Interview de Emmanuel Roux, représentant spécial d’INTERPOL auprès des Nations Unies

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C’est avec grand plaisir que Miss Konfidentielle s’est entretenue avec Emmanuel Roux, représentant spécial d’INTERPOL auprès des Nations Unies à New York. Un poste à haute responsabilité qui nécessite de savoir prendre du recul mais qui n’empêche pas de conserver son sens de l’humour. INTERPOL est l’organisation internationale de police la plus importante au monde.

Bonjour Emmanuel,

Pour commencer, quel cursus avez-vous suivi ?

Assez classique : échec cuisant à l’entrée à Sciences Po, 6 mois de japonais aux langues-O, maitrise de droit public, DEA de science administrative, puis 2 fabuleux programmes : l’IHESI (ancêtre de l’INHESJ que l’on s’apprête à tuer) et le Centre des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur en 2014-2015. 

En 1993, vous débutez à la Préfecture de Police de Paris. Racontez-nous votre carrière étonnante

Je commence à avoir l’âge où on commence à résumer une carrière un peu longue.
Je n’ai jamais vraiment eu de plan prédéterminé de carrière, mais plutôt voulu tirer parti de la variété des métiers qu’offre la police, et plus largement la fonction publique.
A 4 ans, assis sur mon vélo rouge à roulettes, et bien que ma chambre donnait sur la caserne de pompiers de la rue Blanche à Paris, j’ai su que « je voulais être sheriff ».
Je crois qu’il ne sert à rien d’anticiper trop précisément, car la vie offre des opportunités qu’on ne saurait imaginer. Alors mon critère est plus de savoir dans quel train je ne veux pas monter, plutôt que d’imaginer quelle sera la prochaine gare. Avec 2 grands-pères cheminots, je ne peux pas éviter cette allégorie ferroviaire…
C’est comme cela qu’après 5 années intenses en maintien de l’ordre public à Paris, je suis allé travailler à l’IHESI (ancêtre de l’INHESJ) sur la conception de la police de proximité, avant de la mettre en œuvre sur le terrain à Argenteuil. J’ai voulu ensuite ouvrir la perspective en travaillant sur la coopération internationale européenne, que je pensais déjà être un ingrédient essentiel du travail policier. Mon engagement syndical pour le SCPN était ancien, et j’ai accepté avec enthousiasme la proposition d’en être le n°2 puis le Secrétaire général.
Le CHEMI a été un formidable sas de transition vers la suite, en ce qu’il apporte toutes les clefs de lecture pour la compréhension des enjeux de la sécurité globale.

Votre parcours peut donner une impression de sauts de puce. En avez-vous une autre lecture ?

L’autre image que j’aime bien utiliser, est celle de la plume qui navigue de la bouteille d‘encre à la feuille de papier : certains postes alimentent en expérience de terrain, nous chargent avec du réel – auquel la police donne un accès direct et immédiat. Tandis que d’autres incitent à la réflexion, à la modélisation de cette expérience de terrain. Nous sommes un corps de « conception et de direction », et je trouve que cette appellation symbolise bien cette double nature de nos fonctions. 

Pourquoi partir à New York en 2015 alors que votre carrière était bien établie en France ?

Comme disait Antoine de Sartine « cherchez la femme ». Mon épouse a reçu une proposition professionnelle à New York, elle devait répondre dans le week-end. Nous avons foncé sans hésiter… et sans se demander ce que je pourrais y faire !
Ensuite, la recette est la même : des collègues formidables qui m’ont indiqué et soutenu pour le poste d’INTERPOL, un saut dans l’inconnu, pour moi une chance de continuer dans la négociation de haut niveau. Pour les enfants une fabuleuse expérience internationale, comme celle que mon épouse a eu la chance de grandir en Algérie puis en Turquie où ses parents étaient installés.

Pour les lecteurs qui ne connaissent pas bien INTERPOL, de quoi s’agit-il ?

INTERPOL est né de la voiture et du train. Au début du 20ème siècle, les criminels traversent les frontières par ces nouveaux moyens de déplacement, les policiers sont bloqués par les frontières politiques. C’est l’époque des Brigades du Tigre. Les chefs de police se réunissent en 1914 à Monaco pour s’accorder sur la nécessité d’une coopération policière internationale, et en 1923 INTERPOL nait à Vienne. Aujourd’hui, ce sont les polices de nos 194 États membres qui échangent des millions de données par jour, bénéficient de nos ressources en formation, accèdent à nos 18 bases de données pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme et le cybercrime. 700 de nos 1000 personnels, issus de 100 nationalités,  sont basés dans notre Siège mondial à Lyon, le reste travaillant dans nos bureaux régionaux ou notre centre d’innovation à Singapour. 300 d’entre nous sommes mis à disposition, mais la grande majorité est composée de « civils » sous contrat avec INTERPOL.

Depuis 2015, quelles sont vos missions et actualités au sein d’INTERPOL ?

Pour faire très simple, je suis l’ambassadeur d’INTERPOL auprès des Nations Unies. Mais j’aime à rappeler que je ne suis pas un diplomate, juste « un flic qui négocie » !
Je représente INTERPOL autant auprès des organes politiques de l’ONU, que des missions permanentes des états membres à New York.
Je fais le pont entre le politique et le policier, entre 2 organisations multilatérales très différentes. Parfois je me considère comme un interprète entre deux cultures.
Tous les sujets portés par l’ONU, le développement, les droits de l’Homme, la paix et la sécurité… nécessitent une action des services d’application de la loi pour prendre racine. Il n’y a pas d’enfant qui puisse aller à l’école si la route n’est pas sûre, le développement durable est une illusion si les ressources naturelles sont l’objet d’un trafic criminel transfrontalier. 

Question indiscrète : avez-vous connu des moments improbables dans votre vie ?

Oui, et certains sont inoubliables. La première fois que j’ai parlé au Conseil de Sécurité, l’émotion est immense, le poids de l’histoire tellement présent dans cette salle mythique.
Ou la première fois que j’ai dit « non, c’est hors de question » au patron de la police, en tant que dirigeant syndical. 

Côté famille, avez-vous pu instaurer et conserver un équilibre ?

C’est aussi essentiel que difficile. Nous avons 3 enfants, et tous les deux des vies professionnelles intenses. Nous avons développé des relations « bilatérales » avec chacun de nos enfants, autour d’une passion commune, mais nous faisons aussi souvent « tribu ». J’ai beaucoup appris sur la physique quantique avec mon fils, et apprécié les moments passés ensemble à bricoler une voiture ancienne. J’adore accompagner mes filles à l’équitation pour une leçon commune de dressage.
Ma chance, mes enfants apprécient (enfin presque) mes « Dad Jokes » et partagent l’humour à la Pierre Desproges.
Ma vraie chance : avoir épousé une sainte, qui a toujours respecté les contraintes du métier de flic, et assez bien caché ses angoisses quand je partais à minuit en urgence.

A vous écouter, l’équilibre permet de marcher mais vous avez besoin de déséquilibre pour créer le mouvement, est-ce bien cela ?

Oui. Cette bipolarisation (conception et direction) de notre mandat de chef de service crée un mouvement, presque un déséquilibre, qui amène à avancer sur 2 jambes différentes, mais dans une direction très cohérente. Tous ces changements de direction et d’altitude au cours de ma carrière ont aussi été déclenchés par des rencontres, des collègues formidables ayant un projet dans lequel on a envie de prendre part.
Le partenariat de sécurité amène aussi à croiser des figures uniques, directeur d’Office HLM, élu, entrepreneur de la ZUP d’Argenteuil. Sans parler des rencontres faites lors de la session de l’INHESJ avec des professionnels de tous horizons.

Enfin, je crois qu’on ne se sent vivant que lorsqu’on sort de sa zone de confort !

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