Interview du Général Laurent Bitouzet, chef du SIRPA Gendarmerie
Miss Konfidentielle a rencontré le Général Laurent Bitouzet, Chef du SIRPA Gendarmerie. Un homme qui se fond dans la foule, discret et qui se révèle au fil de l’entretien être doté d’une intelligence et d’un humour vifs. Mieux vaut savoir lire entre les lignes et avoir le sens de la répartie afin de rebondir.
Bonjour Laurent,
Que signifie exactement « Chef du SIRPA Gendarmerie » ? Les lecteurs qui n’évoluent pas au sein de la Gendarmerie nationale manquent souvent d’information.
Avant tout, merci Miss Konfidentielle de me recevoir pour cet échange. C’est un honneur et un plaisir.
SIRPA-G signifie Service d’Information et de Relations Publiques des Armées – Gendarmerie. C’est le nom traditionnel au ministère des Armées des services de communication. Nous l’avons conservé en 2009 lorsque la gendarmerie a été rattachée au ministère de l’Intérieur. C’est un terme connu des milieux de communication, des journalistes. Il signifie tout simplement « direction de la communication ». Au SIRPA nous menons toutes les missions de communication, interne et externe. Cela comprend donc les actions de recrutement (10.000 militaires par an), les différents salons et événements sur tout sujet, l’accueil d’auteurs, scénaristes pour inspirer la création de fictions autour de la gendarmerie et la gestion de l’actualité opérationnelle avec les médias (articles, reportages, immersions de journalistes, communication sur les affaires judiciaires, d’ordre public ou pour faire connaître les innovations et méthode de travail de la gendarmerie).
Par ailleurs, nous avons nos propres « médias » pour communiquer vers « l’externe ».
Tout le monde peut nous suivre H24 sur nos réseaux sociaux et notre magazine d’information responsive « gendinfo.fr » Notre page Facebook Gendarmerie Nationale regroupe plus de 785K followers. Elle s’accompagne de 140 autres pages : 1 par département et par entité spécifique de la gendarmerie (garde républicaine, GIGN…). Nous déclinons twitter en 2 comptes nationaux officiels : celui de la gendarmerie et celui de la porte-parole qui nous permet de délivrer des informations institutionnelles ; et 25 départements se sont lancés dans l’aventure twitter. Nous publions aussi sur Instagram, à la fois pour les amoureux de la photo et de l’esthétisme et de plus en plus pour délivrer des informations. Nous sommes sur le réseau professionnel LinkedIn avec un compte institutionnel et de nombreux gendarmes de tout grade présents sur ce réseau.
Enfin, nous sommes chargés de la communication vers « l’interne » et délivrons à nos gendarmes toutes les informations nécessaires sur leur institution et la vie en gendarmerie. Nous administrons ainsi « Gendcom », un support d’échanges et de discussions ouvert à tous. Chacun des 100.000 gendarmes est libre d’ouvrir ou de participer à un forum sur tout sujet. C’est un excellent vecteur pour faire circuler les idées, les réactions des uns et des autres, de l’appréciation du moral général et de détection de problématiques. La parole est libre.
Quelles sont vos missions préférées en tant que « Chef du SIRPA de la Gendarmerie » ?
L’intérêt est dans la variété ! Et le défi majeur est de donner du sens à tous ces domaines de communication : que voulons-nous dire ? quels sont les messages vers la population et certains publics ? Nous sommes à la fois dans le temps de l’anticipation et dans le temps de l’actualité, de l’immédiateté. Ce sont deux approches très différentes que je découvre puisque je suis en poste depuis tout juste un an. Tenir le rythme de la réactivité sans tomber dans la fébrilité, porter la transparence de nos actions sans faire de « propagande », savoir prendre du recul, décrypter nos actions avec pédagogie pour créer et entretenir la confiance auprès de la population sont des objectifs qu’il faut atteindre. Tel est l’enjeu dans le contexte des réseaux sociaux et chaînes d’info en continu.
Quelles sont vos actualités ?
En 2019 notre actualité est l’anniversaire des 10 ans de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur ! La gendarmerie est une institution originale. Un objet « administratif atypique » : Force armée, donc militaire, elle est dirigée et agit au sein d’un ministère civil. Comme dans toute entreprise, nous avons nos savoir-faire, nos méthodologies d’action dans la façon de commander (ce qui se distingue de diriger), de s’engager sur le terrain ou de former nos personnels. Nous profitons de cet « anniversaire » pour souligner nos spécificités qui peuvent inspirer la fonction publique ou même le monde économique. Nos actions quotidiennes en interaction avec les entreprises pour la recherche et le développement montrent qu’il faut s’inspirer les uns et les autres et qu’il n’y a pas une voie unique d’action.
Nous devons enfin, quotidiennement, poursuivre la diffusion de la bonne information auprès des usagers : dénoncer les fausses informations trop souvent relayées, créer et entretenir la confiance avec la population.
La gendarmerie a reçu, en 2019, le premier prix de la relation client (pour la fonction publique), et ce pour la 4ème année consécutive. Nous devons maintenir ce résultat. Les enquêtes de satisfaction portent à 80 % les usagers très satisfaits à plutôt satisfaits de la gendarmerie. Là encore nous devons rester à la hauteur de cette exigence.
A vous écouter, vous changer tous les trois ans de poste. Opportunités ou volonté d’évoluer au sein de la Gendarmerie nationale ?
Les deux ! Il s’agit de la construction d’un parcours professionnel propre aux carrières des officiers des armées. Nous le savons dès l’école de formation initiale, à Saint-Cyr puis à Melun. Nous alternons les postes de commandement opérationnels, en tant que chefs de terrain et les postes de conception et de direction, en état-major régional ou national à la Direction Générale. Cela nous oblige à rester pragmatique et conserver les « pieds sur terre » dans chaque fonction.
Dans les bureaux on ne conçoit pas n’importe quoi car on l’a vécu sur le terrain et on le vivra de nouveau, et sur le terrain on comprend mieux les décisions. Nous sommes en mesure de les expliquer et de les accompagner auprès des personnels. Ces opportunités suggérées par nos vœux ou proposées par la DRH permettent de construire des carrières à dominantes, avec de vrais experts (police judiciaire, maintien de l’ordre, concepteur de télécommunication-informatique pour nos ingénieurs -qui alternent de la même façon pragmatisme et épreuve du terrain et pratique de leur « métier d’ingénieur »-…) ou des carrières de polyvalents, ce qui est mon cas. Cela implique une remise en question continuelle, une découverte d’un nouveau métier tous les 3 ou 4 ans.
Aujourd’hui, les jeunes entrants dans la vie active ne se voient pas travailler dans la même entreprise pour 30 ans, ils veulent changer de métier régulièrement… une compétence acquise aujourd’hui dure 2 ans contre plus de 20 il y a 30 ans… alors, je n’ai qu’un mot à dire : venez en gendarmerie ! Vous changerez de métier tous les 3 ans tout en valorisant votre construction personnelle dans la seule compétence qui restera au bout de tout : la relation aux autres, aux femmes et hommes que l’on côtoie pour vivre dans un environnement meilleur et apaisé.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?
J’ai donc alterné les postes. J’ai commandé en « gendarmerie mobile » (les gendarmes qui gèrent les manifestations), en « gendarmerie départementale » (la sécurité et l’ordre public sur un territoire donné). La mobile m’a permis de comprendre le calme des troupes organisées face à des gens qui parfois ne veulent qu’en « découdre », l’efficacité de l’entraînement militaire – « à exercice difficile, guerre facile »- d’une troupe collective et soudée. La découverte de terrains très différents de la Nouvelle-Calédonie, aux territoires métropolitains urbains, péri-urbains et ruraux. Et même l’étranger puisque j’ai eu la chance d’être observateur militaire pour les Nations Unies, au Sahara Occidental. 6 mois de patrouilles terrestres et aériennes au milieu du désert, depuis un camp de toile partagé avec 15 autres camarades des cinq continents !
J’ai commandé pour la sécurité publique générale du quotidien dans les Alpes, à Meylan (38) : territoires magnifiques des massifs de Chartreuse et Belledonne et les deux vallées économiques d’accès à Grenoble, et comme chef de la gendarmerie du Var, (83), premier département touristique, au formidable potentiel de développement par un environnement préservé et protégé, mais aussi attirant beaucoup de convoitises. Ces commandements sont de formidables écoles de la vie : au contact quotidien de la population et des problématiques concrètes des territoires, en lien opérationnel direct avec le préfet et les magistrats, et nos partenaires de sécurité ; au contact des élus, locaux ou parlementaires ; des chefs d’entreprises, des responsables d’associations et toutes les forces vives présentes. Vivre en synergie avec un territoire , participer à son développement, agir concrètement pour interpeller les délinquants, faciliter la circulation, protéger en étant visible, apaiser, rassurer est ce qui motive et soutient mon engagement.
J’ai eu la chance d’être affecté auprès du Premier ministre. De 2001 à 2004, j’ai découvert le fonctionnement du gouvernement, de l’administration, des cabinets ministériels… la vie politique au quotidien et dans les grandes échéances (les élections présidentielles de 2002 par exemple). Dans ces fonctions j’ai aussi vécu le protocole de l’Etat en étant au cœur de l’organisation des réceptions officielles d’autorités étrangères. Recevoir au plus près Vladimir Poutine, la Reine d’Angleterre ou le président Chinois est une grande chance dans une carrière !
J’ai eu 2 autres expériences en dehors de la gendarmerie : en 2012 j’ai contribué à la mise en œuvre du préfet de police des Bouches du Rhône. Structure toujours en place, c’était une réorganisation de l’Etat dans ce département pour « inventer » une autre façon de maîtriser les enjeux de sécurité dans ce département et à Marseille.
Ensuite, j’ai été Attaché de Sécurité Intérieur auprès de l’ambassade de France au Canada. Les ambassadeurs sont entourés de conseillers « spécialistes » de leurs ministères. J’étais donc en charge des liens de sécurité entre la France et le Canada, sur tout sujet : affaires judiciaires, échanges de bonnes pratiques, recueil de renseignement (c’était pendant la vague des attentats, 2013 – 2016 et le focus sur les problématiques de radicalisation). Là encore, la découverte d’un pays, sa culture, son organisation sociale, administrative et politique est très enrichissante : échanger avec des forces de l’ordre qui font le même métier que vous avec des méthodologies très différentes est très formateur et « inspirant » !
Enfin, j’ai une « dominante d’état-major » dans les ressources humaines. Il y a une dizaine d’année, j’ai participé à la création de la GRH selon une approche « masse salariale » et non plus poste à poste. Comme une entreprise privée, nous gérons aujourd’hui nos effectifs au regard des finances disponibles et des flux d’entrée / sortie et avancements, et non plus sur un régime fixe de postes préétablis.
Ensuite, j’ai participé à la supervision de la « gestion » (avancement mobilité) de l’ensemble des personnels de la gendarmerie, militaires (officiers, sous-officiers) et civils. A ce titre, j’ai appris à travailler et dialoguer avec les représentations syndicales des personnels civils. C’est très atypique, pour un officier de gendarmerie, de mener des discussions avec des syndicats… et très instructif !
Votre cursus d’étudiant vous a mené à une carrière militaire. Etait-ce votre choix ? Ou une tradition familiale ?
Je n’ai pas grandi dans un milieu militaire. Ma vocation est personnelle… père et frère ingénieurs, mère et sœur professeurs des écoles, je suis admiratif de leurs engagements pour leurs entreprises ou auprès des élèves. Elles et eux aussi « servent la France » et participent au bien-être des enfants, de leurs employés ou de ceux qui bénéficient de leurs œuvres. Mais je cherchais une application plus « pratique », pour servir avec un grand « S » dans un esprit collectif, comme chef et en agissant en direct auprès de la population… j’ai découvert l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, ses valeurs, l’exemplarité, l’uniforme à la fois sobre et prestigieux. L’abnégation, l’acte gratuit, le service aux autres, pour « ses hommes » et pour la mission à accomplir… tout s’est traduit et éclairé au lycée militaire d’Autun, en école préparatoire. La camaraderie, l’entraide, le partage d’un même idéal, la simplicité et l’humilité de la vie, tournée vers les autres et non soi-même ; le goût de l’effort. Je me suis engagé dans les formations de parachutiste, d’officier de réserve… et j’ai eu la chance de réussir le concours de l’Ecole Spéciale Militaire. J’ai découvert la gendarmerie par des camarades fils de gendarmes qui me racontaient la vie en caserne et l’admiration du travail de leur père, puis concrètement : un engagement quotidien, où l’événement ne s’arrête jamais ; le commandement de professionnels, de tous âges ; le lien avec les élus, les magistrats, les autorités administratives, au rythme de la vie économique et sociale ; la réalité d’une action avec ses résultats immédiats. Mon métier consiste à tout mettre en œuvre pour protéger les autres et arrêter les délinquants. C’est la traduction concrète de l’engagement et du service que je souhaitais. Je me réjouis tous les jours de ces choix !
En dehors de votre vie professionnelle, quelles sont vos priorités ? vos loisirs ?
Les autres : ma famille et les amis ; et la nature. Ou plutôt le naturel. J’aime m’occuper de ma famille, mon épouse et nos trois enfants et être avec mes amis, en rencontrer des nouveaux. Je suis amateur de bonnes nourritures, plus que de grandes tables… j’aime les paysages, les espaces, les odeurs et les effets du vent, de la pluie, de l’eau, des arbres… et j’aime partager cela avec eux : savourer la truffe du haut-Var, déguster les vins des terroirs, et pas que français ! Je trouve magique le résultat gustatif de l’association d’un terroir, d’un cépage et de la main d’un vigneron… comme le résultat d’une préparation culinaire simplement élaborée avec de bons produits par l’art de celui ou celle qui les transforme. Quand je fais du sport, c’est toujours à l’air libre et jamais en musique, au contact du réel. J’aime l’odeur des montagnes d’Ardèche, la fraîcheur du bocage charolais au petit matin, la vue du mont Gerbier-de-Jonc…et parcourir Paris à vélo le dimanche ! J’aime écouter « radio Néo » et lire Christian Bobin.
… Un message à faire passer avant de nous quitter ?
Je ne voudrais pas laisser penser à la lecture de mes réponses ci-dessus que je vis dans un monde idéal ou tout est beau et bien organisé… loin de là. Bien sûr que l’adversité (euphémisme) est quotidienne ! Elle a de tout temps existé. Le « monde des bisounours » n’existe pas ! Il y a toujours des choses qui ne vont pas, mais objectivement beaucoup plus qui fonctionnent ! Je suis de nature positive. Chaque problème a sa solution. Ne pas détruire, construire. Nous sommes là, chacun dans nos actions, professionnelles et personnelles, pour rendre la vie plus facile à chacun !
En tant que responsable de la communication, je ne peux que constater combien certains passent leur temps à détruire, insulter, sans retenue, sans éducation, en se contredisant régulièrement, en étant, eux, « hors-sol » avec une méconnaissance des vrais problèmes de la vie en société (puisqu’ils l’ignorent). Les moyens modernes de communication amplifient l’écho de ces gens qui ont, en fait, toujours existé. Aujourd’hui, le contestataire ou celui qui a une idée « brillante de dénigrement » peut voir sa pensée mondialisée ! Sans aucun filtre, aucune analyse. Ils ne sont pas plus nombreux, ils sont plus visibles.
Mon message serait donc : restons sereins ; apportons chacun du bon sens et de la bienveillance ; persistons dans la pédagogie et la création de confiance. Le monde n’en sera que meilleur !