privation de sommeil ou d’aliments ou l’exercice de pressions psychologiques particulièrement graves : rupture de l’adepte avec les membres de sa famille, avec son entourage, parfois rupture professionnelle, et même rupture avec ses propres valeurs.

Des séquelles psychologiques existent souvent à distance et l’emprise mentale perdure malheureusement même après la sortie d’un groupe à caractère sectaire.

Ce délit permettra la réparation de préjudices corporels (les séquelles psychologiques en font partie) causés par cet état de sujétion, consistant en une altération grave de la santé physique ou psychique.

Miss K : Des excellentes nouvelles pour les victimes.

Donatien Le Vaillant : Oui, pour les victimes, ce sont de très bonnes nouvelles, moins bonnes pour les « gourous » auteurs de ces infractions.

Miss K : C’est clair, mais je suppose qu’il y a encore une grande marge de manœuvre et qu’il y a encore beaucoup de choses à faire.

Donatien Le Vaillant : Oui, et d’abord la prévention, qui constitue le premier axe de la Stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires, qui a été annoncée en novembre dernier par Sabrina Agresti-Roubache, Secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville.

Les préfectures sont appelées à jouer un rôle majeur sur ce plan en organisant des réunions dédiées avec les services déconcentrés de l’Etat dans les départements.

Sur un autre plan, les parlementaires ont souhaité donner à la MIVILUDES une nouvelle mission, qui est de s’assurer en lien avec les services de l’Éducation nationale, que les programmes scolaires du secondaire, c’est-à-dire en collèges et lycées, prennent bien en compte la sensibilisation aux dangers que représentent les dérives sectaires.

Miss K : Il y a des formations prévues ?

Donatien Le Vaillant : Oui, la MIVILUDES forme des publics de professionnels très différents, et ces actions de sensibilisation et de formation vont être encore développées avec l’aide nos partenaires (agents publics, professionnels de santé, protection de l’enfance, et de manière générale les « écoutants » de diverses organisations et des appels d’urgence).

Les professionnels de la santé mentale constituent une priorité, parce qu’évidemment tous ces phénomènes d’emprise se font d’abord par des processus de manipulation mentale. Les professionnels doivent disposer d’outils pour être tout à fait au clair sur ces procédés et les préjudices qui peuvent en résulter.

Miss K : Où en est la protection des mineurs ?

Donatien Le Vaillant : La protection des mineurs constitue un axe prioritaire de la lutte contre les dérives sectaires.

Déjà dans la loi, il y a des dispositions spécifiques concernant le délai de prescription : les mineurs victimes du délit de placement en état de sujétion psychologique ou physique pourront déposer plainte jusqu’à l’âge de 28 ans, comme en matière d’agression sexuelle.

La loi prévoit également que les médecins et les autres professionnels de santé seront désormais déliés du secret médical pour pouvoir signaler la situation de mineurs en état de sujétion psychologique ou physique ayant entraîné une altération grave de leur santé.

Mais évidemment, cela n’est pas suffisant. Nous devons renforcer la politique de prévention au bénéfice des mineurs : nous travaillons avec des médecins, des psychologues spécialistes des mineurs pour mieux repérer les signes de souffrance des mineurs qui doivent alerter les professionnels.

Même si ces signes de leur souffrance peuvent être assez discrets, les enfants vivant dans des groupes à caractère sectaire, qui sont pour certains scolarisés dans les écoles de la République, vivent pour certains d’entre eux un véritable « enfer psychologique » lorsqu’ils rentrent chez eux le soir. Ils peuvent subir des formes d’exploitation, et de manière générale, un embrigadement qui peut être très préjudiciable à leur développement, et notamment une fermeture au monde extérieur, souvent stigmatisé et considéré comme dangereux et nuisible.

Au Québec, une loi a donné récemment aux services de protection de l’enfance l’obligation d’intervenir dès lors qu’un mineur se trouve dans une situation d’isolement grave ou continu.

Cette pratique peut être développée en France même à droit constant auprès des éducateurs, des professionnels de la protection de l’enfance (Protection Judiciaire de la Jeunesse, Aide sociale à l’enfance, services de l’Education nationale), pour détecter ces signaux qui doivent appeler une intervention immédiate.

Miss K : Avez-vous quelques chiffres à nous préciser ? Par exemple sur l’évaluation du nombre de personnes en France qui sont sous influence de gourous ?

Donatien Le Vaillant : Il y en a des dizaines et même des centaines de milliers en France. Mais il est très difficile de déterminer le nombre précis des personnes concernées, car une personne sous emprise n’en a pas clairement conscience. Or, il faut beaucoup de temps pour sortir d’un processus d’emprise mentale. Il existe par ailleurs de nombreux biais si on interroge leur entourage notamment familial.

Ce que je peux vous dire également, c’est que les signalements et les demandes d’information à la MIVILUDES ont plus que doublé depuis 2015 : on en était à un peu plus de 2000 signalements et demandes d’information en 2015, et à plus de 4000 en 2021. Et l’augmentation se poursuit au même rythme.

Miss K : Comment expliquer cette tendance à l’augmentation des dérives sectaires ?

Donatien Le Vaillant : Il y a eu une cassure au moment de la crise sanitaire : les confinements successifs ont isolé et déstabilisé des personnes qui se sont tournées vers des organisations, des personnes problématiques, et qui ont pu les enfermer, que ce soit dans le domaine de la santé, de l’éducation, du coaching, de la formation, etc. Cela est dû aussi au développement du numérique qui permet de toucher beaucoup plus de personnes.

Miss K : Travaillez-vous aussi avec des policiers et des gendarmes ?

Donatien Le Vaillant : Bien sûr, nous formons, des policiers et des gendarmes notamment à l’ENSP et l’EOGN, des magistrats également, à l’ENM, ou sur un autre plan, les intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie. Au-delà de ces formations spécialisées, nous préparons également des supports de formation pour les publics plus larges des écoles de police et des écoles de gendarmerie.

Miss K : Qu’en est-il des élus locaux ?

Donatien Le Vaillant : Nous sensibilisons des élus locaux, essentiellement par l’intermédiaire des préfectures. C’est un public en effet stratégique : les maires notamment sont en contact permanent avec leurs administrés. Ils ont également pour charge de déterminer, en lien avec les services de l’Education nationale, le public des mineurs âgés de moins de 16 ans soumis à l’obligation scolaire. Nous les sensibilisons également pour éviter que des pratiques très problématiques, notamment dans le domaine de la santé, soient mises en valeur dans des publications de périodiques communaux ou dans des salons de « bien être », au sein de salles municipales.

Miss K : Merci Donatien, une dernière question. Les signalements se font-ils directement sur le site internet de la MIVILUDES ?

Donatien Le Vaillant : Oui. Le site internet de la MIVILUDES permet de formuler une demande d’information ou un signalement pour des faits particuliers. Nous répondons systématiquement à ces demandes, notamment aux familles qui s’inquiètent du comportement d’un proche. Il ne faut pas craindre de nous contacter. Lorsqu’il y a une dénonciation aux autorités judiciaires, cela se fait en accord avec les personnes concernées.


Note importante : il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’article sur un autre support.

Un remerciement à Pierre du café des Officiers d’avoir pris le soin de prendre la photo et à l’équipe pour l’accueil.

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