Interview de Sabrina Bizon, psychologue au service de l’Etat

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Le 04 mai 2021 – Miss Konfidentielle a le plaisir de mettre en lumière Sabrina Bizon, attachée à la Bretagne et passionnée par l’Histoire, la sociologie, la psychologie, la criminologie, la justice.. Sabrina Bizon a un destin particulier qui gagne à être connu. Dotée de plusieurs cordes à son arc, elle avance dans la vie en écoutant avant tout son coeur. Une belle personne, discrète, douce, sérieuse. La corde qu’elle souhaite développer plus avant aujourd’hui ? Celle des expertises de psychologue au service de l’Etat. A la lecture de l’interview, vous découvrirez aussi son regard sur notre société et nos institutions.

Bonjour Sabrina,

Vous êtes attachée à vos racines, n’est-ce-pas ?

Bonjour Valérie, oui tout à fait. Même si je suis née à Neuilly-sur-Marne, j’estime être bretonne, de Saint-Brieuc, que j’affectionne.

Je suis attachée à ma famille. Je suis issue d’un milieu modeste avec un papa agent de sécurité, aujourd’hui magnétiseur, et d’une maman secrétaire, aujourd’hui à la retraite.
J’ai un frère et une sœur plus jeune, et à nous regarder nous avons des tailles qui font penser aux frères Dalton dans Lucky Luke (rire).

La famille quitte la Bretagne pour rejoindre la région parisienne et je suis mes études imprégnée des valeurs bretonnes telles que le sens de la famille, de la communauté, le respect de la nature… Pour l’anecdote, j’ai pour projet d’apprendre la langue bretonne (sourire).

Arrivée en région parisienne, en Seine-et-Marne à Chelles…
Je suis les cours à l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée. Je voulais découvrir le monde, la sociologie… et décroche une licence d’Histoire en 2003.

Diplômée, je ne pouvais pas vivre de mes passions lesquelles étaient l’archéologie et l’Histoire. Alors j’ai décidé d’aller au CERPAC (Centre d’enseignement et de recherche privé en analyse comportementale) pendant deux ans et c’est là que j’ai rencontré des policiers, des militaires, des psychologues, des démineurs… En y repensant, des souvenirs extraordinaires me reviennent de cette période.

Sortie de formation équivalente au Bachelor en criminologie avec une mention très bien en 2006 et passionnée par le métier de profiler, je cherche un poste.

Comme je ne pouvais être profiler comme je le souhaitais (à l’époque le profilage ne pouvait être qu’une spécialité à un autre métier comme policier, gendarme, psy, enquêteur privé), je tente le concours d’entrée à la Gendarmerie nationale, et devinez ?), j’ai été recalée trois fois !! Sans doute parce que j’étais d’une grande timidité et que je manquais d’assurance.

J’ai été nourrie par le sens du respect de la Loi à la campagne, enfant et adolescente. Et à la campagne, les gendarmes étaient ceux qui nous protégeaient. A cela s’ajoute qu’au début des années 2000, les gendarmes avaient une image plus sereine que celle des policiers. Dans la Gendarmerie, il y avait une perspective d’évolution bien plus forte qu’en police, et ce grâce aux formations internes. J’avoue que j’ai été un peu influencée aussi par un membre de ma famille chasseur alpin…

Je reviens à ma grande timidité. Il me fallait guérir ! Du coup, j’ai fait de la photo formée par mon papa.

J’ai décroché des postes d’hôtesse d’accueil au sein de plusieurs sociétés. Ces expériences m’ont clairement aidée. J’étais suivie pendant cette période par un psy qui me poussait à devenir psychologue afin d’atteindre mon but : être profiler.

Vous quittez le nid familial 

Comme je fonctionne à l’instinct, au coup de cœur, je décide de poursuivre mes études en allant à l’Université de Nantes afin d’obtenir un Master 2 recherche, psychologie clinique. Parallèlement, j’apportais mon aide à une association d’aide aux victimes (SOS INCESTE POUR REVIVRE à Nantes). Cette expérience était très intéressante. J’ai aidé aussi à l’hôpital nord Laennec de Nantes sur la douleur (Stage professionnel pour le titre de psychologue au sein de l’unité du CETD : Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, cette unité est dédiée aux patients souffrants de douleurs chroniques réfractaires aux traitements. Une expérience pluridisciplinaire unique et riche).

La formation d’un futur psychologue est une expérience marquante et je profite de l’occasion pour saluer mon mentor lors de ce stage Monsieur Frédéric GILLOT, un psychologue aux qualités professionnelles et personnelles exemplaires, ainsi que le professeur de médecine Julien NIZARD qui dirige le service dont la générosité et la bienveillance furent précieuses pour m’aider à avancer.

Diplôme en poche, je rencontre une surveillante pénitentière par hasard. Nous avons sympathisé et à m’écouter m’a poussée à intégrer un centre de détention (j’intégrerai celui de Villenauxe-la-Grande) en tant que psychologue auprès des condamnés définitifs. C’est là que j’ai découvert les différents services de l’établissement, l’univers du ministère de la Justice et celui de l’Intérieur.

J’ai beaucoup appris, apporté sur le sens de la peine, échangé avec les magistrats afin de les éclairer sur des sujets qu’ils n’avaient pas le temps de traiter.

J’étais transparente avec les détenus concernant mes évaluations, je prenais le temps de leur expliquer mes conclusions (souhaitant travailler en Bretagne et être plus proche de ma famille, de mes racines je comprends qu’il sera très difficile d’y obtenir un poste, je trouve tout de même une affectation en région centre qui m’en rapproche : au centre de détention de Châteaudun).

Il y a un vrai sujet de suivi psychologique et psychiatrique en milieu carcéral. L’Institution manque de moyens, notamment sur ce sujet, pourtant urgent afin d’aider les détenus à réintégrer la société du mieux possible à leur sortie. Il faut leur donner des points de repère. Plusieurs enjeux se chevauchent : le travail sur les actes commis afin de construire un parcours de vie hors délinquance/criminalité, un travail de réhabilitation des normes aux yeux des personnes incarcérées pour y rendre leur sens et leur vertu dans le cadre du vivre ensemble, un travail pour les amener à gérer leur vie (gérer un budget, organiser le quotidien, gérer le temps, travailler, suivre les démarches administratives, les obligations de soins, faire face à ses responsabilité familiales, indemniser les victimes, valoriser une vie droite, la question de la santé mentale qui parfois se dégrade à l’épreuve de l’univers carcéral).

L’administration pénitentiaire fait de son mieux mais avec malheureusement peu de moyens. La gestion de la santé au sein des établissements pénitentiaires est réalisée par le ministère de la santé. Elle fournit les moyens possibles pour soigner au mieux, hélas il y a un manque de moyens là aussi tant en personnels qu’en locaux ou en matériels médicaux pour réaliser des examens précis sur place. Les médecins et psychiatres font de leur mieux mais sont extrêmement peu nombreux en particulier les psychiatres, parfois il n’y a qu’une demie-journée par semaine pour les consultations en psychiatrie.

Avec si peu, chacun fait de son mieux, toutefois c’est très insuffisant pour pouvoir mettre en place un suivi qualitatif en santé mentale tant pour les personnes déjà identifiées comme souffrant de pathologies mentales diverses, mais également pour les personnes dont la santé mentale se dégrade pendant l’incarcération ou qui décompensent brusquement en détention. Il est aussi difficile de concilier la logique du soin et celle de la sécurité plus encore lorsque les enjeux de la réinsertion sociale viennent aussi s’ajouter à l’ensemble des enjeux pendant la détention et avec la perspective de la préparation de la sortie. Il y a des psychologues qui interviennent auprès des personnels de l’administration, des psychologues qui travaillent au sein des services d’insertion et de probation, des psychologues qui œuvrent au carrefour des différents services sur le sens de la peine (psychologue PEP, parcours d’exécution de peine) dont j’ai été, et les psychologues des unités médicales. Chacun fait de son mieux mais dans une logique qui est celle des services et il est souvent compliqué de pouvoir se coordonner et d’agir de concert tant les moyens et le temps peuvent manquer pour suivre tous les détenus qui en auraient besoin. Quand les logiques se croisent et que les moyens manquent il reste l’engagement de chacun et des personnes dévouées à leur métier, à leur éthique.

Je reviens à mon parcours. J’ai aussi fait du recrutement en centre pénitentiaire (participation aux épreuves dites orales de recrutement des surveillants pénitentiaires, donc pour un psychologue il s’agit de procéder à la passation des tests de recrutement, la cotation des test, leur analyse, puis un entretien individuel avec chaque candidats et enfin la participation aux délibération avec le jury professionnel composé des représentants des personnels de direction, d’officiers, le surveillants pénitentiaires, et des formateurs).
Eté formatrice auprès des personnels pénitentiaires sur le sujet de la crise suicidaire (animer en binôme des sessions de formation à l’évaluation et à la gestion de la crise suicidaire selon la méthode du professeur Jean-Louis TERRA. Formations à destination des personnels des établissements pénitentiaires qu’ils soient surveillants, membres de l’encadrement, conseiller d’insertion et de probation, etc.).
Je tiens beaucoup à transmettre. Apprendre aux autres les trésors qu’ils ont en eux, j’adore.

J’ai travaillé à Châtaudun et contribué à l’élaboration du projet d’unité dédié aux personnes détenues violentes dans le petit bâtiment, unité étanche du reste de la détention. Une expérience particulière. J’étais une travailleuse de l’ombre à cette époque, soutenue en inter régional.

Concevoir la formation de l’unité, son fonctionnement, former le personnel à la bonne sécurité, former les psychologues… Nous étions un collectif d’une quinzaine de formateurs inspirés sur un modèle du GIGN.
L’idée était de créer une culture commune pour ne pas superposer les couches. Créer des ponts pour être biens et efficaces. Une expérience très intéressante.

Cela a débouché sur l’intégration des éléments de cette formation à l’ENAP à laquelle je suis fière d’avoir participé.

J’ai eu la chance de rencontrer des personnes merveilleuses au sein de cette administration ou grâce à elle, trop pour toutes les nommer. Je suis reconnaissante pour toutes les opportunités qui m’ont été offertes et j’ai eu à cœur de répondre présente à chaque fois. Merci à l’ensemble des collègues de toutes professions et de tous grades, servir à vos côtés fut un honneur et une joie.

Monsieur PASCAL mon premier patron au centre de détention de Châteaudun fut un exemple d’humanité, de générosité, de bienveillance et d’exigence, le genre de personne qui vous pousse à devenir encore meilleur que vous ne le pensiez. Merci à vous.

En 2018, j’ai suivi un DIU de criminologie à l’Université de Lille et j’ai pu y rencontrer des professionnels extraordinaires qui aiment leur métier, qui portent haut leurs valeurs et qui inspirent par leur excellence et leur professionnalisme. Pour n’en distinguer qu’un : Peggy ALLIMANN psychologue au sein du ministère de l’intérieur dont l’enseignement et la qualité des intervention furent marquant pour moi. Elle incarne l’excellence lorsqu’il s’agit d’être pleinement psychologue et totalement engagé aux côtés des forces de l’ordre. Merci pour tout.

Les personnels du ministère de l’intérieur qu’ils soient policiers ou gendarmes m’ont énormément apporté. Travailler avec eux fut d’une grande richesse pour moi, cela m’a amené à sans cesse à réinterroger ma pratique professionnelle afin de sortir du choix entre soin et sécurité pour aller vers la voie de l’équilibre c’est-à-dire servir quand même et ce dans la plus grande déontologie, dans l’éthique afin de pouvoir devenir un atout pour eux lorsque cela est pertinent. Vous avez été des enseignants et des partenaires que je m’estime privilégiée d’avoir côtoyés.

Au regard de l’évolution de notre société, avez-vous des messages à faire passer ?

J’ai vu le basculement des jeunes en banlieue (j’ai vécu près de 18 ans en région parisienne et j’ai pu observer l’évolution des comportements délictuels et violents. Il y a maintenant près de trente ans les groupes étaient moins nombreux et plus structurés, une hiérarchie existait et progressivement les groupes se sont multipliés, et sont devenus de plus en plus concurrentiels entre eux, la violence qui était majoritairement utilisée à des fins « utiles » est devenues omniprésente même lorsqu’elle n’est daucune utilité pour parvenir à ses fins, il faut montrer que l’on est fort, le plus fort et qu’il est inutile de répondre donc la violence est développée quantitativement et les actes très violents sont devenus plus régulier, jusqu’à atteindre l’ultra violence. Lorsque j’étais adolescente on ne cherchait pas à tuer du flic, si une tentative de meurtre avait lieu s’était en réponse à quelque chose, une énorme perte de business ou la perte d’un réseau et ce n’était pas répandu. Aujourd’hui être policier ou gendarme est une provocation en soi pour des groupes de délinquants et pour des jeunes en perdition), la violence est devenue ultra violence.
Et le phénomène s’étend.
La fracture n’est pas si frappante quand on l’a vu évoluer. C’est un désaveu des forces de l’ordre. Je pense à l’exemple de Viry-Châtillon. Une violence terrible à l’encontre des policiers.

Les psychologues ne sont pas toujours bien perçus. Pour autant, je pense que cela pourrait aider. Un véritable engagement auquel je tiens, pour le bien du service public. Nos institutions n’ont pas toujours les moyens mais des questions se posent : Qu’est-ce qui est possible ? Qui fait quoi ? …

Je pense qu’il est important de permettre aux détenus de s’amender. Autrement dit, j’assume ce que j’ai fait et je travaille pour rejoindre sereinement la société.

Aujourd’hui, on n’accepte pas la sanction négative, comme à l’école par exemple, or il faut que les détenus prennent conscience de ce qu’ils font. La force de la loi doit être portée.

Quelles sont vos actualités … 

Depuis le 1er avril 2021, j’ai ouvert mon cabinet en libéral à Nantes. C’est une opportunité pour moi de pouvoir m’installée en Bretagne, heureuse d’être rentrée au pays et d’y vivre à nouveau. L’activité principale actuelle est la consultation psychologique d’un public adulte qu’il s’agisse d’accompagner une personne en difficulté ponctuelle, en questionnement dans un moment charnière dans sa vie ou de réaliser un suivi thérapeutique pour des traumatismes par exemple, ou même d’accompagner une personne dans une réflexion sur une démarche judiciaire, de préparer un dépôt de plainte et de soutenir la personne le temps de la procédure.

Cette installation en indépendante me rend aussi une liberté d’entreprendre des choses nouvelles et de pouvoir réaliser des partenariats dans le cadre de formations, de sensibilisation, de conseils. Je reste engagée et convaincue que ma profession peut apporter une plus-value à la justice comme en terme de sécurité lorsque les psys sortent de la seule logique du soin pour se mettre au service d’autres corps professionnels.

Je ne suis pas une mercenaire dans mon parcours de psychologue mais une femme engagée avec la volonté de servir l’Etat, de me sentir utile au service public.

Mais comme je ne retrouve plus aujourd’hui ma place dans les postes salariés proposés en ce moment, j’ai besoin de vire les valeurs qui me portent depuis l’enfance, je suis récemment partie pour créer ma structure en cabinet libéral pour suivre mon chemin comme je le sens. Du moins pour le moment », il s’agit de retrouver une liberté d’entreprendre et de redevenir une force de proposition au gré des échanges pluridisciplinaires que j’aime tant.

J’aime être au chevet de.. Je viens en humilité avec ce que je suis, inspirée tant par l’art que par la physique quantique, le Dalai Lama, le général De Gaulle… »

Je pense que si on apprend comment on fonctionne, on utilise à bon escient sa propre boîte à outils et au besoin on l’étoffe.

Du coup, je conçois mon travail comme un art et fait feu de tout bois. Du sur-mesure.

… et projets ?

Oui, j’ai envie de réaliser des formations issues de mon parcours professionnel afin de pouvoir continuer à être une plus-value pour les forces de sécurité de notre pays par exemple.

Avec des formations nouvelles, j’écoute et j’aide à ajuster comme avec des lunettes de sniper.
Une citation me plaît beaucoup : « IIs ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » Mark Twain

Vous avez d’autres centres d’intérêt me semble-t-il

La randonnée, les animaux en particulier les miens (chats, chiens), la lecture, les documentaires (j’adore apprendre de nouvelles choses), la musique en général et bretonne en particulier, la méditation, l’auto-défense, la course à pied, l’escalade, les films et le cinéma quand c’est possible, le théâtre.

Miss Konfidentielle vous souhaite d’avancer comme vous le souhaitez avec toute la bienveillance qui vous est propre. Avoir envie, savoir aider les autres ne peut être que bénéfique pour la société.


Note importante

  • Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges, auteur de l’interview, avant de reproduire tout ou partie de son contenu sur un autre media.
  • Il est obligatoire de respecter les légendes ainsi que les copyrights des photos.

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