Le 5 mai 2022 – Nous sommes tous concernés par les jeunes et leur avenir. Qu’il s’agisse de nos enfants, petits-enfants, proches … Comme nous avons conscience qu’il est complexe pour les jeunes d’évoluer dans une société fracturée en bien des points et qui cherchent des lieux de cohésion afin de se créer un socle solide avec des valeurs permettant de se structurer et de s’épanouir en bonne intelligence.
Béatrice ANGRAND, présidente de l’Agence du Service Civique apporte une réponse ou des réponses à notre jeunesse avec détermination et réussite. Un grand remerciement à elle et ses équipes. L’interview a été réalisée dans son bureau sur des sujets sérieux, puis plus détendus.
Une grande part d’improvisation a guidé notre échange très agréable.
Bonjour Béatrice,
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’Agence du Service Civique ?
L’Agence du Service Civique, constituée sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), a été créée en 2010. Elle assure à la fois la mise en œuvre du Service Civique et, depuis 2016, la déclinaison française des volets Jeunesse & Sport du programme européen Erasmus+. Depuis 2018, l’Agence est aussi en charge du déploiement du Corps Européen de Solidarité, un programme de volontariat financé par l’Union européenne, autrefois appelé Service volontaire européen. L’Agence pilote également un centre de ressources européen « SALTO-YOUTH Euromed » consacré à la coopération euro-méditerranéenne.
Je préside cette Agence depuis mars 2019 aux côtés du Directeur général David KNECHT. A ce titre, je suis notamment la Présidente du Conseil d’administration de l’Agence et celle du Comité stratégique.
L’Agence du Service Civique est placée sous tutelle du ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse.
Le Service Civique est une politique de jeunesse et un dispositif de volontariat qui permet aux jeunes de 16 à 25 ans, jusqu’à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap, de s’engager, pendant 6 à 12 mois, au service de l’intérêt général. En échange de cet engagement, les volontaires reçoivent une indemnité (580€/mois), des formations et un tutorat. Le tuteur a notamment pour mission d’accompagner le volontaire dans son projet d’avenir.
Le Service Civique n’est pas un dispositif de formation, ni d’insertion professionnelle, même s’il y contribue fortement du fait des nombreuses compétences acquises par le jeune pendant son expérience de Service Civique.
Depuis 2010, ce sont plus de 610 000 jeunes qui ont fait un Service Civique dont 425 000 depuis 2017.
Quels sont les faits marquants depuis le début de votre mandat, le 27 mars 2019, et les actualités qui vous viennent à l’esprit spontanément ?
Dès le début de mandat, j’ai voulu mettre en place beaucoup plus de synergies entre le Service Civique et les programmes européens. Par ailleurs, comme les premières expérimentations du SNU commençaient à se déployer, j’ai travaillé aussitôt à positionner nos programmes pour qu’ils trouvent toute leur place au sein du SNU, comme offre structurante de la phase 3 prévue par ce dernier. Enfin, avec les équipes, nous avons accentué la dimension interministérielle du Service Civique. Tous les grands ministères français et/ou leurs opérateurs accueillent des volontaires dans leur domaine de compétences. C’est un aspect qui me semblait devoir être mieux animé.
Je me suis également attachée à déployer des mesures qui fassent vivre la communauté des volontaires : rassemblements, réseaux sociaux etc. Je veille à prendre en compte les attentes des jeunes dans la définition de cette politique publique. C’est pourquoi l’axe de la transition écologique et de la protection de la biodiversité doit être renforcé.
Puis, nous avons été rattrapés par la crise sanitaire ! C’est alors que nous avons encouragé les organismes d’accueil à créer plus de missions dans des domaines accrus ou révélés pendant la crise : la santé (des cohortes d’ambassadeurs des gestes barrière ou bien des jeunes engagés dans des centres de vaccination), la lutte contre l’isolement des seniors (en accompagnant le programme Service Civique Solidarité Seniors), la continuité pédagogique (avec le Ministère de l’Education nationale et des associations comme l’AFEV).
Par ailleurs, avec le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et à l’Engagement, nous avons développé le Service Civique dans les collectivités territoriales (principalement des communes et communautés de communes). Nous avons notamment ciblé les grandes métropoles françaises et avons ainsi multiplié les projets dans lesquels la politique publique d’Etat du Service Civique se conjugue avec des besoins locaux sur des actions de proximité, au plus près des citoyens (écologie, handicap etc..). Une association comme Insite par exemple est un très bon relai entre le Service Civique et les communes dans les territoires ruraux.
Nous développons également le Service Civique autour de la thématique sports, en nous appuyant notamment sur la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La campagne de labellisation des missions « Héritages des Jeux » a été lancée, en coopération avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques(COJO). Ce programme gagnera en importance dans les mois qui viennent.
Sur le plan européen, les crédits d’Erasmus+ Jeunesse et Sports augmenteront de 80% d’ici 2027 et le Corps européen de Solidarité doit aussi se déployer. Celui-ci bénéficie à 4000 jeunes par an. Nous avons besoin de plus de moyens. Notre objectif en tant qu’Agence rassemblant cet ensemble de programmes est de multiplier les passerelles entre le Service Civique et les programmes européens afin que plus de jeunes, notamment des jeunes ayant moins d’accès à la mobilité, puissent vivre une telle expérience en Europe. C’est ce que le Président de la République a appelé de ses vœux en mentionnant un « Service Civique européen » lors de sa conférence de presse de lancement de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE).
Comme mis en lumière dans les grandes étapes passées, l’Agence déploie une grande souplesse pour se mobiliser à la fois dans le déploiement d’actions de réponse à l’urgence et de mesures plus structurelles ayant vocation à être instaurées sur un long terme.
Dans tous ces événements marquants, j’ai deux fils rouges que nous déployons grâce au travail de l’ensemble des services de l’Agence: faire en sorte que le Service Civique bénéficie à tous les jeunes quel que soit leur environnement socio-culturel, en particulier aux jeunes les plus éloignés, les plus défavorisés et également m’assurer que ces missions de Service Civique (en moyenne 8 mois) soient des missions de qualité qui ne se substituent pas à des emplois, au cours desquelles le volontaire accèdera à une formation civique et citoyenne de bon niveau et bénéficiera de l’accompagnement d’un tuteur formé qui le guidera dans son projet d’avenir. Nous avons à cœur de garantir aux volontaires une expérience réellement transformatrice qui constitue un tremplin vers leur autonomie à un âge de la vie où l’on est en quête de sens et d’identité.
Les projets liés à l’actualité
Le premier semestre 2022 est très fortement européen pour l’Agence, qui participe activement à la PFUE. Comme je l’ai dit, le gouvernement nous a demandé de renforcer l’offre de mobilité européenne. Cela me parait tout à fait important à ce moment de l’histoire de l’Europe où l’on prend conscience de la valeur fondamentale de la paix et que celle-ci n’est jamais acquise.
Développer le sentiment d’appartenance à l’Union européenne, donner plus d’outils pour comprendre le fonctionnement des institutions et inciter la jeunesse à plus de mobilité, voilà une des actualités de ce 1er semestre 2022.
Enfin, il faut se réjouir de l’inscription du Service Civique dans le Contrat d’Engagement Jeunes (CEJ), nouveau dispositif pour lequel l’Agence accompagne la montée en charge avec Pôle Emploi et les missions locales.
Quelles sont les grandes étapes de votre parcours professionnel ?
J’ai commencé ma vie professionnelle à l’Université de Rostock, à l’est de l’Allemagne après la chute du mur où j’avais été nommée par l’ambassade de France à Bonn (Bonn était alors la capitale de la République fédérale allemande) comme attachée de coopération universitaire. Après deux ans, j’ai été nommée directrice de l’institut français de cette ville. Le centre culturel français proposait une bibliothèque, des cours de langue, des manifestations culturelles. J’ai créé un cinéclub avec une association étudiante, dans lequel étaient diffusés 50% de films français et 50% de films européens. Je suis donc restée 5 ans à l’est de l’Allemagne pour promouvoir la langue, la culture françaises et les relations universitaires. J’ai le sentiment d’avoir vécu l’Histoire de la réunification allemande en direct.
De là, j’ai été envoyée par le quai d’Orsay à Timisoara en Roumanie où j’ai dirigé le centre culturel français. La francophonie était alors très vive en Roumanie, ce qui rendait les actions du centre culturel très gratifiantes.
De retour en France, je suis entrée chez ARTE, où j’ai été pendant 10 ans en charge du projet de développement stratégique et conseillère des présidents. A la suite de cette expérience, j’ai été nommée au poste de Secrétaire générale de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse. J’y ai effectué près de deux mandats avant d’être nommée à la présidence de l’Agence du Service Civique
J’ai la chance d’avoir un parcours qui m’a permis de conjuguer les thématiques de l’Histoire et de la mémoire, la culture, l’apprentissage interculturel et, bien sûr, l’éducation, la pédagogie et la jeunesse.
Au fil de mon parcours, des grandes personnalités m’ont marquée
Je pense évidemment à Jérôme CLEMENT avec qui j’ai travaillé avec grand plaisir chez ARTE. Il a consacré toute sa vie professionnelle à la politique culturelle.
J’ai également beaucoup admiré mes deux ambassadeurs, le regretté Bertrand DUFOURCQ et François SCHEER, avec qui j’ai travaillé durant mes années passées en Allemagne. .
A l’OFAJ, avec mon homologue allemand, Markus INGENLATH, nous avons construit tout une approche pour faire contribuer cette institution au centenaire de la Première Guerre mondiale. Markus est un des rares historiens Allemands à bien connaitre l’histoire de ce conflit. Ce fut passionnant de travailler en ce sens avec lui, en coopération avec la Mission du Centenaire.
Et, parmi les femmes évidemment, j’ai eu la chance de rencontrer Simone VEIL. La rencontre avec Michelle PERROT, que j’ai invitée à donner une conférence au Centre culturel français de Timisoara, fut également inoubliable. Elle a bien sûr fait salle comble. Je croise aussi de nombreuses jeunes femmes dans le milieu associatif qui ont une énergie contagieuse !
Avez-vous une vision sociétale ?
Je répondrais sous l’angle des politiques de jeunesse. Je crois dans les vertus de la complémentarité éducative et de l’approche holistique.
Evidemment, la formation et l’éducation doivent transmettre les savoirs fondamentaux, des expertises professionnelles. Cependant, les expériences d’apprentissage non-formel ou informel que peuvent entreprendre les jeunes, dans lesquelles ils sont « en situation », doivent tout autant être encouragées et valorisées. Il me semble que si l’on porte un regard sur l’enfant et le jeune en le considérant comme un citoyen, un être autonome autant que comme l’élève, ou « l’enfant de », il lui sera plus aisé de se découvrir, d’être conscient de ses compétences et donc de mobiliser ses énergies, sa confiance en lui.
Par ailleurs, je suis convaincue qu’il faut que chacun ait la chance de connaitre ses racines, son Histoire. A cet égard, je trouve que le rapport de Benjamin Stora remis au président de la République sur « les questions mémorielles sur la colonisation et la guerre d’Algérie » marque une étape importante dans cette direction. De la même manière, il faut absolument enseigner l’histoire de la Shoah et permettre à plus d’élèves ou de jeunes, en les préparant (c’est un point fondamental), de se rendre à Auschwitz pour appréhender ce lieu de mémoire nécessaire à la prise de conscience des effets du racisme et de l’antisémitisme et, partant, à la poursuite de la construction de la paix en Europe.
Ces jeunes, vous les rencontrez sur le terrain ?
Absolument.
D’ailleurs j’ai de nombreuses photos près de mon bureau comme vous pouvez le voir. On y voit des hauts décideurs politiques ou des artistes comme des enfants d’écoles maternelles bilingues ou encore des apprentis. Elles remontent à ma période à l’OFAJ
Sur d’autres photos, ce sont des jeunes que j’ai rencontrés à des occasions différentes, comme à Marseille avec des jeunes engagés en Service Civique dans l’association des Petits frères des pauvres ou des volontaires du Corps Européen de Solidarité qui effectuent des missions de Service Civique à l’international avec l’association strasbourgeoise Visa-AD.
Il y a quelques semaines, j’étais en Guadeloupe. Les rencontres ont souvent porté sur des sujets environnementaux. Les jeunes m’ont montré comment, dans une petite ville du nom de Baie-Mahault, ils animent un jardin partagé. Grâce à cela, ils expliquent à des classes entières le fonctionnement de la nature ou bien comment on fait pousser des plantes pharmaceutiques.
Fin avril, je ferai une maraude avec des jeunes à Lille ; en juillet dernier, j’ai passé du temps avec des jeunes dans un centre de vaccination…
Vous voyez c’est extrêmement varié. Ce sont des expériences issues de l’« éducation non-formelle », qui sont essentielles pour que, comme je le disais plus haut, l’éducation prenne une dimension globale. Elles donnent souvent une chance supplémentaire à des jeunes de se découvrir, de prendre confiance en eux, de se révéler par-delà les parcours académiques. Cela contribue à l’égalité des chances et font concrètement participer la jeunesse.
Proposez-vous des missions en partenariat avec les corps en uniforme ?
Dans l’armée, avec un agrément animé par la DSNJ, Direction du service national et de la jeunesse, on trouve de très belles missions de Service Civique, notamment celles grâce auxquelles les jeunes sont des ambassadeurs du lien armée-jeunesse.
Ainsi, les jeunes se déplacent sur des salons, dans des écoles pour présenter les métiers et la mission des armées. Au sein du ministère de l’Intérieur également, des jeunes font le lien entre la police et la jeunesse dans des quartiers difficiles ou bien, comme dans les Outre-mer, effectuent des actions de prévention en milieu scolaire.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet du handicap ?
1,8% de jeunes volontaires en Service Civique sont en situation de handicap. Il s’agit de la statistique déclarée c’est-à-dire celle qui retrace la dérogation au-delà de 25 ans. Dans la réalité, ils sont sans aucun doute beaucoup plus.
Nous travaillons très en lien avec avec l’AGEFIPH et le FIPHFP pour promouvoir le Service Civique auprès des jeunes en situation de handicap mais également pour développer des outils et faciliter l’accessibilité des missions. L’Agence essaye de tisser des liens avec les MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) ou les ARS afin qu’elles nous aident à faire connaître le Service Civique auprès des jeunes et des parents.
Notre politique consiste en de l’information, de la communication et des aides très ciblées, très volontaristes avec des résultats qui sont en progression et doivent être consolidés sachant que nous accueillons les jeunes en situation de handicap visible et non visible.
Comment cela se passe-t-il avec vos partenaires institutionnels, associatifs ?
Dans mes fonctions, il existe une dimension ministérielle très forte puisque les programmes ou les axes de travail de l’Agence sont souvent adossés à des politiques publiques ministérielles comme la transition écologique, le handicap, le grand âge, l’éducation, les armées. Pour autant, ce sont les associations qui accueillent le plus de volontaires en Service Civique et, dans les programmes européens, elles sont particulièrement actives. L’enjeu est d’animer cet écosystème varié avec la plus grande transversalité possible, en impliquant toutes ces organisations, en créant du commun par-delà les spécificités et les intérêts de chacun.
Dans tous les cas, les jeunes en Service Civique, parce qu’ils apportent des savoir-être, des compétences, un regard différent sur les pratiques, aident les organismes à se renouveler. parfois. Dans la vie associative, il arrive souvent que ces jeunes restent bénévoles ou intègrent les instances de décisions.
Nous allons terminer avec les loisirs, source d’équilibre
J’essaye de réserver du temps pour faire du sport, forcément une heure le samedi et une heure le dimanche. Parfois le matin, très tôt, je vais faire un footing ou fais une heure de vélo d’appartement. L’été, je nage beaucoup. Se « défouler », s’aérer l’esprit, ce sont souvent dans ces moments que je trouve de l’inspiration, que je recharge les batteries dont j’ai besoin pour faire face à un agenda chargé de déplacements, de prises de parole en public et d’animation d’équipes. Je double souvent ces moments sportifs de l’écoute de musique ou d’un bon podcast, comme récemment L’histoire des femmes de Michel Perrot sur France Culture ou Sauce algérienne sur Spotify. Je suis passionnée par mon travail. Pour le faire bien, il faut être en forme !
J’aime aussi lire et aller au cinéma. J’aime le cinéma asiatique mais je ne rechigne pas non plus à revoir des bonnes comédies françaises. Dans les ouvrages contemporains lus récemment, j’ai beaucoup aimé « Connemara » de Nicolas Mathieu ou « Le lambeau » de Philippe Lançon. L’été, j’essaye de relire de grands auteurs classiques, Victor Hugo ou Flaubert.
Victor Hugo est visionnaire. J’admire par exemple profondément le discours qu’il a prononcé au Congrès international de la Paix le 21 aout 1849 à Paris dans lequel il a appelé les grands pays d’Europe à se rassembler. Plus d’un siècle avant Jean Monnet ou Robert Schumann.
Enfin, j’aime voyager. Je pense à l’Italie et la Grèce.
En Italie, j’apprécie le sens de l’accueil, la chaleur humaine, la musicalité de la langue. Cette beauté des villes conjuguée à celle des paysages est fascinante. Je ne me m’en lasse pas.
J’ai par ailleurs un lien un peu nostalgique à la Grèce car j’ai fait du grec ancien au collège et au lycée. Même si j’ai beaucoup souffert avec mes professeurs exigeants, je reste une admiratrice des tragédies grecques, notamment lorsqu’elles mettent en scène les liens familiaux. Leurs auteurs ont eu un œil acéré, une formidable intuition. Freud s’en est inspiré des siècles et des siècles plus tard.
Note importante
Il est strictement interdit de copier tout ou partie du contenu de l’article sans accord préalable écrit de Valérie Desforges.
Il est strictement interdit d’utiliser les photos publiées dans l’article © Valérie Desforges