Interview de Eric Pommereau, ingénieur NSIC de l’Etat

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13 octobre 2019 – Au mois d’octobre, Miss Konfidentielle agit pour le CYBERMOIs en vous proposant de lire l’interview de Eric Pommereau, passionné par le numérique et dont le métier est celui d’ingénieur NSIC (Numérique Systèmes d’Information et de Communication) pour l’État. 

Bonjour Eric,

Vous avez débuté votre carrière dans le secteur de l’art. Etait-ce votre vocation première ?

Ah ! Non pas vraiment, j’ai eu mon premier job de vendeur de produits pour la restauration d’œuvres d’art complètement par hasard. Je l’ai exercé pendant une année en attendant mon intégration en école de Police.

J’avais déjà tout petit le souhait de rentrer dans la Police. Mon père était officier de paix et je me projetais bien dans cette profession dont j’avais une image positive. Et l’idée d’être au service de mes concitoyens et de mon pays me plaisait.

Si je voulais être policier petit, j’avais en parallèle une attirance pour l’informatique. Dans les années 80′ les première publicités sont apparues pour des ordinateurs personnels, cela me fascinait. Mes parents ont fini par m’offrir un ordinateur, un amstrad CPC 6128 pour les connaisseurs, ils l’ignoraient certainement à l’époque mais cela aura un fort impact sur mon parcours professionnel.

Après cette première expérience, racontez-nous votre parcours au sein du Ministère de l’Intérieur.

Mon parcours au Ministère de l’Intérieur est une succession de bonnes surprises… je pense avoir eu de la chance et su saisir certaines opportunités.

Lors d’un stage à la Police judiciaire (PJ), je suis tombé littéralement amoureux de ce que je vis. Je me dis alors  : « ok, c’est ça que je veux faire dans la vie ». Cette attirance pour la PJ je la tirais aussi du film L627 de Bertrand Tavernier qui est loin des clichés véhiculés par les films policiers

Affecté dans un commissariat de Police judiciaire à la sortie de l’école, je passe un peu plus de deux années à apprendre le métier d’enquêteur et à la suite d’une importante réforme de la police parisienne, j’intègre un groupe criminel à la 3ème division de Police judiciaire.

Entre temps internet est arrivé, je me passionne de nouveau pour l’informatique et j’intègre rapidement le Service Informatique de la Police Judiciaire (SIPJ) en 1999.

Pendant les dix années que je vais passer dans ce service, je serai tour à tour dépanneur, administrateur réseau et développeur logiciel, fonctions que j’occuperai pendant sept formidables années. Là encore la passion l’a emportée dans mon choix du développement logiciel. Très vite, je me suis fait happer par ce domaine qui m’a vraiment fasciné, j’avais le sentiment de pouvoir exprimer une certaine créativité tout en ayant des relations privilégiées avec les utilisateurs.

Cela m’aura permis de travailler sur différents projets au bénéfice de la Police judiciaire. Le dénominateur commun de ces années au service informatique : apprendre, tous les jours si possible… cela restera un moteur pour la suite. En parallèle, je me suis investi dans la rédaction du site developpez.com et j’ai commencé à relire, traduire ou encore à rédiger des articles sur le développement logiciel. Cela m’a également permis de comprendre que j’étais finalement devenu un professionnel de l’informatique.

Malgré cette passion que j’avais pour l’informatique, je n’étais pas satisfait de mon évolution de carrière en tant que gardien de la paix, je n’avais pas l’impression de trouver ma place en tant que policier et informaticien. J‘ai fait le choix par défaut de passer le concours d’ingénieur des SIC (concours du ministère de l’intérieur), je dis par défaut par ce qu’en fait j’aurais préféré rester policier et ne pas avoir à quitter la maison police, ma famille. Je tire néanmoins une très grande fierté d’avoir eu ce concours d’ingénieur des SIC vu mon passé scolaire et les diplômes que je n’ai pas.

Me voilà donc ingénieur des SIC en 2010, je fais le choix de la DSI de la préfecture de police… une étape de transition très difficile pour moi, j’ai alors l’impression de m’être trompé de voie. Je passe deux années calamiteuses en tant que chef de projet et architecte puis j’obtiens une mobilité au ST(SI)(²), le service informatique de la Police et de la Gendarmerie.

Mon départ au ST(SI)(²) je le dois à une passion (encore). Je découvre le projet de cartographie collaborative : openstreetmap en 2012… et une fois encore je me dis : « c’est ça que je veux faire ». Et je dois ma mobilité à deux collègues, ils se reconnaîtront : Vincent et Alexandre. Ils m’ont encouragé à rejoindre le service pour participer au développement de l’usage de la cartographie pour la Police et la Gendarmerie, une super mission.

Les quatre années passées au ST(SI)(²) sont probablement ma plus belle expérience professionnelle, j’ai pu découvrir et monter en compétence dans un domaine formidable : la cartographie. Je me reconnecte également à mes origines, puisque je travaille au bénéfice de policiers. Enfin, je découvre la Gendarmerie, une institution que j’ai vraiment apprécié dont la stratégie sur le numérique m’a impressionnée. J’ai pu travailler avec une équipe formidable composée de policiers, de gendarmes, de techniciens et d’ingénieurs, notre mission a été de démocratiser l’usage de la cartographie pour les forces de la sécurité intérieure.

Enfin, j’ai rejoint la police aux frontières (une direction opérationnelle de la Police nationale) en tant que chargé de mission au bureau des projets technologiques il y a presque 3 ans. Mon rôle est d’assurer le suivi de différents projets qui ont un impact sur ma direction, d’effectuer une veille technologique ou encore de mener des expérimentations concernant de nouveaux projets. 

La Police Aux Frontières (PAF) est une direction très intéressante, spécialisée dans des domaines « chauds » comme la lutte contre les filières d’immigration et l’immigration irrégulière, le contrôle aux frontières ou encore la fraude documentaire. J’apprécie tout particulièrement la dimension Européenne de ma direction ce qui m’amène d’ailleurs à échanger régulièrement avec des collègues policiers d’autres pays, là encore c’est passionnant. En trois années de service, j’ai été témoin de la place grandissante des sujets technologiques, ce qui donne du sens à notre présence en tant qu’ingénieurs ou techniciens informatique.

Encore trop peu d’agents ont connaissance du CIMI (Communauté Informatique au sein du Ministère de l’Intérieur) dont vous êtes le fondateur et l’animateur..

Vous avez raison, nous ne communiquons pas assez pour faire connaître notre communauté. Nous avons toujours privilégié le fait de « faire » à celui de communiquer même je reconnais volontiers que nous devrions passer la vitesse supérieure dans ce domaine.

L’ambition de la CIMI est de fédérer des passionnés d’informatique et plus généralement toutes celles et ceux qui sont intéressés par la transformation numérique quelque soit le métier ou le corps d’appartenance… bref de décloisonner l’informatique au sein de notre ministère.

Cela se concrétise par l’animation de différents canaux de communication internes comme un forum, un wiki et un salon dédié sur la messagerie interministérielle TCHAP qui est au passage un excellent catalyseur pour la CIMI. A l’extérieur nous animons un compte twitter sur lequel nous relayons une veille technologique et les événements que nous organisons.

Les actions que nous menons sont l’organisation d’ateliers ou de groupes de travail sur des thématiques particulière. Récemment nous avons par exemple ouvert un groupe de réflexion sur les filières du numérique au sein de la Police nationale.

Le point d’orgue de nos activités est sans nul doute l’organisation de conférences : les miditechs (miditech parce que généralement cela se déroule à midi). Depuis les six ans d’existence de la CIMI, nous avons organisé trente miditechs sur des thématiques très variées ; des sujets techniques (base de données, moteurs de recherche…), mais aussi des sujets tournés vers l’activité opérationnelle des services de Police et de Gendarmerie (traitement du langage, radio logicielle, darkweb…). Ces dernières années nous avons abordé davantage de sujets tournés vers la transformation numérique de l’Etat ou de gouvernance, par exemple des thématiques sur l’intelligence artificielle, le véhicule autonome ou encore la politique interministérielle du logiciel libre.

Ces conférences sont l’occasion de mettre à la portée d’un grand nombre d’agents (généralement accessible en présentiel et en visioconférence) des sujets qui, sans la CIMI, n’auraient peut-être pas été accessibles. Notre conviction est que le numérique ne peut plus être compartimenté comme c’était le cas avant. L’autre effet bénéfique des miditechs est qu’il permet de favoriser des rencontres qui peuvent aboutir par de véritables collaborations, par exemple à la suite d’un miditech « analyse de logs » des relations se sont tissées entre un service de Police judiciaire parisien et un office central.

Au final, la CIMI est probablement la réalisation professionnelle dont je suis le plus fier, avant toute chose c’est une aventure humaine, cela n’aurait pas pris forme sans les collègues qui se sont impliqués à la création de la communauté : c’était une idée un peu folle quand même de vouloir décloisonner le Ministère de l’Intérieur ! Je voudrais aussi remercier celles et ceux qui s’investissent aujourd’hui dans le bureau de la CIMI et qui oeuvrent souvent dans l’ombre : Vincent, Arnaud, Océane, Nicolas, Philippe, Alexandra, Magali, Bernard, Bruno, Valérie, Florian, Frédéric.

Rétrospectivement il faut également souligner la bienveillance dont les différents acteurs du ministère ont fait preuve à l’égard de notre démarche, nous avons d’excellents relais institutionnels aujourd’hui et on peut dire que la CIMI fait dorénavant partie du « paysage numérique » de notre ministère. Un petit mot également pour remercier DINUM (Direction Interministérielle du NUmérique) qui, depuis le début, nous a encouragé et a fait la promotion de la CIMI, je pense que cela a été déterminant pour notre motivation. Je tiens à adresser tout particulièrement un grand merci à Charlotte Cador de la mission RH qui a été un soutien de la première heure.

Avez-vous une actualité à nous confier ?

Oui un très probable retour vers mes premières amours : la Police judiciaire parisienne… mais chut ce n’est pas encore officiel…

Avec toutes vos activités, trouvez-vous le temps d’avoir une vie privée ?

Oui absolument, même si j’ai une légère tendance à l’hyper activité, c’est indispensable. Ma famille reste LA priorité. Sans cet équilibre entre vie familiale et activités professionnelles je pense que je n’y arriverais pas. Je tiens d’ailleurs à remercier mon épouse qui supporte (dans tous les sens du terme) cet enthousiasme débordant pour mes activités professionnelles, elle aussi est une passionnée (de généalogie), je pense aussi que l’on arrive à se comprendre grâce à cela. Je suis papa de 4 enfants qui sont ma plus grande fierté. Je profite d’ailleurs de cette interview pour faire un clin d’œil à mon « grand » Maël qui a 21 ans et qui est apprenti (dans l’informatique, tiens lui aussi ;-)) à la Préfecture de Police… dans la police, étonnant non ?

J’ai une autre passion : la course à pied. Cette activité m’apporte tellement de choses pour maintenir l’équilibre. Je ne suis pas spécialement doué, mais j’y trouve tellement de satisfactions. J’aime le côté simple de la course à pied car on ne dépend ni d’une salle, ni des conditions météo, ni d’un quelconque matériel… cela m’apporte une sensation de liberté. Lorsque je pratique en club, les interactions avec les autres coureurs m’apportent beaucoup aussi. Je dis souvent que la course est le sport individuel le plus collectif que je connaisse… on se bat finalement contre soi-même mais avec une certaine émulation de groupe.

Avant de nous séparer, quel est le message que vous souhaitez faire passer ?

Je voudrais aussi citer Gandhi, une phrase qui est un peu mon mantra : « Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde. » Cette citation m’inspire énormément, il me semble que nous (les agents du service public) devons aussi provoquer le changement, peut-être plus encore dans une administration qui a du mal à se transformer. Je pense qu’on ne peut pas attendre que les choses nous tombent tout cuit dans la bouche, il faut aussi proposer des choses.

Deuxième message que j’aimerais faire passer : je me sens redevable envers la Police nationale d’avoir pu évoluer de cette manière. Je ne suis pas certain que j’aurais pu bénéficier de telles opportunités dans une autre administration. J’ai rarement vu dans la fonction publique une institution dans laquelle on puisse envisager autant de métiers différents, même si des choses pourraient être améliorées sur le sujet du numérique (la place des policiers notamment) j’ai pu évoluer et finalement changer de métier grâce à toutes ces possibilités offertes par la Police.

Enfin, un sujet qui me semble important, je le constate régulièrement quotidiennement : l’importance des valeurs humaines pour faire avancer les projets ou gérer une équipe, on est encore très focalisé sur les compétences « dures » mais je pense que les compétences douces (ou comportementales) sont déterminantes et sont trop peu valorisées.

Merci Eric pour cette interview complète qui permet aux lecteurs de mieux vous connaître et de découvrir pour certains nos institutions. 

2 commentaires
  1. VALLE Gérard dit

    Voici un parcours de carrière édifiant et très intéressant. Ravi d’avoir pu faire ainsi connaissance avec M. Eric POMMEREAU, que je salue . Il est la démonstration des possibilités d’épanouissement qu’offrent les métiers de la sécurité et le Ministère auquel nous appartenons tous deux.
    Il est d’importance majeure, dans une vie, que de vivre dans ses “passions” ou centres d’intérêt majeurs.
    Bien cordialement.
    GV

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