Tribune de Marie Lawrysz, Procureure de la République près le tribunal judiciaire de Compiègne

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Le 13 avril 2022, je vous invitais à découvrir plus avant Marie Lawrysz, Procureure de la République près le tribunal judiciaire de Compiègne, pleine d’énergie, engagée, spontanée et sincère.

Nous avons conservé le lien et vous donner de ses nouvelles ce 18 août 2022 est une joie ! Ses responsabilités aujourd’hui, ses actualités, ses projets sont au programme sans négliger de considérer la partie détente de cet été.

Des dédicaces sont adressées à Mme Nadine DUBOSCQ, Maître Gwenaëlle VAUTRIN, Pierryck BOULET, Docteur Bernard MARC, Mme Nathalie HASSINI, François PAREZYS, Irène VALLEJO.

A noter que Marie Lawrysz est une belle figure du ministère de la Justice à suivre.

Bonjour Marie,
Quelles sont vos responsabilités aujourd’hui suite à votre dernière interview ?

J’occupe toujours les fonctions de procureur de la République près le tribunal judiciaire de Compiègne. Arrivée en septembre 2020, je vais fêter ma deuxième année en qualité de procureur.

Mes responsabilités sont donc identiques à celles évoquées lors de notre dernière rencontre. Certaines d’entre elles sont assumées en concertation étroite avec Mme Nadine DUBOSCQ, Présidente du Tribunal Judiciaire de Compiègne, et Mme Morgane RAOUX la Directrice de greffe.

Il serait pertinent de partager vos actualités depuis votre interview 

Depuis nos derniers échanges, les sujets de préoccupation du parquet de Compiègne n’ont pas évolué, la politique pénale demeure axée sur la lutte contre :

  • les trafics de stupéfiants

Si l’actualité demeure, les modalités d’action se sont en revanche encore diversifiées.

S’agissant de la lutte contre les trafics de stupéfiants, alors que les consommateurs sont verbalisés (amende forfaitaire délictuelle) ou poursuivis, les vendeurs de voie publique, déferrés et assez lourdement condamnés, les quelques logisticiens des trafics étant par ailleurs visés dans le cadre d’informations judiciaires, il a semblé essentiel de renouer avec les adolescents, lesquels sont en prise directe avec les produits et les trafics.

Comme déjà évoqué ensemble, nous nous sommes engagés dans des actions de prévention contre l’usage de stupéfiants auprès de 7 collèges du ressort, à l’initiative de Maître Gwenaëlle VAUTRIN du Barreau de Compiègne, aux côtés de gendarmes et de médecins.
Au cours du mois de mai, mes collègues parquetiers et moi, avons rencontré plus de 1 000 élèves de classe de 5ème.  Outre la présentation des différentes substances stupéfiantes en vente sur l’arrondissement judiciaire, les mécanismes de l’addiction et les risques encourus sur le plan sanitaire, social et pénal, le sujet de la participation aux trafics en qualité de guetteur, de transporteur, a été abordé.
Nous avons tous été étonnés par le niveau de connaissance des enfants en la matière. La question de l’âge des collégiens avait été discutée, certains pensant qu’il convenait de réserver nos interventions aux élèves de 3ème.

Mais en réalité, à 12- 13 ans, les enfants en savent déjà beaucoup. Les messages que nous pouvions adresser il y a encore quelques années aux collégiens de 15 ans ne sont plus adaptés. En revanche, en classe de 5ème, peu d’élèves ont expérimenté une drogue, notamment le cannabis. Il s’agit donc d’un âge où les actions de prévention sont opportunes.
La question de l’usage du protoxyde d’azote a également fait l’objet de discussions animées avec les enfants. Ils n’étaient pas nécessairement conscients des conséquences sanitaires réservées à une telle consommation. Enfin s’agissant de l’organisation des trafics de stupéfiants, je citerai l’exemple d’un élève qui m’a discrètement fait signe afin de me préciser le montant exact de la rétribution d’un guetteur au sein d’un secteur donné, lequel avait manifestement diminué en l’espace de quelques procédures judiciaires…

  • les violences intrafamiliales

En matière de lutte contre les violences intrafamiliales, notamment conjugales, nous avons poursuivi nos actions à l’égard des victimes et à l’encontre des auteurs.
De nouveaux téléphones grave danger (TGD) ont été attribués. De nouveaux bracelets anti-rapprochement ont été prononcés. Notre collaboration avec l’association France Victimes 60 se renforce quotidiennement également, à travers l’expérimentation des boutons d’alerte « MonSherif » et le déploiement de l’application « App-Elles ». Ainsi, 19 bracelets anti-rapprochement ont-ils été prononcés par la juridiction de Compiègne depuis avril 2021. 13 TGD sont attribués et 35 boutons d’alerte « MonSherif » ont été remis à des victimes.

La prise en compte de ces dernières et leur accompagnement est toujours perfectible mais la mobilisation des partenaires de la juridiction et des magistrats du tribunal de Compiègne est évidente.

Demeurait cependant la question de la prise en charge et du suivi des auteurs de violences conjugales pour prévenir le risque de récidive. Le parquet a donc signé le 29 juin dernier un protocole permettant la création d’un centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales qui permet d’évincer le conjoint violent du domicile afin que la victime ne soit plus contrainte de quitter les lieux, souvent en compagnie des enfants. Le conjoint violent bénéficie alors d’un hébergement dédié ainsi que d’une prise en charge thérapeutique. L’engagement de l’association enquête et médiation (AEM-Antony PELEMAN) ainsi que la déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité de l’Oise a permis la concrétisation de ce projet.

Enfin, nous avons renforcé notre collaboration avec la direction départementale des finances publiques (DDFIP) de l’Oise afin d’améliorer le recouvrement des amendes impayées.
Le parquet de Compiègne a signé une convention en octobre 2021 permettant la saisie des sommes d’argent trouvées en possession de personnes placées en garde à vue, dès lors qu’elles sont redevables du paiement d’amendes forfaitaires, d’amendes pénales ou de droits fixes de procédure.
Les services de police et les unités de gendarmerie du ressort ainsi que le parquet de Compiègne se sont pleinement emparés de ce dispositif et des sommes importantes ont ainsi pu être saisies par la DDFIP indépendamment des poursuites pénales engagées.
A titre d’exemple, le 3 août dernier, un individu placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête en flagrance pour port d’arme prohibée diligentée par le commissariat de Compiègne, a été trouvé en possession de près de 2 000€ en espèces, lesquels ont été immédiatement saisis par l’administration fiscale, eu égard au montant des amendes dont il ne s’était jamais acquitté du paiement.

Je me réjouis de constater que cette convention a dépassé le simple stade d’un partenariat symbolique sur le ressort du parquet de Compiègne et que ses dispositions sont effectivement mises en œuvre régulièrement. Ce dispositif contribue à l’efficacité de la réponse judiciaire, à lutter contre l’économie souterraine et permet de contrer l’organisation d’insolvabilités.

Miss K : Une illustration des actions menées par Marie Lawrysz 

Marie Lawrysz à la Signature de la convention CPCA (centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales) © Marie Lawrysz

Aujourd’hui, quels sont vos sujets ?

L’arrondissement judicaire de Compiègne demeure marqué par les trafics de stupéfiants, en particulier de crack et d’héroïne.

L’engagement quotidien des policiers et des gendarmes est remarquable pour démanteler les trafics. De nombreuses opérations ont été organisées notamment par le Commissaire Pierryck BOULET sur les lieux d’implantation de certains trafics. Le groupe stupéfiants du commissariat n’a pas à rougir de ses résultats.

En riposte aux nombreuses interpellations qu’ils ont effectuées ayant d’ailleurs donné lieu à de lourdes condamnations pénales, les policiers du commissariat de Compiègne ont ainsi été victimes à 85 reprises d’actions violentes (jets de projectiles, tirs de mortiers d’artifice) courant fin 2020-fin 2021. Si une certaine forme d’accalmie se dessine depuis quelques mois, les atteintes aux forces de l’ordre étant moins nombreuses, elle suscite une vigilance d’une nature différente, la physionomie des trafics ayant rapidement évolué.

Le trafic de voie publique a cédé la place à un trafic plus discret, dématérialisé, organisé via les réseaux sociaux.

Il est en outre apparu au gré des procédures que « la main d’œuvre locale » animant les points de vente se raréfiait, contraignant ainsi les organisateurs des trafics à « recruter des intérimaires » provenant d’autres départements (Essonne, Val-de-Marne, Nord, Alpes-Maritimes…).

Une politique pénale adaptée à cette évolution a été mise en œuvre par le parquet, se traduisant par le déferrement de ces personnes et leur condamnation à des peines d’emprisonnement et des interdictions de séjour à Compiègne.

Je ne sais pas encore si un lien peut être tissé entre cette répression systématique et l’apparition de nouveaux trafiquants, mais de très jeunes mineurs (11-13 ans) placés au sein de foyers de l’aide sociale à l’enfance (ASE), participent désormais à ces trafics. A l’issue d’échanges avec les représentants du conseil départemental chargé de l’aide sociale à l’enfance, le constat d’un manque de moyens notamment humain a été dressé.
Il faut savoir qu’au sein d’un foyer accueillant une douzaine d’enfants placés (relevant de l’assistance éducative), seuls trois éducateurs sont présents. La nuit, un seul surveillant demeure dans le foyer. Les fugues sont évidemment régulières.
Aucune réponse pénale à l’encontre de ces enfants participant aux trafics n’apparait adaptée. La solution réside ailleurs, sans doute par la prise en compte de ce sujet sur le plan national, l’aide sociale à l’enfance étant confrontée à de sérieuses difficultés de moyens et de manque d’effectifs qui se pérennisent.

Au-delà de ce sujet qui a occupé le parquet courant juillet, je m’attelle aujourd’hui à organiser l’arrivée de mes nouveaux collègues substituts. J’ai travaillé aux côtés de trois collègues durant 2 ans, lesquels seront installés au sein d’autres juridictions fin août. Leur départ marque un tournant pour mes premiers pas de procureur de la République.

Afin de faciliter la prise de poste de mes trois nouveaux collègues qui sortent de l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM), j’œuvre à la finalisation du « Memento » du parquet. J’ai eu la chance de les rencontrer à plusieurs reprises, notamment lorsque je suis intervenue à l’ENM. Je ne doute pas que nous formerons tous les 4 une équipe motivée et dynamique, à l’instar de la précédente. Je suis particulièrement confiante s’agissant de la formation dont ils ont bénéficié. Voici l’occasion de souligner la qualité de l’enseignement dispensé par l’ENM, cette école de l’excellence que de nombreux pays nous envient.

Avez-vous des projets à évoquer ?

Pour le second semestre 2022 et l’année 2023, je souhaite pourvoir renforcer encore notre action en matière de lutte contre les violences intrafamiliales.

Outre le recrutement d’un assistant chargé du suivi de telles procédures, j’espère pouvoir conduire des sessions de sensibilisation auprès des maires et des médecins libéraux. J’ai déjà eu l’opportunité de participer à une telle rencontre en juin dernier avec le Docteur Bernard MARC de l’unité de médecine légale (UML) de Compiègne et Mme Nathalie HASSINI, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité de l’Oise. De telles rencontres mériteraient d’être renouvelées.

Naturellement, les actions de prévention au sein des collèges se poursuivront sous réserve du contexte sanitaire. Si le sujet des usages de stupéfiants sera évidemment abordé, certains chefs d’établissements m’ont d’ores et déjà fait part de leur souhait d’évoquer d’autres thématiques comme le harcèlement et l’égalité femmes-hommes.

Vous aurez néanmoins noté que l’actualité porte depuis quelques semaines sur la réforme de la Police nationale. Elle questionne, elle inquiète, notamment les procureurs et les juges d’instruction. Le département de l’Oise expérimente la réforme depuis le 1er mars 2022. Cette expérimentation s’effectue à droit constant, sans modification des textes réglementaires.

Il n’est pas contestable que les missions de police judiciaire connaissent une désaffection depuis des années. Les policiers qui intègrent la police judiciaire et qui y demeurent sont rares. Ce constat est particulièrement criant en matière économique et financière où les officiers de police judiciaire (OPJ) se comptent souvent sur les doigts d’une seule main, au demeurant partiellement amputée.

A cette difficulté s’ajoute une certaine forme de concurrence entre les services de sécurité publique et de police judiciaire (PJ). Aucun parquetier ne pourra honnêtement vous dire qu’il n’a jamais été contraint d’engager des discussions parfois interminables avec les chefs de service (sécurité publique et PJ) avant de pouvoir saisir l’un d’entre eux de la poursuite d’une enquête. On vous apprend dès vos débuts de parquetiers que tels types de faits relèvent en principe de la police judiciaire, conformément au protocole, mais votre pratique vous enseigne rapidement que les sous-effectifs de la PJ et d’autres contraintes qui peuvent vous échapper, militent en faveur d’une saisine de votre commissariat, lequel n’est pas « plus armé » que son voisin pour répondre aux instructions et exigences de l’autorité judiciaire.

La réforme a pour but de réunir les moyens humains et matériels de la sécurité publique et de la police judiciaire au sein d’une même filière dédiée à l’investigation. Un tel objectif est donc salutaire puisqu’il renforcera justement la police judiciaire en y intégrant des enquêteurs de la sécurité publique qui excellent déjà en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées. En théorie, le nombre d’enquêteurs doit donc augmenter et le traitement des procédures judiciaires gagnera en efficacité. En théorie, encore, les moyens techniques dont bénéficient les services de police judiciaire seront mutualisés et pourront, dès lors, être mis à la disposition d’enquêteurs issus de la sécurité publique et qui ont intégré la nouvelle filière « judiciaire ».

L’inquiétude principale réside dans le nombre de policiers qui seront effectivement affectés sur le département de l’Oise. Actuellement le commissariat de Compiègne voit des enquêteurs partir sans être remplacés et le service de la police judiciaire déplore également de nombreux départs sans perspective de nouvelles arrivées. A effectif constant, la réforme envisagée, selon moi, se soldera en échec dans le département de l’Oise.

D’autres projets seront à réaliser. Nous organiserons comme l’année précédente, avec le commissaire de police Pierryck BOULET et le commandant de compagnie de gendarmerie François PAREZYS, des patrouilles afin que l’ensemble des magistrats du siège et du parquet puissent mieux connaître le ressort du tribunal et appréhender ses spécificités.

Dans le prolongement de l’initiative prise par le commissaire en avril dernier, les magistrats de Compiègne et nos homologues de Beauvais et Senlis, pourraient une nouvelle fois bénéficier d’une démonstration de tirs de mortiers d’artifices (ou « chandelles romaines ») afin de mesurer les conséquences de telles violences infligées trop régulièrement aux forces de l’ordre au sein du département.

En parallèle, nous allons préparer la nuit du droit qui sera organisée le 4 octobre 2022 au sein du tribunal. Celle organisée l’année dernière a connu un franc succès. Cette année, avec Madame la Présidente du tribunal Judiciaire de Compiègne, Nadine DUBOSCQ, nous avons imaginé un nouveau projet ambitieux qui réservera des surprises au public.

Nadine Duboscq et Marie Lawrysz © Marie Lawrysz

Profitez-vous de l’été pour vous ressourcer ? 

Mes quelques jours de congés ont été obérés par l’arrivée de la Covid qui m’a atteinte le soir même de mon premier jour de vacances… J’en ai profité pour lire ou relire des ouvrages en lien avec mon activité professionnelle et des romans.

Je peux d’ailleurs vous conseiller « L’infini dans un roseau » d’Irène VALLEJO sur l’invention des livres, ouvrage que mon père m’a conseillé et que j’ai beaucoup aimé.

J’ai pu néanmoins me ressourcer une dizaine de jours en famille dans le Morbihan, courir, naviguer et laisser mon esprit divaguer.

 

Un remerciement spécial Marie pour vos actions au ministère de la Justice aux cotés de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale, de l’Education nationale, de la MILDECA, de France Victimes
Ces actions sont fédératrices et en cela inspirantes, et me tiennent à coeur.

Sensibiliser, informer, prévenir, agir pour que force reste à la loi est ambitieux et réalisable.

Une note toute personnelle : les familles, les parents et l’Education nationale ont des responsabilités complémentaires et ont tout intérêt je pense à avancer ensemble pour que nos enfants, nos jeunes fassent l’apprentissage des valeurs de la citoyenneté (civilité, solidarité, intégrité, patriotisme, tolérance, sauvegarde de l’intérêt général, savoir-vivre collectif…) et la respecte.

 

Actions de prévention au sein des collèges, Education nationale, avec Marie Lawrysz © Marie Lawrysz

 


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