Interview de Eric Emeraux, chef de l’OCLCH

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Miss Konfidentielle vous invite à découvrir l’Office Central de Lutte c/les Crimes contre l’Humanité, les génocides et les crimes de guerre en lisant l’interview de son directeur, Eric Emeraux, dont le parcours est passionnant. Une mission essentielle et difficile à mener qui mérite notre respect.

Bonjour Eric,
Alors, qu’est-ce que l’OCLCH ?

C’est l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre qui se cache derrière cet acronyme. Il s’agit du service de police judiciaire français créé par un  décret du Premier ministre pris le 5 novembre 2013 pour enquêter sur les auteurs d’atrocités commises à l’étranger pendant des conflits armés . Par « atrocités », j’entends les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes et délits de guerre, les crime de torture, c’est-à-dire les actes de torture administrés par certains Etats contre des opposants et, enfin, les crimes de disparition forcée. Les anglo-saxons emploient aussi cette expression et elle a le mérite d’être claire. Ce sont des crimes qui heurtent la conscience humaine et qui défient l’imagination. 

Dans les faits, tous les auteurs présumés de ces crimes sur lequel nous enquêtons sont venus en France en pensant pouvoir échapper à la justice.  Malheureusement pour eux, la justice française a le droit d’ouvrir des enquêtes judiciaires sur les faits commis par eux et de les poursuivre devant les cours d’assises pour qu’ils y soient jugés. Et ce, même quand le crime a été commis à l’étranger, contre un étranger et par un étranger, c’est-à-dire, sans aucun lien de rattachement. C’est ce que l’on appelle la compétence universelle. 

L’idée de créer un service d’enquête d’excellence pour permettre à la justice française ou internationale comme la Cour pénale internationale (CPI) de juger les plus grands criminels a été lancée en 2008 par la gendarmerie nationale et portée pendant plusieurs années avant que le Gouvernement ne se décide à la créer en 2013. 

La raison d’être de ce service central que je dirige depuis maintenant deux ans est donc la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes considérés comme les plus graves. 

Autre point important qu’il faut absolument noter : l’OCLCH est également compétent pour enquêter et coordonner les investigations ouvertes en France sur tout crime à caractère raciste, antisémite ou homophobe. C’est la seconde mission de l’OCLCH. 

En résumé, nous travaillons sur les atteintes les plus graves et les odieuses à la dignité humaine. C’est pour cette raison qu’en confier les enquêtes à un seul service dans une logique de spécialisation est aussi logique que souhaitable. 

Quelles sont vos missions en tant que chef de cet office central de police judiciaire ? 

Exercer les fonctions de chef d’un tel service d’enquête nécessite d’abord de superviser le travail de deux divisions sur lesquelles reposent l’office, celle en charge des enquêtes et celle en charge de l’appui aux enquêtes, du renseignement criminel, de l’analyse et de la coopération internationale. 

Ensuite, cette fonction m’oblige à veiller à la qualité des enquêtes pénales qui sont diligentées. Les questions que je dois me poser sans cesse sont les suivantes : « Est-ce que l’enquête avance dans un délai raisonnable ? », « Est-ce que l’enquêteur a utilisé toutes les ressources à sa disposition et notamment les canaux de coopération policière européenne et internationale ? », « Est-ce que l’enquête est bien faite à charge et à décharge et uniquement dans le but que la vérité se manifeste ? » ? «Les droits de la personne mise en cause ont-ils été bien respectés ? »,  « Les droits des victimes sont-ils respectés ? ». 

Bien entendu, ce travail est aussi celui des magistrats du parquet du Procureur de la République antiterroriste et des juges d’instruction du tribunal de Paris sous l’autorité desquels nous travaillons. Toutefois, étant au quotidien avec les femmes et les hommes qui enquêtent, il est aussi de mon devoir de me poser ces questions et de veiller à y apporter des solutions. 

Ensuite, en tant que chef de service, je dois veiller à ce que mes enquêteurs et mes enquêtrices bénéficient de tous les moyens nécessaires à leur mission. 

Il s’agit, entre autres, d’obtenir les moyens logistiques comme un nombre suffisants de véhicules, des moyens techniques pour la mise en œuvre de techniques spéciales d’investigations, des moyens technologiques avec les logiciels les plus performants du marché pour aider à analyser certains dossiers d’enquête. 

Je dois aussi veiller à la formation de mes personnels pour qu’ils soient toujours à jour des dernières connaissances disponibles sur tel ou tel sujet touchant aux formes de criminalité sur lesquelles nous enquêtons. Mes personnels doivent être à jour du maniement de tel nouveau logiciel, des dernières évolutions de la procédure pénale et à la connaissance de certaines violations graves des droits de l’Homme. Par exemple, certains personnels ont été formés aux violences à caractère sexuel dirigées contre les femmes, les enfants mais aussi les hommes, au cours de certains conflits armés. Cela leur permet donc de s’intéresser à des crimes qui pourraient être tus par les témoins ou les victimes. La connaissance du droit international humanitaire est aussi indispensable et, à cet effet, nous participons aux séminaires de formation organisés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). 

Par ailleurs, je mets un point d’honneur à ce que la coopération européenne et internationale avec des services d’enquêtes étrangers ou des agences européennes ou des organisations internationales du système des Nations Unies soit active et fluide. Nous avons désormais des outils mis en place par EUROPOL, l’agence européenne des services répressifs, que chaque enquêteur doit utiliser. 

Ma mission de chef de service est aussi de faire connaître l’OCLCH en France et à l’étranger et répondre aux très nombreuses sollicitations des parlementaires et autres institutions françaises ou étrangères qui s’intéressent à notre travail ou qui ont besoin de notre expertise sur les crimes internationaux les plus graves ou les crimes et délits racistes, antisémites ou commis contre les personnes LGBT. 

Enfin, en tant que chef de l’OCLCH, j’ai une autre mission fondamentale : informer la haute hiérarchie de la gendarmerie et celle du ministère de l’intérieur sur l’ouverture de certaines enquêtes et, notamment, sur la présence en France de certains individus dangereux qui sont visés par nos enquêtes ainsi que d’autres interpellations dont la presse s’est fait l’écho récemment.

Y a-t-il un dossier dont vous êtes le plus fier que vous pourriez partager avec nous ?

Vous savez, je suis tenu à la stricte obligation de respecter le secret de l’enquête et de l’instruction. C’est la règle cardinale de l’article 11 du code de procédure pénale. Il m’est donc impossible de vous parler des enquêtes en cours. 

Toutefois, parmi les procédures pénales conduites par l’OCLCH, certaines ont déjà débouché sur des succès judiciaires. Je saisis cette occasion pour rendre hommage au travail des procureurs, des juges d’instruction et des enquêteurs qui a permis d’aboutir à ces jugements de condamnation. Je  peux évoquer les procès de Pascal Simbikangwa, de Tito Barahira et Octavien Ngenzi, génocidaires rwandais qui ont été été définitivement condamnés à des peines de réclusion criminelle très lourdes par les Cour d’assises françaises pour leur rôle dans le génocide rwandais de 1994. Plus récemment, en juin 2018, je peux citer l’arrestation en France d’un serbe de Bosnie-Herzégovine, Radomir Sunsjar qui a ensuite été extradé vers son pays d’origine pour sa possible participation à des crimes commis dans le cadre du conflit qui a ensanglanté l’ex-Yougoslavie au début des années 1990. 

Votre métier est-il un choix ou bien une opportunité ?

Faire partie des « gens en uniforme » a bien entendu été un choix. 

J’ai d’abord choisi de servir dans les Chasseurs Alpins comme sous-officier puis comme officier dans les unités de renseignements et de recherches humaines, héritières des maquis des Alpes. Puis, après avoir rejoint la gendarmerie, j’ai été appelé à commander un Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne dans les Pyrénées pour faire du secours. Par la suite, à l’issue d’un temps de commandement en sécurité publique générale à Annecy, je me suis dirigé vers la police judiciaire par goût de cette nouvelle mission. J’ai donc dirigé une section de recherches à Montpellier avec laquelle nous avons conduit plusieurs enquêtes criminelles graves et complexes. Ensuite, j’ai exercé les fonctions de  conseiller en police judiciaire du général de gendarmerie commandant la Région Rhône-Alpes. A cette occasion, j’ai beaucoup travaillé sur des dossiers portant sur la criminalité organisée. Ensuite, j’ai exercé les fonctions d’attaché de sécurité intérieure en Bosnie-Herzégovine, au sein de l’ambassade de France. A cette occasion, j’ai eu l’occasion de promouvoir la coopération entre les forces de police de Bosnie et les forces de police et de gendarmerie françaises et participé à une enquête commune d’enquête franco-bosnienne sur des faits de traite d’êtres humains.  

Être baigné dans une société qui a vécu et subi une guerre civile, côtoyer au quotidien des personnes qui ont perdu des membres de leur famille, entendre certains récits d’atrocités m’a amené à tenter de comprendre modestement comment peut on en arriver là. A l’issue de ces cinq années, quand il m’a été proposé de commander l’OCLCH, j’ai donc accepté ce nouveau challenge.

Vous traitez des sujets complexes au quotidien. Comment faites-vous pour vous changer les idées ?

Traiter de sujets aussi difficiles comme le commandement d’un office central de police judiciaire nécessitent de l’énergie, une réactivité raisonnée action mais aussi de la patience et de la réflexion. Depuis longtemps, je pratique la marche en montagne, la course à pied et le vélo et ces sports m’aident à développer autant que possible les qualités que je viens d’évoquer. 

Par ailleurs, l’un de mes autres échappatoires aux malheurs du monde, c’est la musique électronique. C’est elle qui me permet de trouver des moments de répit et de création. C’est pourquoi une partie de ma vie extra-professionnelle est consacrée à la production de cette musique.  

Enfin, l’écriture demeure pour moi aussi une source d’épanouissement très importante. J’ai d’ailleurs quelques projets à venir.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs ?

Deux choses pour moi essentielles : d’abord, il convient d’être vigilant vis-à-vis de la haine qui s’installe dans nos sociétés et qui est décuplée par les moyens de communication électronique, moyens de propagande massive.

Quand on enquête sur des atrocités commises à l’étranger, on constate souvent que ces crimes de masse ont pu être commis en distillant la peur de l’Autre et en préparant les esprits à l’aide d’une propagande haineuse orchestrée dans les années ou les mois qui ont précédé et dirigée à l’égard des futures victimes. 

C’est pourquoi le législateur, les autorités judiciaires et l’administration de nos Etats doivent être à la hauteur de cet enjeu de société et tout mettre en œuvre pour faire appliquer la loi. 

Ensuite, lutter contre l’impunité, c’est faire en sorte que la justice s’exerce partout, c’est à dire dans chaque foyer, sans prescription et pour toutes les victimes sans exception. Sans quoi, son absence crée de la rancœur dans les foyers, braises sur lesquelles savent souffler les populistes pour générer peur et haine. Et l’on se retrouve à la case départ.

C’est la raison pour laquelle la devise de l’OCLCH est « Hora Fugit, Stat Jus », « le temps passe mais la justice demeure ». 

Eric Emeraux, OCLCH @ Jean-Marie Banderet

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