Interview de Jean-Michel Fauvergue par Miss Konfidentielle

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25 mai 2020 – C’est autour d’un petlt-déjeuner que Miss Konfidentielle s’est entretenue avec Jean-Michel Fauvergue. Un moment détendu qui a permis de mieux connaître l’homme qui se cache derrière l’ancien patron du RAID, et ainsi de vous inviter à lire une interview qui change de ce que nous avons pu déjà lire dans les medias. 

Bonjour Jean-Michel,

Et si nous débutions notre entretien avec humour.
Que dire de votre village natal des Pyrénées orientales ?

C’est amusant à dire mais il existe deux villages avec le même nom de Bages. Le premier se situe dans les Pyrénées orientales où je suis né et l’autre à côté de Narbonne. Et ce qu’il y a d’extraordinaire c’est que le jour où j’ai été nommé au RAID, les medias se sont trompés de Bages, ce qui a généré des coups de fil furieux de la part de ma famille parce qu’il existe une guerre pas méchante mais viscérale entre le catalan et le gabatch (habitant de l’Aude) ! Je me sens catalan sans développer outre mesure ma catalanité. Je suis bien sûr fier de mon pays, de la France et de ma région d’origine. Je suis attaché à l’ensemble de mon département et également au village montagnard Mosset qui est celui de mon grand-père. Nous y avons toujours un pied à terre familial. 

Les racines sont quelque chose d’important je pense pour tout le monde. Dans les moments les plus dangereux, les plus terribles ou les plus émouvants, on peut se replonger dans nos racines et ainsi nous resituer, nous recentrer au sein de notre famille. C’est ce qui m’est arrivé lorsque je suis intervenu au Bataclan avec la colonne d’assaut.

Quand on est rentré, c’était vraiment une horreur indescriptible… qui a provoqué un moment d’arrêt, ce qui est naturel. Mais quand on est le chef du RAID, on ne peut pas se le permettre. J’ai dû me concentrer, me restructurer de manière rapide. Et une des techniques traditionnelles de concentration est de penser à un endroit, à un moment de la vie agréable, cela permet de revenir au réel. A ce moment là, j’ai repensé aux balades que je faisais en forêt dans les Pyrénées avec mon grand-père.

Que souhaitez-vous évoquer sur votre parcours qui permette aux lecteurs de vous découvrir sous un angle différent de ce qu’ils ont l’habitude de lire dans les medias ?

Ce qu’il faut savoir sur mon parcours, c’est que j’ai beaucoup bougé. Avec mes parents au départ, et ensuite dans ma vie d’homme.

Cela est peut-être lié au fait que ma mère qui est une vraie catalane est partie très tôt de chez elle pour être confiée à la garde d’une tante au Maroc. Le Maroc était français à cette époque. C’est là qu’elle a rencontré mon père qui lui était pied-noir marocain. Ils se sont mariés, ont vécu heureux au pied des montagnes. Puis ils ont fait le choix de venir en France métropolitaine suite à l’indépendance du Maroc. Ils se sont installés à Grasse dans les Alpes-Maritimes où j’ai passé une partie de mon enfance. Puis nous sommes montés sur Paris. En tant qu’homme, j’ai beaucoup bougé par choix, opportunités, souhaits.

On me demande souvent pourquoi j’ai choisi la police.
Tout petit déjà, je voulais être commissaire de police. Je n’avais pas de précédent dans ma famille mais j’étais marqué inconsciemment par les enquêtes du commissaire Maigret.. et les westerns. J’étais très fan de westerns. J’admirais les représentants de la loi, les shérifs. D’ailleurs je suis toujours fan ! J’ai une collection de westerns chez moi.

Je pense que cela a été le début de l’incrémentation dans mon esprit de cette envie de me mettre au service des autres et du coté de la loi, celui de protéger la population, de lui apporter sécurité et réconfort. En phase avec la devise du RAID « Servir sans faillir ». Servir comme je viens de l’expliquer. Sans faillir à mes convictions.

Revenons à l’envie d’être commissaire de police.
J’ai commencé à la Fac de Tolbiac à l’époque des manifestations et des grèves. Et j’avoue avoir été un gréviste turbulent ! Cela remonte à 1975-1976. En y repensant, on avait conscience de ce qui pouvait nous arriver en manifestant, en nous confrontant aux forces de l’ordre. Cela m’est arrivé de prendre une toise par des policiers ou gendarmes contre lesquels je manifestais quelquefois virilement, et elle était acceptée en tant que telle. Il ne me serait jamais venu à l’idée de me plaindre. On était dans la responsabilité des conséquences contrairement à aujourd’hui où on cherche une responsabilité ailleurs. L’Etat, la municipalité, les politiques, le voisin, les nantis, les fonctionnaires etc. Et cela, je le regrette d’autant que j’ai conservé cette ligne de vie.

A la Fac, je n’ai pas été un bon étudiant et n’ai pas obtenu ma licence qui m’aurait permis à l’époque de me présenter directement au concours de commissaire de police, alors j’ai passé le concours d’officier de paix. Je suis rentré comme officier en 1978, puis quelques années plus tard j’ai réussi le concours interne de commissaire et intégré l’école de commissaire en 1984.

Lorsque je suis rentré dans la police, j’ai rapidement vu la diversité du travail, des tâches, des carrières proposés. Et l’intérêt du travail. Dans la police nationale, il y a de nombreux choix : le renseignement, l’enquête, l’intervention, la coopération extérieure, la police aux frontières… Très vite, j’ai eu envie de tout faire. Tout essayer. C’est ce qui explique le fait que j’ai beaucoup bougé dans les Directions actives et sur le plan géographique.

Mon départ en Nouvelle-Calédonie s’est fait sur un coup de tête suite à un poste que je n’ai pas obtenu. Nouméa m’intéressait et ma femme était partante, ayant de la famille sur place. Nous avions ainsi un point d’atterrissage. A chaque fois que j’ai eu envie de postuler loin, nous nous sommes concertés avec ma femme, puis mes enfants afin que nous soyons tous d’accord. La Nouvelle-Calédonie est à l’image d’une belle carte postale. Sur place, j’ai fait beaucoup de maintien d’ordre avec les indépendantistes très virulents. J’y ai passé trois ans et découvert sur le chemin du retour la Nouvelle-Zélande, Bali, la Thaïlande… Pour la petite histoire, j’ai créé trois écoles d’arts martiaux chinois à Nouméa.

Au retour en métropole, j’ai pris le commandement des groupes d’intervention de la police nationale. Trois années plus tard, je suis parti en Guyane pour prendre le poste de chef de la police avec le grade de commissaire divisionnaire (l’appellation correcte est « directeur départemental de la sécurité publique »). C’était un poste intéressant, dur physiquement mais tellement captivant. Avec des émeutes tous les six mois, des braquages, les stups … Je me suis fait tirer dessus à deux reprises lors d’opérations dans la mangrove et dans les forêts en lisière de Cayenne. Il y avait une grande violence. J’en retiens un grand apprentissage de travail de police répressif, de maintien de l’ordre, et aussi de préventif, de construction d’une police au service des citoyens. Parce que quand on est au commissariat de Cayenne, il faut avoir des réponses pour les citoyens. Ma famille était présente sur place. Elle était mon refuge. Elle s’est bien adaptée.

Après la Guyane, nous sommes partis en coopération au Mali et au Gabon. Ça c’était l’aventure. Le Mali était plus calme tout de même qu’il ne l’est maintenant. Le Gabon est un pays riche avec ses particularités. Le problème majeur que j’ai eu a été de gérer la diaspora française très turbulente et très « enfant gâté » avec une propension insupportable de critiquer la mère patrie au-delà du raisonnable.

Pour la vie personnelle, c’est la Nouvelle-Calédonie que j’ai le plus apprécié.
Pour la vie professionnelle, c’est en Guyane où j’ai le plus appris.

Puis j’ai intégré le RAID.
Je suis arrivé quatorze mois après l’affaire Merah. C’était en avril 2013.

En tant que chef du RAID, j’ai commandé toutes les opérations majeures comme celle de la prise d’otages du magasin Hyper Cacher en janvier 2015 où je commandais à la fois le RAID et la BRI parce que le ministre avait déclenché la FIPN, la Force d’intervention de la police nationale qui est une formation regroupant sous les ordres du chef du RAID les deux unités prestigieuses. Toutes ces affaires connues par les français et qui ont marqué cette période troublée et fortement impactée par la barbarie et le terrorisme sont évoquées dans mon livre « Patron du RAID ».

Je suis arrivé au RAID au final de ma carrière de policier. Ce poste dont j’avais envie depuis sa création s’est concrétisé au moment où j’avais une expérience certaine et transversale dans la police. Cela m’a permis de remodeler le RAID pour les défis à venir dont nous étions certains qu’ils allaient arriver. J’ai mis en place avec mon équipe et avec l’appui du Ministre de l’intérieur, Monsieur Bernard Cazeneuve, des stratégies pour être efficaces sur le terrain. Ce qui a été le cas avec l’affaire de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes puisque nous avons sauvé tous les otages, ils étaient 26. Le Ministre m’a fait confiance, la stratégie a été efficace sur le terrain même si il y a eu des mises au point après pour améliorer encore nos process. Je suis arrivé à cette période au summum de ce que je pouvais faire en terme de management c’est-à-dire sentir l’événement avec mon équipe, mettre en place des stratégies et techniques qui puissent nous aider à combattre et à réussir en commun. Et c’est quelque chose d’important.

Depuis j’ai séquencé, disséqué, analysé parce que je suis appelé aujourd’hui par des entreprises du secteur public et privé pour animer des conférences sur le management, la gestion de crises, la gestion de la peur, l’agilité d’équipe etc.

Les enseignements que j’ai appris peuvent tout à fait se calquer sur la vie des entreprises. Et je pense aussi au niveau politique. Dans le cadre de toutes mes activités actuelles, je poursuis mon fil rouge qui est de servir -me mettre au service de la population, sans faillir -en respectant mes convictions.

Quel est votre recul sur la vie ?

Je pense très sincèrement que chacun dans sa vie est dans un couloir.

Il y a une limite à droite et une limite à gauche. Ces barrières nous sont nécessaires pour notre vie en commun. Ce sont nos indispensables règles morales, nos valeurs, les lois, toute la somme de nos apprentissages… La largeur du couloir représente notre liberté.

Pour ma part, je reste dans le couloir dans lequel j’ai une totale liberté de choix.
Cela a été le cas en choisissant le RAID, et la politique aujourd’hui.

 

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