Interview de Valérie Dervieux, présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris
13 avril 2020 – Après l’interview de Brigitte Brun Lallemand, présidente de chambre à la Cour d’appel de Paris, place à Valérie-Odile DERVIEUX, présidente de la chambre de l’instruction de la même cour d’appel. Un entretien sympathique et fort instructif que Miss Konfidentielle partage avec vous. Belle lecture.
Bonjour Valérie,
Que signifie votre titre « présidente de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris » ?
J’ai l’honneur de travailler au sein du plus grand « pôle instruction » de France.
Il y a, à Paris 7 chambres de l’instruction où sont affectées 22 magistrats. Je préside une de ces chambres.
Ce pôle a des compétences nationales (terrorisme, pôle national financier, génocide) et spécifiques (santé publique, accidents collectifs), et traite également, comme dans toutes les autres cours d’appel, des recours contre les décisions relatives notamment aux mandats d’arrêts européens, au droit de la presse et aux contentieux traités par les juges d’instruction et juges des libertés et de la détention du ressort (tribunaux judiciaires d’Auxerre, Bobigny, Créteil, Evry, Fontainebleau, Meaux, Melun, Paris et Sens).
« Ma » chambre statue notamment sur les procédures traitées par les juges du TJ de Créteil, des pôles spécialisés du tribunal judiciaire de Paris en matière de santé publique, accidents collectifs et enfin du droit de la presse des tribunaux de la cour.
Les enjeux sont-ils hautement techniques et terriblement humains ?
Tout l’enjeu est en effet de bien saisir les intérêts en présence, la complexité des problématiques techniques, institutionnelles, d’ordre public mais aussi les enjeux humains : ceux des mis en cause et ceux des victimes. C’est donc une fonction passionnante qui nécessite une grande maîtrise de la procédure pénale, du droit pénal et la volonté d’assurer l’effectivité des décisions rendues.
La chambre de l’instruction est souvent (trop souvent ?) au cœur de l’actualité puisque, outre les dossiers « médiatiques », nous connaissons cette année avec le mouvement social des avocats et maintenant l’état d’urgence sanitaire, un triplement des dossiers qui nous sont soumis.
J’ai la chance de travailler avec des collègues – magistrats et greffiers – très « pointus » dans leur domaine et auprès desquels il est simple d’échanger.
Le contact avec les étudiants et avec la doctrine nourrit également ma pratique. J’ai toujours eu l’envie, le besoin d’apprendre et de partager. J’enseigne à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) et au sein des Instituts d’études judiciaires (IEJ) des universités de Paris I et de Paris-Nanterre.
Je publie dans des revues spécialisées sur des thèmes juridiques d’actualité. Je participe également à des jurys d’accès à la profession d’avocat.
Confinement : « L’après » pourra t-il être comme l’ « avant » selon vous ?
« L’après » ne pourra pas être comme l’ « avant ». La justice est une autorité, elle est aussi un service public. Nous sommes tous mobilisés, au service du maintien de l’état de droit en cette période si spéciale. Certains en télétravail, d’autres en juridiction, tous sous l’autorité du Premier Président Hayat qui prépare déjà « l’après ».
La cour d’appel de Paris, comme toutes les juridictions, a organisé la « justice de l’essentiel » via un « plan de continuation de l’activité » pour assurer la continuité du service public, le traitement de la délinquance, la protection des plus fragiles – les majeurs protégés (tutelle), les mineurs, les conjoints victimes de violences conjugales – et le maintien de l’ordre public.
La chambre de l’instruction n’est pas « fermée ». Elle fait partie de cette justice de « l’essentiel ». Les magistrats et les greffiers sont « sur le pont » pour pallier l’augmentation exponentielle des demandes de mise en liberté. Car les personnes en détention provisoire et leurs familles sont inquiets de la situation sanitaire en prison et leurs avocats relaient leurs demandes. Nos décisions font droit ou rejettent ces demandes en application des textes, de la gravité des infractions poursuivies, du risque sanitaire mais aussi des risques pour les parties civiles (victimes).
Les conditions sont certes difficiles. L’ordonnance publiée le 25 mars dernier en vertu de la loi d’habilitation pour faire face à l’urgence sanitaire modifie la procédure pénale que nous appliquons au quotidien et est des plus complexes à appréhender.
Bref, le travail ne manque pas … mais la solidarité (des magistrats et greffiers des autres services) et l’implication de chacun restent totales.
Cette année 2020, marquée par le mouvement des gilets jaune, la grève des transports en commun, le mouvement des avocats contre la réforme des retraites qui a pris la forme de demandes de mise en liberté massives et maintenant l’état d’urgence sanitaire, est un tournant et restera un marqueur pour la justice : 2020 souligne en effet la fragilité de notre service public de la justice mais aussi son rôle central dans notre démocratie comme le rappelle le professeur MOLFESSIS dans une tribune au Monde du 10 avril 2020 « droit d’exception et paralysie de la justice favorisent l’avènement du far West ».
Comme pour tous les secteurs de notre société, « L’après » ne pourra pas être comme l’« avant ».
Votre métier est-il une vocation ?
La vocation vient souvent d’un choc ou plutôt d’une image, d’une expérience d’enfance. La première fois que je suis entrée dans un palais de justice, celui de Paris, je devais avoir 7 ans, j’ai pensé que ce palais imposant, où fourmillaient des hommes et des femmes en robes noires était un lieu extraordinaire, magique, impressionnant. Cette idée, cette image ne m’ont plus quittée.
Après mon baccalauréat je me suis donc inscrite à la faculté d’Assas. Lorsque j’ai entamé mes études de droit, au premier jour, au premier cours, j’ai su que j’étais « chez moi » : le droit est dans tout, tout est dans le droit. C’est pour moi un langage, une matière vivante qui traduit et reflète une société, ses évolutions, ses soubresauts. Bien loin de l’image des études rébarbatives, du « par cœur », j’ai vécu ces études universitaires comme des années de découverte intense.
Lauréate de droit civil à deux reprises j’ai pu bénéficier d’une bourse qui a facilité mes apprentissages en me donnant accès à des ouvrages (internet n’existait pas) que je n’aurais pu m’offrir. J’ai également financé mes études en donnant des cours.
J’ai rencontré à la fac un de mes meilleurs amis (François Touret de Coucy, actuellement coordonnateur régional de formation pour l’Ecole Nationale de la Magistrature) et des professeurs d’exception. J’en profite pour rendre hommage à deux grands professeurs – Philippe MALINVAUX et Philippe MAULAURIE – qui viennent de nous quitter.
J’ai présenté le concours de la magistrature après un DEA (Master 2). Magistrate à 23 ans, je n’ai jamais regretté ni ce choix, ni ce cursus !
Le métier de magistrat présente une diversité extraordinaire : j’ai occupé des postes de juge du siège et du parquet, été détachée à l’AP-HP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris) , assuré des fonctions de chef de cabinet au sein du ministère de la justice, occupé des fonctions de secrétaire générale d’un procureur de la République, été juge d’instruction, juge aux affaires familiales, juge d’application des peines, juge des enfants, juge d’instance, substitut du procureur, vice procureure, procureure adjoint, présidente de chambre, j’ai quasiment tout fait !
Restait la Cour d’appel, j’y suis depuis janvier dernier ! Je me suis bien sûr spécialisée dans quelques domaines (droit pénal économique et financier, droit de l’exécution des peines, droit de la presse) mais, au-delà des fonctions ce sont surtout des « affaires », des missions et des rencontres qui m’ont marquée.
– Juge au Tribunal d’Albertville j’ai vécu l’ouverture de la maison d’arrêt d’AITON (73) et pu participer aux Jeux Olympique d’hiver de 1992 en qualité de volontaire.
– Substitute près le Tribunal de Paris, j’ai géré, avec des collègues, la procédure « ELF » et CREDIT Lyonnais.
– Première vice-procureure au sein de tribunal de Pontoise, j’ai mis en place une des premières expérimentations du téléphone grave danger pour lutter contre les violences faites aux femmes ; Un documentaire de Stéphane Mercurio « intimes violences » retrace cette implication partenariale que je poursuis sous d’autres formes.
– Cheffe de bureau au sein de la direction juridique de l’AP-HP j’ai vécu, dans le cadre d’une permanence, l’hospitalisation puis le décès de la princesse Diana. Et ai participé au traitement des procédures du sang contaminé et de l’hormone de croissance.
– Secrétaire générale adjointe du procureur de la République de Paris, Jean-Pierre Dintilhac, j’ai été chargée de l’informatisation de la juridiction parisienne pour le parquet et le siège.
– J’ai été nommée, aux seins des tribunaux de Nanterre puis de Versailles, référente laïcité et ai pu ainsi développer mes connaissances puis participer à la formation des collègues magistrats et greffiers dans ce domaine sensible qui m’a menée, via l’IHEMR (Institut des Hautes Etudes du Monde Religieux) en Israël et au Vatican.
– Des missions pour l’ONU, l’OCDE et l’ENM m’ont conduite notamment en Turquie, Bulgarie, Arménie, Grande-Bretagne, Autriche, Nicaragua, Bosnie Herzégovine.
Toutes ces aventures, toutes ces expériences, toutes ces opportunités sont autant de rencontres et de moments de vie.
Particulièrement impliquée dans la vie judiciaire j’ai exercé, et exerce encore des mandats syndicaux qui sont, selon moi, indispensables au bon fonctionnement de toute organisation, publique ou privée.
Félicitations pour votre évolution. Avez-vous aujourd’hui un message à nous transmettre ?
La justice est une institution mais c’est aussi un service public.
Peu aimée en raison de son rôle, toujours soumise à des injonctions contradictoire (trop laxiste trop sévère, trop rapide, trop lente, trop complexe, pas assez ouverte, trop/pas assez sensible aux injonctions du politique), peu dotée financièrement, la justice ce sont des femmes et d’hommes qui méritent certainement mieux que ce que l’on en dit/lit.
Au regard de vos activités, prenez-vous le temps de vous détendre ?
Bien sûr ! Je suis passionnée de natation et ai dirigé le club de ma commune. Je pratique le vélo assidument.
Mes deux filles et mon fils, âgés de 25, 23 et 13 ans me reprochent souvent de trop travailler… Les deux ainés ont trouvé leur voie dans des domaines autres que le droit. Je garde encore espoir pour la « petite » dernière….
J’ai la chance d’être mariée depuis très longtemps avec un homme extraordinaire (il me supporte c’est déjà un signe !) qui ne travaille pas du tout dans le droit, adore les enfants et est passionné de politique : ce qui nous réserve toujours des diners animés !
Pour le reste, lecture, voyages, séries Netflix… je suis une vraie Madame Michu ! J’adore repasser devant des émissions « nulles » suscitant les moqueries de mes enfants mais… j’assume.
Une vie bien remplie ! Courage à vous en cette période très chargée.
Parcours très intéressant d´une personne très engagée pour améliorer la justice au quotidien qui en a bien besoin.
Je vous remercie Adrien pour votre message constructif.