Interview de Jean-François Nativité, adjoint du délégué au patrimoine culturel de la Gendarmerie nationale (DELPAT)
08 juin 2020 – Miss Konfidentielle s’est entretenue avec Jean-François Nativité dont le tempérament et le parcours sont intéressants. A l’accent chantant des Pyrénées et de nature spontanée, Jean-François Nativité est aussi un homme passionné par son travail, déterminé, qui a le sens du réseau et autres qualités propres aux anglo-saxons. Une double culture qui lui réussit fort bien.
Bonjour Jean-François,
Vous êtes attaché à vos racines, n’est-ce-pas ?
Absolument. Je suis né dans une petite ville du Béarn située au nord-ouest des Pyrénées, comme mes parents et grands-parents.
Pour autant, j’ai su très rapidement que mon avenir était ailleurs. J’avais besoin de bouger et de voir le monde. C’est donc assez naturellement que j’ai souhaité rompre avec un modèle familial assez normé, simple et discret, pour m’ouvrir à autre chose.
Pour autant, je crois beaucoup au tropisme pyrénéen. Les locaux reviennent presque toujours. C’est ce que j’appelle affectueusement le syndrome du saumon ! On peut partir sereinement sachant que l’on retrouvera tôt ou tard les montagnes là où on les a laissées. Elles sont notre point d’ancrage. C’est mon premier levier.
Vous quittez le nid pour suivre des études
J’ai commencé par m’intéresser à l’histoire. C’était une approche personnelle. Mes grands-parents m’ont beaucoup parlé de leur jeunesse, de la guerre. Ils m’ont transmis leur mémoire. Curieux, j’ai souhaité poursuivre mon apprentissage dans plusieurs directions et environnements afin de croiser les compétences, avec une approche assez anglo-saxonne de la formation, visant à séparer l’environnement d’acquisition des savoir-faire, des contextes postérieurs de leur mise en pratique.
Après avoir obtenu une maîtrise d’histoire contemporaine en 2000 à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, je me suis tout d’abord, passionné pour la recherche. Je tiens d’ailleurs au passage, à remercier Mme Sylvaine Guinle-Lorinet (ma directrice de mémoire de maîtrise) qui a su, à cette époque décisive des choix professionnels, m’insuffler ce soupçon d’envie et de confiance en soi ; qualités qui me furent très utiles pour la suite. Major de promotion en 2001, du DEA d’histoire militaire, défense et sécurité de l’université Paul Valéry (UPV) Montpellier III/ IEP Aix-en-Provence, j’ai été la même année, lauréat d’une allocation de recherche de l’Enseignement supérieur et d’un poste de moniteur. Ce qui m’a permis de préparer dans d’excellentes conditions mon doctorat au sein de l’UPV. Les professeurs Jules Maurin (mon directeur de thèse) et Danielle Domergue-Cloarec (ma directrice de laboratoire) ont été durant ces années de recherche, des soutiens et des conseils de tous les instants. Je souhaite ici à leur rendre un hommage appuyé. Afin d’étoffer ma formation d’enseignant-chercheur, j’ai par la suite, choisi deux voies complémentaires : l’archivistique, en suivant en 2004, un DESS, Métiers des archives à l’université Lyon 3, et le risk-management, en décrochant en 2007 à l’Ecole Nationale d’Administration à Strasbourg, un Mastère spécialisé (MS), Gestion des risques sur les territoires.
Suit votre parcours professionnel. Serait-il possible d’aborder les étapes les plus marquantes ?
Bien sûr. Mon parcours a été guidé par mon second levier, celui des territoires et de leurs stratégies. Logique liée à mon ancrage territorial familial. Mais qui a également servi de fil conducteur à l’ensemble de mes études.
Après cinq années passées dans l’Enseignement supérieur, j’ai rejoint l’ADIT (Agence pour la diffusion de l’Information technologique – agence d’Etat spécialisée dans l’intelligence économique) entre 2007 et 2016. En 2007, la France commençait à expérimenter ses premiers dispositifs d’intelligence territoriale en région avec le soutien technique et opérationnel de l’ADIT. A peine sorti de ma formation à l’ENA, j’ai été plongé dans un contexte professionnel assez unique, mêlant univers scientifiques internationaux, innovation et ancrage territorial. Cela m’a immédiatement passionné.
L’accompagnement des ministères, des collectivités territoriales et des entreprises en tant que consultant, manager, puis directeur du développement territorial de l’agence, m’a permis de façonner au fil du temps, une double culture à la fois publique et privée, des problématiques territoriales de soutien à l’internationalisation des entreprises, et de sécurité économique. Chose très importante pour moi, j’ai pu parallèlement à mon métier de consultant, continuer à enseigner mes disciplines de prédilection à l’ENA et à l’IRIS. Sur un plan plus personnel, j’ai aussi appris les journées de 28 heures et la vie dans les avions ! Avec le recul, ce fut aussi une tranche de vie ultra dynamique, durant laquelle j’ai eu besoin de me prouver que je pouvais relever le défi. Une étape cruciale en matière de construction personnelle.
Après quelque dix années passées à l’ADIT, j’ai rejoint le CNER (Fédération des agences de développement économique) en 2016 en tant que responsable du réseau et du développement, avec l’ambition d’effectuer du lobbying. Il s’agissait essentiellement d’un travail de représentation et de soutien des acteurs du développement économique territorial, auprès des pouvoirs publics. Cet univers de la communication politique et de l’influence n’était pas le mien. Je n’étais pas forcement « aligné » avec les pratiques et usages. Sur un plan personnel, cela manquait d’intérêt et de sens.
Alors âgé de 40 ans, j’ai eu besoin de trouver une alchimie plus durable entre vie professionnelle et vie personnelle. Bref, besoin de retrouver du plaisir et des contenus plus en adéquations avec mes convictions et mon appétit originel pour la recherche historique.
C’est donc tout naturellement que je suis revenu dans le giron de la Gendarmerie nationale. L’institution m’a toujours intéressé. En tant que chercheur, j’y avais consacré ma thèse de doctorat et de multiples articles scientifiques. J’étais également officier de réserve citoyen au sein de l’armée depuis plusieurs années. Donc lorsque fin 2017, on m’a proposé le poste d’adjoint du délégué au patrimoine culturel de la gendarmerie, je n’ai pas hésité bien longtemps !
Depuis juillet 2018, vous êtes l’adjoint du délégué au patrimoine culturel de la Gendarmerie nationale. Parlez-nous de vos missions.
La délégation au patrimoine culturel de la gendarmerie (DELPAT) est une structure rattachée organiquement au cabinet du DGGN – Directeur Général de la Gendarmerie nationale. Implantée au sein du service historique de la Défense (SHD) au château de Vincennes, elle veille au niveau national au recensement et au suivi de l’inventaire du patrimoine de l’institution (matériel, archivistique, mémoriel, immobilier et mécanique), à sa conservation préventive, et à sa mise en valeur au travers d’expositions et de manifestations scientifiques et culturelles. Elle assure également une fonction d’inspection technique du musée de la gendarmerie dirigé actuellement par le capitaine Richard Filmotte, que je salue au passage.
La gendarmerie est très attachée à son patrimoine et à son histoire. En tant que point d’entrée aussi bien du cabinet que des unités, pour les questions culturelles, nous assurons essentiellement des missions de conseil et de contrôle technique. En tant que « tête de réseau », notre périmètre d’action est aussi vaste que passionnant. Entre les questions de symbolique (homologation d’insignes et de brevets techniques) et de mémoire (parrain de promotion, baptême de caserne, etc.), les recherches historiques, les relations scientifiques avec les établissements d’enseignement supérieur, le contrôle technique exercé sur les archives ainsi que sur les collections muséales institutionnelles, ou encore les opérations de communication culturelle menées de concert avec le SIRPA gendarmerie, nous n’avons pas le temps de nous ennuyer !
Parmi les sujets d’actualité, la DELPAT a lancé dernièrement un concours de recrutement de peintres de la gendarmerie. Compte tenu du contexte sanitaire, le jury de sélection se tiendra finalement le 16 septembre prochain. Pour l’heure, nous avons déjà reçu une trentaine de candidatures. A l’instar des autres armées, la gendarmerie souhaite de la sorte, se doter d’une dizaine d’ambassadeurs culturels (peintres, photographes, sculpteurs…) qui sauront durablement représenter l’institution sous ses meilleurs traits ! Pour l’occasion, leurs œuvres seront exposées dans le pavillon de la reine du château de Vincennes durant les journées européennes du patrimoine les 19 et 20 septembre prochains.
A titre plus personnel, cette nouvelle casquette patrimoniale m’a également ouvert de nouveaux horizons. Elle m’a permis tout d’abord, d’intégrer la classe préparatoire intégrée de la gendarmerie (CPI) et l’institut d’études judiciaires (IEJ) de l’université Paris 2 Panthéon Assas, en qualité d’enseignant pour la spécialité « culture générale ». J’ai également été nommé en fin d’année dernière par le parquet national anti-terroriste du TGI de Paris au profit de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (OCLCH) en tant qu’expert « historien et archiviste », dans le cadre de l’enquête préliminaire menée sur la rafle de Marseille en janvier 1943. Au-delà de son caractère passionnant, ce mandat de recherche m’a aussi convaincu de reprendre mes études. Je vais dès la rentrée prochaine, débuter une habilitation à diriger des recherches (HDR) en histoire et sciences politiques afin de pouvoir dans quelques années, encadrer à mon tour de jeunes gendarmes désireux de s’engager dans un parcours doctoral.
A vous écouter attentivement, cette synthèse vous définit-elle justement ?
Vous êtes imprégné par les valeurs béarnaises tout en évoluant professionnellement avec une logique anglo-saxonne de pragmatisme et d’ouverture d’esprit. Vous organisez votre vie tant professionnelle que personnelle sous la forme de tranches de vie et d’expériences afin d’avoir plein d’histoires à raconter plus tard à vos petits-enfants. Vous avez une curiosité la plus positive qui soit. Vous avez eu la chance d’avoir autour de vous des gens qui ont cru en vous, ce que vous appelez des facilitateurs. A votre tour aujourd’hui, vous aidez les autres autant que vous pouvez dans des réseaux.
En effet, vous avez très bien résumé la situation ! Je dirais que je suis passionné des relations humaines.
Aujourd’hui, vous avez du temps pour vous. Comment occupez-vous vos loisirs ?
En prenant ce poste à la Gendarmerie nationale, j’ai changé de cap personnel et je peux désormais voyager pour le plaisir et pas seulement pour travailler ! Je suis déjà parti à l’île de la Réunion et l’île Maurice. J’ai eu un gros coup de cœur pour la Réunion, pour sa qualité de vie, sa nature, sa diversité culturelle. J’envisage prochainement de partir en Floride et en Tanzanie.
J’ai toujours pratiqué le sport. Adolescent, j’ai même fait une année de sport étude « judo ». Aujourd’hui, je me consacre essentiellement à la course à pied, au vélo, et à la randonnée en montagne.
J’ai passé mon enfance dans les montagnes avec de vraies racines qui m’ont donné des valeurs auxquelles je suis attaché : la simplicité des rapports humains, l’humilité par rapport à la nature et le goût des bonnes choses. Aujourd’hui c’est un plaisir que de retrouver mes cercles familiaux et amicaux !
C’est ce que l’on appelle boucler la boucle. Merci Jean-François pour ce partage bien agréable.
Portrait réalisé dans le pavillon de la Reine du château de Vincennes, le 03 juin 2020.