Interview de Madame Catherine Chambon, sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la DCPJ – Direction Centrale de la Police Judiciaire
27 octobre 2019 – Miss Konfidentielle a eu le privilège de rencontrer Madame Catherine Chambon très sollicitée en plein mois d’octobre dédié à la cybersécurité. Une belle rencontre en face à face pleine d’humanité.
Bonjour Madame,
Tout d’abord, une question tout à fait classique : quelles sont vos formations ?
Je me suis souvent demandé si ce que l’on pense être un choix n’est pas le fruit du hasard. Si j’ai effectué un cursus juridique classique à la faculté de Bordeaux 3, ce n’est pas par prédilection. En réalité, mon appétence pour les humanités a été modérée par le pragmatisme de ma famille et en particulier celui de ma mère, attentive à ce que je construise un avenir professionnel adapté à ma personnalité et à mon tempérament. A 18 ans, on embrasse l’avenir avec des talents sous-jacents, des possibles infinis. Les réduire à une option unique m’a fait craindre, quelques temps une erreur de trajectoire.
Mais, à l’échéance de ma maîtrise de droit privé et munie de mon certificat de criminologie, j’ai repris la main de cette destinée qui semblait m’échapper. Cette même année, marquée de réussites aux concours, pour certains galops d’essai de celui de commissaire de police, m’a amenée aux portes de l’école nationale supérieure de police à Saint-Cyr-au-Mont d’Or en qualité de major du concours.
Deux ans de formation en ont suivi, avec progressivement la certitude que la voie de la police judiciaire allait me permettre d’évoluer dans des métiers plus passionnants les uns que les autres. Cette certitude ne s’est jamais démentie depuis que j’ai intégré la direction centrale de la police judiciaire.
Dans la profession de commissaire de police, on ne cesse jamais de se former, d’apprendre, d’évoluer, de s’adapter, a fortiori en police judiciaire. J’en ai pris véritablement conscience lors de ma scolarité au CHEMI (Centre des Hautes Études du Ministère de l’Intérieur) en 2013, avec une mise en perspective plus académique de ces savoirs acquis parfois de façon empirique. Pendant 9 mois, détachée des responsabilités de chef de service, la richesse d’un parcours, d’une mission devient plus saillante, pertinente, organisée.
Cette sensation s’est encore accentuée lors de mon passage dans le Cycle interministériel du management de l’État (2015).
Il en découle un parcours professionnel d’exception dans un secteur pourtant connu pour être masculin.
Je n’ai jamais été une technicienne à proprement parler, mais je me suis spécialisée au fil de de mes affectations dans des projets toujours plus novateurs et à créer. C’est ainsi que j’ai conçu et mis en place la plateforme d’harmonisation des signalements de contenus illicites de l’Internet PHAROS, bien connue désormais du public. Mon parcours en police judiciaire associé à ma connaissance des projets technologiques m’a permis de structurer petit à petit la réponse donnée par la direction générale de la Police nationale en matière de lutte contre la cybercriminalité et à élargir nos partenariats, en investissant par exemple nos démarches collaboratives avec les opérateurs américains, en développant des outils visant à faciliter l’appréhension par tous les policiers des problématiques cyber et en imaginant un pyramidage des compétences cyber sur le territoire. Ce plaisir de créer, associé à une imagination fertile, me permet d’évoluer dans le sens d’un service rendu de qualité, d’une politique judiciaire adaptée au développement d’une cybercriminalité de haut niveau. Notre dernière creation, le réseau des référents cybermenaces de la Police nationale dédié à la sensibilisation du tissu économique local en est un bon exemple.
Ma participation aux instances de coopération internationale me permet également d’élargir notre terrain de jeu. J’ai d’ailleurs constaté au travers de ma présidence du Groupe d’experts mondiaux du complexe mondial pour l’innovation d’INTERPOL de la sous représentation des femmes dans la cyber. Ce constat est symptomatique et a été relevé dans le rapport Villani relatif à l’intelligence artificielle : ce sont uniquement 18% des femmes qui sont recensées dans le domaine de l’intelligence artificielle. On ne peut imaginer que le monde de demain soit uniquement enfanté par les hommes d’aujourd’hui. Les femmes doivent investir le domaine cyber ou se positionner dans des métiers dans lesquels elles exercent déjà des talents qui leur permettent de piloter ou d’accompagner la gouvernance du numérique, du digital et de l’IA.
Les postures professionnelles que j’ai pu prendre dans le domaine cyber démontrent que la femme peut et doit avoir une influence sur les systèmes sans pour autant manier du code binaire et autres languages ésothériques. La femme peut faire interagir le monde technique et la société en en préservant toutes les composantes.
Dans votre bureau, de nombreuses nominations sont présentes dont la légion d’honneur. Une de celles-ci vous a t-elle étonnée ?
J’ai en effet eu l’honneur d’être nommée dans les deux ordres nationaux : chevalier de la Légion d’honneur et chevalier puis promue officier de l’ordre national du mérite. Pour l’anecdote, les diplômes m’ont été remis respectivement par René Goscinny et par Monsieur le préfet Pierre de Bousquet de Florian. J’y ai évidemment été très sensible, mais j’avoue avoir encore aujourd’hui un plaisir amusé lorsque je redécouvre le trophée de l’économie numérique qui m’a été décerné en 2005 lors du Salon des entrepreneurs en qualité de première personnalité cyber de la fonction publique. Présentée par un collège public-privé, je suis restée dans l’ignorance de ma nomination jusqu’à la remise de ce prix.
Le mois d’octobre est celui de la cybersécurité.
Nous sommes en fin de mois, quel bilan souhaitez-vous dresser ?
Le mois d’octobre a débuté sous d’excellents auspices en raison de la très belle arrestation réalisée par mes services dans le cadre d’une vaste arnaque sur internet consistant à envoyer des mails de menaces à des internautes en leur faisant croire que des vidéos les montrant visionnant des contenus adultes seraient diffusées à l’ensemble de leurs contacts. Nous avons également été très actifs en matière de prévention, dans différents cadres : salon APS, conférence avec le cybercercle, le MEDEF, la fédération bancaire française… où j’ai notamment pu présenter notre réseau de référents cybermenaces. Nous nous inscrivons en outre dans la ligne de conduite de l’ANSSI et sommes donc très actifs en nous faisant le relai de leurs communications sur les réseaux sociaux et dans le cadre de nos interventions auprès de nos nombreux partenaires. Le ministère de l’Intérieur est très engagé en la matière, tant par l’intermédiaire de la délégation ministérielle aux industries de sécurité et de lutte contre les cybermenaces que par l’action de la direction centrale de la police judicaire.
Sur le plan opérationnel également, le cybermois est l’occasion de mettre en valeur la coopération policière, notamment au travers d’Europol. Nous avons ainsi à nouveau participé activement à la campagne d’action e-commerce destinée à lutter contre la fraude en ligne. Les services de police français, coordonnées par ma sous-direction, ont ainsi pu procéder à l’éviction du marché de la fraude d’auteurs bien implantés dans la délinquance spécialisée.
D’une manière plus du tout institutionnelle, quelle femme êtes-vous ?
C’est une question à la fois indiscrète et amusante ! Je cultive, d’après ceux qui me connaissent sous mes deux vies, professionnelle et personnelle, une forme de congruence sans connotation mathématique. Elle m’évite des pertes inutiles de temps, des postures inadaptées à mon caractère plutôt dynamique et enjoué.
Que vous dire ? Ma famille revêt une importance essentielle, elle est le centre d’un équilibre fondamental, fait de confiance, d’échanges et d’agitation permanente, de stress et d’inquiétude pour l’éducation et l’avenir des enfants.
Avec une profession prenante, exigeante, il n’est pas aisé pourtant de consacrer le temps attendu par ma famille. Alors, c’est une stratégie qualitative qui se substitue à un schéma classique, des partages de vacances, de loisirs, de passion, de culture.
La marche, les soirées en refuge de montagne, la voile, le golf maintenant, des émotions communes devant un spectacle, des échanges sur une exposition, un musée, des discussions, des lectures communes ou pas alimentent cette relation à mes enfants, mon mari. Plus simplement, le plus souvent possible, des balades avec notre joyeux cocker roux au bord de l’océan, quand nous pouvons nous échapper des contingences des uns et des autres.
Mais il faut rester honnête, cet équilibre repose sur un conjoint disponible pour accepter une vie parfois décousue et qui assure de fait la continuité à la maison. Finalement pour paraphraser Mark Twain, c’est quasi-impossible, et pourtant, nous y arrivons.